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10/02/2011 | CEDH | N°21835/06

CEDH | AFFAIRE 3A.CZ S.R.O. c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE


CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE 3A.CZ S.R.O. c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
(Requête no 21835/06)
ARRÊT
STRASBOURG
10 février 2011
DÉFINITIF
10/05/2011
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire 3A.CZ s.r.o. c. République tchèque,
La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Peer Lorenzen, président,   Karel Jungwiert,   Mark Villiger,   Isabelle Berro-Lefèvre,   Zdravk

a Kalaydjieva,   Angelika Nußberger,   Julia Laffranque, juges,  et de Claudia Westerdiek, greffière de se...

CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE 3A.CZ S.R.O. c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
(Requête no 21835/06)
ARRÊT
STRASBOURG
10 février 2011
DÉFINITIF
10/05/2011
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire 3A.CZ s.r.o. c. République tchèque,
La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Peer Lorenzen, président,   Karel Jungwiert,   Mark Villiger,   Isabelle Berro-Lefèvre,   Zdravka Kalaydjieva,   Angelika Nußberger,   Julia Laffranque, juges,  et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 janvier 2011,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 21835/06) dirigée contre la République tchèque et dont une société à responsabilité limitée de droit tchèque, 3A.CZ s.r.o. (« la société requérante »), a saisi la Cour le 9 mai 2006 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  La société requérante est représentée par Me A. Větrovská, avocate au barreau tchèque. Le gouvernement tchèque (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. V. A. Schorm.
3.  La société requérante se plaint de s'être vu enjoindre de payer les frais de la procédure d'exécution menée à l'encontre de son débiteur et de ne pas s'être vu communiquer pour réplique les observations soumises à la Cour constitutionnelle par une autre juridiction.
4.  Le 31 août 2007, le président de la cinquième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
5.  La requérante est une société à responsabilité de droit tchèque, ayant son siège social à Prague.
6.  Par le jugement du 8 octobre 2001, un ancien employé de la société requérante, P.Š., fut condamné pour détournement d'objets appartenant à celle-ci et se vit enjoindre de lui payer les dommages-intérêts.
7.  Le 30 juillet 2002, la société requérante saisit le tribunal de district (Okresní soud) de Prague-est d'une demande tendant à l'exécution dudit jugement, au motif que P.Š. ne s'était pas acquitté de la somme adjugée. Elle proposa que l'exécution soit effectuée par un huissier de justice selon la loi no 120/2001 (ci-après « code d'exécution »).
8.  Le 11 octobre 2002, le tribunal accueillit la demande de la société requérante et chargea de l'exécution l'huissier proposé par celle-ci.
9.  Par l'ordonnance d'exécution du 20 janvier 2004, l'huissier de justice décida de procéder à la vente de tous les biens meubles de P.Š.
10.  Le 29 juin 2004, l'huissier fit savoir au tribunal qu'aucun bien du débiteur susceptible d'être frappé par l'exécution n'avait été trouvé. Il proposa dès lors de prononcer l'extinction de la procédure d'exécution en raison de l'insolvabilité de P.Š. et demanda, en vertu de l'article 89 du code d'exécution, que la société requérante lui rembourse les frais d'exécution.
11.  Le 5 novembre 2004, le tribunal de district prononça l'extinction de la procédure d'exécution selon les articles 55 du code d'exécution et 268 § 1 e) du code de procédure civile. Il décida, en vertu des articles 52 et 89 du code d'exécution et 271 du code de procédure civile, que P.Š. était tenu de rembourser les frais d'exécution à la société requérante et que celle-ci devait payer la même somme, à savoir 7 025 CZK (environ 285 EUR) dont 3 000 CZK (122 EUR) de rémunération, à l'huissier.
12.  Le 7 décembre 2004, la société requérante fit appel de la décision sur les frais d'exécution, alléguant qu'elle-même n'avait pas encouru de frais que le débiteur devrait lui rembourser selon l'article 87 § 2 du code d'exécution. Elle soutint en revanche que le débiteur devrait payer les frais d'exécution encourus par l'huissier, en vertu de l'article 87 § 3.
13.  Le 28 février 2005, le tribunal régional (Krajský soud) de Prague réforma la décision du 5 novembre 2004 en décidant qu'aucune des parties n'avait droit au remboursement des frais encourus devant le tribunal de première instance ; il confirma néanmoins la décision selon laquelle c'était à la société requérante de rembourser les frais d'exécution à l'huissier. Le tribunal releva qu'aux termes de l'article 271 du code de procédure civile, lorsqu'il y avait l'extinction de la procédure d'exécution, la décision sur les frais de celle-ci était tributaire du motif de cette extinction. Il fallait donc examiner si l'extinction de l'instance était, du point de vue procédural, imputable à l'ayant droit. Sur ce point, le tribunal régional releva que la société requérante avait choisi, entre deux possibilités d'exécution, celle assurée par un huissier de justice ; elle devait donc savoir que l'huissier de justice, exerçant ses fonctions comme une profession libérale, avait droit à une rémunération. Il lui incombait également de peser les chances réelles du succès de cette exécution ; or, son hypothèse que le débiteur en l'espèce était solvable s'était révélée erronée. Selon le tribunal, vu que la société requérante n'avait pas cherché à savoir, avant de demander l'exécution, si le débiteur possédait des biens, elle n'avait pas fait preuve de suffisamment de diligence. Dès lors que l'extinction de l'instance d'exécution lui était ainsi imputable, il lui incombait de rembourser à l'huissier les frais de celle-ci.
14.  Le 1er juin 2005, la société requérante attaqua la décision du tribunal régional par un recours constitutionnel, dans lequel elle invoquait ses droits à un procès équitable, à la protection judiciaire et au respect des biens, et contestait une interprétation extrême et arbitraire de la notion d'imputabilité procédurale. Elle soutint notamment qu'elle ne disposait d'aucun instrument juridique lui permettant d'établir la situation patrimoniale du débiteur qui ne séjournait pas à l'adresse de sa résidence permanente. Selon elle, la décision sur les frais d'exécution ne devrait pas servir à protéger ce comportement inacceptable et à sanctionner l'ayant droit tendant à recouvrer sa créance.
