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01/02/2011 | CEDH | N°23205/08

CEDH | AFFAIRE KAROUSSIOTIS c. PORTUGAL


DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE KAROUSSIOTIS c. PORTUGAL
(Requête no 23205/08)
ARRÊT
STRASBOURG
1er février 2011
DÉFINITIF
01/05/2011
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Karoussiotis c. Portugal,
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,   Ireneu Cabral Barreto,   Dragoljub Popović,   Nona Tsotsoria,   Işıl Karakaş,   K

ristina Pardalos,   Guido Raimondi, juges,  et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir d...

DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE KAROUSSIOTIS c. PORTUGAL
(Requête no 23205/08)
ARRÊT
STRASBOURG
1er février 2011
DÉFINITIF
01/05/2011
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Karoussiotis c. Portugal,
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,   Ireneu Cabral Barreto,   Dragoljub Popović,   Nona Tsotsoria,   Işıl Karakaş,   Kristina Pardalos,   Guido Raimondi, juges,  et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 janvier 2011,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 23205/08) dirigée contre la République portugaise et dont une ressortissante allemande, Mme Diana Karoussiotis (« la requérante »), a saisi la Cour le 14 mai 2008 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  La requérante est représentée par Me U. Völlings, avocat à Cologne (Allemagne). Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») était représenté, jusqu'au 23 février 2010, par son agent, M. J. Miguel, procureur général adjoint, et, à partir de cette date, par Mme M. F. Carvalho, également procureur général adjoint.
3.  En invoquant les articles 6 § 1, 8 et 13 de la Convention, la requérante allègue une violation de son droit au respect de sa vie familiale et de son droit à une décision judiciaire dans un délai raisonnable.
4.  Le 21 décembre 2009, la présidente de la deuxième section a décidé de communiquer la requête. Comme le permet l'article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
5.  Informé de son droit de participer à la procédure, le gouvernement allemand n'a pas manifesté l'intention d'exercer le droit que lui reconnaît l'article 36 § 1 de la Convention.
6.  Le Gouvernement a déposé des observations écrites sur l'affaire. La requérante a présenté tardivement ses observations et sa demande de satisfaction équitable. Vu l'absence d'explications de la part du conseil de la requérante sur l'inobservation du délai imparti, le 8 juillet 2010, la présidente de la chambre a décidé, en application des articles 38 § 1 et 60 du règlement de la Cour, de ne pas les verser au dossier.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
7.  La requérante est née en 1980 et réside à Krefeld (Allemagne).
8.  De l'union de fait entre la requérante, de nationalité allemande, et un ressortissant portugais, A., naquit un enfant, le 25 août 2001, en Allemagne.
9.  En octobre 2001, le père de l'enfant fut condamné à cinq ans de prison pour trafic de stupéfiants par le tribunal de Krefeld. Interdit du territoire, le requérant fut expulsé d'Allemagne vers le Portugal en novembre 2004.
10.  La requérante et le père de l'enfant se séparèrent pendant la détention de ce dernier.
11.  En janvier 2005, accompagné d'un oncle paternel, l'enfant partit au Portugal pour rendre visite à son père.
12.  Le 14 janvier 2005, la requérante se rendit au Portugal pour reprendre son enfant. Elle rentra seule en Allemagne, le 22 février 2005.
A.  La procédure civile visant le retour de l'enfant
13.  En mars 2005, la requérante saisit le Procureur général fédéral d'une demande visant le retour de l'enfant en application de la Convention de La Haye sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants du 25 octobre 1980 (ci-après « Convention de La Haye »).
14.  Le 27 octobre 2005, le parquet allemand adressa une demande aux autorités portugaises pour obtenir le retour de l'enfant, alléguant son déplacement illicite au Portugal en violation de l'article 3 de la Convention de La Haye.
15.  Cette demande fut signifiée au père de l'enfant, lequel s'opposa au retour de l'enfant en contestant le caractère illicite du déplacement de l'enfant. En l'occurrence, il affirmait que le voyage de l'enfant avait été décidé par les deux parents car la mère de l'enfant avait envisagé de s'installer au Portugal.
16.  Le 24 janvier 2006, le tribunal aux affaires familiales de Braga prononça un jugement de non-retour de l'enfant en Allemagne, jugeant que la rétention de l'enfant au Portugal n'était pas illicite au sens de l'article 3 de la Convention de La Haye ou de l'article 11 du Règlement no 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale (ci-après « Règlement européen no 2201/2003 »).
17.  Le 2 février 2006, la requérante interjeta appel du jugement devant la cour d'appel de Guimarães en soutenant, entre autres, ne pas avoir été entendue par le tribunal aux affaires familiales de Braga.
18.  Par un arrêt du 21 juin 2006, la cour d'appel de Guimarães fit droit à la demande de la requérante. Annulant l'arrêt du tribunal aux affaires familiales de Braga, la cour d'appel lui renvoya l'affaire, ordonnant notamment l'audition de la mère de l'enfant.
19.  Le père de l'enfant fit appel de l'arrêt de la cour d'appel de Guimarães devant la Cour suprême. Celle-ci prononça un arrêt de rejet le 7 novembre 2006.
