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28/02/2012 | CEDH | N°5488/05

CEDH | AFFAIRE MEHMET EMIN SIMSEK c. TURQUIE


DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE MEHMET EMİN ŞİMŞEK c. TURQUIE
(Requête no 5488/05)
ARRÊT
STRASBOURG
28 février 2012
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Mehmet Emin Şimşek c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,   Danutė Jočienė,   Isabelle Berro-Lefèvre,   András Sajó,   Işıl Karakaş,

 Paulo Pinto de Albuquerque,   Helen Keller, juges,  et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir ...

DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE MEHMET EMİN ŞİMŞEK c. TURQUIE
(Requête no 5488/05)
ARRÊT
STRASBOURG
28 février 2012
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Mehmet Emin Şimşek c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,   Danutė Jočienė,   Isabelle Berro-Lefèvre,   András Sajó,   Işıl Karakaş,   Paulo Pinto de Albuquerque,   Helen Keller, juges,  et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 février 2012,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 5488/05) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Mehmet Emin Şimşek (« le requérant »), a saisi la Cour le 28 décembre 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant est représenté par Me F. Benli, avocate à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») est représenté par son agent.
3.  Le 17 mars 2009, la présidente de la deuxième section a décidé de communiquer l’affaire au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond de l’affaire.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4.  Le requérant est né en 1960 et réside à Batman.
5.  En février 2000, le requérant, imam d’une mosquée de Batman, fut arrêté puis placé en détention provisoire dans le cadre d’une procédure visant l’organisation illégale armée fondamentaliste Hizbullah (Hızb Allah – le parti de Dieu).
6.  Dans le cadre de cette procédure, une disquette appartenant à cette organisation avait été saisie lors d’une perquisition. Elle contenait une liste des membres de l’organisation, sur laquelle figurait également le nom du requérant. Elle contenait par ailleurs un rapport d’activités mensuel le concernant.
7.  La présidence des affaires religieuses (Diyanet İşleri Başkanlığı) dépêcha un inspecteur dans la région pour enquêter sur le cas de plusieurs imams, dont le requérant, soupçonnés d’appartenir à l’organisation fondamentaliste ou d’entretenir des liens avec celle-ci. Le 25 avril 2000, l’inspecteur rendit son rapport, selon lequel il était établi, à la lumière des éléments de preuve recueillis, que le requérant était membre de l’organisation en cause.
8.  Le 5 mai 2000, la présidence des affaires religieuses décida de révoquer le requérant en raison de ses liens avec l’organisation illégale. Elle indiqua à cet égard que l’intéressé avait cessé de réunir les conditions nécessaires à l’exercice de la profession d’imam. Elle précisa à cet égard que les textes prévoyaient que les imams devaient être « reconnus dans leur entourage pour la conformité de leurs croyances et de leurs comportements aux enseignements de l’islam ». Or, selon la présidence des affaires religieuses, les activités de l’organisation susmentionnée étaient contraires aux enseignements de l’islam. Par conséquent, les liens que l’intéressé entretenait avec celle-ci auraient porté atteinte à l’image des hommes de religion et au respect qu’ils se doivent d’inspirer.
9.  Le requérant fut remis en liberté à l’issue de la première audience tenue le 10 mai 2000 par la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır.
10.  Le 6 septembre 2000, le requérant introduisit devant le tribunal administratif de Diyarbakır un recours en annulation contre sa révocation.
11.  Après un examen sur dossier, le tribunal administratif débouta le requérant par un jugement du 18 avril 2001. Il rappela d’abord que la perte en cours de carrière de l’une des conditions générales ou spéciales nécessaires à l’exercice d’une fonction publique était un motif suffisant pour révoquer un fonctionnaire. Il indiqua ensuite qu’une enquête avait été menée au sujet du requérant par les services d’inspection de la présidence des affaires religieuses et qu’elle avait abouti à la conclusion que le requérant faisait bien partie du Hizbullah. Il conclut que le requérant, dès lors qu’il ne réunissait plus les conditions nécessaires à l’exercice de la fonction d’imam, n’était pas fondé à demander l’annulation de sa révocation.