15.  Avant de décider, la Cour constitutionnelle (Ústavní soud) invita le tribunal régional ainsi que P.Š. à se prononcer sur ledit recours. Dans ses observations visant à réfuter les objections de la société requérante, le tribunal régional développa son argumentation concernant la responsabilité de l'ayant droit, le risque à assumer par celui-ci et les difficultés d'enjoindre les frais au débiteur dont l'insolvabilité avait entraîné l'extinction de l'exécution. Ces observations furent résumées dans la décision de la Cour constitutionnelle sans avoir été au préalable envoyées à la société requérante pour commentaire.
16.  Le 9 novembre 2005, la Cour constitutionnelle rejeta le recours de la société requérante enregistré sous no II. ÚS 313/05 pour défaut manifeste de fondement. Elle se référa à son arrêt no II. ÚS 372/04 du 8 août 2005, relative à une affaire où les tribunaux avaient refusé à l'huissier le droit au remboursement des frais d'exécution. Elle avait relevé dans cet arrêt que, du fait de la position spécifique de l'huissier de justice qui se devait d'être impartial et indépendant dans l'exercice des compétences que l'Etat lui avait déléguées, celui-ci devait recevoir une rémunération ; il n'était donc pas possible de ne pas lui rembourser ses frais (comprenant la rémunération) en invoquant un manque d'imputabilité procédurale. Ces frais devaient donc être payés soit par le débiteur, soit, si le tribunal concluait à l'existence des motifs justifiant de ne pas enjoindre cette obligation à ce dernier, par l'ayant droit. Il incombait à l'ayant droit de peser ce risque, compte tenu des possibilités du débiteur, lors de l'introduction de la demande d'exécution. En l'espèce, la décision sur les frais de justice était dûment motivée et conforme à la Constitution, en ce que le tribunal avait garanti la rémunération de l'huissier sans dépasser les limites prévues par le code d'exécution. La Cour constitutionnelle estima également que les frais encourus par la société requérante, à savoir les frais de l'huissier, ne pouvaient pas être considérés comme ayant été engagés raisonnablement et donc remboursables par le débiteur, au sens de l'article 87 § 2 du code d'exécution, car elle ne souscrivit pas à l'avis de la société requérante arguant qu'elle ne disposait pas de moyens lui permettant d'établir la situation patrimoniale de P.Š. Elle releva sur ce point que le code de procédure civile permettait au créancier de demander au tribunal de recueillir les informations nécessaires auprès du débiteur ou de l'inviter à faire une déclaration sur sa situation patrimoniale. Or, la requérante ne s'était pas prévalue de cette possibilité.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A.  Code d'exécution (loi no 120/2001 dans sa version en vigueur au moment des faits)
17.  Selon l'article 52 § 1, les dispositions du code de procédure civile sont applicables à la procédure d'exécution au sens de cette loi sauf si celle-ci dispose autrement.
18.  Il résulte de l'article 55 § 1 que ce n'est pas à l'huissier, mais au tribunal, de décider de l'extinction de la procédure d'exécution.
19.  En vertu de l'article 87 § 2, l'ayant droit a le droit de se faire rembourser les frais raisonnablement engagés en vue de la réalisation de sa prétention. Ces frais sont payables par le débiteur.
20.  L'article 87 § 3 dispose que c'est le débiteur qui rembourse à l'huissier de justice ses frais d'exécution.
21.  Aux termes de l'article 89 tel que libellé jusqu'au 31 décembre 2007, lorsqu'il y a eu l'extinction de la procédure d'exécution, le tribunal pouvait enjoindre à l'ayant droit de rembourser les frais d'exécution.
Depuis le 1er janvier 2008, cette disposition précise qu'en cas d'extinction de la procédure d'exécution, les frais de l'exécution et des parties doivent être payés par celui à qui cette extinction est imputable. Lorsque l'extinction a été prononcée en raison de l'insolvabilité du débiteur, les frais forfaitaires ou les frais raisonnablement engagés doivent être remboursés à l'huissier par l'ayant droit. A compter du 1er novembre 2009, l'article 89 ajoute in fine que, pour le cas d'extinction de la procédure d'exécution en raison de l'insolvabilité du débiteur, l'ayant droit et l'huissier peuvent convenir à l'avance du montant des frais raisonnablement engagés.
B.  Code de procédure civile (loi no 99/1963)
22.  Aux termes de l'article 268 § 1 e), le tribunal prononce l'extinction de la procédure d'exécution si le déroulement de celle-ci laisse apparaître que le rendement obtenu ne sera pas suffisant ni pour couvrir les frais d'exécution.
23.  L'article 271 dispose que s'il y a l'extinction de la procédure d'exécution, le tribunal statue sur les frais d'exécution encourus par les parties en fonction du motif pour lequel cette extinction a été prononcée.
C.  Pratique interne
1.  Décisions des tribunaux inférieurs citées par la société requérante
24.  La société requérante mentionne la décision no 39 Co 339/2004 adoptée par le tribunal municipal (Městský soud) le 30 septembre 2004, selon laquelle le fait que l'ayant droit a opté pour une exécution par le biais de l'huissier de justice laquelle est restée sans résultat ne constitue pas un motif pour lui enjoindre de payer les frais d'exécution selon l'article 89 du code d'exécution.
