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22/05/2012 | CEDH | N°126/05

CEDH | AFFAIRE SCOPPOLA c. ITALIE (N° 3)


GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE SCOPPOLA c. ITALIE (No 3)
(Requête no 126/05)
ARRÊT
STRASBOURG
22 mai 2012
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Scoppola c. Italie (no 3),
La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
Nicolas Bratza, président,   Jean-Paul Costa,   Josep Casadevall,   Nina Vajić,   Dean Spielmann,   Peer Lorenzen,   Karel Jungwiert,   Lech Garlicki,   David Thór Björgvinsson,   Ineta Ziemele,   Mark Vil

liger,   George Nicolaou,   Işıl Karakaş,   Mihai Poalelungi,   Guido Raimondi,   Vincent A. de Gaetano, ...

GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE SCOPPOLA c. ITALIE (No 3)
(Requête no 126/05)
ARRÊT
STRASBOURG
22 mai 2012
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Scoppola c. Italie (no 3),
La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
Nicolas Bratza, président,   Jean-Paul Costa,   Josep Casadevall,   Nina Vajić,   Dean Spielmann,   Peer Lorenzen,   Karel Jungwiert,   Lech Garlicki,   David Thór Björgvinsson,   Ineta Ziemele,   Mark Villiger,   George Nicolaou,   Işıl Karakaş,   Mihai Poalelungi,   Guido Raimondi,   Vincent A. de Gaetano,   Helen Keller, juges,  et de Erik Fribergh, greffier,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 2 novembre 2011 et 28 mars 2012,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 126/05) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Franco Scoppola (« le requérant »), a saisi la Cour le 16 décembre 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Devant la Cour, le requérant a été représenté par Mes N. Paoletti et C. Sartori, avocats à Rome. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme E. Spatafora, ainsi que par ses coagentes, Mmes P. Accardo et S. Coppari.
3.  Dans sa requête, le requérant alléguait que l’interdiction du droit de vote qui lui avait été imposée consécutivement à sa condamnation au pénal portait atteinte à l’article 3 du Protocole no 1.
4.  La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Le 24 mars 2009, elle a été déclarée recevable par une chambre de ladite section, composée des juges dont le nom suit : Françoise Tulkens, Ireneu Cabral Barreto, Vladimiro Zagrebelsky, Danutė Jočienė, András Sajó, Nona Tsotsoria, Işıl Karakaş, ainsi que de Sally Dollé, greffière de section.
5.  Le 18 janvier 2011, une chambre de la deuxième section, composée des juges Françoise Tulkens, Ireneu Cabral Barreto, Vladimiro Zagrebelsky, Danutė Jočienė, Dragoljub Popović, András Sajó, Nona Tsotsoria, ainsi que de Stanley Naismith, greffier de section, a rendu un arrêt dans lequel elle a conclu, à l’unanimité, qu’il y avait eu violation de l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention.
6.  Le 15 avril 2011, le Gouvernement a demandé le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre en vertu des articles 43 de la Convention et 73 du règlement. Le 20 juin 2011, un collège de la Grande Chambre a fait droit à cette demande.
7.  La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement. Le 3 novembre 2011, le mandat de président de la Cour de Jean-Paul Costa a pris fin. Nicolas Bratza a succédé à Jean-Paul Costa en cette qualité et a assumé à partir de cette date la présidence de la Grande Chambre en l’espèce (article 9 § 2 du règlement). Jean-Paul Costa a continué de siéger après l’expiration de son mandat, en vertu des articles 23 § 3 de la Convention et 24 § 4 du règlement.
8.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des mémoires sur le fond de l’affaire.
9.  Des observations ont également été reçues du gouvernement du Royaume-Uni, qui avait exercé son droit d’intervenir (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 1 b) du règlement).
10.  Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 2 novembre 2011 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
–  pour le gouvernement défendeur  Mme P. Accardo,  coagente ;
–  pour le requérant  Me N. Paoletti, conseil ;  Me C. Sartori, conseil ;
–  pour le gouvernement du Royaume-Uni  M. D. Walton, agent ;  Mme A. Sornarajah,  agente ;  M. D. Grieve, QC, Attorney General ;  M. J. Eadie,  QC, conseil ;  Mme J. Hall,  conseillère ;  Mme P. Baker, conseillère.
La Cour a entendu en leurs déclarations Mes N. Paoletti et C. Sartori, Mme P. Accardo et M. D. Grieve.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
11.  Le requérant est né en 1940. Il est actuellement assigné à résidence à l’hôpital de San Secondo – Fidenza (Parme).
A.  La procédure pénale diligentée à l’encontre du requérant
12.  Le 2 septembre 1999, à l’issue d’une violente altercation familiale, le requérant tua son épouse et blessa l’un de ses fils. Il fut arrêté le lendemain.