12.  Le 15 juin 2001, le requérant forma un pourvoi contre ce jugement. Il contestait l’appréciation portée par la juridiction de première instance sur les éléments factuels. Il alléguait que les écrits trouvés dans la disquette saisie dans le cadre de la procédure pénale n’étaient pas des éléments suffisants. Il précisait en outre que ces éléments ne reflétaient aucunement la réalité et que leur origine était d’ailleurs tout à fait suspecte : en effet, selon lui, ils avaient parfaitement pu être ajoutés sur la disquette par les policiers chargés de l’enquête. De plus, ces éléments auraient été les seules preuves sur lesquelles le tribunal administratif se serait fondé. Il concluait dès lors que le jugement déféré devait être cassé.
13.  Le 11 décembre 2001, la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır rendit son jugement dans le cadre de la procédure pénale ouverte à l’encontre du requérant. Elle estima que les documents saisis faisaient apparaître l’existence d’un lien entre l’accusé et l’organisation illégale. Elle précisa cependant que, ce lien ne présentant pas un caractère suffisamment régulier pour être qualifié de permanent, il n’était pas constitutif de l’infraction d’appartenance à une organisation illégale armée mais de celle d’aide et assistance à une telle organisation. Toutefois, elle considéra que, eu égard aux périodes durant lesquelles l’infraction avait été commise, le requérant pouvait bénéficier de la loi – dite d’amnistie – no 4616. En conséquence, elle décida de surseoir au prononcé du verdict.
14.  A une date non précisée, le requérant présenta un mémoire ampliatif par lequel il informait le Conseil d’Etat du jugement de la cour de sûreté de l’Etat. Par ailleurs, il sollicitait la tenue d’une audience.
15.  Le 27 février 2003, la haute juridiction administrative rejeta la demande d’audience ainsi que le pourvoi du requérant. Après avoir précisé que l’examen de l’affaire ne nécessitait pas la tenue d’une audience, elle indiqua que le jugement déféré n’avait méconnu ni le droit ni la procédure et que, dès lors, aucune des conditions du pourvoi prévues à l’article 49 du code du contentieux administratif n’était remplie.
16.  Le 4 juin 2004, elle rejeta également la demande de rectification d’arrêt du requérant.
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
1.  Le parquet général près le Conseil d’Etat
17. Les dispositions du code du contentieux administratif relatives au parquet général près le Conseil d’Etat sont exposées dans l’arrêt Meral c. Turquie (no 33446/02, §§ 21-26, 27 novembre 2007).
2.  Les audiences devant les juridictions administratives
18.  Les audiences devant les juridictions administratives sont régies par l’article 17 du code du contentieux administratif. Celui-ci prévoit qu’une audience doit nécessairement être tenue par les juridictions statuant en première instance lorsque l’une des parties en fait la demande. Quant aux audiences relatives à l’examen des pourvois, elles sont laissées à l’appréciation du Conseil d’Etat qui décide en fonction des circonstances de chaque espèce.
3.  Le pourvoi
19.  L’article 49 § 1 du code du contentieux administratif prévoit que les jugements méconnaissant la loi ou la procédure ainsi que ceux rendus en violation des règles de compétence ratione materiae ou ratione loci doivent être censurés par le Conseil d’Etat.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION À RAISON DU DÉFAUT DE COMMUNICATION PRÉALABLE DES CONCLUSIONS DU PARQUET GÉNÉRAL
20.  Le requérant se plaint de ne pas avoir bénéficié du principe du contradictoire dans le cadre de la procédure menée devant le Conseil d’Etat au motif que les conclusions du parquet général près cette haute juridiction ne lui auraient pas été préalablement communiquées. A cet égard, il invoque l’article 6 § 1 de la Convention.
21.  Le Gouvernement ne souscrit pas à la thèse du requérant.
22.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
23.  Sur le fond, la Cour rappelle avoir déjà eu l’occasion d’examiner un grief similaire et avoir conclu à la violation de l’article 6 § 1 (Meral, précité, §§ 32-39). Elle ne voit aucune raison en l’espèce de s’écarter de cette jurisprudence.
24.  Par conséquent, il y a eu en l’espèce violation de l’article 6 § 1 de la Convention de ce chef.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION À RAISON DE L’ABSENCE D’AUDIENCE DEVANT LE CONSEIL D’ÉTAT
25.  Le requérant soutient que son droit à un procès équitable n’a pas été respecté à raison du rejet par le Conseil d’Etat de sa demande d’audience lors de l’examen du pourvoi.