20.  Le 15 août 2007, sur commission rogatoire du tribunal aux affaires familiales de Braga en date du 14 février 2007, la mère fut entendue par le tribunal de Krefeld.
21.  Le 13 septembre 2007, le tribunal de Krefeld renvoya le procès verbal d'audition au tribunal aux affaires familiales de Braga.
22.  Par un jugement du 21 mai 2008, le tribunal aux affaires familiales de Braga rejeta à nouveau la demande de retour de l'enfant en considérant que le déplacement de l'enfant n'était pas illicite dans la mesure où il avait été convenu entre les deux parents.
23.  Le 12 juin 2008, la requérante interjeta appel devant la cour d'appel de Guimarães. Elle fut déboutée de sa prétention par un arrêt du 9 janvier 2009.
24.  Dans son arrêt, la cour d'appel considéra:
« (...) force est de conclure qu'à partir du moment où la mère de L. rentra en Allemagne sans son fils, celui-ci commença à être retenu illicitement au Portugal. Avec sa demande de retour, elle démontra, de façon catégorique, qu'elle ne souhaitait pas que son fils reste au Portugal. »
25.  Même si la cour d'appel reconnut que l'affaire portait sur une situation de rétention illicite d'enfant, au regard du Règlement européen no 2201/2003, elle jugea préférable que l'enfant reste au Portugal pour les raisons suivantes :
« En l'espèce, pris en charge par son arrière grand-mère depuis mars 2008, l'enfant lui voue une affection particulière, voyant en elle une référence maternelle au point d'en oublier presque l'image de sa mère. C'est son arrière grand-mère qui prend soin de lui tous les jours, avec tendresse (...). La mère appelle rarement son enfant et quand elle le fait, l'enfant lui attache peu d'importance. L'enfant voit en son arrière grand-mère, au moment actuel de son développement, un élément de référence qui lui apporte sécurité et tranquillité, ce qui se reflète dans son comportement à l'école et dans ses rapports avec autrui. Il se sent heureux dans le milieu où il vit et connaît un grand succès au niveau scolaire. C'est pourquoi, changer son environnement, l'éloigner de sa personne de référence pourrait être dangereux pour son équilibre psychique (...).
Toutes les conditions sont donc réunies pour que l'Etat défendeur empêche le retour de l'enfant, à la lumière de l'intérêt supérieur de l'enfant qui doit prévaloir sur la libre circulation avec sécurité des enfants, en vertu de l'article 13 b) de la Convention de La Haye de 1980. Jugeant le retour en Allemagne préjudiciable pour l'enfant, l'Etat défendeur agit conformément à l'article 13 de la Convention de La Haye. »
B.  L'action en réglementation des responsabilités parentales
26.  Le 2 mars 2005, le parquet près le tribunal de Braga ouvrit une procédure visant la règlementation des responsabilités parentales (regulação do poder paternal) vis-à-vis de l'enfant. La garde de ce dernier fut provisoirement confiée à son père.
27.  Le 3 octobre 2005, le tribunal aux affaires familiales de Braga tint sa première audience de conciliation. Un accord ne put être obtenu, les parents furent donc invités à soumettre leurs mémoires en défense.
28.  Le 19 octobre 2005, la requérante présenta son mémoire en défense. Invoquant le caractère illicite de la rétention de l'enfant au Portugal, la requérante releva l'incompétence en raison du territoire du tribunal aux affaires familiales de Braga et fit valoir que celle-ci appartenait aux tribunaux allemands en vertu du Règlement européen no 2201/2003.
29.  Pour sa part, dans un mémoire en défense présenté le 21 octobre 2005, le père de l'enfant demanda au tribunal de lui attribuer la garde de l'enfant.
30.  Le 27 octobre 2005, le parquet près le tribunal aux affaires familiales de Braga requit la suspension de l'instance jusqu'à la conclusion de la procédure visant le retour de l'enfant, ouverte par le parquet allemand.
31.  Par une ordonnance du 31 juillet 2006, le tribunal aux affaires familiales de Braga modifia l'autorité parentale provisoire de l'enfant, l'attribuant à l'arrière grand-mère de ce dernier.
32.  Le 4 janvier 2008, la requérante (représentée par son avocate) et le père de l'enfant demandèrent conjointement au tribunal aux affaires familiales de Braga d'attribuer la garde de l'enfant à la requérante.
33.  Le 30 janvier 2008, la requérante demanda au tribunal d'accélérer la procédure.
34.  Le 27 février 2008, le père de l'enfant fut placé en détention provisoire dans le cadre d'une enquête pour séquestration, extorsion, trafic de stupéfiants, port d'arme et vol.
35.  Le 10 mars 2008, la requérante renouvela sa demande d'attribution de l'autorité parentale de l'enfant auprès du tribunal aux affaires familiales de Braga. Par une ordonnance du 4 avril 2008, le tribunal rejeta la demande de la requérante en faisant valoir que l'instance était suspendue.
