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15/03/2012 | CEDH | N°42202/07

CEDH | AFFAIRE SITAROPOULOS ET GIAKOUMOPOULOS c. GRECE


GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE SITAROPOULOS ET GIAKOUMOPOULOS c. GRÈCE
(Requête no 42202/07)
ARRÊT
STRASBOURG
15 mars 2012
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme. 
En l’affaire Sitaropoulos et Giakoumopoulos c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
Nicolas Bratza, président,   Jean-Paul Costa,   Françoise Tulkens,   Josep Casadevall,
Boštjan M. Zupančič,   Lech Garlicki,   Egbert Myjer,   David Thór Björgvinsson, 

Ján Šikuta,   Ineta Ziemele,   Luis López Guerra,    Nona Tsotsoria,   Ann Power,   Zdravka Kalaydjieva,
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GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE SITAROPOULOS ET GIAKOUMOPOULOS c. GRÈCE
(Requête no 42202/07)
ARRÊT
STRASBOURG
15 mars 2012
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme. 
En l’affaire Sitaropoulos et Giakoumopoulos c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
Nicolas Bratza, président,   Jean-Paul Costa,   Françoise Tulkens,   Josep Casadevall,
Boštjan M. Zupančič,   Lech Garlicki,   Egbert Myjer,   David Thór Björgvinsson,   Ján Šikuta,   Ineta Ziemele,   Luis López Guerra,    Nona Tsotsoria,   Ann Power,   Zdravka Kalaydjieva,
Vincent A. de Gaetano,   Angelika Nußberger, juges,   Spyridon Flogaitis, juge ad hoc,
et de Johan Callewaert, greffier adjoint de la Grande Chambre,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 4 mai 2011 et 18 janvier 2012,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 42202/07) dirigée contre la République hellénique et dont trois ressortissants de cet Etat, MM. Nikolaos Sitaropoulos, Stephanos Stavros et Christos Giakoumopoulos (« les requérants »), ont saisi la Cour le 20 septembre 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Les requérants ont été représentés par Me Y. Ktistakis, avocat au barreau d’Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les déléguées de son agent, Mme K. Paraskevopoulou, assesseure auprès du Conseil juridique de l’Etat et Mme Z. Hatzipavlou, auditrice auprès du Conseil juridique de l’Etat.
3.  Les requérants voyaient dans l’impossibilité pour eux de voter depuis leur lieu de résidence une entrave disproportionnée à l’exercice de leur droit de voter aux élections législatives, garanti par l’article 3 du Protocole no 1.
4.   La requête a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). A la suite du déport de M. Christos Rozakis, juge élu au titre de la Grèce, le Gouvernement a désigné M. Spyridon Flogaitis pour siéger en qualité de juge ad hoc (ancien article 27 § 2 de la Convention, et article 29 § 1 du règlement).
5.  Le 8 juillet 2010, la chambre, composée de Nina Vajić, Anatoly Kovler, Elisabeth Steiner, Khanlar Hajiyev, Dean Spielmann, Sverre Erik Jebens, juges, et Spyridon Flogaitis, juge ad hoc, ainsi que de Søren Nielsen, greffier de section, a rendu un arrêt dans lequel elle décidait de rayer la requête du rôle en ce qui concernait le deuxième requérant et concluait, par cinq voix contre deux, que la requête était recevable en ce qui concernait les premier et troisième requérants et qu’il y avait eu violation de l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention.
6.  Le 22 novembre 2010, à la suite d’une demande du Gouvernement en date du 7 octobre 2010, le collège de la Grande Chambre a décidé de renvoyer l’affaire devant la Grande Chambre en vertu de l’article 43 de la Convention.
7.  La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement.
8.  Les requérants ainsi que le Gouvernement ont déposé des observations écrites (article 59 § 1 du règlement), de même que la Ligue hellénique des droits de l’homme, que le président avait autorisée à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 du règlement).
9.  Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 4 mai 2011 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
– pour le gouvernement défendeur
Mmes K. Paraskevopoulou, assesseure auprès du Conseil juridique de l’Etat, 
Z. Hatzipavlou, auditrice auprès du Conseil
juridique de l’Etat,  déléguées de l’agent ;
– pour les requérants
Me I. Ktistakis, avocat, conseil ;
Mlle A. Terzis, avocate, conseillère ;
La Cour a entendu en leurs déclarations Me Ktistakis et Mme Hatzipavlou.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
10.  Les requérants sont nés respectivement en 1967 et 1958 et résident à Strasbourg. Ils sont fonctionnaires au Conseil de l’Europe.
11.  Par décret présidentiel nº 154/2007 du 18 août 2007, l’Assemblée nationale fut dissoute et la tenue d’élections générales fixée au 16 septembre 2007.
12.  Par une lettre du 10 septembre 2007 adressée par télécopie à l’ambassadeur de Grèce en France, les requérants, résidents permanents en France, exprimèrent leur souhait d’exercer leur droit de vote en France lors des élections du 16 septembre 2007.
13.  Le 12 septembre 2007, s’appuyant sur les instructions et informations que lui avaient communiquées le ministère des Affaires intérieures, l’ambassadeur leur répondit :
« [L’Etat grec] confirme sa volonté – souvent exprimée au niveau institutionnel – de donner la faculté aux citoyens grecs résidant à l’étranger de voter depuis leur lieu de résidence. Cependant, il est évident que cette question nécessite des règles fixées par la loi, qui n’existent pas à l’heure actuelle. En effet, de telles règles ne pourraient émaner d’un simple acte administratif, des mesures spéciales devant être prises pour la mise en place de centres électoraux au sein des ambassades et des consulats (...). A la lumière de ce qui précède et malgré la volonté exprimée par l’Etat, votre demande ne pourra pas être satisfaite pour des raisons objectives en ce qui concerne les prochaines élections. »
14.  Le 16 septembre 2007, les élections générales eurent lieu. Les requérants, qui ne se rendirent pas en Grèce, n’exercèrent pas leur droit de vote.
II.  LES DROIT ET PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS
A.  Les droit et pratique internes
1.  La Constitution grecque de 1975
15.  Les dispositions pertinentes de la Constitution se lisent ainsi :
Article premier
2. La souveraineté populaire constitue le fondement du régime politique.
3. Tous les pouvoirs émanent du peuple, existent pour lui et la nation, et ils sont exercés ainsi qu’il est prescrit par la Constitution. »
Article 51 (avant la révision constitutionnelle de 2001)
« 1. Le nombre des députés est fixé par la loi, sans pouvoir toutefois être inférieur à deux cents ni supérieur à trois cents.
2. Les députés représentent la nation.
3. Les députés sont élus au suffrage direct, universel et secret par les citoyens ayant droit de vote, ainsi qu’il est prescrit par la loi. La loi ne peut restreindre le droit de vote du citoyen que s’il n’a pas atteint l’âge légal minimum, ou pour des raisons d’incapacité d’exercice ou par l’effet d’une condamnation pénale irrévocable pour certains délits.
4. Les élections législatives ont lieu simultanément sur l’ensemble du territoire. La loi peut fixer les modalités d’exercice du droit de vote par les électeurs qui se trouvent en dehors du territoire national.
5. L’exercice du droit de vote est obligatoire. La loi fixe chaque fois les exceptions et les sanctions pénales. »
Article 54
« 1.  Le régime électoral et les circonscriptions électorales sont fixés par une loi qui s’applique aux élections qui ont lieu immédiatement après les suivantes, à moins qu’une disposition explicite adoptée à la majorité des deux tiers du nombre total des députés prévoie son application immédiate aux élections immédiatement suivantes.
2. Le nombre de députés de chaque circonscription est fixé par décret présidentiel sur la base de la population légale de la circonscription, établie, selon les résultats du dernier recensement, en fonction du nombre de personnes enregistrées sur les listes municipales correspondantes, ainsi qu’il est prévu par la loi. Les résultats du recensement pris en considération sont ceux publiés sur la base des données du service compétent, un an après le dernier jour du recensement.
3. Une partie de la Chambre des députés, non supérieure au vingtième du nombre total des députés, peut être élue pour l’ensemble du territoire en fonction de la force électorale totale de chaque parti dans le pays et de manière uniforme, ainsi qu’il est prescrit par la loi. »
Article 108
« 1. L’Etat veille aux conditions de vie de la diaspora hellénique et au maintien de ses liens avec la Mère Patrie. Il veille également à l’instruction et à la promotion sociale et professionnelle des Hellènes qui travaillent en dehors du territoire national.
2. La loi détermine les modalités d’organisation et de fonctionnement ainsi que les attributions du Conseil des Grecs de l’étranger, qui a pour mission d’exprimer toutes les forces de l’hellénisme où qu’il soit. »
Le second paragraphe de l’article 108 fut introduit lors de la révision constitutionnelle de 2001.