A.  Arguments des parties
26.  Le Gouvernement combat cette thèse du requérant. Il relève que le Conseil d’Etat a rendu son arrêt après avoir examiné l’ensemble des pièces, dont les observations des parties et le dossier de la procédure pénale, et qu’il a décidé qu’une audience était dépourvue d’incidence sur l’issue de l’affaire. Il considère que les questions susceptibles de surgir dans cette affaire pouvaient être tranchées de manière adéquate sur la base du dossier et des écritures des parties. Estimant que le requérant a eu amplement l’occasion de présenter sa thèse et de répondre aux conclusions de la partie adverse, le Gouvernement soutient que les exigences d’équité ont été satisfaites et qu’elles n’impliquaient pas en l’espèce la tenue d’une audience.
27.  Le requérant affirme qu’une audience devant la haute juridiction administrative était nécessaire afin qu’il fût débattu de certains éléments de preuve.
B.  Appréciation de la Cour
1.  Rappel des principes
28.  La Cour rappelle d’abord que la publicité des débats constitue un principe fondamental consacré par l’article 6 § 1 de la Convention. Ladite publicité protège les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public ; elle constitue aussi l’un des moyens de contribuer à préserver la confiance dans les cours et tribunaux. Par la transparence qu’elle donne à l’administration de la justice, elle aide à atteindre le but de l’article 6 § 1, le procès équitable, dont la garantie compte parmi les principes de toute société démocratique au sens de la Convention (voir, parmi d’autres, Guisset c. France, no 33933/96, § 74, CEDH 2000-IX, Szücs c. Autriche, 24 novembre 1997, § 42, Recueil des arrêts et décisions 1997-VII, et Diennet c. France, 26 septembre 1995, § 33, série A no 325-A).
29.  La Cour rappelle également que ni la lettre ni l’esprit de l’article 6 § 1 n’empêchent cependant une personne de renoncer de son plein gré de manière expresse ou tacite à la publicité des débats, pourvu que cette renonciation soit non équivoque et qu’elle ne se heurte à aucun intérêt public important (Håkansson et Sturesson c. Suède, 21 février 1990, § 66, série A no 171-A).
30.  La Cour rappelle que l’obligation de tenir une audience publique n’est toutefois pas absolue (Jussila c. Finlande [GC], no 73053/01, § 41, CEDH 2006-XIII, et Håkansson et Sturesson, précité, § 66). L’article 6 § 1 de la Convention n’exige pas nécessairement la tenue d’une audience dans toutes les procédures. Cela est notamment le cas pour les affaires ne soulevant pas de question de crédibilité ou ne suscitant pas de controverse sur les faits, et pour lesquelles les tribunaux peuvent se prononcer de manière équitable et raisonnable sur la base des conclusions présentées par les parties et d’autres pièces (Jussila, précité, § 41, Döry c. Suède, no 28394/95, § 37, 12 novembre 2002, Pursiheimo c. Finlande (déc.), no 57795/00, 25 novembre 2003, et Göç c. Turquie [GC], no 36590/97, § 51, CEDH 2002-V).
31.  En outre, les procédures consacrées exclusivement à des points de droit et non de fait peuvent remplir les exigences de l’article 6 même si la juridiction de cassation n’a pas donné au recourant la faculté de s’exprimer en personne devant elle (Hummatov c. Azerbaïdjan, nos 9852/03 et 13413/04, § 141, 29 novembre 2007, Sutter c. Suisse, 22 février 1984, § 30, série A no 74, Monnell et Morris c. Royaume-Uni, 2 mars 1987, § 58, série A no 115, et K.D.B. c. Pays-Bas, 27 mars 1998, § 39, Recueil 1998-II).
32.  Dans certaines circonstances, il peut être admis qu’une demande relative à la tenue d’une audience lors de l’examen de l’appel ou du pourvoi soit rejetée même lorsqu’il n’y pas eu d’audience en première instance (Döry, précité, § 40, et Boz c. Turquie (déc.), no 7906/05, 9 décembre 2008). L’existence de pareilles circonstances dépend essentiellement de la nature des questions dont les tribunaux internes se trouvent saisis.
