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14/02/2012 | CEDH | N°47719/09

CEDH | BOURBOULIA c. GRÈCE


PREMIÈRE SECTION
DÉCISION
Requête no 47719/09  présentée par Konstantina BOURBOULIA  contre la Grèce
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant le 14 février 2012 en une chambre composée de :
Nina Vajić, présidente,   Peer Lorenzen,   Khanlar Hajiyev,   Mirjana Lazarova Trajkovska,   Julia Laffranque,   Linos-Alexandre Sicilianos,   Erik Møse, juges,   et de Søren Nielsen, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 24 août 2009,
Vu les observations soumises par le g

ouvernement défendeur et celles présentées en réponse par la requérante,
Après en avoir délibéré, r...

PREMIÈRE SECTION
DÉCISION
Requête no 47719/09  présentée par Konstantina BOURBOULIA  contre la Grèce
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant le 14 février 2012 en une chambre composée de :
Nina Vajić, présidente,   Peer Lorenzen,   Khanlar Hajiyev,   Mirjana Lazarova Trajkovska,   Julia Laffranque,   Linos-Alexandre Sicilianos,   Erik Møse, juges,   et de Søren Nielsen, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 24 août 2009,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par la requérante,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
1.  La requérante, Mme Konstantina Bourboulia, est une ressortissante grecque née en 1957 et résidant à Thiva. Elle a été représentée devant la Cour par Me V. Chirdaris, avocat à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les déléguées de son agent, Mme K. Paraskevopoulou, assesseure auprès du Conseil juridique de l’Etat, et Mme Z. Hadjipavlou, auditrice auprès du Conseil juridique de l’Etat.
A.  Les circonstances de l’espèce
2.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
3.  La requérante est une magistrate qui, jusqu’en août 2003, était affectée au tribunal de grande instance d’Athènes.
4.  Par un jugement du 5 juillet 2005, la cour d’appel d’Athènes, siégeant en une formation de trois juges comme juridiction de premier degré, condamna la requérante à une peine d’emprisonnement de trois ans et dix mois du chef de corruption passive de fonctionnaire et du chef de manquement aux devoirs de fonction. Elle l’acquitta du chef de passage sous silence d’un motif de récusation et d’un autre chef de manquement aux devoirs de fonction.
5.  Le même jour, la requérante interjeta appel contre sa condamnation devant la cour d’appel d’Athènes, siégeant en une formation de cinq juges. Le 13 juillet 2005, le procureur près la cour d’appel fit appel du jugement dans la mesure où celui-ci acquittait la requérante du chef de passage sous silence d’un motif de récusation.
6.  L’audience devant la cour d’appel fut fixée au 10 septembre 2008.
7.  Le 8 septembre 2008, depuis la prison où elle était détenue, la requérante envoya au greffe de la cour d’appel une télécopie dans laquelle elle indiquait qu’elle ne comparaîtrait pas personnellement à l’audience du 10 septembre, mais serait représentée par ses avocats P.V. et A.S.
8.  Le 10 septembre, lesdits avocats déclarèrent devant la cour d’appel que « l’accusée souhait[ait] comparaître devant la cour pour se défendre ». L’audience fut ajournée au 12 septembre.
9.  A cette date, la requérante s’entretint au téléphone avec ses avocats et leur demanda d’informer la cour que « l’accusée ne souhait[ait] pas comparaître devant la cour pour se défendre ». Selon la requérante, son transfert à la cour dans la journée était impossible en raison d’un arrêt de travail des personnels pénitentiaires et du fait que la prison où elle était détenue était située à 100 km d’Athènes. Par la suite, le président de la cour demanda au procureur, aux avocats et à l’un des coaccusés de la requérante s’ils estimaient nécessaire une instruction ou un éclaircissement supplémentaires. Ceux-ci répondirent par la négative. Le président déclara alors close la procédure d’administration des preuves et ajourna l’audience au 15 septembre 2008, à 9 heures, pour les plaidoiries et le prononcé de l’arrêt. Le réquisitoire du procureur n’avait pas encore eu lieu.
