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30/11/2010 | CEDH | N°34490/03

CEDH | AFFAIRE NUSRET ERDEM c. TURQUIE


DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE NUSRET ERDEM c. TURQUIE
(Requête no 34490/03)
ARRÊT
STRASBOURG
30 novembre 2010
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Nusret Erdem c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en un Comité composé de :
Danutė Jočienė, présidente,   Nona Tsotsoria,   Guido Raimondi, juges,  et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 novembre 2010,
R

end l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une ...

DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE NUSRET ERDEM c. TURQUIE
(Requête no 34490/03)
ARRÊT
STRASBOURG
30 novembre 2010
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Nusret Erdem c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en un Comité composé de :
Danutė Jočienė, présidente,   Nona Tsotsoria,   Guido Raimondi, juges,  et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 novembre 2010,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 34490/03) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, M. Nusret Erdem (« le requérant »), né en 1956 et résidant à Muş, a saisi la Cour le 20 août 2003 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant est représenté par Me C. Demir, avocat à Van. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») est représenté par son agent.
3.  Le 21 juin 2007, la présidente de la deuxième section a décidé de communiquer la requête. Il a en outre été décidé que la Cour se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond (l'article 29 § 1 de la Convention). En application du Protocole no 14, la requête a été attribuée à un Comité.
EN FAIT
4.  Le 19 février 1992, le requérant saisit le ministère de l'Éducation nationale (« administration ») d'une demande de mutation sur un poste d'enseignant.
5.  Par une décision du 9 septembre 1992, l'administration rejeta cette demande.
6.  Le 30 avril 1993, le tribunal administratif d'Ankara (« tribunal ») décida de suspendre l'exécution de cette décision administrative.
7.  Se conformant à cette décision, le 26 août 1993, l'administration nomma le requérant comme enseignant.
8.  Le 19 octobre 1993, le tribunal annula la décision litigieuse. Faute de pourvoi, ce jugement devint définitif.
9.  Le 25 février 1994, le requérant saisit le tribunal d'une demande visant à indemniser ses pertes salariales pour la période entre le 19 février 1992 et le 26 août 1993 qu'il estimait de 70 000 000 livres turques (TRL) (soit environ 3 400 euros (EUR)1).
10.  Par une décision du 31 mai 1995, le tribunal accueillit partiellement la demande du requérant. Il condamna l'administration à verser au requérant une indemnité de 43 135 000 (soit environ 760 EUR), somme correspondant à la totalité des salaires dont le requérant avait été privé pour la période entre décembre 1992, date à laquelle les candidats aux postes d'enseignant qui se trouvaient sur la même liste que le requérant avaient été mutés sur des postes d'enseignant, et le 26 août 1993, date d'affectation du requérant. Dans son calcul de l'indemnité, le tribunal s'appuya sur les bulletins de salaires fournis par l'administration pour les périodes susmentionnées.
11.  Sur le pourvoi de l'administration, le 5 octobre 1995, le Conseil d'État décida de suspendre l'exécution de ce jugement.
12.  Le 15 avril 1997, il infirma le jugement attaqué. Il estima qu'aucune indemnisation ne s'imposait dans la mesure où il ressortait d'un document fourni par la préfecture de la ville de Niğde que, durant les périodes prises comme base pour la détermination de l'indemnité, le requérant faisait son service militaire.
13.  Le 17 octobre 1997, en se conformant à cet arrêt, le tribunal rejeta le recours du requérant.
14.  Le 10 mars 1998, le requérant se pourvut en cassation. Il joignit à son pourvoi un document qui montrait qu'il avait effectué son service militaire en 1982.
15.  Le 14 novembre 2000, le Conseil d'État infirma la décision attaquée pour vice de procédure. Il estima qu'avant de rendre son jugement, le tribunal devait s'informer auprès des autorités militaires des dates auxquelles le requérant avait effectué son service militaire.
16.  Le 26 juin 2001, en se conformant à la cassation, le tribunal accueillit partiellement le recours du requérant et condamna l'administration à lui verser la somme de 43 135 000 TRL (soit environ 38 EUR). Cette somme a été assortie d'intérêts moratoires au taux légal à partir du 15 décembre 1992.
17.  Le 10 mars 2003, le Conseil d'Etat confirma la décision attaquée.
18.  Selon les calculs faits par le greffe de la Cour, le montant à verser au requérant à cette date, majoré d'intérêts moratoires au taux légal conformément aux décisions des juridictions internes, devrait être d'environ 235 TRY2 (133 EUR).
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
19.  Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, le requérant dénonce la durée excessive de la procédure pour indemnisation. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de déclarer la requête recevable.
