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10/02/2011 | CEDH | N°44769/07

CEDH | AFFAIRE SOCIETE ANONYME THALEIA KARYDI AXTE c. GRECE


PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE SOCIÉTÉ ANONYME THALEIA KARYDI AXTE c. GRÈCE
(Requête no 44769/07)
ARRÊT
(Satisfaction équitable)
STRASBOURG
10 février 2011
DÉFINITIF
20/06/2011
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 c) de la Convention.
Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Société Anonyme Thaleia Karydi Axte c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l'homme (première section), siégeant une chambre composée de :
Nina Vajić, présidente,   Christos Rozakis,

Khanlar Hajiyev,   Dean Spielmann,   Sverre Erik Jebens,   Giorgio Malinverni,   George Nicolaou, juges,  et d...

PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE SOCIÉTÉ ANONYME THALEIA KARYDI AXTE c. GRÈCE
(Requête no 44769/07)
ARRÊT
(Satisfaction équitable)
STRASBOURG
10 février 2011
DÉFINITIF
20/06/2011
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 c) de la Convention.
Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Société Anonyme Thaleia Karydi Axte c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l'homme (première section), siégeant une chambre composée de :
Nina Vajić, présidente,   Christos Rozakis,
Khanlar Hajiyev,   Dean Spielmann,   Sverre Erik Jebens,   Giorgio Malinverni,   George Nicolaou, juges,  et de Søren Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 janvier 2011,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 44769/07) dirigée contre la République hellénique par une société anonyme, « Thaleia Karydi Axte » (« la société requérante »), qui a saisi la Cour le 26 septembre 2007 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Par un arrêt du 5 novembre 2009 (« l'arrêt au principal »), la Cour a jugé qu'il y avait eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention en raison de la limitation imposée au droit d'accès de la société requérante à un tribunal et qu'il n'y avait pas lieu d'examiner séparément le grief tiré de l'article 13 (Société Anonyme Thaleia Karydi Axte c. Grèce, no 44769/07, §§ 27-29, 5 novembre 2009). Elle a en outre jugé qu'il y avait eu violation de l'article 1 du Protocole no 1. A cet égard, la Cour a estimé en particulier que les conditions dans lesquelles se déroula la notification de l'acte annonçant la vente aux enchères au représentant légal de la société requérante et le rejet du recours en annulation de ladite vente comme irrecevable ont rompu le juste équilibre devant régner entre la sauvegarde du droit au respect des biens et les exigences de l'intérêt général (ibidem, § 37).
3.  En s'appuyant sur l'article 41 de la Convention, la société requérante réclamait une satisfaction équitable de 11 000 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et de 500 000 EUR au titre du dommage moral qu'elle aurait subi.
4.  La question de l'application de l'article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l'a réservée et a invité le Gouvernement et la requérante à lui soumettre par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 42, et point 5 du dispositif).
5.  Tant la société requérante que le Gouvernement ont déposé des observations et ont répondu aux questions supplémentaires posées par la Cour.
EN DROIT
6.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
1.  Dommage matériel
a)  Thèses des parties
i.  La société requérante
7.  La société requérante réclame 11 000 000 EUR au titre du préjudice matériel. Cette somme correspond à la valeur actuelle des biens vendus aux enchères, ainsi qu'au manque à gagner qui aurait résulté de l'exploitation de ces biens pour la période allant de 1997 à ce jour.
8.  Elle produit un rapport d'expertise établi à sa demande par le cabinet « D. Pettas K Sia OE » en juin 2010, estimant la valeur globale des biens litigieux (terrain et immeuble) à l'époque des faits à 349 146 490 drachmes (1 024 641 EUR). Elle affirme que la banque a encaissé la totalité du produit de la vente aux enchères car elle a profité de cette procédure « injuste et improprement faite », engagée pour une dette d'un montant de 2 496 454 drachmes (7 326 EUR) seulement, pour obtenir le recouvrement d'autres créances.
ii.  Le Gouvernement
9.  Dans ses observations initiales sur l'article 41, le Gouvernement affirmait que les prétentions de la société requérante étaient excessives, arbitraires, irréelles et vagues et considérait que la somme allouée au titre du dommage matériel ne saurait dépasser 20 000 EUR.
10.  Toutefois, dans ses nouvelles observations présentées après l'arrêt au principal, le Gouvernement affirme que la société requérante n'a subi aucune perte financière. Dans lesdites observations, le Gouvernement produit tout d'abord un rapport d'expertise établi à sa demande par le cabinet « CB Richard Ellis- Axies » en juillet 2010, aux termes duquel la valeur marchande des biens litigieux en 1996 s'élevait à 218 000 000 drachmes (639 765 EUR).