13.  Au terme de l’enquête, le parquet de Rome demanda le renvoi du requérant en jugement pour meurtre, tentative de meurtre, mauvais traitements infligés aux membres de sa famille et port d’arme prohibé.
14.  Le 24 novembre 2000, à l’issue d’une procédure abrégée dont le requérant avait demandé l’application, le juge de l’audience préliminaire (giudice dell’udienza preliminare, ci-après « le GUP ») de Rome le déclara coupable de tous les chefs d’accusation retenus contre lui et constata qu’il devait être condamné à la réclusion à perpétuité. Cependant, en raison de l’adoption de la procédure abrégée, il fixa la peine à trente ans d’emprisonnement et prononça contre l’intéressé une interdiction définitive d’exercer des fonctions publiques en application de l’article 29 du code pénal (« le CP » – paragraphe 36 ci-dessous).
15.  Le juge releva que le requérant avait d’abord tenté d’étrangler sa femme avec le câble du téléphone qu’elle avait utilisé pour appeler la police puis, alors qu’elle fuyait de l’appartement avec ses enfants en courant dans les escaliers de l’immeuble, il avait tiré plusieurs fois sur son épouse à courte distance, ainsi que sur l’un de ses fils qui était remonté pour porter secours à sa mère après l’avoir précédée.
16.  Pour fixer la peine, le GUP retint des circonstances aggravantes, relevant à ce titre que le comportement délictueux du requérant avait visé des membres de sa famille et qu’il avait été déclenché par un motif futile, à savoir la conviction de l’intéressé que ses enfants étaient responsables de la panne de son téléphone portable.
17.  Le GUP ne tint pas compte du fait que le casier judiciaire de l’intéressé était vierge, élément invoqué par celui-ci à titre de circonstance atténuante. Il releva que le comportement du requérant, qui niait une partie de faits et tendait à en attribuer la responsabilité aux membres de sa famille, à qui il reprochait de s’être rebellés contre son autorité, était de nature à exclure toute volonté de repentir.
18.  Il constata enfin que, d’après les témoignages recueillis, le requérant s’était rendu responsable d’autres épisodes de violence – injures, coups, menaces avec armes – à l’encontre de son épouse et de ses enfants au cours des vingt années précédentes.
19.  Les recours respectivement formés par le parquet général et le requérant contre ce jugement furent portés devant la cour d’assises d’appel de Rome qui, par un arrêt du 10 janvier 2002, condamna l’intéressé à la réclusion à perpétuité. La cour d’assises confirma les conclusions du GUP quant aux circonstances tant aggravantes qu’atténuantes à prendre en compte dans l’affaire.
20.  Par un arrêt déposé au greffe le 20 janvier 2003, la Cour de cassation rejeta le pourvoi que le requérant avait formé devant elle.
21.  En application de l’article 29 du CP, la condamnation du requérant à perpétuité fut assortie d’une peine accessoire d’interdiction définitive d’exercer des fonctions publiques, en conséquence de quoi l’intéressé fut privé définitivement de son droit de vote, conformément à l’article 2 du décret du Président de la République no 223 du 20 mars 1967 (« le D.P.R. no 223/1967 » – paragraphe 33 ci-dessous).
22.  Les arrêts concluant à la condamnation du requérant ne mentionnèrent pas que celui-ci avait été privé de son droit de vote.
B.  La procédure introduite par le requérant en vue de recouvrer son droit de vote
23.  Le 2 avril 2003, la commission électorale compétente raya le nom du requérant des listes électorales, en application de l’article 32 du D.P.R. no 223/1967 (paragraphe 35 ci-dessous).
24.  Le 30 juin 2004, l’intéressé introduisit un recours devant la commission électorale. S’appuyant, entre autres, sur l’arrêt Hirst c. Royaume-Uni (no 2) (no 74025/01, 30 mars 2004), il alléguait que la privation de son droit de vote était incompatible avec l’article 3 du Protocole no 1.
25.  Débouté de son recours, le requérant saisit la cour d’appel de Rome le 16 juillet 2004, soutenant que la radiation de son nom des listes électorales qui découlait de plein droit de sa condamnation à la réclusion à perpétuité et de l’interdiction définitive d’exercer des fonctions publiques emportait violation de son droit de vote tel que garanti par l’article 3 du Protocole no 1.