16.  En 2001, le paragraphe 4 de l’article 51 fut modifié comme suit :
« 4.  Les élections législatives ont lieu simultanément sur l’ensemble du territoire. Les modalités d’exercice du droit de vote par les électeurs résidant en dehors du territoire national peuvent être fixées par une loi adoptée à la majorité des deux tiers du nombre total des députés. Concernant ces personnes, le principe du vote simultané n’exclut pas l’exercice du droit de vote par la voie postale ou par un autre moyen approprié, à condition que le décompte des suffrages et la proclamation des résultats soient achevés en même temps que dans le pays. »
2.  La loi électorale en vigueur à l’époque des faits
17.  A l’époque des élections législatives en question, le décret présidentiel no 96/2007 – le texte régissant le régime électoral en vigueur – prévoyait :
Article 4 – Droit de vote
« 1. Tout ressortissant grec, âgé de 18 ans révolus a le droit de voter. (...) »
Article 5 – Déchéance du droit
« Est déchue de son droit de vote :
a) Toute personne mise sous curatelle, conformément aux dispositions du code civil.
b) Toute personne frappée d’une telle déchéance concomitamment à une condamnation pénale irrévocable pour un délit prévu par le code pénal ou par le code pénal militaire, pendant toute la durée de la peine prononcée. »
Article 6 – Exercice du droit
« 1. Le droit de voter dans une circonscription électorale est réservé aux personnes inscrites sur les listes électorales d’une municipalité ou d’une commune de cette circonscription.
2. L’exercice du droit de vote est obligatoire. »
3.  Le projet de loi intitulé « Exercice du droit de vote aux élections législatives par les électeurs grecs résidant à l’étranger »
18.  Dans le rapport dudit projet déposé le 19 février 2009 au Parlement par les ministres des Affaires intérieures, de la Justice et de l’Economie, il est relevé que le texte visait à satisfaire « une obligation historique majeure incombant au Gouvernement qui, incontestablement, renforce les liens des Grecs expatriés avec la patrie ». Le rapport indiquait que la consécration du droit de vote pour les Grecs résidant à l’étranger découlait tant de l’article 108 que de l’article 51 § 4 de la Constitution. Il soulignait en particulier que l’article 108 « consacr[ait] un ‘droit social’ aux Grecs expatriés. Ladite disposition oblige l’Etat hellénique à prendre toutes les mesures nécessaires au maintien du lien des Grecs expatriés avec la Grèce, à veiller à leur éducation grecque et à prévoir comme devoir étatique l’ascension sociale et professionnelle des Grecs travaillant en dehors du pays. La réglementation des modalités d’exercice du droit de vote des Grecs expatriés aux élections législatives en Grèce contribue incontestablement au tissage de liens réels entre les Grecs expatriés et leur patrie ». Se référant ensuite à la disposition constitutionnelle spéciale sur ce sujet, à savoir l’article 51 § 4, le rapport qualifiait la loi visée par ledit article de loi d’exécution de la Constitution. Enfin, il considérait que « à l’époque de la mondialisation, il n’[était] pas possible que les Grecs expatriés n’[euss]ent pas une voix au chapitre décisive quant à l’évolution de leur propre pays ».
19.  Le Conseil Scientifique (Επιστημονικό Συμβούλιο) du Parlement est un organe à caractère consultatif dépendant du président du Parlement. Il est constitué de dix membres, parmi lesquels des professeurs de droit, de science politique, d’économie, de statistiques, d’informatique et un spécialiste en relations internationales. Ledit organe dressa un rapport, daté du 31 mars 2009, sur le projet de loi précité. Il y observait qu’une partie de la doctrine avait par le passé soutenu que l’article 51 § 4 de la Constitution mettait à la charge du législateur une obligation d’autoriser l’exercice du droit de vote depuis l’étranger pour les Grecs expatriés. Néanmoins, faisant référence à une autre partie de la doctrine et aux travaux préparatoires de l’article 51 § 4 de la Constitution, il affirmait que l’autorisation d’exercer le droit de vote depuis l’étranger était facultative et non pas obligatoire pour le législateur. Il estimait aussi que la révision constitutionnelle de 2001 n’avait rien changé au caractère facultatif de ladite disposition constitutionnelle.
20.  Le 7 avril 2009, le projet de loi fut rejeté par le Parlement, faute d’avoir atteint la majorité des deux tiers du nombre total des députés, requise par l’article 51 § 4 de la Constitution. Les membres du Parlement, et notamment ceux de l’opposition, avaient en particulier invoqué le nombre de citoyens grecs vivant à l’étranger par rapport à ceux résidant en Grèce et les conséquences qui en auraient résulté sur la composition de l’organe législatif.
B.  Droit et pratique internationaux
1.  Les textes adoptés par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe
21.  Les textes pertinents adoptés par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe se lisent ainsi :
a)  La Résolution 1459 (2005) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe
2. Conformément à l’avis de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) adopté en décembre 2004, [l’Assemblée parlementaire] invite (...) les Etats membres et observateurs auprès de l’Organisation à réexaminer l’ensemble des restrictions existantes aux droits électoraux et à abolir toutes celles qui ne sont plus nécessaires ni proportionnées à la poursuite d’un objectif légitime.
3. L’Assemblée estime que, en principe, la priorité devrait être donnée à l’octroi de droits électoraux effectifs, libres et égaux au plus grand nombre de citoyens, sans tenir compte de leur origine ethnique, de leur santé, de leur statut de membre des forces armées ou de leur casier judiciaire. Il convient de tenir pleinement compte des droits de vote des citoyens domiciliés à l’étranger.
7. Etant donné l’importance du droit de vote dans une société démocratique, les pays membres du Conseil de l’Europe devraient permettre à leurs citoyens vivant à l’étranger de voter aux élections nationales en tenant compte de la complexité des différents systèmes électoraux. Ils devraient prendre les mesures appropriées pour faciliter autant que possible l’exercice de ce droit, notamment en considérant le vote par correspondance (par courrier), le vote auprès d’un consulat ou le vote électronique, conformément à la Recommandation Rec(2004)11 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les normes juridiques, opérationnelles et techniques relatives au vote électronique. Les Etats membres devraient coopérer entre eux à cette fin et éviter d’entraver inutilement l’exercice effectif des droits de vote des ressortissants étrangers résidant sur leur territoire.
