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03/02/2011 | CEDH | N°22489/08

CEDH | AFFAIRE ARGYRIS ET AUTRES c. GRÈCE


PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE ARGYRIS ET AUTRES c. GRÈCE
(Requête no 22489/08)
ARRÊT
STRASBOURG
3 février 2011
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Argyris et autres c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un Comité composé de :
Anatoly Kovler, président,   Sverre Erik Jebens,   George Nicolaou, juges,  et de André Wampach, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 janvier 2011,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une r...

PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE ARGYRIS ET AUTRES c. GRÈCE
(Requête no 22489/08)
ARRÊT
STRASBOURG
3 février 2011
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Argyris et autres c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un Comité composé de :
Anatoly Kovler, président,   Sverre Erik Jebens,   George Nicolaou, juges,  et de André Wampach, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 janvier 2011,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 22489/08) dirigée contre la République hellénique et dont deux ressortissants de cet Etat, M. Periklis Argyris et Mme Evgenia Theophanidi ainsi qu’une ressortissante française, Mme Irini Christodoulou (« les requérants »), ont saisi la Cour le 22 avril 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Les requérants sont représentés par Me E. Stamouli, avocate à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, M. G. Kanellopoulos, conseiller auprès du Conseil juridique de l’Etat, et Mme G. Papadaki, assesseure auprès du Conseil juridique de l’Etat. Informé de son droit de prendre part à la procédure (articles 36 § 1 de la Convention et 44 § 1 du règlement), le gouvernement français a déclaré ne pas souhaiter participer à la procédure.
3.  Les requérants allèguent en particulier un dépassement du délai raisonnable, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention.
4.  Le 16 septembre 2009, la présidente de la première section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. En application du Protocole no 14, la requête a été attribuée à un Comité.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5.  Le premier requérant, M. Periklis Argyris, réside à Bruxelles. La troisième requérante, Mme Irini Christodoulou, est née en 1924 et réside à Orsay (France). La deuxième requérante, Mme Evgenia Theophanidi, réside à Athènes.
6.  Le 10 août 1995, la commune de Portaria (à Magnisia) saisit le tribunal de grande instance de Volos d’une action contre l’Etat allemand.
7.  Le 12 septembre 1995, les requérants intervinrent dans la procédure. Ils demandaient que soit reconnue l’obligation de l’Etat allemand de leur verser une indemnité de 3 139 900 000 drachmes (9 214 673 euros) pour le pillage et la destruction par les troupes d’occupation nazies en 1944 d’un hôtel qu’ils possédaient. L’audience concernant cette intervention fut fixée au 2 avril 1996, mais à cette date, elle fut reportée au 21 janvier 1997, puis au 25 novembre 1997 et enfin au 24 mars 1998, à la demande de la commune de Portaria.
8.  L’audience eut lieu finalement le 24 mars 1998.
9.  Par un jugement du 10 juin 1998, le tribunal de grande instance rejeta l’intervention au motif que l’Etat allemand bénéficiait de l’immunité de juridiction.
10.  Le 23 janvier 2001, les requérants saisirent la cour d’appel de Larissa. L’audience, initialement fixée au 25 janvier 2002, fut ajournée au 24 octobre 2003, en raison de la non-comparution de la commune de Portaria et de l’Etat allemand.
11.  La cour d’appel débouta les requérants par un arrêt du 30 avril 2004. La cour d’appel jugea que le préjudice des requérants avait pour cause des actes des organes de l’Etat allemand sur le territoire grec et qui étaient liés à l’exercice de la puissance publique (jure imperii) de la part des troupes d’occupation. Pendant l’occupation allemande, l’Etat grec continuait à exister et à être souverain, mais la puissance publique était exercée par l’Allemagne en tant que puissance occupante, alors que l’Etat grec existait seulement « de jure ».