25.  Elle soumet également à la Cour la décision no Nc 12066/2004 rendue le 31 mai 2006 par le tribunal d'arrondissement (Obvodní soud) de Prague 3 dans une affaire l'opposant à un autre débiteur dont l'insolvabilité avait également entraîné l'extinction de l'exécution. Par cette décision, c'est le débiteur qui s'est vu enjoindre de rembourser les frais d'exécution à l'huissier, en vertu de l'article 271 du code de procédure civile. Le tribunal s'est référé, entre autres, à l'avis de la Cour suprême ainsi qu'aux décisions de la Cour constitutionnelle du 14 avril et du 11 mai 2006 (voir paragraphes 30 et 31 ci-dessous). Selon lui, il n'était pas possible de conclure en l'espèce à une imputabilité procédurale de l'ayant droit car celui-ci avait toujours le droit de demander le recouvrement de sa créance par le biais de l'exécution prévue par le code d'exécution. Le fait que l'huissier de justice n'a pas obtenu un rendement suffisant pour couvrir les frais d'exécution ne pouvait pas être imputable à l'ayant droit. Dès lors que l'on ne pouvait pas reprocher à l'ayant droit un manque de diligence nécessaire, les frais devaient être payés par le débiteur. Une telle décision constituait un nouveau titre d'exécution au profit de l'huissier, sachant que la situation patrimoniale du débiteur pouvait changer à l'avenir de manière à permettre de satisfaire cette créance.
2.  Avis de la Cour suprême
26.  Selon l'avis de la Cour suprême relatif à l'interprétation de la loi no 120/2001 (no Cpjn 200/2005), l'ayant droit peut se voir enjoindre de rembourser les frais d'exécution en cas d'extinction de la procédure (article 89 du code d'exécution) à condition qu'il soit, du point de vue des principes énoncés à l'article 271 du code de procédure civile, la personne tenue au remboursement de ces frais. Or, si l'extinction de l'exécution au motif qu'aucun bien susceptible d'être frappé par l'exécution n'a été trouvé chez le débiteur (article 268 § 1 e) du code de procédure civile) n'est pas imputable à l'ayant droit, il n'est pas possible d'enjoindre à ce dernier de rembourser les frais d'exécution ; dans un tel cas, c'est le débiteur qui est tenu de les rembourser à l'huissier. Il y a lieu de décider selon l'article 89 du code d'exécution seulement dans les cas où cela se justifie par l'imputabilité procédurale (notamment la négligence) de l'ayant droit. L'on ne saurait donc souscrire aux décisions, fréquemment rendues dans le cadre de l'extinction de la procédure en raison de l'insolvabilité du débiteur au sens de l'article 268 § 1 e) du code de procédure civile, qui enjoignent de rembourser les frais d'exécution à l'ayant droit et infligent en même temps la même obligation en faveur de l'ayant droit au débiteur. Si le résultat de la procédure, à savoir l'absence de biens du débiteur susceptibles d'être frappés par l'exécution, n'est pas imputable à l'ayant droit, ce dernier ne peut pas se voir enjoindre de rembourser les frais de procédure car, eu égard à l'article 271 du code de procédure civile, l'article 89 du code d'exécution ne s'appliquera pas. Il y aura donc lieu d'appliquer l'article 87 § 3 du code d'exécution et d'enjoindre le paiement des frais d'exécution au débiteur, ce nonobstant qu'il a été considéré insolvable dans la procédure d'exécution.
3.  Jurisprudence de la Cour constitutionnelle
27.  Par l'arrêt no I. ÚS 350/04 daté du 15 septembre 2004, la Cour constitutionnelle a annulé la décision d'une juridiction d'appel qui a infligé aux intéressés l'obligation de rembourser les frais encourus par l'autre partie dans une procédure portant sur leur demande d'exécution qui a été rejetée en raison des vices de la décision judiciaire à exécuter. Elle a noté que la décision sur le remboursement des frais de procédure ne pouvait pas être considérée comme un outil punitif visant à sanctionner une partie à la procédure pour avoir réalisé ses droits, d'autant plus si cette partie a été guidée par la présomption bona fide que la décision judiciaire lui accordant ces droits était correcte (exécutable).
28.  Par les décisions no II. ÚS 150/04 datée du 31 août 2004 et no III. ÚS 118/05 datée du 29 juin 2005, la Cour constitutionnelle a rejeté pour défaut manifeste de fondement le recours introduit par des huissiers de justice qui contestaient les décisions, rendues en vertu des articles 87 et 89 du code d'exécution, par laquelle l'obligation de leur rembourser les frais d'exécution avait été infligée au débiteur. La cour a relevé que l'huissier de justice exerçait son activité en tant qu'entrepreneur selon le code du commerce, c'est-à-dire avec un certain risque. Ainsi, il avait droit à une rémunération en cas de succès de l'exécution mais courait aussi le risque que les biens du débiteur ne suffisent pas au remboursement des frais d'exécution. La Cour constitutionnelle a donc considéré que, sans justification, ce risque ne pouvait pas être transféré à l'ayant droit.
29.  Dans les décisions no II. ÚS 372/04 du 8 août 2005 (voir aussi paragraphe 16 ci-dessus) et no I. ÚS 290/05 du 23 février 2006, la Cour constitutionnelle a souligné qu'il n'était pas possible de ne pas rembourser à l'huissier les frais qu'il avait encourus et que ceux-ci devaient être payés soit par le débiteur soit par l'ayant droit.