11.  Il produit en outre l'acte notarial no 9990 en date du 30 avril 1997, dressant la liste des créanciers (πίνακας κατατάξεως δανειστών), dans lequel il est stipulé que la dette totale de la société requérante vis-à-vis de la banque s'élevait à l'époque à 454 321 822 drachmes (1 333 299 EUR). Il produit enfin l'acte notarial no 10698 en date du 22 décembre 1997, constatant la quittance de la liste des créanciers (εξόφληση πίνακα κατατάξεως), dans lequel il est stipulé que la banque avait encaissé le produit de la vente aux enchères, à savoir un montant global de 118 715 766 drachmes (348 395 EUR), mais qu'elle n'avait recouvert ainsi qu'une partie seulement de sa créance.
12.  Le Gouvernement conclut que la société requérante a effacé partiellement sa dette envers la banque et qu'elle n'a subi aucun préjudice matériel.
b)  Appréciation de la Cour
13.  La Cour rappelle qu'un arrêt constatant une violation entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation juridique de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI et Katsaros c. Grèce (satisfaction équitable), no 51473/99, § 17, 13 novembre 2003).
14.  Les Etats contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt constatant une violation. Ce pouvoir d'appréciation quant aux modalités d'exécution d'un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l'obligation primordiale imposée par la Convention aux Etats contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis. Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l'Etat défendeur de la réaliser, la Cour n'ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l'accomplir elle-même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de la violation, l'article 41 habilite la Cour à accorder, s'il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (Brumarescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 20, CEDH 2000-I).
15.  En outre, la Cour rappelle que seuls les préjudices causés pas les violations de la Convention qu'elle a constatées sont susceptibles de donner lieu à l'allocation d'une satisfaction équitable (Motais de Narbonne c. France (satisfaction équitable), no 48161/99, § 19, 27 mai 2003).
16.  S'agissant de la présente affaire, la Cour rappelle que dans son arrêt au principal, elle s'est exprimée en ces termes : « (...) la société requérante fut ainsi pénalisée pour les erreurs commises par l'huissier lors de la notification de l'acte annonçant la vente aux enchères et se trouva privée de toute possibilité de faire valoir ses arguments dans le cadre de la procédure litigieuse » ; « (...) nonobstant le silence de l'article 1 du Protocole no 1 en matière d'exigences procédurales, les procédures applicables doivent aussi offrir à la personne concernée une occasion adéquate d'exposer sa cause aux autorités compétentes afin de contester effectivement les mesures portant atteinte aux droits garantis par cette disposition. Pour s'assurer du respect de cette condition, il y a lieu de considérer les procédures applicables d'un point de vue général (...). Or, en l'espèce, la Cour relève que, même si les procédures mises en place en droit interne ne sont pas critiquables en soi, la société requérante fut privée de ses biens sans avoir aucune possibilité de réagir lors de la procédure d'exécution forcée. De surcroît, même si elle avait de sérieux arguments à faire valoir devant les juridictions compétentes afin d'obtenir l'annulation de la vente aux enchères, elle vit son recours finalement déclaré irrecevable pour un motif par trop formaliste, comme la Cour l'a constaté lors de son examen du grief tiré de l'article 6 de la Convention (Société Anonyme Thaleia Karydi Axte c. Grèce, précité, §§ 26 et 36).
17.  La Cour note, dès lors, que les constats de violation des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 résultent du défaut d'accès à un tribunal et de l'insuffisance des garanties procédurales contre la vente aux enchères de la propriété de la société requérante. Toutefois, au vu des éléments du dossier, la Cour n'est pas convaincue que la société requérante ait effectivement subi un préjudice matériel du fait des violations constatées. En effet, il convient de rappeler que la société requérante s'était plainte que la vente aux enchères de ses biens ayant eu lieu à son insu, elle avait été empêchée de faire usage des possibilités offertes par la loi et qu'elle avait ainsi, pour une dette modique, subi une énorme perte financière, qui s'élèverait aujourd'hui à plusieurs millions d'euros (voir paragraphe 32 de l'arrêt au principal). Or, il ressort sans équivoque des actes notariaux produits par le Gouvernement que la dette totale de la société requérante vis-à-vis de la banque s'élevait à l'époque des faits à 454 321 822 drachmes, à savoir un montant considérablement plus élevé que le produit de la vente aux enchères (118 715 766 drachmes). Dès lors, même si la Cour accepte l'estimation produite par la société requérante sur la valeur de ses biens vendus aux enchères (349 146 490 drachmes), il est indéniable que cette somme est aussi inférieure à la dette globale de la société requérante envers sa créancière. La Cour convient donc avec le Gouvernement que l'encaissement de la totalité du produit de la vente aux enchères par la banque n'effaça que partiellement la dette de la société requérante. Bien qu'elle affirme que la procédure litigieuse était « injuste et improprement faite », cette dernière ne conteste pas par ailleurs cette affirmation.