12.  Le 6 octobre 2005, les requérants se pourvurent en cassation. Le 20 février 2006, ils demandèrent la fixation d’une date pour l’audience. Celle-ci fut fixée au 30 avril 2007.
13.  Par un arrêt du 1er octobre 2007 (archivé le 23 octobre 2007), la Cour de cassation confirma le raisonnement de la cour d’appel et rejeta le pourvoi. Elle considéra que l’affaire des requérants ne tombait pas sous le coup de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 (relative à la compétence internationale et l’exécution des arrêts en matière d’affaires civiles et commerciales) et du Règlement 44/2001 du Conseil des Communautés européennes régissant les mêmes questions pour les Etats membres de l’Union européenne. Selon la Cour de cassation, la notion d’affaires civiles et commerciales n’incluait pas les affaires ayant pour objet des prétentions patrimoniales fondées sur des faits liés à l’exercice de la puissance publique par des troupes d’occupation en temps de guerre.
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
14.  Les articles 105 et 106 de la loi d’accompagnement du code civil se lisent comme suit :
Article 105
« L’Etat est tenu de réparer le dommage causé par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l’exercice de la puissance publique, sauf si l’acte ou l’omission a eu lieu en méconnaissance d’une disposition destinée à servir l’intérêt public. La personne fautive est solidairement responsable avec l’Etat, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. »
Article 106
« Les dispositions des deux articles précédents s’appliquent aussi en matière de responsabilité des collectivités territoriales ou d’autres personnes morales de droit public pour le dommage causé par les actes ou omissions de leurs organes. »
15.  Cette disposition établit le concept d’acte dommageable spécial de droit public, créant une responsabilité extracontractuelle de l’Etat. Cette responsabilité résulte d’actes ou omissions illégaux. Les actes concernés peuvent être, non seulement des actes juridiques, mais également des actes matériels de l’administration, y compris des actes non exécutoires en principe (Kyriakopoulos, Commentaire du code civil, article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, no 23; Filios, Droit des contrats, partie spéciale, volume 6, responsabilité délictueuse 1977, par. 48 B 112 ; E. Spiliotopoulos, Droit administratif, troisième édition, par. 217; arrêt no 535/1971 de la Cour de cassation; Nomiko Vima, 19e année, p. 1414; arrêt no 492/1967 de la Cour de cassation ; Nomiko Vima, 16e année, p. 75). La recevabilité de l’action en réparation est soumise à une condition : la nature illégale de l’acte ou de l’omission.
16.  Par un jugement no 15006/2008 du 31 octobre 2008, le tribunal administratif d’Athènes jugea ainsi :
« (...) l’Etat est tenu à dédommager autrui au titre de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, dès lors qu’il y a acte ou omission ou agissement matériel illégal de ses organes, c’est-à-dire lorsque l’acte ou l’omission ou l’agissement viole une règle de droit protégeant un droit précis d’un particulier ou intérêt précis et par conséquent lorsqu’elle viole l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales en vertu duquel est institué le droit de chaque individu à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable. La responsabilité de l’Etat à indemniser existe indépendamment de la question de savoir si les organes du pouvoir judiciaire ont contribué à la violation de la disposition en question à cause du délai qu’ils ont mis pour fixer l’audience et juger les affaires devant les juridictions internes ou pour rendre les jugements afférents, car ce délai est fonction du mode d’organisation du système judiciaire (personnel, moyens techniques et infrastructures, organisation des procédures etc.) par l’Etat, qui doit l’organiser de manière à ce que les juridictions satisfassent aux exigences de la disposition précitée. L’éventuelle responsabilité individuelle des magistrats pour le retard apporté lors du jugement d’une affaire au-delà du temps raisonnable ainsi que l’indépendance individuelle et fonctionnelle des magistrats, prévue par la Constitution, ne suffisent pas à dispenser, dans ce cas, l’Etat de sa responsabilité civile. Cette dernière peut être fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, étant donné que le législateur grec n’a pas prévu de voie légale spécifique en vue de la réparation du préjudice subi à cause de ces retards, puisque dans le cas contraire, les personnes lésées auraient été dépourvues de la protection légale à l’égard des juridictions nationales accordée par l’article 20 § 1 de la Constitution (...) ».