26.  Par un arrêt déposé le 29 novembre 2004, la cour d’appel débouta l’intéressé. Elle souligna que, en droit italien, la mesure litigieuse n’était appliquée que pour les délits les plus graves passibles des sanctions les plus lourdes, notamment la réclusion à perpétuité, tandis que la privation du droit de vote en cause dans l’affaire Hirst no 2 (précitée) était applicable à toute personne condamnée à une peine de réclusion et n’impliquait pas une mise en balance des intérêts concurrents et de la proportionnalité de l’interdiction. Elle en conclut que l’automaticité de l’application de l’interdiction incriminée à toute peine de réclusion faisait défaut dans l’affaire concernant le requérant.
27.  Le requérant se pourvut en cassation, alléguant notamment que la privation du droit de vote était une conséquence de la peine accessoire d’interdiction d’exercer des fonctions publiques, qui découlait elle-même de la peine principale infligée. Selon lui, la privation litigieuse était donc sans rapport avec le délit commis et l’application de cette mesure échappait totalement au pouvoir d’appréciation de l’autorité judiciaire.
28.  Par un arrêt déposé le 17 janvier 2006, la Cour de cassation débouta le requérant de son pourvoi. Elle rappela tout d’abord que, dans son arrêt Hirst no 2 du 6 octobre 2005 (Hirst c. Royaume-Uni (no 2) [GC], no 74025/01, § 77, CEDH 2005-IX), la Grande Chambre avait noté que la privation du droit de vote au Royaume-Uni « concern[ait] (...) une grande fraction des personnes incarcérées et toutes sortes de peines d’emprisonnement, allant d’un jour à la réclusion à perpétuité, et d’infractions allant d’actes relativement mineurs aux actes les plus graves ». Se référant à l’article 29 du CP, elle releva ensuite que, en droit italien, la privation du droit de vote n’était appliquée qu’en cas de condamnation à une peine privative de liberté d’au moins trois ans, que cette mesure ne durait que cinq ans lorsque la peine infligée était inférieure à cinq ans d’emprisonnement, et qu’elle ne pouvait revêtir un caractère définitif qu’en cas de condamnation à une peine d’emprisonnement d’au moins cinq ans ou à la réclusion à perpétuité.
C.  La réduction de la peine du requérant consécutive à l’arrêt Scoppola c. Italie (no 2)
29.  Le 24 mars 2003, le requérant introduisit une requête devant la Cour, alléguant notamment que sa condamnation à perpétuité enfreignait les articles 6 et 7 de la Convention.
30.  Par un arrêt du 17 septembre 2009, la Grande Chambre de la Cour conclut à la violation de ces dispositions (voir Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, 17 septembre 2009).
31.  Sur le terrain de l’article 46 de la Convention, elle s’exprima ainsi : « eu égard aux circonstances particulières de l’affaire et au besoin urgent de mettre fin à la violation des articles 6 et 7 de la Convention, la Cour estime donc qu’il incombe à l’Etat défendeur d’assurer que la réclusion criminelle à perpétuité infligée au requérant soit remplacée par une peine conforme aux principes énoncés dans le présent arrêt, à savoir une peine n’excédant pas trente ans d’emprisonnement » (Scoppola no 2 précité, § 154).
32.  Donnant suite à cette décision par un arrêt déposé au greffe le 28 avril 2010, la Cour de cassation rabattit son arrêt du 20 janvier 2003 (paragraphe 20 ci-dessus), annula l’arrêt rendu par la cour d’assises d’appel de Rome le 10 janvier 2002 (paragraphe 19 ci-dessus) pour autant qu’il concernait la peine applicable et fixa la peine du requérant à trente ans de réclusion.
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
A.  L’interdiction du droit de vote
33.  En droit italien, l’interdiction d’exercer des fonctions publiques (article 28 du CP), qui emporte déchéance du droit de vote (D.P.R. no 223/1967), est une peine accessoire qui accompagne les peines – quelle qu’en soit la durée – infligées pour certaines infractions bien précises, telles que le péculat, la malversation, la concussion et l’agiotage (délits punis par les articles 314, 316 bis, 317 et 501 du CP respectivement), pour des atteintes à l’administration de la justice – telles que le faux serment d’une partie, la fausse expertise, la fausse traduction, l’entrave à la justice et l’assistance déloyale (délits punis par les articles 371, 373, 377 et 380 du CP respectivement), et pour des infractions liées à un abus ou à un détournement de pouvoirs de puissance publique (article 31 du CP).
34.  En outre, toute condamnation pour une infraction punie d’une peine privative de liberté est assortie de l’interdiction d’exercer des fonctions publiques. Celle-ci est temporaire lorsque la peine infligée est d’une durée non inférieure à trois ans, ou définitive lorsque la peine est d’une durée non inférieure à cinq ans ainsi qu’en cas de condamnation à la réclusion à perpétuité. Les dispositions pertinentes du droit interne sont exposées ci-après.