11. Par conséquent, l’Assemblée invite :
i. les Etats membres du Conseil de l’Europe et observateurs concernés :
b. à accorder des droits électoraux à tous leurs citoyens (ressortissants), sans imposer de condition de résidence ;
c. à faciliter l’exercice des droits électoraux des expatriés en instaurant des procédures de vote par correspondance (par courrier et/ou auprès d’un consulat) et en envisageant l’introduction du vote électronique conformément à la Recommandation Rec(2004)11 du Comité des Ministres, et, à cette fin, à coopérer entre eux ;
b)  La Recommandation 1714 (2005) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe - Abolition des restrictions au droit de vote
« 1. Renvoyant à sa Résolution 1459 (2005) sur l’abolition des restrictions au droit de vote, l’Assemblée parlementaire invite le Comité des Ministres :
i. à demander instamment aux Etats membres et observateurs :
a. de signer et de ratifier la Convention de 1992 du Conseil de l’Europe sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local (STE no 144), et d’accorder des droits électoraux actifs et passifs aux élections locales à tous les résidents légaux ; et
b. de réexaminer les restrictions existantes aux droits électoraux des détenus et des membres des forces armées afin d’abolir toutes celles qui ne sont plus nécessaires ni proportionnées dans la poursuite d’un objectif légitime ;
ii. à demander aux services compétents du Conseil de l’Europe, notamment la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) et son Conseil des élections démocratiques, de développer leurs activités d’amélioration des conditions permettant l’exercice effectif des droits électoraux des groupes rencontrant des difficultés particulières, comme les expatriés, les détenus, les personnes condamnées pour une infraction pénale, les personnes vivant dans des établissements d’hébergement médicalisé, les militaires ou les groupes nomades ;
iii. à analyser les instruments existants afin d’évaluer la nécessité éventuelle d’une convention du Conseil de l’Europe destinée à améliorer la coopération internationale, cela dans le but de faciliter l’exercice des droits électoraux des expatriés. »
2.  Les textes adoptés par la Commission européenne pour la démocratie par le droit (« la Commission de Venise »)
a)  Le code de bonne conduite électorale (avis no 190/2002)
22.  Le code précise que « le droit de vote et d’éligibilité peut être accordé aux citoyens résidant à l’étranger » (point I.1.1.c.v.). Le rapport explicatif indique à cet égard :
« (...) des conditions de résidence peuvent être imposées aussi bien en matière de droit de vote que d’éligibilité ; la résidence est comprise comme la résidence habituelle. (...) A l’inverse, un bon nombre d’Etats octroient le droit de vote, voire l’éligibilité, à leurs ressortissants résidant à l’étranger. Cette pratique peut s’avérer abusive dans certaines situations particulières, lorsque la nationalité est accordée sur une base ethnique par exemple. »
23.  Les autres parties pertinentes du Code prévoient ce qui suit :
3.2. La libre expression de la volonté de l’électeur et la lutte contre la fraude électorale
i. la procédure de vote doit être simple ;
ii. dans tous les cas, le vote dans un bureau de vote doit être possible ; d’autres modalités de vote sont admissibles aux conditions suivantes :
iii. le vote par correspondance ne doit être admis que si le service postal est sûr et fiable ; il peut être limité aux personnes hospitalisées, aux détenus, aux personnes à mobilité réduite et aux électeurs résidant à l’étranger ; la fraude et l’intimidation ne doivent pas être possibles ;
iv. le vote électronique ne doit être admis que s’il est sûr et fiable ; en particulier, l’électeur doit pouvoir obtenir confirmation de son vote et le corriger, si nécessaire, dans le respect du secret du vote; la transparence du système doit être garantie ;
v. le vote par procuration ne peut être autorisé que s’il est soumis à des règles très strictes ; le nombre de procurations détenues par un électeur doit être limité ;
b)  Le rapport de 2006 sur la législation et l’administration électorales en Europe (étude no 352/2005)
24.  Le rapport relève, entre autres, ce qui suit :
« Droits de vote octroyés aux ressortissants vivant à l’étranger
57.  Le droit de voter depuis l’étranger est un phénomène relativement nouveau. Même dans les démocraties bien établies, les ressortissants vivant à l’étranger ont dû attendre les années 1980 (par exemple en République fédérale allemande ou au Royaume-Uni) ou 1990 (par exemple au Canada et au Japon) pour se voir accorder ce droit. Entre temps, cependant, nombre de démocraties nouvelles ou émergentes en Europe ont introduit des dispositions juridiques instituant ce droit de voter hors du pays. Bien que n’étant pas encore très répandu sur le continent, ledit droit mérite qu’on s’y attache et doit notamment être entouré de certaines garanties en matière d’intégrité du suffrage (...).
152.  Plusieurs démocraties bien établies d’Europe de l’Ouest autorisent le vote par correspondance dont l’Allemagne, l’Espagne, l’Irlande, la Suisse (...). En vue d’une participation maximale, le processus électoral prévoit le vote par correspondance. Ce vote a également été utilisé entre autres en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo afin d’assurer une participation maximale au processus électoral (CG/BUR (11) 74). Cependant, il ne devrait être permis qu’en présence d’un service postal sûr et fiable. Chaque cas doit être évalué individuellement pour déterminer les risques de fraude et de manipulation inhérents au vote par correspondance.
c)  Le rapport de 2010 sur le vote à l’étranger (étude no 580/2010)
25.  La conclusion de ce rapport est la suivante :
« 91. Les pratiques nationales concernant le droit de vote des citoyens à l’étranger et son exercice sont loin d’être uniformes en Europe.
92. Toutefois, l’évolution des législations, comme l’arrêt rendu récemment par la Cour européenne des droits de l’homme concernant la Grèce – non encore définitif -, montrent une tendance favorable au droit de vote des citoyens à l’étranger, du moins pour les élections nationales, s’agissant des citoyens qui ont maintenu des liens avec leur Etat d’origine.
93. Cela est en tout cas vrai en ce qui concerne les personnes séjournant temporairement à l’étranger. La définition du caractère temporaire d’un séjour est toutefois très variable et il convient donc, si ce critère est retenu, qu’il soit précisé.
94. Une distinction doit aussi être faite selon les types d’élections. Les scrutins nationaux dans une circonscription unique sont les plus faciles à ouvrir aux citoyens résidant à l’étranger, tandis que les élections locales leur sont généralement fermées, du fait notamment de leur lien ténu avec la politique locale.
95. La proportion de citoyens à l’étranger peut aussi beaucoup varier entre les différents Etats. Lorsqu’ils sont nombreux, le poids des citoyens à l’étranger sur le résultat de l’élection peut être décisif, ce qui peut justifier la mise en place de modalités spécifiques.
96. Il est tout à fait légitime de demander aux électeurs à l’étranger de s’inscrire sur un registre pour pouvoir voter, même si l’inscription est automatique pour les résidents.
97. L’obligation de voter dans une ambassade ou un consulat peut en pratique limiter fortement le droit de vote des citoyens à l’étranger. Cette limitation peut être justifiée au motif que les autres modalités de vote (par correspondance, par procuration, par voie électronique) ne sont pas toujours sûres et fiables.
98. En résumé, si le refus du droit de vote aux citoyens résidant à l’étranger ou les limitations à ce droit constituent une restriction au principe du suffrage universel, la Commission ne considère pas à ce stade que l’introduction d’un tel droit soit imposée par les principes du patrimoine électoral européen.
99. Bien que l’introduction du droit de vote des citoyens résidant à l’étranger ne soit pas imposé par les principes du droit du patrimoine électoral européen, la Commission européenne pour la démocratie par le droit propose que les Etats, compte tenu de la mobilité européenne des citoyens, et en conformité avec la situation particulière de certains Etats, adoptent une approche positive relative au droit de vote des citoyens résidant à l’étranger, puisque ce droit contribue à l’expansion de la citoyenneté nationale et européenne. »
3.  Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques
26.  Le droit de vote est consacré à l’article 25 du Pacte, dont voici les parties pertinentes :
« Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l’article 2 et sans restrictions déraisonnables :
b) De voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs ;
Lors de l’élaboration de l’observation générale sur l’article 25 du Pacte, publiée le 12 juillet 1996 par le Comité des droits de l’homme, il avait été proposé d’inviter les Etats à permettre à leurs ressortissants résidant à l’étranger de faire usage des systèmes de vote postal mis à la disposition des électeurs absents. Cette proposition n’ayant pas été acceptée par le Comité des droits de l’homme, elle ne figure pas dans son observation générale.
4.  La Convention américaine relative aux droits de l’homme
27.  L’article 23 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme dispose :
« 1. Tous les citoyens doivent jouir des droits et facultés ci-après énumérés :
a. De participer à la direction des affaires publiques, directement ou par l’intermédiaire de représentants librement élus;
b. d’élire et d’être élus dans le cadre de consultations périodiques authentiques, tenues au suffrage universel et égal, et par scrutin secret garantissant la libre expression de la volonté des électeurs, et
c. d’accéder, à égalité de conditions générales, aux fonctions publiques de leur pays.
2. La loi peut réglementer l’exercice des droits et facultés mentionnés au paragraphe précédent, et ce exclusivement pour des motifs d’âge, de nationalité, de résidence, de langue, de capacité de lire et d’écrire, de capacité civile ou mentale, ou dans le cas d’une condamnation au criminel prononcée par un juge compétent. »
28.  Le droit de vote au sens de l’article 23 n’est pas absolu. Il peut faire l’objet de restrictions pour les motifs expressément indiqués au paragraphe 2 de cet article. Ce dernier prévoit la « résidence » parmi l’un des motifs de restriction possibles. Cependant, toute restriction au droit de vote fondée sur la résidence n’est pas justifiée.
29.  Dans l’affaire Statehood Solidarity Committee c. Etats-Unis (affaire 11.204, rapport no 98/03, 29 décembre 2003) la Commission interaméricaine des Droits de l’Homme a considéré que ces modalités d’interprétation et d’application du droit énoncé à l’article 23 de la Convention américaine étaient conformes à la jurisprudence des autres systèmes internationaux de protection des droits de l’homme dont les traités offrent des garanties similaires. A cet égard, elle s’est référée à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et du Comité des droits de l’homme :
« 93. (...) A l’instar de la Cour européenne et de la Commission de céans, le Comité des droits de l’homme de l’ONU a reconnu que les droits protégés par l’article 25 du Pacte n’étaient pas absolus, mais que toute condition à l’exercice du droit à la participation politique protégé par l’article 25 doit être fondée sur des « critères objectifs et raisonnables ». Le Comité a également jugé que, à la lumière du principe fondamental de proportionnalité, de plus lourdes restrictions aux droits politiques exigeaient une justification spéciale.