17.  Le tribunal administratif a statué ainsi dans le cadre d’une action fondée sur l’article 105, qu’il a rejeté en l’espèce, et qui était introduite le 6 juillet 2006.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
A.  Durée de la procédure
18.  Les requérants allèguent que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
19.  La Cour estime que la période à considérer a débuté le 12 septembre 1995, avec l’intervention des requérants dans la procédure devant le tribunal de grande instance de Volos, et a pris fin le 1er octobre 2007, avec l’arrêt de la Cour de cassation. Elle a donc duré douze ans environ pour trois degrés de juridiction.
1.  Sur la recevabilité
20.  Le Gouvernement soutient que la requérante aurait pu introduire, sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil et en invoquant la violation de l’article 6 § 1 de la Convention, une action en dommages-intérêts contre l’Etat devant le tribunal administratif. Par son jugement no 15006/2008, le tribunal administratif d’Athènes a accueilli une telle action pour le dépassement du délai raisonnable de la procédure après avoir examiné les allégations du demandeur à la lumière de la jurisprudence de la Cour.
21.  Les requérants soutiennent que les faits sur lesquels portait le jugement susmentionné n’avaient aucun rapport avec la présente affaire.
22.  La Cour rappelle qu’en matière de « délai raisonnable » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, un recours purement indemnitaire – tel le recours en responsabilité de l’Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice dont il est question en l’espèce – est en principe susceptible de constituer une voie de recours à épuiser au sens de l’article 35 § 1, même lorsque la procédure est pendante au plan interne au jour de la saisine de la Cour (voir Mifsud c. France, [GC] (déc.), no 57220/00, 11 septembre 2002; Broca et Texier-Micault c. France (déc.), nos 27928/02 et 31694/02, 21 octobre 2003).
23.  La Cour estime devoir se référer à sa conclusion concernant le recours prévu par l’article 105, mais sous l’angle de l’article 13, dans l’arrêt Tsoukalas c. Grèce (no 12286/08, 22 juillet 2010). Dans cet arrêt elle a jugé qu’elle n’était pas convaincue que le recours invoqué par le Gouvernement était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique et répondait donc aux exigences de l’article 13 de la Convention et ce pour les raisons exposées ci-après qui trouvent aussi à s’appliquer à la présente affaire. La Cour y a notamment relevé que la décision fournie par le Gouvernement, à l’appui de sa thèse, était un simple jugement rendu par un tribunal de première instance. Outre le fait qu’il s’agissait d’un précédent extrêmement récent, la Cour ne pouvait pas spéculer sur les chances que ce précédent soit confirmé par les juridictions administratives d’appel, voire par le Conseil d’Etat, au cas où cette question lui serait soumise à l’avenir. Or, comme la Cour l’a déjà souligné, une voie de recours doit exister avec un degré suffisant de certitude, sans quoi lui manquent l’accessibilité et l’effectivité nécessaires (Van Droogenbroeck c. Belgique, arrêt du 24 juin 1982, série A no 50). La Cour constate aussi que le jugement du tribunal administratif a été rendu le 31 octobre 2008, donc postérieurement à la date d’introduction de la présente requête. Enfin, la Cour ne saurait perdre de vue que la procédure dans le cas invoqué par le Gouvernement avait duré deux ans et quatre mois, ce qui pouvait créer des doutes quant à son efficacité (voir, mutatis mutandis, Byrn c. Danemark, no 13156/87, décision de la Commission du 1er juillet 1992, Décisions et rapports (DR) 73).