10.  Le 12 septembre à 15 h 00, la requérante envoya une télécopie au greffe de la cour d’appel dans laquelle elle précisait : « je comparaîtrai à l’audience du 15 septembre 2008 devant la cour d’appel d’Athènes, siégeant en une formation de cinq membres, qui examinera mon appel, afin de me défendre ».
11.  Le 15 septembre, la requérante envoya une nouvelle télécopie au greffe, ainsi libellée : « Je souhaite me défendre personnellement devant la cour d’appel d’Athènes, siégeant à cinq membres, à l’audience du 15 septembre 2008, où mon appel est examiné et je souhaite donc comparaître devant elle ». Au début de l’audience et avant que le procureur ne commence son réquisitoire, les avocats de la requérante déclarèrent que celle-ci souhaitait être transférée de la prison où elle était détenue, afin de se défendre. Ils sollicitèrent l’ajournement de l’audience jusqu’à midi afin de permettre le transfert, car les personnels pénitentiaires effectuaient un arrêt de travail qui devait prendre fin à 11 heures.
12.  La cour d’appel rejeta la demande de la requérante de comparaître personnellement. Dans son arrêt du 15 septembre 2008, elle donna les motifs suivants à cet égard :
« A l’audience du 10 septembre 2008 (...), l’accusée envoya par fax (...) sa déclaration sous serment, datée du 8 septembre 2008, selon laquelle elle n’allait pas comparaître devant la cour d’appel d’Athènes, siégeant à cinq membres, (...) mais se faire représenter par ses avocats [P.V. et A.S.]. Par conséquent, suite à cette déclaration, l’accusée est considérée comme présente, puisqu’elle est représentée par ses avocats et la cour n’a pas estimé devoir ordonner sa comparution personnelle, compte tenu du fait qu’elle avait déjà développé amplement ses allégations lors de sa défense devant la juridiction de premier degré (...). Il convient de considérer que, par cette déclaration, l’accusée a renoncé à son droit de se défendre devant cette cour, d’autant plus qu’elle n’a pas déclaré qu’elle souhaitait comparaître à un quelconque stade du procès qui allait durer plus d’un jour (...). Toutefois, le 12 septembre 2008, à 15 heures, alors que la procédure d’administration des preuves était terminée et que le procès avait été reporté au 15 septembre 2008, où les plaidoiries devaient avoir lieu et la décision finale être adoptée, puis ce dernier jour même, l’accusée a envoyé par fax une déclaration sous serment (...) par laquelle elle affirmait qu’elle souhaitait se défendre (...) à l’audience du 15 septembre 2008 (...) et donc se faire transférer à la cour. Toutefois, eu égard à sa déclaration du 8 septembre 2008 et à celle faite par ses avocats le 12 septembre 2008, l’accusée ne pouvait plus à ce stade, à savoir après la fin de la procédure d’administration des preuves, demander à comparaître personnellement à l’audience pour se défendre, et sa demande d’être transférée de la prison d’Eleona de Thèbes, où elle était détenue, doit être rejetée ».
13.  Lors des plaidoiries, les avocats de la requérante eurent la possibilité de répliquer en dernier sur le fond mais aussi de plaider sur la peine imposée.
14.  La cour d’appel acquitta la requérante du chef de corruption passive de fonctionnaire et la condamna pour manquement aux devoirs de fonction et pour passage sous silence d’un motif de récusation (infraction pour laquelle elle avait été acquittée en première instance) à une peine d’emprisonnement de trente-quatre mois.
15.  Le 27 octobre 2008, la requérante se pourvut en cassation. Par son premier moyen, elle alléguait la nullité de la procédure à l’audience au motif que les dispositions relatives à la comparution, à la représentation et à la défense de l’accusée n’avaient pas été respectées, alors qu’elle avait demandé expressément à comparaître pour exercer son droit le plus fondamental en tant qu’accusée.