36.  Le 15 mai 2008, l'arrière grand-mère de l'enfant sollicita au tribunal de lui attribuer, de façon définitive, la garde de l'enfant.
37.  Suite à l'arrêt de la cour d'appel de Guimarães du 9 janvier 2009, le 3 mai 2009, le tribunal aux affaires familiales de Braga leva la suspension de la procédure de réglementation des responsabilités parentales.
38.  Le 26 janvier 2009 et le 15 mai 2009, la requérante demanda au tribunal aux affaires familiales de Braga de lui attribuer la garde de l'enfant en invoquant l'accord signé avec le père.
39.  Sur commission rogatoire, le tribunal demanda aux services sociaux allemands d'établir les conditions socio-économiques de la requérante.
40.  Le 12 octobre 2009, le tribunal aux affaires familiales réceptionna les rapports qui avaient été demandés aux autorités allemandes. Le 20 octobre 2009, il reçut un rapport des services sociaux portugais relevant la situation générale de bien-être de l'enfant au Portugal.
41.  A ce jour, la procédure est toujours pendante devant le tribunal aux affaires familiales de Braga.
C.  Le recours en manquement devant la Commission européenne
42.  Le 2 avril 2008, la requérante adressa une plainte à la Commission européenne pour violation du Règlement no2201/2003 du Conseil relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale. En l'occurrence, la requérante se plaignait de la durée excessive de la procédure engagée devant le tribunal aux affaires familiales de Braga, en invoquant l'article 11 du Règlement.
43.  Le 15 septembre 2008, la requérante transmit à la Commission européenne différents documents pour appuyer sa requête.
44.  Le 7 mai 2009, la Direction générale Justice, Liberté et Sécurité de la Commission européenne sollicita de la requérante certaines informations complémentaires concernant l'action visant le retour de l'enfant pour déplacement et rétention illicite. Le 15 juin 2009, la requérante envoya ces informations à la Direction en produisant une copie de l'arrêt de la cour d'appel de Guimarães du 9 janvier 2009.
45.  D'après les dernières informations provenant de la requérante, lesquelles remontent au 2 juillet 2010, la procédure initiée auprès de la Commission européenne était toujours pendante.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS
A.  Le droit international et interne pertinents
46.  L'arrêt Maire c. Portugal (no 48206/99, CEDH 2003-VII) contient, en ses paragraphes 56-60, un descriptif du droit international et interne pertinents.
B.  Le droit communautaire pertinent
1.  Le Règlement no 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale
47.  Les dispositions pertinentes du Règlement no 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale se lisent ainsi :
Article 2
Définitions
« Aux fins du présent règlement on entend par:
11- « déplacement ou non-retour illicites d'un enfant » le déplacement ou le non-retour d'un enfant lorsque:
a) il a eu lieu en violation d'un droit de garde résultant d'une décision judiciaire, d'une attribution de plein droit ou d'un accord en vigueur en vertu du droit de l'État membre dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour
et
b) sous réserve que le droit de garde était exercé effectivement, seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non-retour, ou l'eût été si de tels événements n'étaient survenus. La garde est considérée comme étant exercée conjointement lorsque l'un des titulaires de la responsabilité parentale ne peut, conformément à une décision ou par attribution de plein droit, décider du lieu de résidence de l'enfant sans le consentement d'un autre titulaire de la responsabilité parentale.
Article 10
Compétence en cas d'enlèvement d'enfant
« En cas de déplacement ou de non-retour illicites d'un enfant, les juridictions de l'État membre dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites conservent leur compétence jusqu'au moment où l'enfant a acquis une résidence habituelle dans un autre État membre et que
a)  toute personne, institution ou autre organisme ayant le droit de garde a acquiescé au déplacement ou au non-retour
ou
b)  l'enfant a résidé dans cet autre État membre pendant une période d'au moins un an après que la personne, l'institution ou tout autre organisme ayant le droit de garde a eu ou aurait dû avoir connaissance du lieu où se trouvait l'enfant, que l'enfant s'est intégré dans son nouvel environnement et que l'une au moins des conditions suivantes est remplie:
Article 11
Retour de l'enfant
« 1.  Lorsqu'une personne, institution ou tout autre organisme ayant le droit de garde demande aux autorités compétentes d'un État membre de rendre une décision sur la base de la convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants (ci-après "la convention de La Haye de 1980") en vue d'obtenir le retour d'un enfant qui a été déplacé ou retenu illicitement dans un État membre autre que l'État membre dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites, les paragraphes 2 à 8 sont d'application.
3.  Une juridiction saisie d'une demande de retour d'un enfant visée au paragraphe 1 agit rapidement dans le cadre de la procédure relative à la demande, en utilisant les procédures les plus rapides prévues par le droit national.
Sans préjudice du premier alinéa, la juridiction rend sa décision, sauf si cela s'avère impossible en raison de circonstances exceptionnelles, six semaines au plus tard après sa saisine.
5.  Une juridiction ne peut refuser le retour de l'enfant si la personne qui a demandé le retour de l'enfant n'a pas eu la possibilité d'être entendue.