5.  Le système de protection des droits de l’homme fondé sur la Charte africaine
30.  L’article 13 § 1 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples est ainsi libellé :
« Tous les citoyens ont le droit de participer librement à la direction des affaires publiques de leur pays, soit directement, soit part l’intermédiaire de représentants librement choisis, ce, conformément aux règles édictées par la loi. »
31.  Ayant considéré que cette disposition était similaire en substance à celle énoncée à l’article 25 du Pacte, la Commission africaine a interprété l’article 13 de la Charte à la lumière de l’observation générale du Comité des droits de l’homme sur l’article 25. Elle en a conclu que toute condition imposée à l’exercice de ce droit devait être fondée sur des critères objectifs et raisonnables établis par la loi (voir Purohit et Moore c. Gambie, communication no 241/2001, § 76).
C.  Éléments de droit comparé
32.  Selon les éléments de droit comparé dont dispose la Cour sur la législation des Etats membres du Conseil de l’Europe en matière de vote à l’étranger, la majorité de ces pays autorise et met en œuvre des procédures permettant à leurs ressortissants résidant à l’étranger de voter aux élections législatives. En même temps, on constate une grande variété de situations. Ainsi, les différents cas de figure ne se prêtent pas facilement à un classement en catégories bien distinctes. Toutefois, deux catégories peuvent schématiquement être distinguées, à savoir celle des Etats qui autorisent, selon différentes modalités, leurs ressortissants à voter à l’étranger et celle des Etats membres où ce type de vote n’est en principe pas autorisé. Enfin, la plupart des Etats membres qui autorisent ce vote prévoient des démarches administratives pour l’inscription des expatriés sur les listes électorales.
1.   Modalités d’exercice du vote à l’étranger dans les pays qui l’autorisent en principe
33.  Trente-sept Etats membres l’autorisent : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Croatie, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la France, la Géorgie, la Hongrie, l’Islande, l’Italie, la Lettonie, « l’ex-République yougoslave de Macédoine », le Liechtenstein, la Lituanie, le Luxembourg, la Moldova, Monaco, la Norvège, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République tchèque, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Russie, la Serbie, la Slovaquie, la Slovénie, la Suède, la Suisse, la Turquie et l’Ukraine.
34.  Les pays ci-dessus prévoient le vote dans des bureaux de vote installés à l’étranger, le vote par correspondance ou ces deux possibilités. Les dix-sept pays suivants permettent de voter dans des ambassades ou consulats ou dans des bureaux de vote ouverts ailleurs : la Bulgarie, la Croatie, le Danemark, la Finlande, la France, la Géorgie, la Hongrie, l’Islande, « l’ex-République yougoslave de Macédoine », la Moldova, la Norvège, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, la Russie, la Serbie et l’Ukraine.
Huit pays permettent de voter à l’étranger par correspondance seulement, que ce soit par l’intermédiaire d’une représentation ou par un courrier directement adressé à l’autorité nationale compétente : l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie, le Liechtenstein, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal et la Slovaquie. La possibilité de voter soit dans une ambassade (ou un consulat) soit par correspondance est autorisée par la Belgique, la Bosnie-Herzégovine, l’Espagne, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Slovénie et la Suède. Un petit nombre de pays prévoient aussi le vote par procuration : la Belgique, la France, les Pays-Bas, la Suisse et le Royaume-Uni. A Monaco, le vote par procuration est la seule manière de voter à l’étranger pour les ressortissants de ce pays.
Quelques pays autorisent le vote par Internet : les Pays-Bas et la Suisse. Ce procédé est déjà prévu dans la loi et utilisé en Estonie, tandis qu’il est à l’étude en Espagne.
35.  Dans cinq Etats membres, seules peuvent voter à l’étranger les personnes vivant temporairement hors de leur pays. Il s’agit de la Bosnie-Herzégovine, du Danemark, de la Hongrie, du Liechtenstein et de « l’ex-République yougoslave de Macédoine ». Dans ce dernier pays, la loi vise explicitement les citoyens résidant ou travaillant temporairement à l’étranger. Dans certains pays, les expatriés perdent le droit de vote après un certain délai. Au Royaume-Uni, ce délai est de quinze ans tandis que, en Allemagne, il est de vingt-cinq ans.
36.  Certains pays tels que l’Autriche, la Hongrie, la Slovénie et l’Ukraine, n’autorisent le vote à l’étranger qu’avec la permission du pays hôte.
37.  Dans quatre pays – la Croatie, la France, l’Italie et le Portugal –, les expatriés peuvent élire leurs propres représentants au parlement national dans des circonscriptions électorales créées à l’étranger. Au Portugal, chacune des deux circonscriptions élit un député. Les citoyens français vivant à l’étranger participent à l’élection de douze sénateurs par l’intermédiaire de l’Assemblée des Français de l’étranger, composée de cent cinquante membres. A compter de 2012, ils pourront aussi élire onze députés à l’Assemblée nationale. En Croatie et en Italie, le nombre de sièges au Parlement alloués aux circonscriptions de l’étranger est lié au nombre de suffrages exprimés.
2.  Les pays qui n’autorisent pas ou restreignent considérablement le droit de vote à l’étranger
38.  Huit Etats membres, à savoir l’Albanie, Andorre, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, Chypre, Malte, le Monténégro et Saint-Marin, n’autorisent pas le droit de vote aux élections législatives depuis l’étranger. En particulier, en Albanie, le code électoral en vigueur ne contient aucune disposition sur le vote à l’étranger. Par ailleurs, l’Irlande encadre strictement cette possibilité. La faculté de voter par correspondance pour les électeurs résidant à l’étranger est réservée aux membres de la police et des forces de défense ainsi qu’aux diplomates irlandais et à leurs conjoints. Ce droit est ainsi limité à un groupe spécifique et très réduit de personnes. En vertu de la législation du Monténégro et de Saint-Marin, les personnes résidant à l’étranger ne peuvent voter que dans leur propre pays.
3.  Les démarches administratives à effectuer pour l’inscription des expatriés sur les listes électorales
39.  Dans au moins vingt-deux des Etats membres qui autorisent le vote à l’étranger, les personnes qui souhaitent se prévaloir de cette possibilité doivent auparavant demander à être inscrites sur les listes électorales, et ce avant une certaine date, auprès soit des autorités du pays d’origine soit des représentations diplomatiques ou consulaires à l’étranger.
40.  En Bosnie-Herzégovine, la demande d’inscription doit être soumise pour chaque élection à la commission électorale centrale du pays. Au Danemark, les personnes ayant le droit de voter doivent l’adresser à leur dernière commune de résidence. En Hongrie, elles peuvent le faire dans les représentations à l’étranger en remplissant dans les délais prescrits une demande au bureau électoral local. En Allemagne et au Luxembourg, il faut soumettre la demande à l’administration locale. En Slovaquie, les électeurs résidant à l’étranger doivent demander leur inscription sur un registre spécial tenu par la mairie de Bratislava-Petržalka. En Slovénie, les personnes votant à l’étranger doivent envoyer une notification à la commission électorale nationale. En Serbie, les personnes intéressées doivent adresser une demande d’inscription sur les listes électorales en tant que résidents étrangers. En Espagne, les électeurs doivent présenter une demande d’inscription sur la liste électorale spéciale des résidents absents à la délégation provinciale compétente du bureau des listes électorales. Au Royaume-Uni, les électeurs résidant à l’étranger doivent renouveler chaque année leur inscription auprès du bureau électoral local.
41.  Dans un certain nombre de pays, les demandes sont à adresser aux missions diplomatiques ou consulaires qui soit dressent elles-mêmes les listes électorales soit font suivre les demandes à l’autorité responsable dans leur pays. Les citoyens belges figurant sur les registres de la population des postes diplomatiques ou consulaires doivent remplir un formulaire indiquant dans quelle commune ils souhaitent être inscrits et quelle méthode ils utiliseront pour voter. Le formulaire est ensuite envoyé à la commune concernée et la personne est ajoutée à la liste des électeurs votant à l’étranger.
42.  En Bulgarie, en Pologne, en République tchèque et en Russie, les listes électorales pour les expatriés sont établies par les missions diplomatiques ou consulaires à l’étranger sur la base des demandes formulées par les électeurs. Les citoyens croates souhaitant voter à l’étranger doivent quant à eux s’inscrire auprès des représentations croates à l’étranger. Les électeurs lettons qui souhaitent voter par correspondance doivent soumettre une demande à la mission diplomatique ou consulaire concernée, où ils sont inscrits sur une liste spéciale. Aux Pays-Bas, tout expatrié pouvant et souhaitant voter doit demander son inscription sur la liste des ressortissants néerlandais résidant à l’étranger auprès du chef de la mission consulaire, qui la transmet à La Haye. Au Portugal, le vote à l’étranger suppose l’inscription au préalable sur une liste électorale consulaire. Les citoyens suisses résidant à l’étranger doivent faire une demande auprès de la représentation suisse où ils sont inscrits. Cette demande est transmise à la localité où la personne vote habituellement et celle-ci sera inscrite sur la liste électorale. Dans « l’ex-République yougoslave de Macédoine », les personnes votant à l’étranger sont inscrites sur la liste électorale du pays dès qu’elles en font la demande auprès des représentations diplomatiques et consulaires. En Turquie, les électeurs résidant à l’étranger doivent s’inscrire sur une liste spéciale en présentant une déclaration de résidence au consulat le plus proche.