2.  Application des principes susmentionnés à la présente espèce
33.  La Cour note que le grief du requérant tiré de l’absence d’audience se limite à la procédure relative au pourvoi devant le Conseil d’Etat. Néanmoins, elle estime que l’examen de ce grief nécessite également de se pencher sur la phase antérieure de la procédure.
34.  La Cour constate que ni le tribunal administratif de Diyarbakır ni le Conseil d’Etat n’ont tenu d’audience lors de l’examen de la cause du requérant. Elle constate également que, si des débats oraux ont été sollicités par le requérant devant le Conseil d’Etat, aucune demande d’audience n’a été formulée auprès du tribunal administratif.
35.  Elle relève ensuite que la question que le tribunal administratif était appelé à résoudre consistait à déterminer si le requérant pouvait toujours être reconnu pour « la conformité de ses croyances et de son comportement aux enseignements de l’islam », condition nécessaire à l’exercice de la fonction d’imam. Cette question impliquait de vérifier l’existence d’un lien – appartenance ou soutien – avec le Hizbullah. Tandis que l’administration considérait, en se fondant sur les éléments recueillis dans le cadre de la procédure pénale, qu’un tel lien était établi, le requérant réfutait l’existence d’une quelconque relation avec l’organisation en cause. Le tribunal administratif était donc essentiellement appelé à statuer sur une question relevant d’une controverse sur les faits. Aux yeux de la Cour, pareille question ne pouvait être tranchée de manière adéquate sur la base exclusive des écritures des parties et nécessitait la tenue d’une audience.
36.  A cet égard, la Cour note que le système du contentieux administratif turc ménageait expressément au requérant la possibilité de solliciter et d’obtenir une audience devant le tribunal administratif. En effet, dans le cas d’une telle demande, l’article 17 § 1 du code de contentieux administratif turc ne laisse aucune marge d’appréciation à cette juridiction et l’astreint à la tenue d’une audience. Etant donné que les procédures devant le tribunal administratif se déroulent en général sans audience, on pouvait s’attendre à voir le requérant en solliciter une, s’il y attachait du prix (Håkansson et Sturesson, précité, § 67). Or il n’en a rien été. On doit donc considérer que l’intéressé a renoncé sans équivoque à son droit à une audience publique devant le tribunal administratif. La Cour observe en outre que cette renonciation ne se heurtait à aucun intérêt public important (Boz, décision précitée).
37.  La Cour relève néanmoins que, si le requérant a renoncé de manière non équivoque à son droit à une audience en première instance, il a bien, en revanche, demandé la tenue d’une audience pour l’examen de son pourvoi. Il reste donc à déterminer si l’absence d’audience devant le Conseil d’Etat a constitué une atteinte au droit du requérant à un procès équitable.
38.  Sur ce point, il y a lieu de relever d’emblée que la question devant être tranchée par le Conseil d’Etat était sensiblement différente de celle tranchée par le tribunal administratif. En effet, lorsqu’il statue comme juge de cassation, le Conseil d’Etat est en principe lié par les faits souverainement établis par le tribunal administratif. Cette situation se justifie par la nature du pourvoi en cassation, lequel constitue une voie de recours à la finalité différente de celle de l’appel. Les possibilités de cassation étant limitées aux cas de violation de la loi ou de méconnaissance de la procédure, il ne rentre pas dans les attributions du Conseil d’Etat statuant sur pourvoi de revenir, comme pourrait le faire par exemple une juridiction d’appel, sur l’appréciation des éléments de fait.
39.  Or le pourvoi du requérant portait précisément sur des points de faits, puisqu’il contestait ceux établis par le tribunal administratif.
40.  Ce pourvoi a été rejeté par la haute juridiction qui s’est bornée à indiquer qu’aucune des conditions prévues à l’article 49 du code du contentieux administratif n’était remplie (Sutter, précité, § 30).
41.  En d’autres termes, le requérant sollicitait une audience pour débattre oralement de points qui ne pouvaient en principe être – et qui n’ont effectivement pas été, en l’espèce – examinés par le Conseil d’Etat mais par le tribunal administratif. A cet égard, la Cour relève d’ailleurs que l’audience sollicitée par le requérant devant la haute juridiction administrative n’était pas de nature à compenser le caractère exclusivement écrit de la procédure menée devant le tribunal administratif (Hummatov, précité, § 151, et Diennet, précité, § 34).