2.  Sur le dépôt de plainte auprès de la Commission européenne
48.  Selon l'article 17 du Traité sur l'Union européenne :
« 1.  La Commission promeut l'intérêt général de l'Union et prend les initiatives appropriées à cette fin. Elle veille à l'application des traités ainsi que des mesures adoptées par les institutions en vertu de ceux-ci. Elle surveille l'application du droit de l'Union sous le contrôle de la Cour de justice de l'Union européenne. Elle exécute le budget et gère les programmes. Elle exerce des fonctions de coordination, d'exécution et de gestion conformément aux conditions prévues par les traités. À l'exception de la politique étrangère et de sécurité commune et des autres cas prévus par les traités, elle assure la représentation extérieure de l'Union. Elle prend les initiatives de la programmation annuelle et pluriannuelle de l'Union pour parvenir à des accords interinstitutionnels.
49.  L'Article 258 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ex-article 226 du Traité instituant la Communauté Européenne- TCE) dispose :
« Si la Commission estime qu'un État membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités, elle émet un avis motivé à ce sujet, après avoir mis cet État en mesure de présenter ses observations. Si l'État en cause ne se conforme pas à cet avis dans le délai déterminé par la Commission, celle-ci peut saisir la Cour de justice de l'Union européenne. »
50.  En outre, l'article 260 du Traité sur l'Union européenne (ex-article 228 du TCE) prévoit :
« Si la Cour constate le manquement, elle peut infliger à l'État membre concerné le paiement d'une somme forfaitaire ou d'une astreinte dans la limite du montant indiqué par la Commission. L'obligation de paiement prend effet à la date fixée par la Cour dans son arrêt. »
51.  La note explicative accompagnant le formulaire de plainte1 auprès de la Commission européenne pour non respect du droit communautaire précise :
« Toute personne peut mettre en cause un État membre en déposant une plainte auprès de la Commission pour dénoncer une mesure (législative, réglementaire ou administrative) ou une pratique imputables à un Etat membre qu'elle estime contraires à une disposition ou à un principe de droit communautaire. Le plaignant n'a pas à démontrer l'existence d'un intérêt à agir; il n'a pas non plus à prouver qu'il est principalement et directement concerné par l'infraction qu'il dénonce. Il est rappelé que pour qu'une plainte soit jugée recevable, il faut qu'elle dénonce une violation du droit communautaire par un État membre. »
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
52.  Invoquant l'article 8 de la Convention, la requérante estime que les juridictions portugaises ont violé son droit au respect de sa vie familiale en refusant d'ordonner le retour de son enfant en Allemagne. Sous l'angle du même article, elle se plaint également de l'attribution de la garde provisoire de l'enfant à l'arrière grand-mère de celui-ci et reproche aux juridictions portugaises de ne pas avoir respecté l'accord signé avec le père de l'enfant attribuant l'autorité parentale à la requérante.
53.  Sur le terrain de l'article 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaint de la durée des procédures visant le retour de l'enfant et portant sur la réglementation de l'autorité parentale.
54.  Invoquant l'article 13 de la Convention, la requérante se plaint de l'inexistence au niveau interne d'un recours efficace pour agir contre la durée excessive d'une procédure.
55.  Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, la Cour estime que l'affaire doit être examinée à la lumière du seul article 8 de la Convention, lequel exige que le processus décisionnel débouchant sur des mesures d'ingérence soit équitable et que l'Etat prenne les mesures propres à réunir le parent et l'enfant concernés (Zavřel c. République tchèque, no 14044/05, § 32, 18 janvier 2007 ; Kříž c. République tchèque (déc.), no 26634/03, 29 novembre 2005).
L'article 8 de la Convention dispose dans ses parties pertinentes :
« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie (...) familiale (...).
2.  Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
A.  Sur la recevabilité
1.  Sur l'épuisement des voies de recours internes
56.  Le Gouvernement soulève le non épuisement des voies de recours internes, jugeant la requête prématurée car, à la date d'introduction de la requête, les deux procédures en causes étaient toujours pendantes.
57.  La Cour rappelle que la finalité de l'article 35 § 1 est de ménager aux Etats contractants l'occasion de prévenir ou redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne lui soient soumises (voir, parmi d'autres, Civet c. France [GC], no 29340/95, § 41, CEDH 1999-VI). L'article 35 § 1 de la Convention doit être appliqué avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif, mais il n'exige pas seulement que les requêtes aient été adressées aux tribunaux internes compétents et qu'il ait été fait usage des recours effectifs permettant de contester les décisions déjà prononcées. Le grief dont on entend saisir la Cour doit d'abord être soulevé, au moins en substance, dans les formes et délais prescrits par le droit interne, devant ces mêmes juridictions nationales appropriées (voir, parmi d'autres, Cardot c. France, 19 mars 1991, § 34, série A no 200, et Elçi et autres c. Turquie, nos 23145/93 et 25091/94, §§ 604 et 605, 13 novembre 2003). La Cour tolère que le dernier échelon d'un recours soit atteint peu après le dépôt de la requête mais avant qu'elle ne se prononce sur la recevabilité de celle-ci.
