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03/05/2012 | CEDH | N°28073/09

CEDH | AFFAIRE CANGELARIS c. GRECE


PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE CANGELARIS c. GRÈCE
(Requête no 28073/09)
ARRÊT
STRASBOURG
3 mai 2012
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Cangelaris c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un Comité composé de :
Anatoly Kovler, président,   Mirjana Lazarova Trajkovska,   Linos-Alexandre Sicilianos, juges,  et de André Wampach, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 avril 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une r...

PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE CANGELARIS c. GRÈCE
(Requête no 28073/09)
ARRÊT
STRASBOURG
3 mai 2012
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Cangelaris c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un Comité composé de :
Anatoly Kovler, président,   Mirjana Lazarova Trajkovska,   Linos-Alexandre Sicilianos, juges,  et de André Wampach, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 avril 2012,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 28073/09) dirigée contre la République hellénique et dont deux ressortissants de cet Etat, M. Panayotis Cangelaris et Mme Macris-Cangelaris (« les requérants »), ont saisi la Cour le 12 mai 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Les requérants sont représentés par Me Ch. Chrysanthakis, avocat au barreau d’Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme G. Papadaki, assesseure auprès du Conseil juridique de l’Etat.
3.  Le 4 mai 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4.  Les requérants sont nés respectivement en 1951 et 1959 et résident à Athènes.
5.  Le premier requérant était diplomate, fonctionnaire au ministère des Affaires étrangères avec le grade de conseiller A. La seconde requérante est son épouse.
6.  En 1995, le premier requérant fut nommé à l’ambassade grecque à Islamabad, au Pakistan, où il resta durant cinq ans.
7.  Le 4 avril 2001, le requérant fut déféré devant le conseil disciplinaire du ministère des Affaires étrangères pour violation des devoirs de sa fonction. Il était accusé d’avoir accordé des visas durant son mandat dans un but d’enrichissement personnel.
8.  Une enquête interne (enorki dioikitiki exetasi–EDE) avait permis de révéler que le requérant disposait d’un compte bancaire à la banque Grindlays d’Islamabad et son épouse disposait d’un compte à la banque Société Générale d’Islamabad, ainsi que des opérations relatives à ces deux comptes. Le rapport de l’EDE précisait que ces informations provenaient d’un contact entre le diplomate chargé de l’EDE et le directeur du Service de renseignements pakistanais.
9.  Le 11 mars 2002, le conseil disciplinaire jugea le requérant avait commis les actes reprochés et lui infligea une sanction disciplinaire en le révoquant.
10.  Le conseil disciplinaire considéra que le requérant accordait à des ressortissants pakistanais des visas d’entrée en Grèce, de manière illégale et en méconnaissance du dispositif Schengen, dans un but de profit personnel. Il releva que la deuxième requérante disposait, à la banque Société Générale, d’un compte bancaire d’une somme de 510 000 dollars américains dont ni elle ni le requérant ne pouvaient expliquer la provenance et que tous les dépôts avaient été faits en espèces. Il affirma avoir la certitude que cette somme provenait de rentrées d’argent illicites au Pakistan en monnaie locale convertie en dollars.
11.  Le 29 juillet 2002, le requérant introduisit un recours contre cette décision devant le Conseil d’Etat.
12.  Initialement fixée au 23 janvier 2003, l’audience fut ajournée d’office à dix reprises : aux 8 mai et 23 octobre 2003, 26 février, 17 juin et 16 décembre 2004, 16 juin et 8 décembre 2005, 13 avril et 28 septembre 2006, 8 janvier 2007. A cette date, elle fut ajournée à la demande du premier requérant au 25 janvier 2007, date à laquelle elle eut lieu.
13.  Par l’arrêt no 2474/2008 du 18 septembre 2008 (mis au net le 13 novembre 2008), le Conseil d’Etat rejeta le recours. Il confirma, après avoir examiné les éléments du dossier ainsi que les allégations du premier requérant, les constats du conseil disciplinaire du ministère des Affaires étrangères.
14.  Le Conseil d’Etat releva qu’il ressortait du dossier qu’après son poste à Islamabad, le requérant avait été nommé consul général à Hanovre, en Allemagne, mais que les autorités allemandes avaient refusé de lui donner l’exequatur car elles disposaient d’éléments qui prouvaient que le requérant, alors qu’il était en poste au Pakistan, avaient accordé de manière irrégulière un très grand nombre de visas Schengen. Ce constat était le fruit d’une coopération entre les autorités françaises, britanniques et allemandes.
15.  Le Conseil d’Etat considéra en outre que la qualification adéquate de l’infraction disciplinaire commise par le requérant était celle de « comportement indigne caractérisé au sein du service » et que, compte tenu de sa gravité, la sanction infligée en l’espèce était appropriée.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION AU REGARD DE LA DURÉE DE LA PROCÉDURE
16.  Les requérants allèguent que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