30.  Par la décision no III. ÚS 282/06 datée du 14 avril 2006, la Cour constitutionnelle a rejeté pour défaut manifeste de fondement le recours introduit par un huissier de justice qui contestait la décision sur l'extinction de l'exécution pour insolvabilité du débiteur, en vertu de laquelle ce dernier devait lui rembourser les frais d'exécution. La cour a d'abord souligné la différence entre les cas, analogues à celui en l'espèce, où la demande de l'huissier de se voir rembourser les frais d'exécution avait été accueillie et cette obligation imposée au débiteur, bien qu'insolvable, et les cas où il avait été décidé que l'huissier n'avait pas droit au remboursement desdits frais (arrêt no II. ÚS 372/04 du 8 août 2005). En effet, l'insolvabilité du débiteur n'équivalait pas au refus de rembourser les frais à l'huissier, d'autant plus que l'ayant droit pouvait être insolvable également et qu'un débiteur insolvable à un certain moment pouvait devenir solvable plus tard. Selon la cour, les articles 87-89 du code d'exécution ainsi que l'article 271 du code de procédure civile partaient du principe que l'ayant droit dont la demande d'exécution avait été accueillie devait être considéré comme ayant eu gain de cause ; par ailleurs, la position de l'huissier de justice était dans ce cas analogue à l'ayant droit, c'est pourquoi l'article 87 § 3 du code d'exécution enjoignait au débiteur de lui rembourser les frais d'exécution. En ce qui concerne les situations d'extinction de l'exécution, il ne ressortait à l'époque de l'article 89 du code d'exécution ni l'obligation d'enjoindre le remboursement des frais à l'ayant droit, ni les critères selon lesquels le tribunal devait décider sur les frais ; ces critères étaient en effet énoncés dans l'article 271 du code de procédure civile. La Cour constitutionnelle a relevé que l'absence des biens susceptibles d'être frappés par l'exécution entraînait habituellement (et logiquement) l'obligation pour le débiteur de rembourser les frais, à l'exception des situations où l'ayant droit n'avait pas respecté les exigences de prudence et de diligence et avait demandé l'exécution bien qu'il eût eu à sa disposition les informations lui permettant de prévoir un tel résultat. La cour a rappelé enfin que la loi permettait à l'huissier de faire face à ce risque matériel en l'autorisant de demander une avance sur les frais et, si une telle avance n'avait pas été versée, de refuser d'exécuter l'acte demandé ou de demander au tribunal de prononcer l'extinction de l'exécution.
31.  Dans une affaire analogue tranchée le 11 mai 2006 par la décision no III. ÚS 283/06, la Cour constitutionnelle a notamment relevé qu'il ne ressortait pas du dossier (et le plaignant ne l'affirmait pas non plus) que l'ayant droit savait avant de demander l'exécution que sa créance était non recouvrable. Dès lors, il n'était pas possible de constater que l'extinction de la procédure d'exécution était imputable à l'ayant droit et, par conséquent, le paiement des frais d'exécution pouvait être infligé au débiteur.
32.  Le 12 septembre 2006, le plénum de la Cour constitutionnelle a adopté un avis (Pl. ÚS-st. 23/06) visant à unifier sa jurisprudence, dans lequel il jugea conforme à la Constitution le raisonnement énoncé dans la décision no III. ÚS 282/06 (voir paragraphe 30 ci-dessus). Selon le plénum, il n'est pas contraire aux droits à la protection judiciaire et au respect des biens si le tribunal décide, en cas d'extinction de l'exécution pour insolvabilité du débiteur et lorsqu'il n'y a aucune imputabilité procédurale de l'ayant droit, d'enjoindre de rembourser les frais de l'huissier au débiteur. L'article 89 du code d'exécution porte explicitement sur la relation procédurale entre l'huissier et l'ayant droit (la relation entre l'huissier et le débiteur étant régie par l'article 87 § 3 dudit code), tandis que l'article 271 du code de procédure civile énonce les critères pour décider des frais d'exécution en cas d'extinction. Lorsque, à la lumière de ces critères, l'obligation de rembourser les frais encourus par l'ayant droit incombe au débiteur, c'est le débiteur qui doit aussi payer les frais d'exécution à l'huissier ; si l'obligation de rembourser les frais de l'autre partie incombe selon l'article 271 du code de procédure civile à l'ayant droit, celui-ci sera également tenu de s'acquitter des frais de l'huissier au sens de l'article 89 du code d'exécution. A cet égard, il importe d'examiner quel a été le motif de l'extinction de l'exécution, sachant que l'indigence du débiteur ne constitue pas un critère pour décider qui sera tenu de rembourser les frais de l'huissier. Infliger le paiement des frais de l'huissier au débiteur, bien qu'insolvable, n'équivaut pas à un refus de rembourser ces frais (qui serait contraire au droit de propriété). De plus, même l'ayant droit peut ne pas être solvable et un débiteur insolvable à un certain moment peut devenir solvable plus tard. Par ailleurs, la procédure d'exécution n'atteste pas avec certitude l'insolvabilité totale du débiteur ; une telle conclusion ne peut être faite que dans une procédure de faillite. Une exception existe cependant selon la Cour constitutionnelle : si l'ayant droit n'a pas respecté les exigences de prudence et de pondération nécessaires et s'il a demandé l'exécution tout en ayant à sa disposition des informations permettant de prévoir l'indigence du débiteur, l'extinction de l'exécution peut lui être imputée et il peut se voir enjoindre de rembourser les frais du débiteur ainsi que ceux de l'huissier.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION DANS LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR CONSTITUTIONNELLE
33.  La société requérante se plaint que la Cour constitutionnelle ne lui a pas communiqué les observations d'une autre partie à la procédure devant elle, à savoir le tribunal régional, et qu'elle a donc été privée de la possibilité d'y réagir. Elle invoque à cet égard l'article 6 § 1 de la Convention, dont la partie pertinente dispose comme suit :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A.  Sur la recevabilité
34.  La Cour se doit d'abord de distinguer la présente espèce de l'affaire Holub c. République tchèque ((déc.) no 24880/05, 14 décembre 2010), dans laquelle un grief analogue a été déclaré irrecevable au motif que le requérant n'avait pas subi un préjudice important au sens de l'article 35 § 3 b) de la Convention telle qu'amendée par le Protocole no 14 entré en vigueur le 1er juin 2010. La différence tient selon la Cour au fait que, en l'espèce, le tribunal régional ne s'est pas borné, dans ses observations présentées à la Cour constitutionnelle au sujet du recours introduit par la société requérante, à renvoyer à sa décision du 28 février 2005. Au contraire, le tribunal régional y a plutôt développé son argumentation, fournissant ainsi une motivation additionnelle par rapport à sa décision initiale (voir paragraphe 15 ci-dessus). Il ne peut donc pas être exclu que lesdites observations contenaient des éléments inconnus de la société requérante, auxquels celle-ci pouvait légitimement souhaiter de réagir, d'autant plus qu'il s'agissait d'examiner une question donnant en pratique lieu à des opinions quelque peu divergentes. L'on ne saurait non plus écarter la possibilité que ces éléments aient pesé dans la décision adoptée en l'espèce par la Cour constitutionnelle. Dans ces conditions, la Cour ne saurait conclure que la société requérante n'a pas subi un « préjudice important » dans l'exercice de son droit de participer de manière adéquate à la procédure devant la Cour constitutionnelle. Le présent grief ne peut donc pas être déclaré irrecevable en vertu de l'article 35 § 3 b) de la Convention.