58.  La Cour observe que la procédure visant le retour de l'enfant a été conclue par un arrêt de la cour d'appel de Guimarães du 9 janvier 2009. Toutefois, s'agissant de la procédure portant sur la réglementation de l'autorité parentale, la Cour constate que celle-ci est effectivement toujours pendante. Toutefois, dans la mesure où la requérante se plaint d'une violation de son droit au respect de sa vie familiale en raison, notamment, de la durée des procédures en cause, la Cour estime que l'exception préliminaire tirée du non épuisement des voies de recours internes est étroitement liée au bien-fondé de l'affaire. Elle reprendra donc ci-après son examen sur ce point dans le cadre de l'examen du fond des griefs.
2.  Sur l'exception tirée de l'article 35 § 2 b) de la Convention
59.  Le Gouvernement excipe également de l'irrecevabilité de la requête sous l'angle de l'article 35 § 2 b), la requérante ayant soumis la même requête à la Commission européenne.
60.  La Cour constate que la requérante a saisi, le 2 avril 2008, la Commission européenne d'une plainte soulevant les mêmes faits.
61.  Selon l'article 35 § 2 (b) de la Convention,
« 2.  La Cour ne retient aucune requête individuelle introduite en application de l'article 34, lorsque
b)  elle est essentiellement la même qu'une requête précédemment examinée par la Cour ou déjà soumise à une autre instance internationale d'enquête ou de règlement, et si elle ne contient pas de faits nouveaux. »
62.  La Cour rappelle que l'article 35 § 2 b) vise à éviter la pluralité de procédures internationales relatives aux mêmes affaires (Calcerrada Fornieles et Cabeza Mato c. Espagne, no 17512/90, décision du 6 juillet 1992, Décisions et Rapports (DR) 73, p. 214 ; Folgero et autres c. Norvège (déc.), no 15472/02, 14 février 2006 ; Smirnova et Smirnova c. Russie (déc.), nos 46133/99 et 48183/99, 3 octobre 2002). Il en résulte que la Convention exclut que la Cour puisse retenir une requête faisant ou ayant déjà fait l'objet d'un examen de la part d'une instance internationale (Celniku c. Grèce, no 21449/04, § 39, 5 juillet 2007). Le terme “autre instance” vise une procédure judiciaire ou quasi-judiciaire analogue à celle prévue par la Convention (Lukanov c. Bulgarie (déc.), no. 21915/93, 12 janvier 1995, DR 80 A, p. 108). La Cour doit donc déterminer si la nature de l'organe de contrôle, la procédure suivie par celui-ci et l'effet de ses décisions sont tels que l'article 35 § 2 b) exclut la compétence de la Cour (voir, pour la « procédure 1503 » devant la Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de l'homme des Nations Unies, Mikolenko c. Estonie (déc.), no 16944/03, 5 janvier 2006 et Celniku c. Grèce, précité, §§ 39- 41 ; pour d'autres organes des Nations-Unies, Folgero et autres, décision précitée, Smirnova et Smirnova c. Russie, décision précitée et Malsagova et autres c. Russie (déc), no 27244/03, 6 mars 2008 ; pour une plainte devant le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, Zagaria c. Italie (déc), no 24408/03, 3 juin 2008 et De Pace c. Italie, no 22728/03, §§ 25-27, 17 juillet 2008).
63.  La Cour doit donc déterminer si, en l'espèce, la présente requête est « essentiellement la même » que celle soumise à la Commission européenne. Une requête est considérée comme étant « essentiellement la même » quand les faits, les parties et les griefs sont identiques (Pauger c. Autriche, no 24872/94, décision de la Commission du 9 janvier 1995, DR 80-A, p. 170 et, a contrario, Folgero et autres c. Norvège, déc. précitée).
64.  En l'espèce, l'identité des faits et griefs soumis par la requérante autant à la Cour qu'à la Commission européenne est incontestable.
65.   Il y a lieu maintenant d'examiner si la procédure devant cet organe peut être assimilée sous l'angle procédural et sous l'angle des effets potentiels à la requête individuelle prévue par l'article 34 de la Convention.
66.  Organe exécutif de l'Union européenne, la Commission européenne veille également « à l'application des traités ainsi que des mesures adoptées par les institutions en vertu de ceux-ci » comme le dispose l'article 17 du Traité de l'Union européenne.
67.  Tout individu peut mettre en cause un État membre en déposant une plainte auprès de la Commission européenne pour dénoncer une mesure (législative, réglementaire ou administrative) ou une pratique imputable à un État membre qu'elle estime contraire à une disposition ou à un principe de droit de l'Union. La plainte peut être formulée par simple courrier ou en utilisant un formulaire disponible sur le serveur internet de l'Union européenne2.
68.  La plainte est jugée recevable si elle dénonce une violation du droit communautaire par un État membre. Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, la Commission européenne dispose d'un pouvoir discrétionnaire quant au lancement de la procédure d'infraction et à la saisine de la Cour de justice en vertu de l'article 258 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ex-article 226 du Traité instituant la Communauté Européenne- TCE), lequel dispose que « si l'État en cause ne se conforme pas à cet avis dans le délai déterminé par la Commission, celle-ci peut saisir la Cour de justice de l'Union européenne ».