16.  Par un arrêt no 549/2009 du 24 février 2009, la Cour de cassation rejeta le pourvoi dans son ensemble. Plus particulièrement, concernant le moyen susmentionné, elle s’exprima ainsi :
« Le rejet par la cour d’appel de la demande de l’accusée d’être transférée de la prison pour exercer exclusivement son droit de se défendre n’a pas entraîné la nullité de la procédure à l’audience (...), car même si le transfert et la comparution avaient été autorisés, la possibilité d’exercer son droit de se défendre ne lui était plus ouverte compte tenu (...) du fait qu’au moment où la demande avait été formulée, la procédure d’administration des preuves était terminée ».
17.  La Cour de cassation affirma qu’un accusé conserve le droit de comparaître à l’audience, à tout stade de la procédure, même s’il ne l’a pas suivie dès le début, et nonobstant le fait qu’il avait désigné un avocat. En outre, même si par une déclaration au tribunal il a renoncé à son droit de se défendre personnellement, il peut revenir sur cette déclaration et présenter sa défense, mais à condition que ce soit à un stade de procédure permettant encore l’exercice de ce droit.
B.  Le droit et la pratique internes pertinents
18.  Selon les dispositions pertinentes du code de procédure pénale (articles 366-368), la procédure d’administration des preuves prend fin avec la défense de l’accusé et avec les éclaircissements supplémentaires éventuels fournis par les parties. Suit le stade du réquisitoire du procureur et de la plaidoirie des avocats.
19.  Les articles pertinents du code de procédure pénale disposent :
Article 340  Comparution personnelle de l’accusé
« 1.  L’accusé doit comparaître personnellement à l’audience ; il peut désigner un avocat pour assurer sa défense.
2.  En matière correctionnelle, délictuelle et criminelle, l’accusé peut être représenté par un avocat, qu’il désigne par une déclaration écrite. (...) Dans ce cas, l’accusé est considéré comme présent et son avocat accomplit tous les actes de procédure le concernant. Le tribunal peut dans tous les cas ordonner la comparution personnelle de l’accusé, lorsqu’il juge que celle-ci est nécessaire à la découverte de la vérité. Si, en dépit de ce fait, l’accusé ne comparaît pas, le tribunal peut ordonner sa présentation manu militari, qui est effectuée, si possible, au cours même de l’audience.
3.  Si l’accusé ne comparaît pas ou n’est pas légalement représenté par un avocat, il est jugé comme s’il était présent, à condition qu’il ait été légalement cité. »
Article 341  Demande d’annulation de la procédure
« Si l’accusé qui a été condamné n’a pas pu, pour cause de force majeure ou autre cause insurmontable, informer à temps et par n’importe quel moyen le tribunal de l’existence d’un obstacle insurmontable pour comparaître et pour demander l’ajournement du procès (...), il peut déposer une demande d’annulation de la procédure ayant eu lieu en son absence et sans qu’il soit représenté par un avocat (...) ».
Article 366  Défense de l’accusé
« 1.  Celui qui dirige les débats invite l’accusé à se défendre par rapport à l’accusation qui le concerne. (...) Le président de séance, le procureur (...) et les juges peuvent poser des questions à l’accusé lorsque celui-ci a fini d’exposer sa défense. Les autres parties et leurs avocats peuvent poser des questions à l’accusé seulement par l’intermédiaire du président de séance.
3.  Pendant la procédure, l’accusé peut communiquer avec son avocat, sauf pour répondre aux questions. Le refus de l’accusé d’exposer sa défense ou de répondre à une question est mentionné dans le compte-rendu.
Article 368  Instruction complémentaire
« Après la défense de l’accusé et l’examen du responsable civil, le magistrat président de séance demande au procureur et aux parties (...) s’ils estiment nécessaire une instruction ou un éclaircissement supplémentaires, et il déclare ensuite la fin de la procédure d’administration des preuves. »
Article 369  Plaidoiries
« 1.  Lorsque la procédure d’administration des preuves prend fin, le président de séance donne la parole au procureur (...), puis à la partie civile (...), à [la personne] civilement responsable et, enfin, à l’accusé.
2.  Seuls le procureur et l’accusé ou son avocat ont le droit de répliquer. (...) Le procureur et les parties ont le droit de répondre à la réplique.
