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30/11/2010 | CEDH | N°4266/02

CEDH | AFFAIRE ERGIN ET AUTRES c. TURQUIE


DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE ERGİN ET AUTRES c. TURQUIE
(Requête no 4266/02)
ARRÊT
STRASBOURG
30 novembre 2010
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Ergin et autres c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en un Comité composé de :
Danutė Jočienė, présidente,   Nona Tsotsoria,   Guido Raimondi, juges,  et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 novembre 2010,<

br> Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve...

DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE ERGİN ET AUTRES c. TURQUIE
(Requête no 4266/02)
ARRÊT
STRASBOURG
30 novembre 2010
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Ergin et autres c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en un Comité composé de :
Danutė Jočienė, présidente,   Nona Tsotsoria,   Guido Raimondi, juges,  et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 novembre 2010,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouvent une requête (no 4266/02) dirigée contre la République de Turquie et dont six ressortissants de cet Etat, Mme Mihdiye Ergin, M. Seyfettin Ergin, M. Mehmet Ergin, Mme Amine Ergin, M. Fesih Ergin, et Mme Gülbahar Ergin (« les requérants »), nés respectivement en 1943, 1977, 1979, 1981, 1985 et 1986 et résidant à Diyarbakır, ont saisi la Cour le 26 novembre 2001 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Les requérants sont représentés par Me S. Çınar, avocat à Diyarbakır. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.
3.  Le 13 novembre 2008, la présidente de la deuxième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. En application du Protocole no 14, la requête a été attribuée à un Comité.
EN FAIT
4.  En 1992, l'époux de la première requérante et le père des autres requérants décéda suite à un tir effectué par un policier. Le policier concerné fut par la suite condamné à une peine de dix mois de réclusion commuée en amende pour homicide involontaire.
5.  Le 18 janvier 1993, les requérants introduisirent un recours en réparation des préjudices matériel et moral devant le tribunal de grande instance de Diyarbakır contre le policier. Le 12 mai 1994, le tribunal rejeta le recours pour incompétence ratione personae en précisant qu'un tel recours devait être introduit a priori contre l'Etat.
6.  Le 25 novembre 1994, les requérants introduisirent un recours de pleine juridiction contre le ministère de l'Intérieur (« l'administration ») et le policier devant le tribunal administratif de Diyarbakır. Le recours fut rejeté au motif qu'il n'avait pas été introduit dans les délais légaux.
7.  Le 20 décembre 1995, le Conseil d'Etat infirma cette décision.
8.  Le 25 février 1998, le Conseil d'Etat rejeta les demandes de rectification introduites par l'administration et le policier.
9.  Le 23 février 2001, le tribunal administratif accorda la totalité des demandes des requérants. Ainsi, il leur accorda au total 320 millions de livres turques (TRL) pour dommage matériel (soit environ 330 euros (EUR)1) et 180 millions de TRL pour dommage moral (soit environ 185 EUR). Le dommage matériel fut majoré d'intérêts moratoires aux taux légal à partir du 18 janvier 1993, date de leur premier recours.
10.  Le 4 septembre 2001, les requérants saisirent le bureau d'exécution forcée. L'administration effectua le 10 novembre 2001 un premier versement de 1 663 700 000 TRL (soit environ 1 305 EUR). Le 12 décembre 2001, un paiement complémentaire de 169 450 000 TRL (soit environ 133 EUR) fut effectué.
11.  Le 27 février 2003, le Conseil d'Etat confirma le jugement du 23 février 2001 en rejetant le pourvoi de l'administration.
EN DROIT
12.  Les requérants se plaignent d'une perte de valeur de l'indemnité qui leur a été accordée par le jugement du 23 février 2001 du tribunal administratif, en raison de la durée excessive de la procédure et de l'insuffisance des intérêts moratoires par rapport au taux d'inflation élevé en Turquie à l'époque des faits. Ils invoquent à cet égard l'article 6 de la Convention et l'article 1 du Protocole no 1.
13.  A titre d'exception, le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes relevant que, au moment de l'introduction de la requête, l'affaire était encore pendante devant les juridictions internes.
14.  La Cour rejette cette exception du Gouvernement pour les mêmes motifs que ceux exposés dans les affaires Okçu c. Turquie (no 39515/03, § 35, 21 juillet 2009) et Şerefli et autres c. Turquie (no 2) (no 14015/05, § 11, 30 mars 2010).