35.  La Cour constate en outre que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention et qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B.  Sur le fond
36.  La société requérante n'a pas présenté d'observations sur ce point.
37.  Se référant aux arrêts Milatová et autres c. République tchèque (no 61811/00, CEDH 2005-V) et Mareš c. République tchèque (no 1414/03, 26 octobre 2006), le Gouvernement s'en remet à la sagesse de la Cour.
38.  La Cour rappelle que la notion de procès équitable comprend le droit à un procès contradictoire qui implique le droit pour les parties de faire connaître les éléments qui sont nécessaires au succès de leurs prétentions, mais aussi de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge en vue d'influencer sa décision, et de la discuter (voir, parmi beaucoup d'autres, Nideröst-Huber c. Suisse, arrêt du 18 février 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-I, § 24 ; Krčmář et autres c. République tchèque, no 35376/97, § 40, 3 mars 2000).
39.  En l'espèce, comme la Cour l'a déjà dit ci-dessus (voir paragraphe 34), les observations que le tribunal régional a présentées à la Cour constitutionnelle contenaient certains éléments additionnels par rapport à sa décision du 28 février 2005 contre laquelle la société requérante avait recouru. Dans ces conditions, il n'est pas possible de conclure que ces observations étaient superfétatoires ou qu'elles n'avaient aucune incidence sur la décision de la juridiction constitutionnelle. Partant, la Cour estime que le respect du droit à un procès équitable, pris sous l'angle en particulier du respect du principe du contradictoire, exigeait que la société requérante eût la possibilité de soumettre ses commentaires aux observations du tribunal régional ou, pour le moins, qu'elle en soit informée pour décider, le cas échéant, d'y répondre (voir, mutatis mutandis, Asnar c. France (no 2), no 12316/04, § 28, 18 octobre 2007). Or, cette faculté ne lui a pas été donnée.
40.  Il y a donc eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention sur ce point.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION AU REGARD DE LA DÉCISION SUR LES FRAIS D'EXÉCUTION
41.  Sur le terrain de l'article 6 § 1, la société requérante se plaint en outre de s'être vu enjoindre de payer les frais de la procédure d'exécution, alors qu'une telle obligation n'a pas selon elle d'appui dans la loi.
42.  Le Gouvernement s'oppose à cette thèse, relevant que le grief porte sur l'interprétation et l'application du droit interne par les autorités nationales lesquelles, en l'absence d'arbitraire, échappent à la compétence de la Cour. En l'espèce, les tribunaux nationaux se sont livrés à l'interprétation d'une législation dont l'application en pratique était relativement récente et, dans la mesure où leurs conclusions ne peuvent pas être qualifiées d'arbitraires, la Cour ne devrait pas les mettre en cause.
43.  Quant aux divergences de jurisprudence dénoncées par la société requérante, le Gouvernement note qu'il existe dans chaque ordre juridique des normes dont l'interprétation soulève des controverses et se stabilise seulement après un certain temps. Tel a été selon lui le cas en l'espèce en ce que la jurisprudence des tribunaux tchèques sur la question des frais d'exécution a connu une évolution dynamique. Selon le Gouvernement, l'article 6 § 1 de la Convention n'exige cependant pas de révoquer les décisions fondées sur une opinion juridique dépassée.
44.  Pour sa part, la société requérante observe que les décisions l'obligeant à s'acquitter des frais d'exécution ont été rendues le 5 novembre 2004 et le 28 février 2005, soit plus de trois ans après que le code d'exécution est entré en vigueur. Selon elle, les tribunaux ont donc disposé de suffisamment de temps pour parvenir à une interprétation conforme à la Constitution et respectueuse du droit à un procès équitable. Se référant entre autres à l'arrêt du tribunal municipal de Prague no 39 Co 339/2004 (voir paragraphe 24 ci-dessus) et à l'arrêt de la Cour constitutionnelle no I. ÚS 350/04 (voir paragraphe 27 ci-dessus), la société requérante souligne qu'une partie ne peut pas être sanctionnée, par le biais de la décision sur les frais de procédure, pour avoir cherché à réaliser ses droits en ayant recours à un huissier de justice.
45.  Selon la société requérante, un Etat de droit se caractérise entre autres par la prévisibilité des décisions judiciaires ; les principes de l'égalité des parties et de la sécurité juridique exigent en effet que les tribunaux décident de la même manière sur les affaires qui sont similaires sur le plan des faits et du droit. Or, en l'espèce, la Cour constitutionnelle se serait écartée de sa pratique antérieure (voir paragraphe 28 ci-dessus) ainsi que de l'avis de la Cour suprême no Cpjn 200/2005. Cet avis, de même que celui du plénum de la Cour constitutionnelle, confirment selon la société requérante sa thèse selon laquelle l'indigence du débiteur et l'échec de l'exécution ne constituent pas un motif pour enjoindre le remboursement des frais d'exécution à l'ayant droit.
46.  La société requérante conteste enfin que, nonobstant le fait que les tribunaux et même les différentes chambres de la Cour constitutionnelle divergeaient sur la question de savoir à qui il incombait de payer les frais d'exécution en cas d'extinction de la procédure, la Cour constitutionnelle a rejeté son recours comme manifestement mal fondé sans l'avoir examiné au fond.