24.  Dans ces conditions, la Cour estime que la voie de recours mentionnée ne répond pas aux exigences de l’article 13 de la Convention car elle n’existait pas à un degré suffisant de certitude. La Cour n’exclut toutefois pas que l’exercice de ce recours puisse conduire, au terme de l’évolution de la jurisprudence, à un résultat conforme aux prescriptions de l’article 13 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Stratégies et Communications et Dumoulin c. Belgique, no 37370/97, § 56, 15 juillet 2002).
25.  Dès lors, la Cour estime que le recours invoqué par le Gouvernement ne satisfait pas aux exigences de l’article 35 § 1 de la Convention et qu’il convient donc de rejeter l’objection dont il s’agit.
26.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.
2.  Sur le fond
27.  Le Gouvernement souligne que dans les systèmes juridiques consacrant le principe de la conduite par les parties, les seules actions des autorités judiciaires qui peuvent avoir une incidence sur la durée de la procédure dont celles qui concernent la fixation des dates d’audience et le prononcé et la publication des décisions judiciaires. En l’espèce, les périodes dans lesquelles ces actions étaient réalisées étaient objectivement courtes et raisonnables. L’initiative pour accélérer la procédure, obtenir un ajournement et demander une fixation d’audience revient exclusivement aux parties. Toutefois, en l’espèce, les requérants n’ont pas fait preuve de diligence. Ils n’ont rien fait pour accélérer la procédure, n’ont pas été présents lorsque les ajournements d’audience ont été décidés en première instance, ils ont tardé à interjeter appel et se pourvoir en cassation et n’ont pas demandé rapidement la fixation de l’audience en cassation. Leur intérêt pour la procédure était limité.
28.  Les requérants rétorquent que c’est la commune de Portaria et l’Etat allemand qui n’ont pas été présents pendant les audiences où les ajournements ont été accordés par le tribunal de grande instance. Celui-ci étant un tribunal de petite ville de province, la durée de la procédure a dépassé toute notion de raisonnable. Quant à l’appel, ils prétendent que l’introduction de celui-ci a tardé car le jugement du tribunal de grande instance n’a pas été mis au net rapidement et qu’ils n’avaient pas demandé l’ajournement mais que la cour d’appel l’avait fait d’office car l’agenda était trop chargé et qu’elle n’aurait pas le temps nécessaire pour examiner toutes les affaires inscrites. Enfin, ils soulignent qu’ils ont formé leur pourvoi dès réception de la copie officielle de l’arrêt de la cour d’appel.
29.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement des requérants et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).
30.  La Cour rappelle que la procédure dans sa globalité a duré douze ans environ. La Cour n’est pas en mesure de déterminer si les périodes d’inaction de deux ans, sept mois et treize jours écoulées entre le jugement du tribunal de grande instance et l’introduction de l’appel ainsi que d’un an et cinq mois entre l’arrêt de la cour d’appel et le pourvoi, sont dues au fait que les décisions judiciaires n’étaient pas mises au net ou découlaient en partie de la responsabilité des requérants.
31.  Toutefois, elle estime pouvoir conclure au dépassement du délai raisonnable d’abord en raison de la durée globale de la procédure et de celle de chacun de ses stades : environ deux ans et neuf mois en première instance, trois ans et trois mois en appel et deux ans en cassation. La Cour constate en outre l’existence de retards non justifiés, imputables aux autorités judiciaires. Lorsque des ajournements ont été demandés par la commune de Portaria, le tribunal de grande instance a fixé des dates d’audience très espacées, de sorte que l’audience ne s’est finalement tenue qu’environ deux ans après la date initialement fixée et deux ans et demi après l’intervention des requérants dans la procédure. De même, devant la cour d’appel, l’audience initialement prévue au 25 janvier 2002 a été reportée, en raison de la non-comparution de la commune de Portaria et de l’Etat allemand, au 24 octobre 2003, soit plus de vingt mois plus tard. Enfin, si les requérants ont demandé le 20 février 2006 la fixation de l’audience devant la Cour de cassation, celle-ci l’a fixée au 30 avril 2007, soit un an et deux mois plus tard.