18.  Dans ces conditions, la Cour estime que la société requérante n'a pas prouvé l'existence d'un dommage matériel. Partant, il n'y a pas lieu d'accorder de somme à ce titre.
2. Dommage moral
19.  La société requérante réclame 500 000 EUR au titre du dommage moral qu'elle aurait subi.
20.  Le Gouvernement affirme qu'un constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante au titre du dommage moral.
21.  La Cour estime, contrairement au Gouvernement, que le constat de violation des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 ne saurait suffisamment réparer le dommage moral subi par la société requérante. Elle considère en revanche que la somme demandée est excessive. Statuant en équité, comme le veut l'article 41 de la Convention, la Cour alloue à la société requérante 25 000 EUR à ce titre, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt.
B.  Frais et dépens
22.  La société requérante n'a présenté aucune demande au titre des frais et dépens. Partant, il n'y a pas lieu d'octroyer de somme à ce titre.
C.  Intérêts moratoires
23.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1.  Dit, à l'unanimité,
a)  que l'Etat défendeur doit verser à la société requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 25 000 EUR (vingt-cinq mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
2.  Rejette, par cinq voix contre deux, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 février 2011, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Nina Vajić   Greffier Présidente
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé de l'opinion séparée des juges Jebens et Nicolaou.
N.A.V.  S.N.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DES JUGES   JEBENS ET NICOLAOU
(Traduction)
Pour les raisons exposées ci-après, nous ne pouvons nous rallier à l'avis de la majorité selon lequel la société requérante n'a subi aucun dommage matériel du fait de la violation de ses droits en vertu de l'article 6 de la Convention et de l'article 1 du Protocole no 1.
L'argument sur lequel la société requérante fonde sa demande consiste à dire qu'en conséquence des nombreuses erreurs et omissions liées à la vente aux enchères de ses biens, ceux-ci ont rapporté une somme moins élevée que si des procédures acceptables avaient été suivies. Les biens – un immeuble et un terrain – ont été vendus pour un montant de 118 715 766 drachmes (348 395 euros). Ayant été invités par la Cour à soumettre des estimations de la juste valeur des biens fondées sur des expertises, la société requérante a présenté un rapport établissant cette valeur à 349 146 490 drachmes (1 024 641 euros) et le Gouvernement a fourni une expertise selon laquelle la valeur n'excédait pas 218 000 000 drachmes (639 765 euros). Il apparaît donc que les deux estimations dépassent considérablement la somme atteinte en réalité lors de la vente aux enchères.
S'agissant de déterminer si la société requérante a subi un dommage matériel, la majorité s'appuie sur le fait que la dette de la société envers la banque était bien plus élevée que ne l'a dit la requérante et qu'elle dépassait la somme atteinte lors de la vente aux enchères (paragraphe 17 de l'arrêt). Cette comparaison est toutefois dénuée de pertinence. Ce qui importe concernant le dommage en l'espèce, c'est le montant pour lequel les biens litigieux ont été vendus dans la pratique, et la somme qui aurait pu être atteinte lors de la vente aux enchères. Il ressort des faits de la cause que la société requérante demeure juridiquement responsable de la partie de la dette qui n'a pas été couverte par le produit de la vente. La situation est donc différente de ce qu'elle aurait été si la société requérante avait été déclarée en faillite et relevée de l'obligation de régler le reste de sa dette.
En résumé, compte tenu de la manière dont la vente aux enchères s'est déroulée, au mépris des droits de la société requérante en vertu de l'article 1 du Protocole no 1, les biens ont rapporté une somme plus modeste que si la vente aux enchères avait été menée correctement. En conséquence, la dette de la société requérante envers la banque a été réduite dans une moindre proportion et est donc restée plus élevée qu'elle n'aurait dû l'être. La société requérante a donc indéniablement subi un dommage matériel, que le Gouvernement doit réparer. Cependant, comme notre avis est minoritaire, nous ne voyons aucune raison de débattre des estimations des parties quant à la juste valeur des biens en question.
ARRÊT SOCIÉTÉ ANONYME THALEIA KARYDI AXTE c. GRÈCE
(SATISFACTION ÉQUITABLE)
ARRÊT SOCIÉTÉ ANONYME THALEIA KARYDI AXTE c. GRÈCE  
(SATISFACTION ÉQUITABLE)
ARRÊT SOCIÉTÉ ANONYME THALEIA KARYDI AXTE c. GRÈCE
(SATISFACTION ÉQUITABLE) – OPINION SEPAREE
ARRÊT SOCIÉTÉ ANONYME THALEIA KARYDI AXTE c. GRÈCE  
(SATISFACTION ÉQUITABLE) – OPINION SÉPARÉE


Type d'affaire : Arrêt (Satisfaction équitable)
Type de recours : Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation

Analyses

(Art. 41) DOMMAGE MATERIEL


Parties
Demandeurs : SOCIETE ANONYME THALEIA KARYDI AXTE
Défendeurs : GRECE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (première section)
Date de la décision : 10/02/2011
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 44769/07
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2011-02-10;44769.07 ?

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