17.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
18.  La période à considérer a débuté le 29 juillet 2002, avec la saisine du Conseil d’Etat par le premier requérant et s’est terminée le 13 novembre 2008, avec la mise au net de l’arrêt no 2474/2008 du Conseil d’Etat. Elle a donc duré six ans et trois mois environ pour un degré de juridiction.
A.  Sur la recevabilité
19.  La Cour rappelle que selon l’article 34 de la Convention, elle « (...) peut être saisie d’une requête par toute personne physique (...) qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses protocoles (...) ». Il en résulte que pour satisfaire aux conditions posées par cette disposition, tout requérant doit être en mesure de démontrer qu’il est concerné directement par la ou les violations de la Convention qu’il allègue (voir, entre autres, Brumǎrescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, § 50, CEDH 1999-VII).
20.  La Cour observe que la seconde requérante n’a aucunement participé à la procédure litigieuse et ne peut dès lors se prétendre victime d’une violation à cet égard.
21.  Il s’ensuit que, pour ce qui est de la seconde requérante, le grief est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention, au sens de l’article 35 § 3, et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.
22.  S’agissant du premier requérant, la Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B.  Sur le fond
23.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement des requérants et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII). La Cour rappelle qu’une diligence particulière s’impose pour le contentieux du travail (Ruotolo c. Italie, 27 février 1992, § 17, série A no 230-D).
24.  La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Frydlender précité).
25.  Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».
Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
II.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
26.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent d’une violation de leur droit à un procès équitable en raison du défaut d’examen de leurs allégations et de réponse motivée à celles-ci ainsi que de l’utilisation des moyens de preuve illégaux. Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention, les requérants se plaignent d’une violation de leurs droits de la défense en raison d’une requalification de l’infraction disciplinaire effectuée par le Conseil d’Etat. Invoquant l’article 8 de la Convention, ils se plaignent de la révélation de leurs comptes bancaires sans leur consentement et sans que la procédure légale ait été suivie.
27. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, la Cour, dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles.
28.  Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
29.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
30.  Les requérants réclament 977 036 euros (EUR) pour leurs pertes financières. Ils réclament en outre 15 000 000 EUR et 10 000 000 EUR respectivement au titre du préjudice moral qu’ils auraient subi.
31.  Le Gouvernement invite la Cour à écarter la demande au titre du dommage matériel. Il affirme en outre qu’un constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante au titre du dommage moral.
32.  La Cour rappelle qu’elle a conclu à la violation de l’article 6 § 1 en raison du dépassement du « délai raisonnable ». Par conséquent, elle n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette donc cette demande. En revanche, elle estime qu’il y a lieu d’octroyer au premier requérant 3 000 EUR au titre du préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû par lui à titre d’impôt.
B.  Frais et dépens
33.  Les requérants demandent également 3 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 1 500 EUR pour ceux engagés devant la Cour.
34.  Le Gouvernement conteste ces prétentions. Il souligne que le requérant ne produit pas les justificatifs nécessaires des sommes qu’il réclame.
35.  La Cour rappelle que l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). Compte tenu de l’absence de tout justificatif et de sa jurisprudence en la matière, la Cour rejette la demande relative aux frais et dépens.
C.  Intérêts moratoires
36.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de la durée excessive de la procédure en ce qui concerne le premier requérant et irrecevable pour le surplus ;
2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3.  Dit
a)  que l’Etat défendeur doit verser au premier requérant, dans les trois mois, 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 mai 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
André Wampach Anatoly Kovler   Greffier adjoint Président
ARRÊT CANGELARIS c. GRÈCE
ARRÊT CANGELARIS c. GRÈCE 


Synthèse
Formation : Cour (première section comité)
Numéro d'arrêt : 28073/09
Date de la décision : 03/05/2012
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure disciplinaire ; Article 6-1 - Délai raisonnable)

Analyses

(Art. 6) DROIT A UN PROCES EQUITABLE, (Art. 6) PROCEDURE DISCIPLINAIRE


Parties
Demandeurs : CANGELARIS
Défendeurs : GRECE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2012-05-03;28073.09 ?

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