3.  L’accusé ou son avocat a toujours le droit de parler en dernier. »
20.  Par un arrêt no 170/2006, la Cour de cassation a jugé que l’avocat représente pleinement l’accusé. Toutefois, cette représentation ne comprend pas la défense de l’accusé, qui doit être orale et directe, assurée de vive voix par l’accusé lui-même et non par son avocat, qui n’a pas la qualité d’accusé. Aucun motif de nullité ne naît lorsque le président du tribunal n’avait pas convoqué l’avocat de l’accusé pour développer la défense de ce dernier mais lui a donné la parole après la fin de la procédure d’administration des preuves, pour qu’il puisse répliquer en dernier.
GRIEFS
21.  Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention, la requérante se plaint d’une violation de son droit à un procès équitable et du principe de l’égalité des armes.
EN DROIT
22.  La requérante allègue que l’impossibilité pour elle de participer à l’audience d’appel a entraîné une violation de son droit à un procès équitable, tel que garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
23.  La requérante souligne que la cour d’appel, siégeant en une formation de cinq membres, n’allait pas se prononcer seulement sur son appel mais aussi sur celui interjeté par le procureur dans la mesure où il était dirigé contre la partie du jugement qui l’acquittait. Ainsi, par son arrêt, la cour d’appel risquait d’aggraver sa situation, ce qui s’est d’ailleurs produit car la cour d’appel l’a condamnée pour un chef d’accusation dont elle avait été acquittée en première instance. Or, le fait qu’elle n’a pas pu exposer sa défense devant ladite cour d’appel a rendu l’appréciation des faits par celle-ci incomplète et la procédure inéquitable.
24.  La requérante soutient qu’il ressortait de l’ensemble de son comportement, notamment des déclarations orales de ses avocats aux audiences des 10 et 15 septembre, ainsi que de ses déclarations écrites envoyées au greffe les 13 et 15 septembre, qu’elle avait l’intention de comparaître devant la cour d’appel pour y exposer sa défense. Le 12 septembre, le procureur n’a pas envoyé d’ordre de transfert comme il l’aurait dû, et compte tenu de l’arrêt de travail des personnels pénitentiaires, aucun transfert n’eut lieu ; par conséquent sa présence à l’audience était impossible pour des raisons indépendantes de sa volonté.
25.  La décision qui clôture en théorie la procédure est de caractère simplement préparatoire et en tant que telle sujette à révocation. Ainsi, l’affirmation que la procédure d’administration des preuves avait pris fin et que même si la requérante comparaissait devant la cour elle n’aurait pas le droit de se défendre, est extrêmement formaliste. Quoi qu’il en soit, la cour d’appel devait ordonner le transfert de la requérante car l’accusé a toujours le droit de parler en dernier.
26.  Le Gouvernement soutient que la requérante a comparu personnellement devant la juridiction de première instance, où elle a pu exposer sa défense et produire des documents dont lecture a été donnée. C’est pour cette raison que la juridiction d’appel, lorsque la requérante a déclaré qu’elle se ferait représenter par ses avocats, n’a pas estimé nécessaire d’ordonner, en application de l’article 340 § 2 alinéa d), la comparution personnelle de celle-ci. Devant la juridiction d’appel, la requérante avait la possibilité d’exercer tous ses droits, dont le droit d’exposer sa défense, mais elle a déclaré, de manière catégorique et sans réserve, qu’elle y renonçait. Par la suite, elle a modifié cette déclaration et demandé à être transférée de la prison à la salle d’audience, mais la juridiction d’appel a rejeté la demande car celle-ci avait été soumise à une étape du procès à laquelle la procédure d’administration des preuves était déjà close.
27.  Conformément à la législation grecque (articles 368 et 369 du code de procédure pénale), lorsque la défense de l’accusé est terminée et lorsqu’il n’est pas nécessaire d’ordonner une instruction complémentaire, le stade de l’administration des preuves est clos et commence alors le stade des plaidoiries et des répliques. Ces dernières ne font pas partie de la procédure d’administration des preuves ni de la défense de l’accusé. Le respect de ces procédures ne constitue pas un formalisme excessif. Rien n’empêchait la requérante d’assister à l’audience afin d’assurer personnellement sa défense avant la clôture du stade de l’administration des preuves.