20.  Quant au fond, la période à considérer a débuté le 25 février 1994 et s'est terminée le 10 mars 2003. Elle a donc duré environ neuf ans pour deux degrés de juridiction dans un litige portant sur le contentieux du travail. Or, la Cour a traité à maintes reprises d'affaires soulevant des questions semblables à celle de la présente espèce, dans lesquelles elle a conclu à la violation de l'article 6 § 1 de la Convention (voir, parmi beaucoup d'autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).
21.  Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n'a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu'en l'espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l'exigence du « délai raisonnable ».
Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1.
II.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
22.   Le requérant réclame 12 000 EUR pour préjudice matériel et 50 000 EUR pour préjudice moral. Pour justifier ses demandes, il explique que par une décision administrative, il a été privé des salaires d'enseignant pendant une période d'un an mais qu'en raison de la durée excessive de la procédure, le montant d'indemnité qu'il a perçu est devenu insignifiant.
Le requérant réclame également 1 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. A titre justificatif, il fournit les documents montrant le transfert d'une somme de 210 500 000 TRL le 16 septembre 2003 (soit environ 133 EUR) et, une somme de 400 TRY le 18 juillet 2007 (soit environ 226 EUR) à l'avocat qui l'a représenté devant la Cour jusqu'au 27 février 2008.
23.  Le Gouvernement conteste ces prétentions. Concernant la demande de réparation matérielle, il soutient que celle-ci est sans fondement et n'a aucun lien de causalité direct avec les allégations de la violation.
24.  La Cour vient de constater une violation de l'article 6 § 1 de la Convention en raison de la durée excessive de la procédure, intentée par le requérant pour rembourser les salaires dont il a été privés en raison d'une décision administrative (voir paragraphe 21 ci-dessus). La Cour constate par ailleurs qu'à l'issue de cette longue procédure, les juridictions saisies fixèrent les montants des salaires que l'administration devait rembourser au requérant sans tenir compte du laps de temps écoulé, bien qu'il s'agit d'un élément susceptible d'en réduire la valeur (voir Michaïlidou et autres c. Grèce, no 21091/07, § 22, 12 mars 2009). Le requérant est donc fondé à soutenir qu'il a subi une dépréciation substantielle de sa créance en raison de la durée de la procédure. La Cour conclut que la situation litigieuse a causé au requérant un dommage matériel (voir, en ce sens, Varipati c. Grèce, no 38459/97, § 36, 26 octobre 1999), pour lequel elle estime devoir lui allouer une somme. Procédant à un calcul tenant compte à la fois de la durée de la procédure, du taux d'intérêts moratoires applicable pendant la période concernée ainsi que des effets de l'inflation (voir Okçu c. Turquie, no 39515/03, § 76, 21 juillet 2009 et, mutatis mutandis, Aka c. Turquie, 23 septembre 1998, §§ 56 et 57, Recueil des arrêts et décisions 1998-VI), la Cour observe que, s'il n'y avait pas eu une telle dépréciation de l'indemnité allouée au requérant, ce dernier aurait obtenu, le 10 mars 2003, environ 17 346 TRY (soit environ 9 825 EUR).
Statuant en équité, comme le veut l'article 41, la Cour alloue cette somme au requérant pour dommage matériel.
Quant au dommage moral, compte tenu de la durée de la procédure litigieuse et l'enjeu que celle-ci revêtait pour le requérant, et statuant en équité, comme le veut l'article 41, la Cour estime raisonnable d'octroyer au requérant la somme de 6 240 EUR.
Concernant les frais et dépens, compte tenu des justificatifs fournis par le requérant, la Cour estime raisonnable la somme de 359 EUR sollicitée et l'accorde en entier.
25.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable ;
2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;
3.  Dit
a)  que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement :
i.  9 825 EUR (neuf mille huit cent vingt-cinq euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage matériel ;
ii.  6 240 EUR (six mille deux cent quarante euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage moral ;
iii.  359 EUR (trois cent cinquante neuf euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt par le requérant, pour frais et dépens ;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 novembre 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Françoise Elens-Passos Danutė Jočienė   Greffière adjointe Présidente
1.  Toutes les conversions en euros dans cet arrêt ont été faites suivant le taux de change en vigueur à l’époque pertinente.
2.  Le 1er janvier 2005, la livre turque (TRY), qui remplace l’ancienne livre turque (TRL), est entrée en vigueur. 1 TRY vaut 1 000 000 de TRL.
ARRÊT NUSRET ERDEM c. TURQUIE
ARRÊT NUSRET ERDEM c. TURQUIE 


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1

Analyses

(P1-1-1) BIENS, (P1-1-1) RESPECT DES BIENS, (P1-1-2) ASSURER LE PAIEMENT DES CONTRIBUTIONS OU AMENDES


Parties
Demandeurs : NUSRET ERDEM
Défendeurs : TURQUIE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (deuxième section comité)
Date de la décision : 30/11/2010
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 34490/03
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2010-11-30;34490.03 ?

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