43.  Dans certains pays, les électeurs résidant à l’étranger n’ont aucune démarche à effectuer pour être inscrits sur la liste électorale, les autorités le faisant automatiquement sur la base des registres existants. C’est le cas en Estonie, en Finlande, en France, en Géorgie, en Islande, en Italie, en Lituanie, en Moldova, en Norvège, en Roumanie, en Suède et en Ukraine. Les électeurs qui ne figurent pas sur les listes électorales peuvent s’y faire inscrire à leur demande (par exemple en France, en Géorgie, en Italie et en Ukraine).
44.  En Islande, l’inscription sur la liste électorale nationale doit être renouvelée au bout de huit ans de résidence à l’étranger ; en Norvège et en Suède, ce délai est de dix ans.
45.  Dans certains pays ayant un système d’inscription automatique, les expatriés doivent faire certaines démarches s’ils souhaitent voter dans leur pays d’origine. Par exemple, les électeurs italiens résidant à l’étranger mais souhaitant voter en Italie doivent en informer par écrit le bureau consulaire compétent. Les expatriés français doivent demander leur inscription sur les listes électorales en France s’ils souhaitent voter dans le pays.
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DU PROTOCOLE No 1
46.  Les requérants voient dans l’impossibilité pour eux de voter depuis leur lieu de résidence une entrave disproportionnée à l’exercice de leur droit de voter lors des élections législatives de 2007, emportant violation de l’article 3 du Protocole no 1, qui dispose :
« Les Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif. »
A.  L’arrêt de la chambre
47.  Dans son arrêt du 8 juillet 2010, la chambre a conclu à une violation de l’article 3 du Protocole no 1 de la Convention. Elle a estimé que la présente affaire concernait non pas la reconnaissance du droit de vote des requérants proprement dit, qui leur est déjà garanti par la Constitution grecque, mais les modalités d’exercice de ce droit par les ressortissants grecs résidant à l’étranger. Sur ce point, la chambre a noté que l’article 51 § 4 de la Constitution grecque, adopté en 1975 et précisé lors de la révision constitutionnelle de 2001, habilitait le législateur à fixer lesdites modalités. Si les requérants pouvaient toujours se rendre en Grèce pour voter, de fait un tel déplacement compliquait considérablement l’exercice de ce droit car il entraînait des frais ainsi que des perturbations dans leur vie professionnelle et familiale.
48.  La chambre a reconnu que l’article 3 du Protocole no 1 de la Convention n’imposait pas de garantir le droit de vote aux élections législatives pour les électeurs expatriés. Toutefois, la disposition constitutionnelle en question, à savoir l’article 51 § 4 de la Constitution, ne pouvait rester inapplicable indéfiniment sous peine de voir son contenu et la volonté de ses rédacteurs dépourvus de toute valeur normative. Or trente-cinq ans (à la date de l’arrêt) après l’adoption de cette disposition, le législateur grec n’avait toujours pas rendu son contenu effectif.
49.  De surcroît, la chambre a jugé que cette absence de concrétisation par la voie législative du droit de vote pour les expatriés était assimilable à un traitement inéquitable à l’égard des Grecs expatriés – surtout en cas d’éloignement important – par rapport à leurs concitoyens résidant en territoire grec, alors même que le Conseil de l’Europe avait incité les Etats membres à permettre à leurs citoyens vivant à l’étranger de participer autant que possible au processus électoral. Sur la base d’une étude comparative du droit interne de trente-trois Etats membres du Conseil de l’Europe, elle a observé qu’une grande majorité d’entre eux avait mis en œuvre des procédures en ce sens et a conclu que la Grèce se trouvait en deçà du dénominateur commun des Etats membres dans ce domaine.
B.  Les thèses des parties
1.  Les requérants
50.  Les requérants allèguent que le droit pour les citoyens grecs de voter depuis l’étranger a été reconnu pour la première fois en 1862 lors des élections des membres du 2ème Congrès national et que des citoyens grecs avaient pu voter depuis leur lieu de résidence à l’étranger. Ils ajoutent que non seulement une bonne part des constitutionnalistes grecs mais aussi les juridictions helléniques estiment qu’une disposition constitutionnelle qui garantit un droit aussi important que le droit de vote ne saurait rester inapplicable indéfiniment. Ils affirment notamment que, confrontée à la même question sur le terrain de l’article 24 § 6 de la Constitution, qui prévoit l’adoption d’une loi qui régira les mesures restreignant le droit de propriété aux fins de la protection de l’environnement culturel et les modalités d’indemnisation des propriétaires, le Conseil d’Etat, en assemblée plénière, a considéré que, faute pour le législateur d’avoir adopté la loi d’exécution en question, « il pesait sur l’administration l’obligation, née directement de la Constitution, de garantir la protection continue du monument et, parallèlement, l’indemnisation du propriétaire affecté ». Ils voient dans l’obligation de légiférer incombant au législateur grec en vertu des articles 108 et 51 § 4 de la Constitution une obligatio et non une facultas. Ils estiment que le retard de trente-six ans imputé à l’Etat grec pour donner effet à une disposition précise de la Constitution et rendre effectif le droit de vote des expatriés depuis l’étranger est constitutif d’une violation de l’article 3 du Protocole no 1.
51.  Les requérants considèrent que la position adoptée par la Cour à l’occasion de l’affaire Hilbe c. Liechtenstein (no 31981/96, décision du 7 septembre 1999, CEDH 1999-VI) n’est pas pertinente en l’espèce. A la différence du requérant dans cette affaire, ils seraient eux-mêmes déjà inscrits sur les listes électorales et le droit de vote leur serait explicitement reconnu par le droit interne. A ce titre, ils se plaignent non pas d’une restriction au droit de vote proprement dit, mais de ce que les modalités nécessaires n’auraient pas été fixées pour le rendre effectif.
52.  Les requérants affirment porter un intérêt particulier aux développements politiques dans leur pays d’origine et vouloir maintenir des liens étroits avec la Grèce. En particulier, ils soulignent qu’ils sont inscrits sur les listes électorales en Grèce, titulaires de passeports grecs valides, propriétaires de biens immobiliers en Grèce et redevables des impôts sur les revenus y relatifs, et toujours habilités à exercer la profession d’avocat en Grèce. Ils voient dans l’impossibilité de voter depuis leur Etat de résidence pour les élections législatives tenues en Grèce une entrave à leur droit de vote qu’ils estiment contraire tant à la Constitution grecque qu’à la Convention. Cette entrave résulterait de ce que l’exercice de leur droit de vote impliquerait leur déplacement obligatoire en Grèce. Les requérants admettent que, à l’occasion des élections législatives, ils peuvent certes voyager en avion à Samos et Thessalonique, leurs villes d’origine respectives. Mais cette possibilité ne changerait rien en substance à leur grief, à savoir qu’ils devront alors supporter des frais non négligeables et que leur vie professionnelle et familiale en sera perturbée puisque ils seront obligés de s’absenter de leur travail et de leurs familles pendant quelques jours.
53.  Les requérants soutiennent qu’il ressort des textes du Conseil de l’Europe, notamment de la Résolution 1459 (2005) et de la Recommandation 1714 (2005) de l’Assemblée Parlementaire, ainsi que du Code de bonne conduite électorale établi par la Commission de Venise, que les Etats membres ont l’obligation de rendre le droit de vote effectif. Ils notent que, selon l’étude à laquelle la chambre a fait référence dans son arrêt du 8 juillet 2010, au moins vingt-neuf Etats membres du Conseil de l’Europe garantissent effectivement aux expatriés le droit de voter depuis l’étranger aux élections législatives.