47.  La Cour rappelle qu'elle a pour tâche, aux termes de l'article 19 de la Convention, d'assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les Etats contractants. Il incombe au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux tribunaux, d'interpréter et d'appliquer le droit interne (voir, parmi beaucoup d'autres, Rotaru c. Roumanie [GC], no 28341/95, § 53, CEDH 2000-V). Il n'appartient pas à la Cour d'apprécier elle-même les éléments de fait ayant conduit une juridiction nationale à adopter telle décision plutôt que telle autre, sous réserve de l'examen de compatibilité avec les dispositions de la Convention. Sinon, elle s'érigerait en une cour de troisième ou quatrième instance et elle méconnaîtrait les limites de sa mission (Contal c. France (déc.), no 67603/01, 3 septembre 2000). La Cour a pour seule fonction, au regard de l'article 6 de la Convention, d'examiner les requêtes alléguant que les juridictions nationales ont méconnu des garanties procédurales spécifiques énoncées par cette disposition ou que la conduite de la procédure dans son ensemble n'a pas garanti un procès équitable au requérant (Sarkisova c. Géorgie (déc.), no 73239/01, 6 septembre 2005).
48.  La présente affaire porte essentiellement sur l'interprétation de l'article 89 de la loi no 120/2001. Cette disposition, combinée avec l'article 271 du code de procédure civile, a en l'espèce servi de base à la décision infligeant à la société requérante l'obligation de rembourser les frais encourus par l'huissier de justice dans la procédure d'exécution qui s'était terminée par une extinction en raison de l'indigence du débiteur de l'intéressée. La Cour observe que la partie pertinente de la loi no 120/2001, qui a ouvert la possibilité de faire exécuter une décision judiciaire par un huissier de justice exerçant à titre privé, est entrée en vigueur le 1er septembre 2001. Dans sa version en vigueur au moment des faits, l'article 89 de ladite loi permettait, sans plus de précision, d'enjoindre le remboursement des frais d'une procédure d'exécution éteinte à l'ayant droit. Cette disposition a fait par la suite l'objet de l'interprétation par les différentes juridictions nationales qui ont toutes eu recours au principe de l'imputabilité procédurale énoncé par l'article 271 du code de procédure civile. Après qu'il a été clarifié que l'huissier de justice devait avoir droit au remboursement des frais encourus malgré l'échec de l'exécution dû à l'insolvabilité du débiteur, la question s'est posée de savoir lequel d'entre l'ayant droit et le débiteur devait payer ces frais. A cet égard, la Cour constitutionnelle a constaté qu'il fallait une « justification » pour imposer cette obligation à l'ayant droit (voir paragraphe 28 in fine ci-dessus). Or, le point sur lequel les tribunaux divergeaient était celui de savoir dans quelles circonstances l'extinction de la procédure d'exécution motivée par l'indigence du débiteur pouvait être imputée à l'ayant droit, c'est-à-dire quel était le niveau de diligence exigé de ce dernier et dans quelle mesure il devait se renseigner, avant de demander l'exécution, sur la situation patrimoniale du débiteur.
Dans l'affaire de la société requérante, le tribunal régional a adopté une approche relativement stricte, lui reprochant de ne pas avoir au préalable cherché à savoir si le débiteur possédait des biens permettant de satisfaire sa créance ; pour sa part, la Cour constitutionnelle semble avoir considéré que l'indigence du débiteur justifiait à elle seule, indépendamment de l'imputabilité procédurale, de ne pas lui enjoindre l'obligation de rembourser les frais. Dans d'autres cas, le fait que l'huissier de justice n'avait pas obtenu un rendement suffisant pour couvrir les frais d'exécution n'a pas été considéré comme étant imputable à l'ayant droit (voir paragraphe 25 ci-dessus), ou qu'il suffisait pour ne pas enjoindre le remboursement des frais à l'ayant droit que celui-ci n'ait pas été négligent (voir paragraphe 26 ci-dessous) ou bien qu'il n'ait pas eu connaissance de l'indigence du débiteur (voir paragraphes 30 et 31 ci-dessus). Enfin, le plénum de la Cour constitutionnelle a constaté dans son avis du 12 septembre 2006 qu'il fallait appliquer les critères de l'article 271 du code de procédure civile pour décider à qui il incombe de rembourser les frais de l'autre partie et de l'huissier ; cette obligation pouvait être infligée à l'ayant droit si celui-ci n'a pas respecté les exigences de prudence et de pondération nécessaires et s'il a demandé l'exécution tout en ayant à sa disposition des informations permettant de prévoir l'indigence du débiteur.
49.  Il s'ensuit que pour décider à qui pouvait être imputée l'extinction de la procédure d'exécution et, partant, l'obligation de rembourser les frais de celle-ci, les tribunaux tchèques devaient à l'époque des faits analyser un certain nombre de points de fait, tels les informations sur le patrimoine du débiteur que l'ayant droit avait à sa disposition ou qu'il pouvait obtenir avant de demander l'exécution, et le niveau de prudence ou de diligence dont il avait fait preuve. C'est ce à quoi le tribunal régional de Prague s'est livré en l'espèce, s'appuyant sur des éléments qu'il a explicités dans sa décision. De cette manière, il a rempli le rôle conféré aux tribunaux dans un Etat de droit et, ce faisant, il n'a pas, selon les conclusions de la Cour constitutionnelle que la Cour ne saurait mettre en cause, dépassé le cadre de son pouvoir d'appréciation délimité par l'ordre constitutionnel. Dans la mesure où la société requérante n'a pas été privée de la possibilité de défendre sa cause et où la décision du tribunal régional expose avec suffisamment de précision les motifs sur lesquels elle se fonde, la Cour n'y décèle aucun élément d'arbitraire susceptible d'engendrer une atteinte au droit à un procès équitable.