42.  En conclusion, eu égard à la nature des questions à trancher par le Conseil d’Etat et au fait que ce dernier ne disposait pas, dans le cadre la procédure en cause, de la plénitude de juridiction, la Cour estime qu’une audience devant lui ne s’imposait pas (voir, mutatis mutandis, Exel c. République tchèque, no 48962/99, § 58, 5 juillet 2005, et, a contrario, Fredin c. Suède (no 2), 23 février 1994, § 22, série A no 283-A), même si aucune audience n’avait été tenue par le tribunal ayant statué en première instance (Döry, précité, §§ 37-45, et Boz, décision précitée).
43.  Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
III.  SUR LES AUTRES GRIEFS DU REQUÉRANT
44.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint d’un défaut de communication des conclusions du juge rapporteur relatives au pourvoi ainsi que de la durée de la procédure, qu’il juge déraisonnable. En outre, il soutient que l’organe administratif ayant annulé sa nomination n’était pas indépendant et impartial au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Il allègue également que sa cause n’a pas été entendue équitablement en ce que tous les juges administratifs ne seraient pas diplômés d’une faculté de droit et que les modalités de nomination des conseillers d’Etat ne garantiraient pas l’indépendance de ceux-ci. Il soutient également qu’il n’a pas bénéficié de la possibilité de faire comparaître des témoins, que les décisions rendues dans sa cause n’étaient pas suffisamment motivées et que les juridictions ayant eu à connaître de sa cause ont fait une application erronée de la loi. Enfin, invoquant l’article 1 du Protocole no 1, le requérant considère que sa révocation constitue une atteinte à son droit au respect de ses biens.
45.  La Cour a dûment examiné ces griefs. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, elle ne relève aucune apparence de violation des droits et des libertés garantis par la Convention.
IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
A.  Dommage
46.  Le requérant réclame 158 632 euros (EUR) pour préjudice matériel. Il invite également la Cour à lui allouer 10 000 EUR pour préjudice moral.
47.  Le Gouvernement conteste ces prétentions.
48.  La Cour ne voit aucun lien de causalité entre le préjudice matériel allégué par le requérant et la violation constatée. Quant au préjudice moral, elle estime qu’il se trouve suffisamment compensé par le constat de violation (voir, parmi beaucoup d’autres, Meral, précité, § 58, ou Büyükdere et autres c. Turquie, nos 6162/04, 6297/04, 6304/04, 6305/04, 6149/04, 9724/04 et 9733/04, § 14, 8 juin 2010).
B.  Frais et dépens
49.  Le requérant réclame 9 290 EUR au titre des honoraires, dont 7 050 EUR pour le travail fourni par son représentant aux fins de la procédure devant la Cour, ainsi que 1 136 EUR pour les frais et dépens exposés devant les juridictions internes et la Cour. Il fournit des justificatifs uniquement pour les frais exposés devant les juridictions internes et se réfère au barème du barreau d’Istanbul pour les honoraires de représentation devant la Cour.
50.  Le Gouvernement estime que ces prétentions sont exagérées.
51.  La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable d’accorder au requérant la somme de 2 000 EUR tous chefs confondus.
C.  Intérêts moratoires
52.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré du défaut de communication préalable des conclusions du parquet général et irrecevable pour le surplus ;
2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à raison du défaut de communication préalable des conclusions de l’avocat ;
3.  Dit
a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 2 000 EUR (deux mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date du règlement ;
b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 février 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley Naismith Françoise Tulkens   Greffier Présidente
ARRÊT MEHMET EMİN ŞİMŞEK c. TURQUIE
ARRÊT MEHMET EMİN ŞİMŞEK c. TURQUIE 


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Partiellement irrecevable ; Violation de l'art. 6-1 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE ADMINISTRATIVE, (Art. 6-1) PROCEDURE CONTRADICTOIRE, (Art. 6-1) PROCES EQUITABLE, (Art. 6-1) PROCES ORAL


Parties
Demandeurs : MEHMET EMIN SIMSEK
Défendeurs : TURQUIE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (deuxième section)
Date de la décision : 28/02/2012
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 5488/05
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2012-02-28;5488.05 ?

Source

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