2.  Le Gouvernement
54.  Le Gouvernement estime que la possibilité reconnue par la Constitution de régir par la voie législative l’exercice du droit de vote des électeurs résidant en dehors du territoire de l’Etat hellénique ne saurait jouer un rôle décisif dans le constat ou non d’une violation de l’article 3 du Protocole no 1 en l’espèce. En particulier, il souligne que, loin d’imposer une quelconque obligation au législateur, l’article 51 § 4 de la Constitution a un contenu facultatif. De plus, la jurisprudence de la Cour sur l’article 3 du Protocole no 1 reconnaîtrait que les Etats contractants jouissent d’une ample marge d’appréciation quant à l’organisation de leur système électoral. Le Gouvernement ajoute que, aux termes de l’article 51 § 4 de la Constitution, les modalités de vote pour les Grecs de la diaspora doivent être fixées à la majorité des deux tiers du Parlement, ce qui confirme la nécessité d’atteindre en Grèce un consensus politique très large sur ce sujet. De surcroît, il note qu’il a déjà essayé de faire adopter, en 2009, une loi sur le vote des Grecs expatriés, ce qui prouve sa volonté politique de faire face au problème en l’espèce. Pour lui, la définition de ces modalités est une question politique extrêmement complexe et délicate. Une reconnaissance générale du droit des expatriés à voter aux élections parlementaires depuis leur lieu de résidence pourrait engendrer des problèmes politiques et économiques considérables, non seulement en Grèce mais aussi dans d’autres Etats membres du Conseil de l’Europe.
55.  Le Gouvernement renvoie à la jurisprudence de la Cour et de l’ancienne Commission européenne des droits de l’homme sur la compatibilité avec l’article 3 du Protocole no 1 de la subordination du droit de vote à une obligation de résidence. Il soutient que, selon cette jurisprudence, assortir le droit de vote à une telle condition est justifiable. Il évoque le souci légitime du législateur de limiter l’influence des citoyens résidant à l’étranger lors des élections législatives, principalement axées sur des questions touchant les citoyens résidant dans leur pays d’origine. Pour lui, les expatriés ne sauraient légitimement se dire plus concernés que les citoyens grecs vivant sur le territoire national par les décisions émanant des organes politiques de leur pays d’origine.
56.  Se référant en particulier aux travaux parlementaires lors de la révision constitutionnelle de 2001, le Gouvernement relève que la loi prévue par l’article 51 § 4 de la Convention demeure facultative. Bien qu’énoncé pour la première fois dans cette disposition constitutionnelle, le vote par correspondance n’aurait qu’un caractère facultatif. De plus, son exercice devrait respecter le principe constitutionnel du déroulement simultané des élections législatives. Le Gouvernement rappelle aussi les raisons pour lesquelles, selon lui, une majorité renforcée des deux tiers a été prévue pour l’adoption de la loi d’exécution visée à l’article 51 § 4 de la Constitution : un consensus politique serait nécessaire étant donné le nombre considérable de citoyens grecs résidant à l’étranger (environ 3 700 000 pour 11 000 000 vivant en Grèce). Il affirme ainsi qu’environ 1 850 000 citoyens grecs vivent aux Etats-Unis d’Amérique et 558 000 en Australie. Dès lors, selon lui, le consensus le plus large entre les partis politiques doit être atteint afin d’éviter des tensions politiques qui résulteraient des enjeux liés à l’élargissement de facto du corps électoral.
57.  Pour le Gouvernement, les citoyens grecs résidant à titre permanent à l’étranger sont désormais liés à la vie sociale, économique, politique et culturelle de leur pays d’accueil et de résidence et c’est là que se situe le centre de leurs intérêts par excellence. En outre, le Gouvernement estime que la comparaison entre la Grèce et d’autres Etats ayant consacré le droit de vote pour les expatriés depuis leur lieu de résidence devrait prendre en compte les particularités de chaque cas d’espèce, notamment le nombre de citoyens vivant en dehors de leur pays d’origine, le contexte sociopolitique de chaque pays et le système électoral en place.
58.  Au demeurant, le Gouvernement argue que la participation des Grecs expatriés aux élections législatives ne peut pas être mise en parallèle avec la mise en œuvre dudit droit en ce qui concerne les élections au Parlement européen. Dans ce dernier cas, il ne s’agirait que de la consécration du droit de vote pour une partie des Grecs expatriés, à savoir ceux qui résident sur le territoire des Etats membres de l’Union Européenne, d’une obligation directement tirée du droit communautaire et explicitement prévue par la législation interne.
59.  En somme, le Gouvernement rappelle que les requérants remplissent les conditions fixées par la loi électorale pour exercer leur droit de vote en Grèce. Il réaffirme que la question du droit de vote des expatriés depuis leur lieu de résidence relève de la marge d’appréciation des autorités internes, qui ont selon lui la faculté de choisir à quel moment et selon quelles modalités le consacrer.
3.  Le tiers intervenant
60.  La Ligue hellénique des droits de l’homme, constituée en 1953, est l’organisation non gouvernementale la plus ancienne de Grèce. Elle est membre de la Fédération internationale des droits de l’homme. Elle relève la situation paradoxale dans laquelle se trouve le droit de vote des expatriés depuis leur lieu de résidence. Si, d’une part, nul ne conteste le droit pour les expatriés de participer aux décisions politiques de la « mère patrie », ce principe, qui a acquis une valeur constitutionnelle, semble stérile : dix ans ont déjà passé depuis la révision constitutionnelle de 2001 et l’obligation constitutionnelle d’adopter « le vote par correspondance » pour les Grecs résidant à l’étranger n’a pas encore été concrétisée.
61.  Dans le débat relatif aux droits politiques des expatriés, on distingue schématiquement deux tendances opposées et, entre ces deux extrêmes, se situe une grande partie des positions et des pratiques des Etats, avec différentes variantes et nuances. La première tendance entend la notion de communauté politique en un sens entièrement territorial, tandis que la deuxième tendance est celle d’une communauté dépassant le cadre du territoire, formée par des liens de solidarité qui unissent la nation. Le tiers intervenant cite J. Habermas, selon qui la notion d’autodétermination démocratique d’une communauté « exige que ceux qui sont soumis à la loi, tout comme ceux à qui la loi fait référence, doivent se considérer eux-mêmes comme les créateurs de la loi ». Pour le tiers intervenant, cette citation renvoie à une conception de la qualité de citoyen qui fait principalement de la résidence sur un territoire le critère décisif, mais tient compte objectivement du fait qu’il n’est pas absolument nécessaire pour un individu de résider sur le territoire d’un Etat pour avoir le sentiment d’entretenir avec lui des liens vitaux. Comme on l’observe de manière de plus en plus évidente de nos jours, « il est possible de vivre à la maison et loin de celle-ci ». Cette conception transnationale de la citoyenneté rend obsolète le débat sur les droits électoraux des expatriés qui se fonde uniquement sur une idée territoriale de la citoyenneté. Si les campagnes électorales se déroulent désormais principalement à travers les réseaux sociaux électroniques (par exemple « Facebook » et « Twitter »), cela prouve que l’argument tiré de la « distance » entre l’expatrié et son pays d’origine n’est pas aussi pertinent aujourd’hui qu’il y a quelques années.
62.  Pour le tiers intervenant, la réponse à la question « doit-on accorder des droits politiques aux expatriés ? » ne peut être « tout ou rien ». Il estime qu’il faudrait élaborer un critère objectif permettant d’établir l’existence ou non de liens vitaux entre un expatrié grec et l’Etat grec et donc de dire s’il y a lieu de l’incorporer au corps électoral. Il relève que, dans la plupart des Etats membres de l’Union européenne qui prévoient des droits électoraux pour leurs expatriés, la condition générale est l’inscription sur les listes électorales de chaque Etat dans les ambassades ou consulats situés dans la région en question. Il estime que, dès lors, le seul critère qui apparaisse comme objectivement sûr pour ce qui est de la mise à disposition ou non du « vote par correspondance ou [de] tout autre moyen approprié » est la tenue de listes électorales dans les bureaux consulaires à l’étranger. La prétention qu’a la diaspora hellénique de participer aux élections grecques appelle une réponse nuancée permettant de prendre en compte de manière proportionnelle et équilibrée la façon dont le processus démocratique dans le pays d’origine influence la vie de l’expatrié.
C.  L’appréciation de la Cour
1.  Principes généraux
63.  La Cour rappelle que l’article 3 du Protocole no 1 consacre un principe fondamental dans un régime politique véritablement démocratique et revêt donc dans le système de la Convention une importance capitale (Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, 2 mars 1987, § 47, série A no 113). A première vue, cet article paraît différent des autres dispositions de la Convention et de ses Protocoles en ce qu’il énonce l’obligation pour les Hautes Parties contractantes d’organiser des élections dans des conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple, et non un droit ou une liberté en particulier. Toutefois, eu égard aux travaux préparatoires de l’article 3 du Protocole no 1 et à l’interprétation qui est donnée de cette disposition dans le cadre de la Convention, la Cour a jugé que cet article implique également des droits subjectifs, dont le droit de vote et celui de se porter candidat à des élections (Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, § 51). Elle a estimé également que les normes à appliquer pour établir la conformité à cet article doivent être considérées comme moins strictes que celles qui sont appliquées sur le terrain des articles 8 à 11 de la Convention (voir Ždanoka c. Lettonie [GC], no 58278/00, § 115, CEDH 2006-IV).