32.  La Cour estime devoir rappeler que même dans les systèmes juridiques consacrant le principe de la conduite du procès par les parties, l’attitude des intéressés ne dispense pas les juges d’assurer la célérité voulue par l’article 6 § 1 (Litoselitis c. Grèce, no 62771/00, § 30, 5 février 2004).
33.  Eu égard à l’ensemble des éléments recueillis, a Cour considère qu’il y a eu dépassement du « délai raisonnable » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.
34.  Partant, il y a eu violation de cette disposition.
B.  Accès à un tribunal
35.  Les requérants se plaignent d’une atteinte à leur droit d’accès à un tribunal en raison du fait que les juridictions grecques ont rejeté leur action en indemnisation en considérant que l’Etat allemand bénéficiait de l’immunité de juridiction.
36.  La Cour rappelle qu’elle a déjà déclaré irrecevable une requête qui portait sur le refus des autorités grecques à se conformer à un jugement du tribunal qui avait reconnu les requérants titulaires d’un droit à indemnisation vis-à-vis de l’Etat allemand et à leur permettre d’engager la procédure d’exécution à l’encontre de celui-ci (Kalogeropoulou et autres c. Grèce et Allemagne ((déc.) no 59021/00, 12 décembre 2002).
37.  A plus forte raison, dans la présente affaire dans laquelle les tribunaux ont rejeté d’emblée l’action des requérants sans allouer d’indemnité, le Cour estime devoir réitérer que la limitation du droit des requérants poursuivait un but légitime – observer le droit international afin de favoriser la courtoisie et les bonnes relations entre Etats grâce au respect de la souveraineté d’un autre Etat – et était proportionnée à ce but, la Convention devant s’interpréter de manière à se concilier avec les autres règles du droit international, y compris celles relatives à l’octroi de l’immunité aux Etats (Fogarty c. Royaume-Uni [GC], no 37112/97, § 34, CEDH 2001-XI).
38.  Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être déclarée irrecevable, comme étant manifestement mal fondée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
39.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
40.  Les requérants réclament 9 447 844,46 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’ils auraient subi du fait de la privation de leur propriété. Ils demandent également 50 000 EUR pour dommage moral.
41.  Le Gouvernement souligne que les prétentions des requérants au titre du préjudice matériel ne sont pas établies de manière certaine et par une décision judiciaire. Quant au dommage moral, le constat de la violation constituerait une satisfaction équitable suffisante.
42.  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer aux requérants 12 000 EUR au titre du préjudice moral.
B.  Frais et dépens
43.  Les requérants demandent également 20 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 5 000 EUR pour ceux engagés devant la Cour.
44.  Le Gouvernement souligne que les requérants ne produisent pas des justificatifs suffisants pour prouver leurs prétention et estiment qu’une somme de 1 500 serait raisonnable en l’espèce.
45.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour accorde aux requérants 1 500 EUR à cet égard, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par lui sur cette somme.
C.  Intérêts moratoires
46.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de la durée de la procédure et irrecevable pour le surplus ;
2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3.  Dit
a)  que l’Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois, les sommes suivantes :
i.  12 000 EUR (douze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii. 1 500 EUR (mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour frais et dépens ;
b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 février 2011, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
André Wampach Anatoly Kovler   Greffier adjoint Président
ARRÊT ARGYRIS ET AUTRES c. GRÈCE
ARRÊT ARGYRIS ET AUTRES c. GRÈCE 


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE PENALE, (Art. 6-1) PROCES EQUITABLE


Parties
Demandeurs : ARGYRIS ET AUTRES
Défendeurs : GRÈCE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (première section comité)
Date de la décision : 03/02/2011
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 22489/08
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2011-02-03;22489.08 ?

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