28.  La Cour rappelle que la comparution d’un prévenu revêt une importance capitale dans l’intérêt d’un procès pénal équitable et juste (Lala c. Pays-Bas, 22 septembre 1994, § 33, série A no 297-A ; Poitrimol c. France, 23 novembre 1993, § 35, série A n° 277-A ; De Lorenzo c. Italie (déc.), no 69264/01, 12 février 2004), et que l’obligation de garantir à l’accusé le droit d’être présent dans la salle d’audience – soit pendant la première procédure à son encontre, soit au cours d’un nouveau procès – est l’un des éléments essentiels de l’article 6 (Stoichkov c. Bulgarie, no 9808/02, § 56, 24 mars 2005).
29.  Les procédures d’autorisation d’appel, ou consacrées exclusivement à des points de droit et non de fait, peuvent remplir les exigences de l’article 6 même si la cour d’appel ou la Cour de cassation n’ont pas donné au requérant la faculté de s’exprimer en personne devant elles, pourvu qu’il y ait eu audience publique en première instance (Hermi c. Italie [GC], no 18114/02, § 62, CEDH 2006-XII).
30.  Pourtant, même dans l’hypothèse d’une cour d’appel dotée de la plénitude de juridiction, l’article 6 n’implique pas toujours le droit à une audience publique ni, a fortiori, le droit de comparaître en personne (Fejde c. Suède, 29 octobre 1991, § 31, série A no 212-C). En la matière, il faut prendre en compte, entre autres, les particularités de la procédure en cause et la manière dont les intérêts de la défense ont été exposés et protégés devant la juridiction d’appel, eu égard notamment aux questions qu’elle avait à trancher (Helmers c. Suède, 29 octobre 1991, §§ 31-32, série A no 212-A) et à leur importance pour l’appelant (Kremzow c. Autriche, 21 septembre 1993, § 59, série A no 268-B ; Kamasinski c. Autriche, 19 décembre 1989, § 106 in fine, série A no 168 ; Ekbatani c. Suède, 26 mai 1988, §§ 27-28, série A no 134 ; Hermi, précité, § 62).
31.  De plus, par la nature des choses, un appelant incarcéré n’a pas la même latitude qu’un appelant en liberté, ou une partie civile, pour se présenter devant une juridiction d’appel. En effet, pour amener un tel appelant devant pareille juridiction, il faut prendre des mesures techniques spéciales, notamment en matière de sécurité (Kamasinski, précité, § 107 et Hermi, précité, § 63).
32.  Ni la lettre ni l’esprit de l’article 6 de la Convention n’empêchent une personne de renoncer de son plein gré aux garanties d’un procès équitable de manière expresse ou tacite (Kwiatkowska c. Italie (déc.), no 52868/99, 30 novembre 2000). Cependant, pour entrer en ligne de compte sous l’angle de la Convention, la renonciation au droit de prendre part à l’audience doit se trouver établie de manière non équivoque et s’entourer d’un minimum de garanties correspondant à sa gravité (Hermi, précité, § 73).
33.  La Cour considère que la défense de l’accusé se trouve au centre de son droit à comparaître devant un tribunal et à être entendu. Elle constate que dans le droit grec cette défense constitue un élément essentiel de la procédure d’administration des preuves et a lieu pendant cette phase. Selon l’article 366 § 1 du code de procédure pénale, la défense de l’accusé s’effectue en deux phases : d’une part, une phase déclaratoire, où l’accusé a la possibilité d’exposer sa position quant au bien-fondé de l’accusation et, d’autre part, une phase interrogatoire, où les juges, le procureur et les parties peuvent lui poser leurs questions éventuelles. D’autre part, l’article 366 § 3 offre à l’accusé la possibilité de choisir de ne pas exposer sa défense à l’audience et de confier à son avocat le soin de le faire à sa place.