64.  En effet, la notion de « limitation implicite » qui se dégage de l’article 3 du Protocole no 1 revêt une importance majeure quand il s’agit de déterminer la légitimité des buts poursuivis par les restrictions aux droits garantis par cette disposition (Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, § 52). Etant donné que l’article 3 du Protocole no 1 n’est pas limité par une liste précise de « buts légitimes », tels que ceux qui sont énumérés aux articles 8 à 11 de la Convention, les Etats contractants peuvent librement se fonder sur un but qui ne figure pas dans une telle liste pour justifier une restriction, sous réserve que la compatibilité de ce but avec le principe de la prééminence du droit et les objectifs généraux de la Convention soit démontrée dans les circonstances particulières d’une affaire donnée (Ždanoka, loc. cit.). Néanmoins, il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur l’observation des exigences de l’article 3 du Protocole no 1 ; il lui faut s’assurer que les conditions auxquelles sont subordonnés le droit de vote ou celui de se porter candidat à des élections ne réduisent pas les droits dont il s’agit au point de les atteindre dans leur substance même et de les priver de leur effectivité, qu’elles satisfassent aux exigences de légalité, qu’elles poursuivent un but légitime et que les moyens employés ne se révèlent pas disproportionnés (voir Tănase c. Moldova [GC], no 7/08, § 162, CEDH 2010 (extraits) ; Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, § 52).
65.  En ce qui concerne, en particulier, la détermination du mode de scrutin, la Cour rappelle que les Etats contractants jouissent dans ce domaine d’une ample marge d’appréciation. A cet égard, l’article 3 du Protocole no 1 se borne à prescrire des élections « libres » se déroulant « à des intervalles raisonnables », « au scrutin secret » et « dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple ». Sous cette réserve, il n’engendre aucune « obligation d’introduire un système déterminé » tel que la proportionnelle ou le vote majoritaire à un ou à deux tours (Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, § 54).
66.  En effet, il existe de nombreuses manières d’organiser et de faire fonctionner les systèmes électoraux et une multitude de différences au sein de l’Europe notamment dans l’évolution historique, la diversité culturelle et la pensée politique, qu’il incombe à chaque Etat contractant d’incorporer dans sa propre vision de la démocratie (Hirst c. Royaume-Uni (no 2) [GC], no 74025/01, § 61, CEDH 2005-IX). Aux fins de l’application de l’article 3 du Protocole no 1, toute loi électorale doit s’apprécier à la lumière de l’évolution politique du pays, de sorte que des détails inacceptables dans le cadre d’un système déterminé peuvent se justifier dans celui d’un autre, pour autant du moins que le système adopté réponde à des conditions assurant la « libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif » (Yumak et Sadak c. Turquie [GC], no 10226/03, § 111, 8 juillet 2008). Par ailleurs, la Convention étant avant tout un mécanisme de protection des droits de l’homme, la Cour doit tenir compte de l’évolution de la situation dans l’Etat défendeur et dans les Etats contractants en général et réagir, par exemple, au consensus susceptible d’apparaître quant aux buts à atteindre. La présence ou l’absence d’un dénominateur commun aux systèmes juridiques des Etats contractants peut à cet égard constituer un élément pertinent pour déterminer l’étendue de la marge d’appréciation des autorités (voir Glor c. Suisse, no 13444/04, § 75, CEDH 2009-...).
67.  En outre, il convient de noter que, dans le domaine de l’article 3 du Protocole no 1, se trouve au premier plan non une obligation d’abstention ou de non-ingérence, comme pour la majorité des droits civils et politiques, mais celle, à la charge de l’Etat, d’adopter des mesures positives pour « organiser » des élections démocratiques (Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, § 50). A cet égard, la Cour tient compte aussi du fait que le droit de vote, c’est-à-dire l’aspect « actif » des droits garantis par l’article 3 du Protocole no 1, ne constitue pas un privilège. Au XXIe siècle, dans un Etat démocratique, la présomption doit jouer en faveur de l’octroi de ce droit au plus grand nombre (Hirst (no 2), précité, § 59).
68.  Il en résulte que l’exclusion du droit de vote de groupes ou catégories quelconques de la population doit se concilier avec les principes sous-tendant l’article 3 du Protocole no 1 (voir Ždanoka, précité, § 105). La Cour a notamment jugé qu’une législation interne imposant un âge minimum ou des critères de résidence pour l’exercice du droit de vote était en principe compatible avec l’article 3 du Protocole no 1 (Hirst (no 2), précité, § 62 ; Hilbe c. Liechtenstein (déc.), no 31981/96, CEDH 1999-VI). Elle a admis qu’une dérogation générale, automatique et indifférenciée au principe du suffrage universel risque de saper la validité démocratique du corps législatif ainsi élu et des lois promulguées par lui (Hirst (no 2), loc. cit.).
69.  En ce qui concerne les restrictions à l’exercice du droit de vote à l’étranger fondées sur le critère de la résidence de l’électeur, les organes de la Convention ont admis dans le passé que plusieurs raisons peuvent les justifier : premièrement, la présomption qu’un citoyen non-résident est moins directement ou moins continuellement concerné par les problèmes quotidiens de son pays et les connaît moins bien ; deuxièmement, les citoyens résidant à l’étranger ont moins d’influence sur la sélection des candidats ou sur l’établissement de leurs programmes électoraux ; troisièmement, le lien étroit entre le droit de vote aux élections législatives et le fait que l’on est directement touché par les actes des organes politiques ainsi élus ; et, quatrièmement, le souci légitime que peut avoir le législateur de limiter l’influence des citoyens résidant à l’étranger sur des élections se rapportant à des questions qui, tout en étant assurément fondamentales, touchent au premier chef les personnes qui résident dans le pays (Hilbe, décision précitée ; voir aussi, X et Association Y c. Italie, requête no 8987/80, décision de la Commission du 6 mai 1981, Décisions et rapports (DR) 24, p. 192 ; Polacco et Garofalo c. Italie, no 23450/94, décision de la Commission du 15 septembre 1997, DR 90-A, p. 5). Plus récemment, la Cour a considéré que devoir satisfaire à une condition de résidence ou de durée de résidence afin de pouvoir jouir du droit de voter au cours d’une élection ou exercer celui-ci ne constitue pas en principe une restriction arbitraire à ce droit et n’est donc pas incompatible avec l’article 3 du Protocole no 1 (Doyle c. Royaume-Uni (déc.), no 30158/06, 6 février 2007).
2.  Application de ces principes au cas d’espèce
70.  A titre préliminaire, la Cour rappelle que les requérants se plaignent de ce que le législateur grec n’a pas, à ce jour, aménagé la possibilité pour les citoyens grecs expatriés de voter aux élections législatives depuis leur lieu actuel de résidence. Partant, ce grief porte non pas sur la reconnaissance du droit de vote des expatriés proprement dit, déjà énoncé dans son principe à l’article 51 § 4 de la Constitution combiné avec l’article 4 du décret présidentiel no 96/2007, mais sur les modalités de son exercice. A l’instar de la chambre, la Grande Chambre considère donc que, en l’espèce, sa tâche consiste à examiner si, malgré l’absence de réglementation des modalités d’exercice du droit de vote, dans la présente affaire, le régime électoral grec permet « la libre expression de l’opinion du peuple » et préserve « l’essence même du droit de vote », comme l’exige l’article 3 du Protocole no 1 (Matthews c. Royaume-Uni [GC], no 24833/94, § 65, CEDH 1999-I). Cet examen se fera à la lumière de la question plus générale de savoir si l’article 3 du Protocole no 1 met à la charge des Etats l’obligation d’instaurer un système permettant l’exercice du droit de vote à l’étranger pour les citoyens expatriés.
71.  D’une manière générale, l’article 3 du Protocole no 1 ne prévoit pas la mise en œuvre par les Etats contractants de mesures favorisant l’exercice du droit de vote par les expatriés depuis leur lieu de résidence. Cependant, puisque dans un Etat démocratique la présomption doit jouer en faveur de l’octroi du droit de vote au plus grand nombre (Hirst (no 2), précité, § 59), de telles mesures cadrent avec cette disposition. La question, toutefois, est de savoir si l’article 3 du Protocole no 1 va jusqu’à les imposer. Pour y répondre, il convient d’interpréter cette disposition en ayant égard tant au droit international et comparé pertinent (voir Yumak et Sadak, précité, § 127 ; Demir et Baykara c. Turquie [GC], no 34503/97, §§ 76 et 85, 12 novembre 2008) qu’au droit national de l’Etat concerné.