50.  La Cour estime en outre que s'il y a eu quelques divergences dans la pratique interne, celles-ci résultaient essentiellement du différent degré de proactivité exigé de l'ayant droit par les différentes juridictions, voire par les différentes chambres de la Cour constitutionnelle, dans l'exercice de la marge de manœuvre dont elles disposaient dans le cadre des dispositions légales applicables. L'on ne saurait dire cependant que l'Etat n'a pas assumé son obligation de réagir avec la plus grande cohérence en vue de garantir la sécurité juridique, dans la mesure où la question litigieuse a finalement été examinée par le plénum de la Cour constitutionnelle avec l'intention de régler les contradictions de jurisprudence. Enfin, l'article 89 de la loi no 120/2001 a été amendé en 2008 de sorte qu'il précise dorénavant qu'en cas d'extinction de la procédure d'exécution en raison de l'insolvabilité du débiteur, les frais forfaitaires ou les frais raisonnablement engagés doivent être remboursés à l'huissier par l'ayant droit (voir paragraphe 21 ci-dessus). Sur ce point, la Cour relève qu'il ne lui appartient pas d'examiner in abstracto la législation et la pratique pertinentes ni de se substituer aux autorités internes compétentes pour évaluer les faits qui ont conduit ces autorités à adopter telle décision plutôt que telle autre. Par conséquent, la Cour n'est pas compétente pour décider si, dans un cas concret, les frais de l'huissier devaient être payés par l'ayant droit ou le débiteur ; son rôle se limite à vérifier la conformité à la Convention des conséquences qui en découlent. Or, la décision contestée en l'espèce par la société requérante ne saurait passer pour déraisonnable ou arbitraire, et le fait que le tribunal régional y a adopté une approche relativement plus stricte que d'autres tribunaux dans les affaires similaires ne saurait à lui seul enfreindre le principe de la sécurité juridique.
51.  La Cour note enfin que dans sa décision du 9 novembre 2005, la Cour constitutionnelle a déclaré le recours de la société requérante irrecevable pour défaut manifeste de fondement, c'est-à-dire qu'elle a procédé à un certain examen du fond de l'affaire. La Cour relève également que la loi sur la Cour constitutionnelle donne à celle-ci la compétence de rejeter un recours pour manque de fondement par le biais d'une décision d'irrecevabilité. Une telle décision entre dans la marge d'appréciation de chaque juridiction et la Cour ne saurait prescrire aux tribunaux nationaux dans quels cas ils peuvent recourir à une telle solution (voir Mareš c. République tchèque (déc.), no 1414/03, 5 juillet 2005). Dans la présente affaire, la décision de la Cour constitutionnelle est dûment motivée et n'apparaît pas arbitraire. Etant donné que l'interprétation et l'application du droit national incombent au premier chef aux juridictions internes, la Cour ne saurait mettre en cause la conclusion à laquelle la Cour constitutionnelle est parvenue en l'espèce, et ce malgré le manquement au principe du contradictoire constaté ci-dessus (voir paragraphe 40).
52.  Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement, en application de l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
53.  La société requérante soutient enfin que la manière dont les juridictions nationales ont en l'espèce statué en matière de frais d'exécution porte atteinte à son droit au respect des biens, garanti par l'article 1 du Protocole no 1 libellé comme suit :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
54.  Le Gouvernement conteste cette thèse, soutenant que l'ingérence dans le droit de la société requérante au respect de ses biens était justifiée.
55.  Il relève que l'intéressée n'allègue pas l'inaccessibilité des dispositions légales sur lesquelles se fondait la décision de lui enjoindre le paiement des frais d'exécution mais dénonce une interprétation arbitraire qu'en auraient faite les tribunaux. Or, le seul fait que la loi applicable se prêtait à plus d'une interprétation ne saurait à lui seul conduire à la conclusion que l'ingérence en cause était imprévisible ou arbitraire (voir, mutatis mutandis, O.B. Heller, a.s. et Československá obchodní banka c. République tchèque (déc.), nos 55631/00 et 55728/00, 9 novembre 2004). Le Gouvernement soutient que, dès lors que l'article 89 de la loi no 120/2001 permettait incontestablement d'enjoindre le paiement des frais d'exécution à l'ayant droit, la société requérante devait être consciente, lorsqu'elle optait pour le mode d'exécution prévu par cette loi qui était à l'époque des faits relativement nouveau, du risque d'avoir à supporter ces frais. La décision rendue en l'espèce par le tribunal régional, concluant à l'imputabilité procédurale de la société requérante, ne peut donc en aucun cas être considérée comme arbitraire ou sortant du cadre de la loi.
56.  Selon le Gouvernement, l'article 89 de la loi no 120/2001 poursuivait également un but légitime, à savoir d'assurer que les huissiers de justice, qui jouent un rôle important dans la société, n'aient pas à supporter les frais d'exécution lorsque les ayants droit manquent à l'exigence de prudence en demandant l'exécution tout en ayant à leur disposition les informations sur l'indigence des débiteurs.
57.  Le Gouvernement note enfin que, pour s'acquitter de son obligation de diligence avant de demander l'exécution par l'huissier de justice, la société requérante pouvait demander au tribunal de recueillir des informations sur la situation patrimoniale du débiteur. Il observe également que le montant des frais que l'intéressée a eu à supporter était relativement peu élevé. Dans ces circonstances, le Gouvernement est d'avis que la société requérante n'a pas subi une charge disproportionnée.
58.  La société requérante observe que le tribunal régional lui a non seulement enjoint de rembourser les frais encourus par l'huissier mais qu'il l'a aussi privée du droit au remboursement des frais qu'elle-même avait encourus devant le tribunal de première instance.
59.  La Cour note d'abord que les frais de justice sont des « contributions » au sens du deuxième alinéa de l'article 1 du Protocole no 1 ; les griefs relatifs au remboursement de ces frais se prêtent donc à être examinés sous l'angle de cette disposition (Perdigão c. Portugal [GC], no 24768/06, §§ 60-61, 16 novembre 2010).
60.  En l'espèce, la société requérante a été en effet privée d'un élément de propriété, à savoir de la somme de 7 025 CZK (environ 285 EUR) qu'elle a dû payer à l'huissier de justice au titre des frais d'exécution, sachant qu'en vertu de la décision de la juridiction d'appel P.Š. n'était plus tenu de lui rembourser cette somme. La Cour se doit dès lors de rechercher si la décision du tribunal régional enjoignant à la société requérante ladite obligation de paiement a respecté les exigences de l'article 1 du Protocole no 1.