69.  Comme le précisait le Tribunal de première instance des Communautés européennes dans l'arrêt Syndicat départemental de défense du droit des agriculteurs (SDDDA) contre Commission des Communautés européennes3, « la Commission n'est pas tenue d'engager contre un État membre une procédure en manquement, mais elle dispose, au contraire, d'un pouvoir d'appréciation discrétionnaire excluant le droit pour les particuliers d'exiger d'elle qu'elle prenne position dans un sens déterminé. » (SDDDA c. Commission, affaire T-47/96 [1996] ECR II-1559, § 42).
70.  La «procédure d'infraction» ou «procédure précontentieuse», a seulement pour objectif d'obtenir la mise en conformité volontaire de l'État membre aux exigences du droit de l'Union.
71.  Cette procédure comporte formellement plusieurs étapes et peut être précédée d'une phase de recherche ou examen notamment dans le cas de procédures d'infraction ouvertes suite à des plaintes. La mise en demeure représente la première étape de la phase précontentieuse au cours de laquelle la Commission européenne demande à un État membre de lui faire part, dans un délai déterminé, de ses observations sur un problème d'application du droit de l'Union identifié. L'avis motivé vise à fixer la position de la Commission européenne sur l'infraction et à déterminer l'objet de l'éventuel recours en manquement avec une invitation d'y mettre fin dans un délai donné. L'avis motivé doit contenir un exposé cohérent et détaillé des raisons ayant amené la Commission européenne à la conviction que l'État intéressé a manqué à l'une des obligations qui lui incombent en vertu du traité.
72.  S'agissant du recours en manquement, en vertu de l'article 260 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, si la Cour de Justice prononce un arrêt en manquement, elle pourra « infliger à l'État membre concerné le paiement d'une somme forfaitaire ou d'une astreinte dans la limite du montant indiqué par la Commission » en vue de contraindre l'État membre de se mettre en conformité avec le droit communautaire.
73.  La note explicative accompagnant le formulaire de plainte à la Commission européenne (voir supra) signale que « l'arrêt en constatation de manquement prononcé par la Cour de justice n'a pas d'effet sur les droits du plaignant car il n'a pas pour conséquence de régler une situation individuelle (...). Notamment pour toute demande de réparation individuelle, le plaignant devra s'adresser aux juridictions nationales. » C'est pourquoi, comme le précise cette même note, « le plaignant n'a pas à démontrer l'existence d'un intérêt à agir ; il n'a pas non plus à prouver qu'il est principalement et directement concerné par l'infraction qu'il dénonce. »
74.  Ainsi, si la Cour de Justice statue sur les dépens (article 38 du Statut de la Cour), elle ne peut accorder de réparation individuelle, les actions individuelles en dommages et intérêts devront ainsi être portées devant les juridictions nationales (arrêt de la Cour de justice, Brasserie du pêcheur et Factortame, affaires jointes C-46/93 et C-48/93 (5 mars 1996).
75.  Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que cette procédure ne peut être assimilée, ni sous l'angle procédural, ni sous l'angle des effets potentiels, à la requête individuelle de l'article 34 de la Convention européenne des droits de l'homme.
76.  Pour la Cour, il en découle que lorsque la Commission européenne statue, comme en l'espèce, sur une plainte déposée par un simple particulier, elle ne constitue pas une « instance internationale d'enquête ou de règlement », au sens de l'article 35 § 2 b) de la Convention. L'exception soulevée par le Gouvernement doit donc être rejetée.
77.  La Cour constate finalement que les griefs soulevés par la requérante ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l'article 35 § 3 de la Convention et qu'ils ne se heurtent à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.
B.  Sur le fond
78.  La requérante estime que les autorités portugaises ont omis de mettre en œuvre des mesures efficaces et rapides pour, d'une part, rapatrier son enfant en Allemagne et, d'autre part, lui en attribuer la garde, en violation de l'article 8 de la Convention.
79.  Le Gouvernement ne conteste pas l'applicabilité de l'article 8 de la Convention à la situation incriminée mais considère que cette disposition n'a pas été violée. S'agissant de la procédure visant le retour de l'enfant, à l'issue de laquelle la cour d'appel de Guimarães débouta la requérante de sa demande, le Gouvernement fait valoir que l'ingérence était justifiée au nom du principe de l'intérêt supérieur de l'enfant, consacré autant dans le Règlement no 2201/2203 que dans la Convention de la Haye. Le Gouvernement estime en outre que les procédures en cause n'ont connu aucun retard compte tenu des difficultés qu'elles soulevaient.
80.  La Cour rappelle que, si l'article 8 tend pour l'essentiel à prémunir l'individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il engendre de surcroît des obligations positives inhérentes à un « respect » effectif de la vie familiale. Dans un cas comme dans l'autre, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son ensemble ; de même, dans les deux hypothèses, l'Etat jouit d'une certaine marge d'appréciation (Keegan c. Irlande, arrêt du 26 mai 1994, série A no 290, p. 19, § 49).
