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08/02/2011 | CEDH | N°29965/05

CEDH | AFFAIRE KAN c. TURQUIE


DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE KAN c. TURQUIE
(Requête no 29965/05)
ARRÊT
Cette version a été rectifiée conformément à l'article 81  du règlement de la Cour le 26 juillet 2011.
STRASBOURG
8 février 2011
DÉFINITIF
08/05/2011
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Kan c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en une Chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,   Irene

u Cabral Barreto,   Danutė Jočienė,   András Sajó,   Nona Tsotsoria,   Işıl Karakaş,   Kristina Pardalos...

DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE KAN c. TURQUIE
(Requête no 29965/05)
ARRÊT
Cette version a été rectifiée conformément à l'article 81  du règlement de la Cour le 26 juillet 2011.
STRASBOURG
8 février 2011
DÉFINITIF
08/05/2011
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Kan c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en une Chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,   Ireneu Cabral Barreto,   Danutė Jočienė,   András Sajó,   Nona Tsotsoria,   Işıl Karakaş,   Kristina Pardalos, juges,  et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 janvier 2011,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 29965/05) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Kanber1 Kan (« le requérant »), a saisi la Cour le 9 août 2005 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.
3.  Le 21 janvier 2009, la présidente de la deuxième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la Chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4.  Le requérant est né en 1965 et réside à Balıkesir.
5.  Les 6, 7 et 8 décembre 1996, le requérant participa à un concours de recrutement de personnel organisé par la direction générale de l'établissement de la Sécurité sociale (Sosyal Sigortalar Kurumu Genel Müdürlüğü) (« l'administration »).
6.  Le requérant échoua à l'épreuve écrite et s'opposa aux résultats qui lui avaient été notifiés. Par une décision du 8 janvier 1997, la commission de nomination compétente fit droit à sa demande et l'admit aux épreuves orales.
7.  Le requérant aurait participé à l'épreuve orale qui aurait eu lieu le 18 janvier 1997. Le 3 février 1997, il fut affecté à un poste de fonctionnaire auprès de l'administration de la sécurité sociale.
8.  Le 23 mars 1998, les inspecteurs du conseil d'inspection du ministère du Travail et de la Sécurité sociale établirent un rapport dans lequel ils constatèrent que certains candidats, parmi lesquels se trouvait le requérant, avaient été admis aux épreuves orales alors même qu'ils avaient échoué aux épreuves écrites. Les inspecteurs relevèrent également que les épreuves orales s'étaient déroulées en l'absence des intéressés et que les procès-verbaux constatant leur participation comportaient de fausses signatures.
9.  Se fondant sur ce rapport et par une décision du 8 juillet 1998, l'administration révoqua le requérant de ses fonctions.
10.  Le 30 juillet 1998, le requérant saisit le tribunal administratif de Bursa d'une action en annulation, lequel lui donna gain de cause par un jugement du 21 mai 1999.
11.  Le 15 mars 2001, à la suite d'un pourvoi formé par l'administration et se fondant sur les conclusions du rapport établi le 23 mars 1998, le Conseil d'Etat infirma le jugement de première instance.
12.  Le 24 décembre 2001, statuant sur renvoi, le tribunal se conforma à l'arrêt du conseil d'Etat et, par un arrêt du 4 novembre 2004, ce dernier confirma le jugement déboutant le requérant de sa demande.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
13.  Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l'article 6 § 1 de la Convention.
A.  Sur la recevabilité
14.  Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes et prie la Cour de déclarer le grief irrecevable. Dans ses observations, il soutient notamment que le requérant n'a pas invoqué devant les juridictions internes le grief qu'il soulève devant la Cour.
15.  Le requérant conteste la thèse du Gouvernement.