72.  En ce qui concerne, d’une part, le droit international, la Cour constate que ni les traités internationaux et régionaux pertinents – tels le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention américaine relative aux droits de l’homme ou la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples – ni leur interprétation par les organes internationaux compétents ne permettent de conclure que le droit de vote des personnes absentes à titre temporaire ou permanent du territoire de l’Etat dont elles sont les ressortissants irait jusqu’à imposer aux Etats concernés d’organiser les modalités de son exercice à l’étranger (voir paragraphes 26-31 ci-dessus).
73.  Il est vrai que, afin de rendre plus effectif le droit de vote aux élections nationales, les organes du Conseil de l’Europe ont notamment invité les Etats membres à permettre à leurs citoyens vivant à l’étranger de participer autant que possible au processus électoral. Ainsi, la Résolution 1459 (2005) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (paragraphe 21 ci-dessus) indique que les Etats membres devraient prendre les mesures appropriées pour faciliter autant que possible l’exercice du droit de vote, notamment le vote par correspondance. De plus, dans sa Recommandation 1714 (2005), l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a demandé à celui-ci de développer les activités visant à améliorer les conditions permettant l’exercice effectif des droits électoraux des groupes rencontrant des difficultés particulières, parmi lesquels les expatriés. La Commission de Venise a constaté pour sa part que, depuis les années 1980, la consécration du droit de voter depuis l’étranger avait gagné du terrain en Europe. Si elle a recommandé par ailleurs que les Etats membres facilitent l’exercice des droits électoraux des expatriés, elle y a vu non pas une obligation s’imposant aux Etats. Il s’agit plutôt selon elle d’une possibilité à envisager par le législateur de chaque pays, qui est invité à mettre en balance, d’une part, le principe du suffrage universel et, d’autre part, l’impératif de sécurité du vote, ainsi que des considérations d’ordre pratique (voir notamment paragraphe 25 ci-dessus).
74.  Par ailleurs, il ressort d’une étude comparative de la législation des Etats membres du Conseil de l’Europe en la matière que si, dans leur grande majorité, ceux-ci autorisent leurs ressortissants à voter à l’étranger, certains ne le permettent pas (voir paragraphe 38 ci-dessus). Toutefois, en ce qui concerne les Etats qui autorisent ce vote, une analyse plus approfondie révèle que l’exercice par les expatriés de leur droit de vote est organisé non pas de manière uniforme, mais selon des modalités variables. A titre d’exemple, certains pays autorisent, de manière cumulative ou non, le vote dans des bureaux de vote installés à l’étranger, le vote par correspondance ou, enfin, le vote par procuration ou le vote en ligne (voir paragraphe 34 ci-dessus). La durée du séjour à l’étranger est un autre élément pris en compte par les Etats membres. Ainsi, certains limitent le vote à l’étranger aux ressortissants vivant temporairement en dehors des frontières. Dans d’autres Etats membres, les expatriés perdent le droit de vote après un certain délai (voir paragraphe 35 ci-dessus). Par ailleurs, certains Etats contractants prévoient que les expatriés élisent leurs propres représentants au parlement national, dans des circonscriptions électorales créées à l’étranger (voir paragraphe 37 ci-dessus). Enfin, dans la majorité des Etats membres qui autorisent le vote à l’étranger, les personnes qui souhaitent se prévaloir de cette possibilité doivent auparavant se faire inscrire dans un certain délai sur les listes électorales, auprès des autorités du pays d’origine ou des représentations diplomatiques ou consulaires à l’étranger (voir paragraphes 39-45 ci-dessus).
75.  Bref, aucun des instruments juridiques examinés ci-dessus ne permet de conclure que, en l’état actuel du droit, les Etats ont l’obligation de rendre possible l’exercice du droit de vote par les citoyens résidant à l’étranger. Quant aux modalités d’exercice de ce droit prévues par les Etats membres du Conseil de l’Europe qui autorisent le vote à l’étranger, elles présentent actuellement une grande variété.
76.  En ce qui concerne, d’autre part, les règles de droit interne en cause en l’espèce, la Cour observe que l’article 51 § 4 de la Constitution dispose que « les modalités d’exercice du droit de vote par les électeurs qui se trouvent en dehors du territoire national peuvent être fixées par une loi (...) ». Le Conseil Scientifique du Parlement a estimé pour sa part, dans un rapport du 31 mars 2009 portant sur le projet de loi relatif à l’exercice du droit de vote aux élections législatives par les électeurs grecs expatriés, que l’autorisation de l’exercice du droit de vote depuis l’étranger était facultative et non pas obligatoire pour le législateur, tout en soulignant que la doctrine n’était pas unanime à ce sujet (voir paragraphe 19 ci-dessus). En conclusion, il apparaît que si l’article 51 § 4 de la Constitution permet au législateur de mettre en œuvre l’exercice du droit de vote des Grecs expatriés depuis leur lieu de résidence, il ne l’y oblige pas pour autant. Dans ces conditions, et compte tenu des considérations ci-dessus (voir paragraphe 75 ci-dessus), la Cour estime qu’il ne lui revient pas d’indiquer aux autorités nationales à quel moment ni de quelle manière elles devraient mettre en œuvre l’article 51 § 4 de la Constitution.
77.  De surcroît, depuis 2000, les autorités grecques ont tenté à plusieurs reprises de mettre en œuvre les dispositions de l’article 51 § 4. Par exemple, à l’occasion de la révision constitutionnelle de 2001, le contenu de ces dispositions a été précisé, en prévoyant que le principe du vote simultané n’excluait pas l’exercice du droit de vote par correspondance ou par un autre moyen approprié, à condition que le décompte des suffrages et la proclamation des résultats soient achevés en même temps qu’au pays (voir paragraphe 16 ci-dessus).
78.  En outre, il y a lieu d’évoquer l’initiative législative prise en 2009, tendant à l’adoption de la loi prévue par l’article 51 § 4 de la Convention : un projet de loi déposé le 19 février 2009 au Parlement par les ministres des Affaires intérieures, de la Justice et de l’Economie, qui fixait les modalités d’exercice du droit de vote aux élections législatives par les électeurs grecs expatriés. Cependant, ce projet n’a pas été adopté faute d’avoir recueilli la majorité des deux tiers du nombre total des députés, requise par l’article 51 § 4 de la Constitution, tel que modifié après la révision constitutionnelle de 2001.
79.  S’agissant enfin de la situation spécifique des requérants, la Cour n’a pas de raison de douter que, comme ils l’affirment, ils entretiennent des liens continus et étroits avec la Grèce et suivent de près les développements politiques, économiques et sociaux dans leur pays, dans le but d’y participer activement. La présomption selon laquelle un citoyen non-résident serait moins directement ou moins constamment concerné par les problèmes quotidiens de son pays et les connaîtrait moins bien (voir paragraphe 69 ci-dessus), ne se vérifie donc pas en l’espèce. Toutefois, de l’avis de la Cour, cela ne suffit pas à mettre en cause le bien-fondé de la situation juridique en Grèce. En tout état de cause, les autorités compétentes ne sauraient prendre en compte chaque cas individuel dans la réglementation des modalités de l’exercice du droit de vote mais doivent énoncer une règle générale (voir Hilbe, décision précitée).
80.  Quant aux perturbations d’ordre financier, familial et professionnel qu’auraient subies les requérants s’ils avaient dû se rendre en Grèce afin de pouvoir exercer leur droit de vote lors des élections législatives de 2007, la Cour n’est pas convaincue qu’elles auraient été disproportionnées au point d’atteindre le droit de vote en question dans sa substance même.
3.  Conclusion
81.  Eu égard à ce qui précède, il n’a pas été porté atteinte, en l’espèce, à la substance même du droit de vote des requérants, protégé par l’article 3 du Protocole no 1. Partant, cette disposition n’a pas été violée.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 du Protocole no 1 de la Convention.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 15 mars 2012 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Johan Callewaert Nicolas Bratza   Adjoint au greffier Président
ARRÊT SITAROPOULOS ET GIAKOUMOPOULOS c. GRÈCE
ARRÊT SITAROPOULOS ET GIAKOUMOPOULOS c. GRÈCE 


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Non-violation de P1-3

Analyses

(P1-3) LIBRE EXPRESSION DE L'OPINION DU PEUPLE, (P1-3) VOTE, MARGE D'APPRECIATION


Parties
Demandeurs : SITAROPOULOS ET GIAKOUMOPOULOS
Défendeurs : GRECE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (grande chambre)
Date de la décision : 15/03/2012
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 42202/07
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2012-03-15;42202.07 ?

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