34.  En l’espèce, la Cour note que la requérante a été citée à comparaître à l’audience d’appel du 10 septembre 2008. Le 8 septembre, elle a envoyé au greffe de la cour d’appel, depuis la prison où elle était détenue, un fax dans lequel elle indiquait qu’elle ne comparaîtrait pas personnellement à l’audience mais serait représentée par ses avocats. Le 10 septembre, les avocats ont déclaré devant la cour d’appel que la requérante souhaitait comparaître devant la cour pour se défendre. Faisant droit à cette demande, la cour d’appel a ajourné l’audience au 12 septembre. A cette date, la requérante, par l’intermédiaire de ses avocats, a informé la cour d’appel qu’elle ne souhaitait plus comparaître devant elle.
35.  Il est donc clair qu’à ce stade, la requérante avait renoncé expressément et en pleine connaissance de cause à son droit de comparaître devant la juridiction d’appel pour faire usage de son droit d’exposer elle-même sa défense. Ses avocats ont alors assumé ce rôle et par la suite, répondant à une question du président, ils ont précisé qu’ils ne souhaitaient pas d’instruction complémentaire. Le président a alors déclaré close la procédure d’administration des preuves et reporté l’audience au 15 septembre pour la phase des plaidoiries et des répliques.
36.  Cependant, par deux télécopies des 12 et 15 septembre envoyées au greffe de la cour d’appel, la requérante faisait part de sa nouvelle volonté de comparaître devant la cour d’appel afin de se défendre elle-même. Cette fois, la cour d’appel a rejeté la demande au motif qu’elle était tardive.
37.  La Cour considère que le rejet de cette demande n’était pas imprévisible pour la requérante. Magistrate elle-même et représentée par deux avocats, elle était certainement en mesure de prévoir les conséquences que ses positions changeantes répétées pourraient provoquer de la part de la juridiction appelée à examiner son cas et notamment de la décision que celle-ci risquait de prendre au regard d’une demande faite à ce stade de la procédure. La Cour estime, à l’instar de la Cour de cassation qui a statué dans l’affaire de la requérante, que si un accusé qui a renoncé à son droit de se défendre personnellement peut revenir sur cette déclaration, il doit le faire à un stade de la procédure qui permet encore l’exercice de ce droit.
38.  Quant à l’allégation de la requérante selon laquelle l’article 369 donne à l’accusé le droit de parler en dernier et que pour cette raison la cour d’appel aurait dû ordonner son transfert devant elle, il ne faudrait pas confondre le droit de l’accusé d’exposer sa défense et le droit de répliquer en fin de plaidoirie. Du reste, les avocats de la requérante ont eu la possibilité de répliquer en dernier.
39.  La Cour conclut que la requérante ne saurait valablement soutenir que son procès s’est déroulé sans qu’elle ait eu la possibilité d’être entendue par le juge et d’apporter les preuves à sa décharge.
40.  Il convient donc de déclarer cette partie de la requête irrecevable en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
41.  Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 c), la requérante soutient que les juridictions nationales, méconnaissant la législation nationale ou, du moins, par une interprétation par trop formaliste de celle-ci, ont en substance réduit à néant son droit de la défense le plus fondamental, à savoir le droit de comparaître personnellement devant la juridiction d’appel pour se défendre. Elle se plaint également d’une violation du principe de l’égalité des armes.
42.  La Cour relève que ces griefs se confondent pour l’essentiel avec celui relatif à l’article 6 § 1 ci-dessus. Elle rappelle pour le surplus que c’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, § 54, CEDH 1999-I). Son rôle se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits invoqués par la requérante.
43.  Il convient donc de déclarer cette partie de la requête irrecevable en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Søren Nielsen Nina Vajić   Greffier Présidente
DÉCISION BOURBOULIA c. GRÈCE
DÉCISION BOURBOULIA c. GRÈCE 


Type d'affaire : Décision
Type de recours : Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 3) TRAITEMENT DEGRADANT, (Art. 3) TRAITEMENT INHUMAIN, (Art. 6) PROCEDURE PENALE, (Art. 6-3) DROITS DE LA DEFENSE


Parties
Demandeurs : BOURBOULIA
Défendeurs : GRÈCE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (deuxième section)
Date de la décision : 14/02/2012
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 47719/09
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2012-02-14;47719.09 ?

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