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25/11/2010 | CEDH | N°51408/07

CEDH | AFFAIRE SAKKATOS ET AUTRES c. GRÈCE


PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE SAKKATOS ET AUTRES c. GRÈCE
(Requête no 51408/07)
ARRÊT1
STRASBOURG
25 novembre 2010
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Sakkatos et autres c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un Comité composé de :
Anatoly Kovler, président,   Elisabeth Steiner,   George Nicolaou, juges,  et de André Wampach, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 novembre 2010,


Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve...

PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE SAKKATOS ET AUTRES c. GRÈCE
(Requête no 51408/07)
ARRÊT1
STRASBOURG
25 novembre 2010
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Sakkatos et autres c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un Comité composé de :
Anatoly Kovler, président,   Elisabeth Steiner,   George Nicolaou, juges,  et de André Wampach, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 novembre 2010,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 51408/07) dirigée contre la République hellénique et dont dix-sept ressortissants de cet Etat, dont les noms figurent ci-joint (« les requérants »), ont saisi la Cour le 30 octobre 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Les requérants sont représentés par Me P. Miliarakis, avocat au barreau d’Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, M. S. Spyropoulos, assesseur auprès du Conseil juridique de l’Etat et Mme Z. Hatzipavlou, auditrice auprès du Conseil juridique de l’Etat.
3.  Le 19 octobre 2009, la présidente de la première section a décidé de communiquer les griefs tirés de la durée de la procédure et de l’absence de recours à cet égard au Gouvernement. En application du Protocole no 14, la requête a été attribuée à un Comité.
EN FAIT
LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4.  Le 6 décembre 2001, les requérants sous les nos 1-14 et Th. Dimou, époux et père des requérants sous les nos 15-17 respectivement, saisirent le tribunal administratif d’Athènes d’un recours en annulation contre le refus tacite du Ministre des Finances de prendre en compte, dans le calcul de leur salaire, leur expérience professionnelle dans le secteur privé avant leur engagement par l’Etat.
5.  Le 24 octobre 2005, le tribunal administratif d’Athènes se déclara incompétent à juger ladite affaire, puisqu’elle avait comme objet le statut professionnel des intéressés. Il renvoya l’affaire devant la cour administrative d’appel d’Athènes qui était le tribunal compétent (décision no 12342/2005).
6.  Le 16 mars 2007, la cour administrative d’appel se déclara incompétente, après avoir considéré que l’affaire portait sur le montant du salaire perçu par les requérants. Le requérant sous le no 10 n’a pas comparu devant ladite juridiction. L’affaire fut renvoyée de nouveau devant le tribunal administratif d’Athènes (arrêt no 503/2007).
7.  A une date non précisée, Th. Dimos est décédé. Les requérants sous les nos 15-17 sont ses héritiers.
8.  Il ressort du dossier qu’à ce jour l’affaire reste pendante devant le tribunal administratif d’Athènes.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
9.  Les requérants allèguent que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
10.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
11.  La période à considérer a débuté le 6 décembre 2001 avec la saisine du tribunal administratif d’Athènes et l’affaire se trouve toujours pendante devant cette juridiction. Elle totalise donc 8 ans et (...) mois environ pour un degré de juridiction.
A.  Sur la recevabilité
12.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B.  Sur le fond
13.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement des requérants et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).
14.  La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Frydlender précité).
15.  Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».
Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
16.  Les requérants se plaignent également du fait qu’en Grèce il n’existe aucune juridiction à laquelle l’on puisse s’adresser pour se plaindre de la durée excessive de la procédure. Ils invoquent l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
17.  Considérant qu’il n’y a pas eu dépassement du délai raisonnable, le Gouvernement affirme que l’article 13 de la Convention ne s’applique pas en l’espèce.
A.  Sur la recevabilité
18.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B.  Sur le fond
19.  La Cour rappelle que l’article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (voir Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000-XI).
20.  Par ailleurs, la Cour a déjà eu l’occasion de constater que l’ordre juridique hellénique n’offre pas aux intéressés un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention, leur permettant de se plaindre de la durée d’une procédure (Konti-Arvaniti c. Grèce, no 53401/99, §§ 29-30, 10 avril 2003). La Cour ne distingue en l’espèce aucune raison de s’écarter de cette jurisprudence, d’autant plus que le Gouvernement n’affirme pas que l’ordre juridique hellénique fût entretemps doté d’une telle voie de recours.
