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24/04/2012 | CEDH | N°37197/03

CEDH | AFFAIRE MEZZAPESA ET PLATI c. ITALIE


DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE MEZZAPESA ET PLATI c. ITALIE
(Requête no 37197/03)
ARRÊT
STRASBOURG
24 avril 2012
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Mezzapesa et Plati c. Italie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un Comité composé de :
Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,   Guido Raimondi,   Helen Keller, juges,  et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 avril

2012,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouv...

DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE MEZZAPESA ET PLATI c. ITALIE
(Requête no 37197/03)
ARRÊT
STRASBOURG
24 avril 2012
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Mezzapesa et Plati c. Italie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un Comité composé de :
Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,   Guido Raimondi,   Helen Keller, juges,  et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 avril 2012,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 37197/03) dirigée contre la République italienne et dont deux ressortissants de cet Etat, M. Carlo Mezzapesa et Mme Rosaria Plati (« les requérants »), ont saisi la Cour le 11 novembre 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Les requérants sont représentés par Me A. Guida, avocat à Bernalda (Matera). Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son ancien agent, M. I.M. Braguglia, et ses anciens coagents, MM. F. Crisafulli et N. Lettieri.
3.  Le 10 novembre 2006, la requête a été communiquée au Gouvernement. En application du Protocole no 14, la requête a été attribuée à un Comité.
EN FAITITMarkFactsComplaintsStart
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4.  Les requérants, des conjoints, sont nés respectivement en 1935 et 1939 et résident à Bernalda.
A.  La procédure principale
5.  Le 30 octobre 1989, les deux requérants, propriétaires de trois terrains constructibles d’une superficie totale de 9 423 mètres carrés, assignèrent la municipalité de Bernalda (Matera) devant le tribunal de Matera. Ils demandèrent au juge de reconnaître l’illégalité de l’occupation de leurs terrains ainsi que de leur octroyer l’indemnité d’occupation et des dommages et intérêts (RG no 1349/89).
6.  Des neuf audiences fixées entre le 28 novembre 1989 et le 25 avril 1995, deux furent renvoyées d’office, deux concernaient le mandat de l’expert, deux l’examen du rapport d’expertise et une la fixation de l’audience de présentation des conclusions.
7.  Le 24 janvier 1996, les requérants et la municipalité de Bernalda parvinrent à une transaction sur une partie des terrains occupés objet de la procédure, d’une superficie de 2 643 mètres carrés. Les requérants déclarèrent accepter la somme de 79 290 000 lires, soit 40 949,87 euros (EUR), qui réglait définitivement toute prétention, présente et future, de leur part par rapport à la partie des terrains, objet de la transaction.
8.  Quant à la partie restante des terrains, d’une superficie totale de   6 780 mètres carrés, la procédure continua devant le même tribunal, l’audience suivante ayant été fixée au 9 octobre 1996. Des seize audiences fixées entre le 14 octobre 1996 et le 15 octobre 2003, deux furent renvoyées à la demande des parties ou en raison de leur absence, deux d’office, deux car l’expert n’avait pas déposé au greffe son rapport d’expertise, six concernaient l’expertise, deux la fixation de l’audience de présentation des conclusions et une la tentative de règlement amiable.
9.  Le 15 novembre 2003, lorsque la procédure était encore pendante, les requérants et la municipalité de Bernalda parvinrent à une deuxième transaction. Les requérants déclarèrent accepter la somme d’environ 73 811 EUR, qui réglait définitivement toute prétention de leur part par rapport à l’affaire litigieuse. Les requérants renonçaient à toute action en justice présente et future.
10.  Suite à cet accord, en raison de l’absence des parties, la procédure fut rayée du rôle à une date non précisée.
B.  La procédure « Pinto »
11.  Le 10 janvier 2003, les requérants saisirent la cour d’appel de Catanzaro conformément à la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto », afin de se plaindre de la durée de la procédure décrite ci-dessus. Ils demandèrent à la cour de conclure à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de condamner l’État italien au dédommagement des préjudices matériels et moraux subis. Ils demandèrent notamment   20 000 EUR chacun et soutinrent que le dommage matériel résultait du fait qu’ils n’avaient pas pu disposer des terrains occupés pour une longue période, ce qui les auraient empêchés d’en tirer profit en les revendant sur le marché immobilier.