81.  S'agissant de l'obligation pour l'Etat d'arrêter des mesures positives, la Cour a déclaré à de nombreuses reprises que l'article 8 implique le droit d'un parent à des mesures propres à le réunir à son enfant et l'obligation pour les autorités nationales de les prendre (voir, par exemple, Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, § 140, CEDH 2010, Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, no 31679/96, § 94, CEDH 2000-I, et Nuutinen c. Finlande, no 32842/96, § 127, CEDH 2000-VIII).
82.  Toutefois, l'obligation pour les autorités nationales de prendre des mesures à cet effet n'est pas absolue, car il arrive que la réunion d'un parent à ses enfants vivant depuis un certain temps avec l'autre parent ne puisse avoir lieu immédiatement et requière des préparatifs. La nature et l'étendue de ceux-ci dépendent des circonstances de chaque espèce, mais la compréhension et la coopération de l'ensemble des personnes concernées en constituent toujours un facteur important. Si les autorités nationales doivent s'évertuer à faciliter pareille collaboration, une obligation pour elles de recourir à la coercition en la matière ne saurait être que limitée : il leur faut tenir compte des intérêts et des droits et libertés de ces mêmes personnes, et notamment des intérêts supérieurs de l'enfant et des droits que lui reconnaît l'article 8. Dans l'hypothèse où des contacts avec les parents risquent de menacer ces intérêts ou de porter atteinte à ces droits, il revient aux autorités nationales de veiller à un juste équilibre entre eux (Ignaccolo-Zenide précité, § 94).
83.  Enfin, la Cour rappelle que la Convention doit s'appliquer en accord avec les principes du droit international, en particulier ceux relatifs à la protection internationale des droits de l'homme (Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne [GC], nos 34044/96, 35532/97 et 44801/98, § 90, CEDH 2001-II, et Al-Adsani c. Royaume-Uni [GC], no 35763/97, § 55, CEDH 2001-XI). En ce qui concerne plus précisément les obligations positives que l'article 8 fait peser sur les États contractants en matière de réunion d'un parent et de ses enfants, celles-ci doivent s'interpréter à la lumière de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants (arrêt Ignaccolo-Zenide précité, § 95), dont il est directement question en l'occurrence, ainsi que de la Convention relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989 (Maire c. Portugal, no 48206/99, § 72, CEDH 2003-VII).
84.  La Cour réitère également le principe bien établi dans sa jurisprudence selon lequel le but de la Convention consiste à protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs (voir, mutatis mutandis, Artico c. Italie, arrêt du 13 mai 1980, série A no 37, p. 16, § 33). Dans cette logique, elle rappelle qu'un respect effectif de la vie familiale commande que les relations futures entre parent et enfant se règlent sur la seule base de l'ensemble des éléments pertinents, et non par le simple écoulement du temps. Elle peut aussi avoir égard, sur le terrain de l'article 8, au mode et à la durée du processus décisionnel (W. c. Royaume-Uni, arrêt du 8 juillet 1987, série A no 121, p. 29, § 65 ; Eskinazi et Chelouche, précitée ; McMichael c. Royaume-Uni, arrêt du 24 février 1995, série A no 307-B, pp. 55 et 57, §§ 87 et 92).
85.  Dans ce contexte, la Cour a noté que l'adéquation d'une mesure se juge à la rapidité de sa mise en œuvre. En effet, les procédures relatives à l'attribution de l'autorité parentale, y compris l'exécution des décisions rendues à leur issue, exigent un traitement urgent, car le passage du temps peut avoir des conséquences irrémédiables pour les relations entre les enfants et celui des parents qui ne vit pas avec eux (Ignaccolo-Zenide, précité, § 102 ; voir aussi, mutatis mutandis, Maire, précité, § 74, Pini et autres c. Roumanie, nos 78028/01 et 78030/01, § 175, CEDH 2004-V (extraits), et Monory, précité, § 82). A cet égard, la Cour note que l'article 11 de la Convention de La Haye et l'article 11 § 3 du Règlement no 2201/2003 exigent tous deux que les autorités judiciaires ou administratives saisies procèdent d'urgence en vue du retour de l'enfant, tout retard dépassant six semaines pouvant donner lieu à une demande d'explication.
86.  Le point décisif en l'espèce consiste donc à savoir si les autorités portugaises ont pris toutes les mesures que l'on pouvait raisonnablement exiger d'elles dans le cadre de la procédure portant sur le retour de l'enfant et de la procédure portant sur les responsabilités parentales (Hokkanen c. Finlande, arrêt du 23 septembre 1994, série A no 299-A, p. 22, § 58), lesquelles sont intrinsèquement liées dans le cas d'espèce.