21.  Dès lors, la Cour estime qu’en l’espèce il y a eu violation de l’article 13 de la Convention en raison de l’absence en droit interne d’un recours qui aurait permis aux requérants d’obtenir la sanction de leur droit à voir leur cause entendue dans un délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.
III.  SUR LE RESTANT DES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
22.  Les requérants se plaignent enfin sans apporter de précision, que le retard dans l’examen de leur affaire a porté atteinte à l’article 1 du Protocole no 1.
23.  La Cour note d’emblée que ce grief est vague. En tout état de cause, à supposer que les requérants mettent en cause sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1 les répercussions financières qu’ils ont subies en raison de la longueur de la procédure, il est à noter que les répercussions patrimoniales négatives éventuellement provoquées par la durée excessive de la procédure s’analysent comme la conséquence de la violation du droit garanti par l’article 6 § 1 de la Convention et ne sauraient être prises en considération qu’au titre de la satisfaction équitable que les intéressés pourraient obtenir à la suite du constat de cette violation (voir, en ce sens, Varipati c. Grèce, no 38459/97, § 32, 26 octobre 1999 ; Capestrani c. Italie (déc.), no 46617/99, 27 janvier 2005).
Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
24.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
25.  Les requérants réclament 30 000 euros (EUR) chacun au titre du préjudice moral qu’ils auraient subi.
26.  Le Gouvernement invite la Cour à écarter cette demande. Il affirme qu’un constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante au titre du dommage moral subi. A titre alternatif, il affirme que la somme allouée à ce titre ne saurait dépasser 1 800 EUR pour chacun des requérants sous les nos 1-9 et 11-14. S’agissant des requérants sous les nos 15-17, il affirme que la Cour devrait leur accorder 1 800 EUR conjointement, étant donné qu’ils sont les héritiers de Th. Dimou qui avait poursuivi la procédure devant les juridictions internes. Enfin, le Gouvernement estime qu’une somme de 800 EUR serait suffisant pour le requérant sous le no 10, vu qu’il n’a pas comparu devant la cour administrative d’appel d’Athènes.
27.  En l’espèce, compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer à chacun des requérants sous les nos 1-14 la somme de 7 500 EUR au titre du dommage moral subi, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme. S’agissant en particulier du requérant sous le no 10, la Cour note qu’il ne ressort pas de l’arrêt no 503/2007 de la cour administrative d’appel d’Athènes que celui-ci s’est désisté de son recours devant les juridictions internes. Partant, la Cour présume qu’il fait toujours partie de la procédure en cause. Enfin, la Cour alloue conjointement aux requérants sous les nos 15-17 la somme de 7 500 EUR au titre du dommage moral subi, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.
B.  Frais et dépens
28.  Les requérants ne présentent aucune demande au titre des frais et dépens.
29.  Par conséquent, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de leur octroyer de somme à ce titre.
C.  Intérêts moratoires
30.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de la durée excessive de la procédure et l’absence de recours effectif à cet égard et irrecevable pour le surplus ;
2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;
4.  Dit
a)  que l’Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois2, conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i.  7 500 EUR (sept mille cinq cents euros), à chacun des requérants sous les nos 1-14 au titre du dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt,
ii.  7 500 EUR (sept mille cinq cents euros) conjointement aux requérants sous les nos 15-17 au titre du dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;
b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 25 novembre 2010, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
André Wampach Anatoly Kovler Greffier adjoint Président
Liste des requérants
1.   Dimitrios SAKKATOS
2.   Nikolaos KONIARIS
3.   Ierotheos MAVROIDIS
4.   Iakovos KARVOUNIS
5.   Konstantinos TSIVANIS
6.   Ioannis ISIHOS
7.   Periklis MELLES
8.   Georgios ARGYRIOU
9.   Marios STAMPOLITIS
10.  Nikolaos MPAKAOUKAS
11.  Georgios LAZIDIS
12.  Konstantinos TZIONAS
13.  Georgios PATERAKIS
14.  Georgios ZAFIROPOULOS
15.  Evgenia DIMOU
16.  Georgios DIMOU
17.  Konstantinos DIMOU
1 Version rectifiée le 5 mai 2011.
2 Les mots « à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif » ont été biffés.
ARRÊT SAKKATOS ET AUTRES c. GRÈCE
ARRÊT SAKKATOS ET AUTRES c. GRÈCE 


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1 ; Violation de l'art. 13

Analyses

(P1-1-1) BIENS, (P1-1-1) RESPECT DES BIENS, (P1-1-2) ASSURER LE PAIEMENT DES CONTRIBUTIONS OU AMENDES


Parties
Demandeurs : SAKKATOS ET AUTRES
Défendeurs : GRÈCE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (première section comité)
Date de la décision : 25/11/2010
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 51408/07
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2010-11-25;51408.07 ?

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