12.  Par une décision du 6 mars 2003, dont le texte fut déposé au greffe le 13 mars 2003, la cour d’appel considéra la procédure jusqu’à la date de la décision et constata le dépassement d’une durée raisonnable. Elle rejeta la demande relative au dommage matériel au motif qu’il n’avait pas été prouvé, et accorda 2 200 EUR à chacun des requérants en équité comme réparation du dommage moral et 650 EUR pour frais et dépens. Cette décision fut notifiée à l’administration le 18 mars 2003 et acquit l’autorité de la chose jugée le 18 mai 2003.
13.  Par une lettre du 10 novembre 2003, les requérants informèrent la Cour du résultat de la procédure nationale et la prièrent de reprendre l’examen de leur requête.
14.  Par la même lettre, ils informèrent aussi la Cour qu’ils ne s’étaient pas pourvus en cassation au motif que ce recours pouvait être introduit seulement pour des questions de droit.
15.  Les sommes accordées en exécution de la décision Pinto furent payées le 28 avril 2004.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
16.  Le droit et la pratique internes pertinents figurent dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, §§ 23-31, CEDH 2006-V).
ITMarkFactsComplaintsEndEN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
17.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent de la durée de la procédure principale et de l’insuffisance de l’indemnisation « Pinto ».
18.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
19.  L’article 6 § 1 de la Convention est ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) ».
A.  Sur la recevabilité
1.  Qualité de « victime »
20.  Le Gouvernement soutient que les requérants ne peuvent plus se prétendre « victime » de la violation de l’article 6 § 1 car ils ont obtenu de la cour d’appel « Pinto » un constat de violation et un redressement approprié et suffisant. Il affirme que la cour d’appel « Pinto » a tranché l’affaire en conformité avec les paramètres indemnitaires dégagés des précédents disponibles à l’époque dans la jurisprudence de la Cour. Il souligne qu’il serait inapproprié d’apprécier l’évaluation de la cour d’appel, faite le 6 mars 2003, sur la base des paramètres introduits par la Cour lors des arrêts de la Grande Chambre du 29 mars 2006 (parmi d’autres, Cocchiarella c. Italie, précité).
21.  Les requérants contestent les allégations du Gouvernement quant aux paramètres indemnitaires découlant de la jurisprudence de la Cour antérieure à l’arrêt Cocchiarella (précité). Ils font valoir que l’enjeu du litige était particulièrement significatif, surtout au vu de leurs conditions économiques et que la somme allouée à titre d’indemnisation était manifestement en contradiction avec la jurisprudence de la Cour.
22.  La Cour, après avoir examiné l’ensemble des faits de la cause et les arguments des parties, estime qu’en se bornant à octroyer une somme de 2 200 EUR à chacun des requérants pour dommage moral, la cour d’appel de Catanzaro n’a pas réparé la violation en cause de manière appropriée et suffisante. Se référant aux principes dégagés dans sa jurisprudence (voir, entre autres, Cocchiarella c. Italie, précité, §§ 69-98) et compte tenu aussi du fait que ces requérants font partie du même foyer économique, la Cour relève en effet que la somme en question ne représente guère plus que 22 % de ce qu’elle octroie généralement dans des affaires similaires.
23.  Quant aux observations du Gouvernement relatives à une prétendue incohérence entre, d’une part, les paramètres indemnitaires dégagés dans les arrêts de la Grande Chambre du 29 mars 2006 et, d’autre part, ceux suivis dans les requêtes italiennes de durée précédemment tranchées par la Cour ainsi que dans les affaires similaires d’autres pays, la Cour rappelle qu’elle a déjà rejeté une exception semblable dans l’arrêt Aragosa c. Italie (Aragosa c. Italie, no 20191/03, §§ 17-24, 18 décembre 2007). La Cour n’aperçoit aucune raison de déroger à ses précédentes conclusions et rejette donc l’exception.
24.  La Cour considère donc qu’eu égard à l’insuffisance du redressement opéré, les requérants peuvent toujours se prétendre « victime » au sens de l’article 34 de la Convention.
2.  Conclusion
25.  La Cour constate que ce grief ne se heurte à aucun autre des motifs d’irrecevabilité inscrits à l’article 35 § 3 de la Convention. Aussi, le déclare-t-elle recevable.
B.  Sur le fond
26.  La Cour constate que la procédure principale, qui a débuté le 30 octobre 1989, a duré au moins plus de quatorze ans pour un degré de juridiction en prenant en compte la date de conclusion du règlement amiable du 15 novembre 2003 (voir § 9 ci-dessous).