16.  La Cour rappelle qu'elle a déjà écarté des exceptions similaires soulevées par le Gouvernement relatives à des griefs tirés de la durée de la procédure pénale, faute de n'avoir pu établir que les requérants disposaient au plan interne d'une voie de recours efficace (Tendik et autres c. Turquie, no 23188/02, § 36, 22 décembre 2005, et, mutatis mutandis, Yağcı et Sargın c. Turquie, 8 juin 1995, § 44, série A no 319-A). Les observations présentées, en l'espèce, par le Gouvernement ne permettent pas de s'écarter de cette jurisprudence. Dès lors, l'exception du Gouvernement ne saurait être retenue.
17.  La Cour constate que le grief n'est pas manifestement mal fondé, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. En outre, il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B.  Sur le fond
18.  La période à considérer a débuté le 30 juillet 1998, date de la saisine du tribunal administratif de Bursa et s'est terminée le 4 novembre 2004, par l'arrêt du Conseil d'Etat. Elle a donc duré six ans et quatre mois, pour deux instances.
19.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement de la requérante et celui des autorités compétentes ainsi que l'enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d'autres, Daneshpayeh c. Turquie, no 21086/04, §§ 26-29, 16 juillet 2009).
20.  La Cour a traité à maintes reprises d'affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d'espèce et a constaté la violation de l'article 6 § 1 de la Convention (voir Daneshpayeh, précité).
21.  Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n'a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu'en l'espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l'exigence du « délai raisonnable ».
Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1.
II.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
22.  Invoquant l'article 6 de la Convention, le requérant se plaint du manque d'indépendance des juridictions nationales ainsi que de la méconnaissance du principe d'équité de la procédure. Invoquant l'article 14, il estime avoir fait l'objet d'un traitement discriminatoire en raison de la révocation de ses fonctions.
23.  La Cour relève que les juges siégeant au sein des juridictions administratives jouissent de garanties constitutionnelles et qu'aucun argument pertinent qui rendrait sujettes à caution leur indépendance et impartialité n'est avancé par le requérant (Saltuk c. Turquie (déc.), no 31135/96, 24 août 1999). Par ailleurs, le requérant n'étaye aucunement ses allégations tirée de l'iniquité de la procédure et d'un traitement discriminatoire à son égard.
24.   Il s'ensuit que ces griefs sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
25.  Le requérant réclame 70 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et 50 000 EUR pour le préjudice moral qu'il aurait subi.
26.  Le Gouvernement conteste ces prétentions.
27.  La Cour n'aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle estime qu'il y a lieu d'octroyer au requérant 3 000 EUR au titre du préjudice moral.
28.  Sans présenter aucune pièce justificative, le requérant demande également 8 000 TRY (soit environ 4 000 EUR) pour les frais et dépens engagés devant la Cour.
29.  Le Gouvernement conteste ces prétentions.
30.  En ce qui concerne les frais et dépens, selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce, en l'absence de justificatif présenté par le requérant, la Cour rejette la demande relative aux frais et dépens.
31.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de la durée excessive de la procédure et irrecevable pour le surplus ;
2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;
3.  Dit
a)  que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 3 000 EUR (trois mille euros), pour dommage moral, somme à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 février 2011, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley Naismith Françoise Tulkens   Greffier Présidente
1.  Rectifié le 26 juillet 2011. Le prénom de Kanber Kan était libellé comme suit : « Kamber Kan ».
ARRÊT KAN c. TURQUIE
ARRÊT KAN c. TURQUIE 


Synthèse
Formation : Cour (deuxième section)
Numéro d'arrêt : 29965/05
Date de la décision : 08/02/2011
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1

Analyses

(Art. 11-1) LIBERTE DE REUNION PACIFIQUE, (Art. 11-2) DEFENSE DE L'ORDRE, (Art. 11-2) NECESSAIRE DANS UNE SOCIETE DEMOCRATIQUE, (Art. 3) ENQUETE EFFICACE, (Art. 3) TRAITEMENT INHUMAIN


Parties
Demandeurs : KAN
Défendeurs : TURQUIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2011-02-08;29965.05 ?

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