87.  S'agissant de la procédure portant sur la demande de retour de l'enfant, la Cour souligne d'emblée ne pas avoir compétence pour déterminer le caractère illicite ou non du déplacement. En effet, c'est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu'il appartient d'interpréter la législation interne. Il en va de même lorsque le droit interne renvoie à des règles du droit international général ou à des accords internationaux. Le rôle de la Cour se limite à vérifier leur applicabilité et la compatibilité avec la Convention de l'interprétation qui en est faite (Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, § 54, CEDH 1999-I, et Korbely c. Hongrie [GC], no 9174/02, § 72, CEDH 2008). En l'occurrence, la Cour note toutefois que la cour d'appel de Guimarães jugea, dans son arrêt du 9 janvier 2009, la rétention de l'enfant illicite au regard du Règlement européen no 2201/2003 (paragraphes 24 et 25 ci-dessus) mais conforme à l'article 13 b) de la Convention de la Haye.
88.  La Cour note que la requérante introduisit en mars 2005 sa demande en vue d'obtenir le retour de l'enfant auprès du Procureur général fédéral, lequel adressa une requête aux autorités portugaises en octobre 2005 (paragraphes 13 et 14 ci-dessus).
89.  La Cour constate qu'il fallut alors près de trois mois au tribunal aux affaires familiales de Braga pour statuer sur la demande de retour de l'enfant (paragraphe 16 ci-dessus) alors que l'article 11 de la Convention de la Haye et l'article 11 § 3 du Règlement no 2201/2003 prescrivent tous deux un délai de six semaines au plus tard après la saisine. Elle relève également que le tribunal aux affaires familiales de Braga prononça son second jugement du 21 mai 2008 huit mois après réception du procès-verbal d'audition de la requérante par le tribunal de Krefeld (paragraphe 22 ci-dessus). Conclue finalement par l'arrêt de la cour d'appel de Guimarães du 9 janvier 2009 (paragraphes 24 et 25 ci-dessus), la procédure portant sur le retour de l'enfant en Allemagne a ainsi duré environ 3 années et 10 mois pour deux degrés de juridictions saisis. Force est de conclure que la durée de cette procédure a créé une situation de fait défavorable à la requérante, en tenant compte notamment du fait que l'enfant avait moins de quatre ans au moment de son déplacement au Portugal. C'est d'ailleurs sur la base du temps écoulé depuis le début de la procédure que la cour d'appel de Guimarães a finalement fondé sa décision.
90.  Pour ce qui est de la procédure portant sur la réglementation des responsabilités parentales, laquelle fut suspendue dans l'attente de la décision des juridictions portugaises concernant la demande de retour, la Cour relève que celle-ci est toujours pendante et dure depuis le 2 mars 2005, soit depuis plus de 5 années et 8 mois.
91.  Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que les autorités judiciaires portugaises n'ont pas déployé des moyens efficaces pour traiter de façon expéditive les deux procédures en cause. Les atermoiements survenus au cours de la procédure ont provoqué une rupture entre la mère et l'enfant depuis plus de cinq ans, comportant une « aliénation » croissante entre les deux, au détriment de l'intérêt supérieur de l'enfant (voir, mutadis mutandis, Kutzner c. Allemagne, no 46544/99, § 79, CEDH 2002-I). On ne saurait donc prétendre que le droit de la requérante a été protégé de façon efficace, comme l'exige la Convention.
92.  La Cour rejette donc l'exception préliminaire du Gouvernement relative au non-épuisement des voies de recours internes (paragraphe 58 ci-dessus) et estime qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention.
II.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
93.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
94.  La requérante n'a pas présenté sa demande de satisfaction équitable dans le délai qui lui avait été imparti bien que dans la lettre qui lui a été adressée le 18 mai 2010, son attention fût attirée sur l'article 60 du règlement de la Cour qui dispose que toute demande de satisfaction équitable au titre de l'article 41 de la Convention doit être exposée dans le délai imparti pour la présentation des observation écrites sur le fond conjointement ou dans un document séparé. Partant, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu d'octroyer de somme au titre de l'article 41 de la Convention (Willekens c. Belgique, no 50859/99, § 27, 24 avril 2003).
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Joint au fond l'exception préliminaire du Gouvernement concernant le non épuisement des voies de recours internes et la rejette ;
2.  Déclare la requête recevable ;
3.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention ;
Fait en français, puis communiqué par écrit le 1er février 2011, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley Naismith Françoise Tulkens   Greffier Présidente
1 http://ec.europa.eu/community_law/your_rights/your_rights_forms_fr.htm
2 http://ec.europa.eu/community_law/your_rights/your_rights_forms_fr.htm
3 Connu sous le nom de « Tribunal » depuis le traité de Lisbonne.
ARRÊT KAROUSSIOTIS c. PORTUGAL
ARRÊT KAROUSSIOTIS c. PORTUGAL 


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Exceptions préliminaires jointes au fond et rejetées (non-épuisement des voies de recours internes, même requête soumise à une autre instance) ; Violation de l'art. 8

Analyses

(Art. 35-1) EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES, (Art. 35-2) MEME QU'UNE REQUETE SOUMISE A UNE AUTRE INSTANCE


Parties
Demandeurs : KAROUSSIOTIS
Défendeurs : PORTUGAL

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (deuxième section)
Date de la décision : 01/02/2011
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 23205/08
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2011-02-01;23205.08 ?

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