27.  La Cour a traité à maintes reprises des requêtes soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté une méconnaissance de l’exigence du « délai raisonnable », compte tenu des critères dégagés par sa jurisprudence bien établie en la matière (voir, en premier lieu, Cocchiarella c. Italie, précité). N’apercevant rien qui puisse mener à une conclusion différente dans la présente affaire, la Cour estime qu’il y a également lieu de constater une violation de l’article 6 § 1.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
28.  Les requérants se plaignent également d’avoir été privés de leurs terrains de manière incompatible avec leur droit au respect des biens. En particulier, ils se plaignent de l’application rétroactive au cas d’espèce de la loi budgétaire no 662 de 1996 et des répercussions sur le dédommagement qu’ils auraient pu obtenir.
29.  La Cour relève d’emblée que, les parties ayant décidé de conclure l’affaire par deux transactions signées les 24 janvier 1996 et 15 novembre 2003, il n’y a pas eu application de la loi budgétaire no 662 de 1996. En tout état de cause, conformément à sa jurisprudence (voir Giacometti et autres c. Italie (déc.), no 34939/97, 29 mars 2001 ; Guerrera et Fusco c. Italie no 40601/98, 3 avril 2003 ; Folcheri c. Italie, (déc.), no 61839/00, 3 juin 2004), la Cour considère que lesdites transactions signées par les requérants ont eu pour effet pratique de satisfaire dans une grande mesure leurs revendications formulées sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1. Dès lors, la Cour estime qu’à la suite des transactions passées avec l’administration, les requérants ne peuvent plus se prétendre victimes de la violation dénoncée et décide de rejeter ce grief car manifestement mal fondé.
III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
30.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
31.  Les requérants réclament 10 000 euros (EUR) chacun au titre du préjudice moral pour la violation alléguée de l’article 6 § 1 de la Convention ainsi que 1 000 EUR chacun pour le retard dans le paiement de l’indemnisation « Pinto ».
32.  Selon le Gouvernement, compte tenu de l’indemnisation reçue dans le cadre du remède « Pinto », les requérants n’ont souffert aucun préjudice du fait de la procédure principale. Il soutient, en outre, que celle-ci représentait un faible enjeu pour les intéressés.
33.  La Cour estime qu’elle aurait pu accorder aux requérants pour la violation de l’article 6 § 1, en l’absence de voies de recours internes et compte tenu du fait qu’ils forment une unité économique de foyer, la somme globale de 22 000 EUR. Le fait que la cour d’appel « Pinto » ait octroyé aux requérants environ 22 % de cette somme aboutit à un résultat manifestement déraisonnable. Par conséquent, eu égard aux caractéristiques de la voie de recours « Pinto », la Cour, compte tenu de la solution adoptée dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie (précité, §§ 139-142 et 146) et statuant en équité, alloue aux requérants conjointement 5 500 EUR.
B.  Frais et dépens
34.  Justificatifs à l’appui, les requérants demandent 3 545 EUR à titre des frais et dépens.
35.  Le Gouvernement conteste ces prétentions.
36.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable d’accorder à la partie requérante la somme de 1 500 EUR au titre des frais et dépens.
C.  Intérêts moratoires
37.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de la durée excessive de la procédure et de l’insuffisance de l’indemnisation « Pinto » et irrecevable pour le surplus;
2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3.  Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser conjointement aux requérants, dans les trois mois, la somme globale de 5 500 EUR (cinq mille cinq cents euros) pour dommage moral et 1 500 EUR (mille cinq cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;
b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 avril 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Françoise Elens-Passos Isabelle Berro-Lefèvre    Greffière adjointe Présidente
ARRÊT MEZZAPESA ET PLATI c. ITALIE
ARRÊT MEZZAPESA ET PLATI c. ITALIE 


Synthèse
Formation : Cour (deuxième section comité)
Numéro d'arrêt : 37197/03
Date de la décision : 24/04/2012
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure civile ; Article 6-1 - Délai raisonnable)

Analyses

(Art. 6) DROIT A UN PROCES EQUITABLE, (Art. 6) PROCEDURE CIVILE


Parties
Demandeurs : MEZZAPESA ET PLATI
Défendeurs : ITALIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2012-04-24;37197.03 ?

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