15.  Concernant le grief tiré de la durée de la procédure, la Cour considère que la procédure qui s'est déroulée devant le tribunal de grande instance et celle qui s'est déroulée devant le tribunal administratif doivent être examinées séparément (en ce sens, voir Buhur c. Turquie, no 24869/05, § 11, 20 juillet 2010). Concernant la première, elle s'est terminée le 12 mai 1994, date à laquelle le tribunal a rejeté le recours du requérant pour incompétence ratione personae. La requête étant introduite le 26 novembre 2001, cette partie de la requête doit être rejetée pour non respect du délai de six mois en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
16.  La Cour relève que les griefs des requérants tirés de la durée de la procédure qui s'est déroulée devant le tribunal administratif de Diyarbakır et de l'insuffisance des intérêts moratoires ne se heurtent à aucun motif d'irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.
17.  Quant au fond, elle note que la période à considérer a débuté le 25 novembre 1994 et s'est terminée le 27 février 2003. Elle a donc duré environ huit ans et trois mois pour deux degrés de juridiction.
18.  La Cour relève que l'affaire ne relève pas une complexité particulière. En outre, le Gouvernement n'a présenté aucune explication pouvant justifier cette durée et rien dans le dossier ne permet d'attribuer celle-ci au comportement des requérants. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime donc qu'en l'espèce, la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l'exigence du « délai raisonnable ».
19.  Rappelant par ailleurs que l'enjeu du litige pour les intéressés entre en ligne de compte pour certains cas (voir, entre autres, Zimmermann et Steiner c. Suisse, 13 juillet 1983, § 24, série A no 66, et Allenet de Ribemont c. France, 10 février 1995, § 47, série A no 308), elle estime qu'en l'espèce les requérants sont restés privés de leur soutien financier principal à la suite du décès de leur père et époux. Ils avaient donc un important intérêt personnel à obtenir rapidement une décision judiciaire sur l'octroi de l'indemnisation (voir, parmi d'autres, Altındağ et İpek c. Turquie, no 42921/02, § 21, 20 octobre 2009).
20.  La Cour constate que la durée de la procédure, qui est imputable aux juridictions internes, a fait subir aux requérants un préjudice qui se trouve amplifié par l'écart considérable qui existait à l'époque des faits entre le taux réel d'inflation et le taux légal des intérêts moratoires. Elle considère que les requérants ont eu à supporter une charge spéciale et exorbitante qui a rompu le juste équilibre devant régner entre les exigences de l'intérêt général et la sauvegarde du droit au respect des biens (voir Vaide Yıldız et autres c. Turquie, no 13721/04, § 16, 20 octobre 2009).
21.  Enfin, la Cour rappelle avoir traité à maintes reprises d'affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d'espèce et a constaté une violation de l'article 6 § 1 de la Convention et de l'article 1 du Protocole no 1 (voir Bozüyük c. Turquie, no 3595/05, §§ 18-19, 19 janvier 2010, Kaçar et autres c. Turquie, nos 38323/04, 38379/04, 38389/04, 38403/04, 38423/04, 38510/04, 38513/04, et 38522/04, §§ 20-25, 22 juillet 2008, et Hüseyin Ateş et Mehmet Ateş c. Turquie, no 28270/02, § 15, 13 octobre 2009).
N'apercevant rien qui puisse mener à une conclusion différente dans la présente affaire, la Cour estime qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention et l'article 1 du Protocole no 1.
22.  Toutefois, les requérants n'ayant pas présenté leurs demandes de satisfaction équitable dans le délai imparti, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu de leur octroyer de somme à ce titre.
PAR CES MOTIFS, LA COUR À L'UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable ;
2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention et de l'article 1 du Protocole no 1.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 novembre 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Françoise Elens-Passos Danutė Jočienė   Greffière adjointe Présidente
1.  Toutes les conversions en euros dans cet arrêt ont été faites suivant le taux de change en vigueur à l’époque pertinente.
ARRÊT ERGİN ET AUTRES c. TURQUIE
ARRÊT ERGİN ET AUTRES c. TURQUIE 


Synthèse
Formation : Cour (deuxième section comité)
Numéro d'arrêt : 4266/02
Date de la décision : 30/11/2010
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1 ; Violation de P1-1

Analyses

(P1-1-1) BIENS, (P1-1-1) RESPECT DES BIENS, (P1-1-2) ASSURER LE PAIEMENT DES CONTRIBUTIONS OU AMENDES


Parties
Demandeurs : ERGIN ET AUTRES
Défendeurs : TURQUIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2010-11-30;4266.02 ?

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