61.  Tout d'abord, la Cour ne saurait mettre en question la manière dont les juridictions tchèques ont statué en la matière, d'autant plus qu'aucun élément du dossier ne lui permet de conclure qu'elles aient fait une application manifestement erronée, ou aboutissant à des conclusions arbitraires, des dispositions légales en cause (voir partie concernant l'article 6 § 1 ci-dessous, §§ 41 - 52). En effet, le seul fait que la loi applicable se prêtait à plus d'une interprétation ne saurait à lui seul conduire à la conclusion que l'ingérence en cause était imprévisible ou arbitraire et par conséquent incompatible avec le principe de légalité (voir, mutatis mutandis, O.B. Heller, a.s. et Československá obchodní banka, décision précitée).
62.  La Cour accepte ensuite que les dispositions relatives au paiement des frais d'exécution et l'application qu'en ont faites en l'espèce les tribunaux poursuivent le but légitime d'une bonne administration de la justice dont font partie les huissiers de justice.
63.  La question essentielle est donc de savoir si, par suite des décisions contestées en l'espèce par la société requérante, celle-ci a subi une charge spéciale et exorbitante.
A cet égard, la Cour observe que conformément à l'arrêté ministériel no 330/2001 relatif à la rémunération et les frais des huissiers de justice, la somme des frais infligés à la société requérante comprenait uniquement le montant forfaitaire de la rémunération de l'huissier prévu entre autres pour les cas d'extinction de l'exécution et s'élevant à 3 000 CZK (122 EUR), auquel se rajoutait le montant des frais réellement engagés par l'huissier ainsi que la taxe à la valeur ajoutée. Au total, la société requérante s'est vu enjoindre de payer à l'huissier la somme de 7 025 CZK (environ 285 EUR) ; elle n'allègue cependant pas qu'il s'agirait d'une charge « exorbitante ». Tout porte d'ailleurs à croire qu'elle ne s'est pas trouvée dépouillée et qu'elle continue son activité (voir, mutatis mutandis, O.B. Heller, a.s. et Československá obchodní banka, décision précitée).
Il convient enfin de noter que l'article 89 du code d'exécution prévoyait à l'époque des faits la possibilité d'enjoindre le remboursement des frais d'une procédure d'exécution éteinte à l'ayant droit. En engageant la procédure d'exécution, la société requérante ne pouvait donc pas exclure le risque de se voir imposer une telle obligation.
64.  Compte tenu de ce qui précède, ainsi que de la marge d'appréciation des Etats en la matière, la Cour estime que, dans les circonstances de l'espèce, il a été satisfait à l'exigence de proportionnalité de l'ingérence.
65.  Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement, en application de l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
IV.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
66.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
67.  La société requérante réclame 7 025 CZK (environ 285 EUR) au titre du préjudice matériel correspondant au montant des frais d'exécution qu'elle a dû rembourser à l'huissier de justice. Elle demande également 30 000 CZK (1 224 EUR) au titre du dommage moral qu'elle aurait subi du fait de l'iniquité de la procédure devant les tribunaux inférieurs et de la conduite de la Cour constitutionnelle.
68.  Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de la Cour pour ce qui est du montant du dommage matériel. Quant au préjudice moral, il considère que le constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante.
69.  Etant donné que le dommage matériel réclamé par la société requérante se rapporte aux griefs qui ont été déclarés irrecevables et que l'on ne saurait spéculer sur le résultat auquel la procédure devant la Cour constitutionnelle aurait abouti si la violation de l'article 6 § 1 de la Convention constatée en l'espèce ne s'était pas produite, la Cour rejette les prétentions de la société requérante en ce qu'elles se rapportent au préjudice matériel allégué.
Quant au préjudice moral, la Cour l'estime suffisamment réparé par le constat de violation de la Convention auquel elle parvient.
B.  Frais et dépens
70.  La société requérante demande également 12 025 CZK (490 EUR) pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 25 702 CZK (1 048 EUR) pour ceux engagés devant la Cour, dont selon les factures présentées la somme de 10 000 CZK (408 EUR) incluant la TVA engagée au titre de sa représentation légale devant la Cour et le reste pour les traductions de sa correspondance et de ses observations.
71.  Le Gouvernement note qu'il ne résulte pas des factures présentées quels documents ont été traduits et que l'on ne saurait rembourser à la société requérante les frais d'une traduction express.
72.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. La Cour rappelle également que les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002).
73.  Etant donné que la violation de l'article 6 § 1 de la Convention constatée en l'espèce s'est produite devant la Cour constitutionnelle, à savoir la dernière instance nationale, la Cour estime que les frais et dépens que la société requérante a assumés au niveau interne n'ont pas été engagés pour empêcher la violation ou pour en faire effacer les conséquences ; elle rejette donc cette partie de la demande.
Puis, compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence et eu égard au fait que certains griefs soulevés par la société requérante ont été déclarés irrecevables, la Cour estime raisonnable la somme de 500 EUR pour la procédure devant la Cour et l'accorde à la société requérante.
C.  Intérêts moratoires
74.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l'impossibilité pour la requérante de réagir aux observations soumises à la Cour constitutionnelle par le tribunal régional, et irrecevable pour le surplus ;
2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;
3.  Dit que le constat d'une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par la société requérante ;
4.  Dit
a)  que l'Etat défendeur doit verser à la société requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 500 EUR (cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt par la société requérante, pour frais et dépens ; cette somme est à convertir en couronnes tchèques au taux applicable à la date du règlement ;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 février 2011, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Claudia Westerdiek Peer Lorenzen   Greffière Président
ARRÊT 3A.CZ S.R.O. c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
ARRÊT 3A.CZ S.R.O. c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 


Synthèse
Formation : Cour (cinquième section)
Numéro d'arrêt : 21835/06
Date de la décision : 10/02/2011
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1 ; Partiellement irrecevable ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - constat de violation suffisant

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE CIVILE, (Art. 6) PROCEDURE D'EXECUTION, (Art. 6-1) PROCEDURE CONTRADICTOIRE, (Art. 6-1) PROCES EQUITABLE, (P1-1-1) RESPECT DES BIENS


Parties
Demandeurs : 3A.CZ S.R.O.
Défendeurs : RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2011-02-10;21835.06 ?

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