35.  Les passages pertinents du D.P.R. no 223/1967 (portant approbation du texte unique des lois pour l’organisation de l’électorat actif et pour la tenue et la révision des listes électorales) se lisent comme suit :
Article 2
« 1. Ne peuvent voter :
d) les personnes condamnées à une peine emportant interdiction définitive d’exercer des fonctions publiques (...).
e) les personnes frappées par une interdiction temporaire d’exercer des fonctions publiques, pour la durée de celle-ci.
2. Les jugements au pénal n’emportent perte du droit électoral qu’à partir du moment où ils ont acquis force de chose jugée. »
Article 32
« 1.  Aucune modification ne peut être apportée aux listes électorales (...) sauf dans le cas [suivants] :
3) perte du droit électoral en vertu d’un jugement ou d’autres mesures émanant d’une autorité judiciaire.
7)  Les décisions de modification des listes électorales sont susceptibles de recours devant la commission électorale compétente dans un délai de dix jours. La commission statue dans un délai de quinze jours (...). »
Article 42
« Les décisions de la commission électorale (...) sont susceptibles de recours devant la cour d’appel compétente. »
36.  Les dispositions pertinentes du CP  sont ainsi libellées :
Article 28
(Interdiction d’exercer des fonctions publiques)
« L’interdiction d’exercer des fonctions publiques est définitive ou temporaire.
A moins que la loi n’en dispose autrement, l’interdiction définitive d’exercer des fonctions publiques entraîne la déchéance, pour la personne condamnée :
1)  du droit de vote et d’éligibilité dans tout groupe électoral (comizio elettorale) ainsi que de tout autre droit politique.
Article 29
(Cas dans lesquels une condamnation emporte interdiction d’exercer des fonctions publiques)
« La condamnation à une peine de réclusion à perpétuité et la condamnation à une peine de réclusion d’une durée non inférieure à cinq ans emportent, pour la personne condamnée, interdiction définitive d’exercer des fonctions publiques ; la condamnation à une peine de réclusion d’une durée non inférieure à trois ans emporte interdiction d’exercer des fonctions publiques pour une durée de cinq ans (...). »
B.  Dispositions applicables à la fixation de la peine
37.  Les articles 132 et 133 du CP contiennent des dispositions visant à guider le juge du fond dans l’exercice de son pouvoir de fixation de la peine. Ils se lisent comme suit :
Article 132
(Pouvoir discrétionnaire du juge dans la fixation de la peine: limites)
« Dans les limites fixées par la loi, le juge fixe la peine de façon discrétionnaire. Il doit indiquer les motifs propres à justifier l’usage dudit pouvoir discrétionnaire.
Il peut augmenter ou réduire la peine établie par la loi sans toutefois pouvoir excéder les limites établies par elle pour chaque catégorie de peine, sauf dans les cas expressément prévus par la loi. »
Article 133
(Gravité de l’infraction : évaluation des effets de la peine)
« Dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire mentionné à l’article précédent, le juge doit tenir compte de la gravité de l’infraction selon :
1) la nature, le type, les moyens, l’objet, le temps, le lieu et toute autre modalité de l’acte délictueux ;
2) la gravité du préjudice ou du danger causé à la victime de l’infraction ;
3) l’intensité de l’élément intentionnel ou le degré de culpabilité.
Le juge doit également tenir compte de l’aptitude à commettre un crime (capacità a delinquere) de l’auteur de l’infraction eu égard :
1) aux mobiles de l’infraction (motivi a delinquere) et à l’intention de l’auteur de celle-ci (reo) ;
2) aux antécédents pénaux et judiciaires et, en général, à la conduite et à la vie de l’auteur de l’infraction avant la commission de celle-ci ;
3) à la conduite de l’auteur de l’infraction pendant et après la commission de celle-ci;
4) aux conditions de vie personnelle, familiale et sociale de l’auteur de l’infraction. »
C.  La réhabilitation du condamné
38.  Les articles 178 et 179 du CP contiennent des dispositions en matière de réhabilitation de la personne condamnée. Leurs passages pertinents se lisent comme suit :
Article 178
(La réhabilitation)
« La réhabilitation met fin aux peines accessoires et à tout autre effet pénal de la condamnation, sauf si la loi en dispose autrement. »
Article 179
(Conditions de la réhabilitation)
« La réhabilitation peut être accordée trois ans après le jour où la peine principale a été exécutée ou s’est autrement éteinte et lorsque la personne qui a été condamnée a fait preuve d’une bonne conduite effective et constante. (...). »
D.  La loi no 354 de 1975
39.  La loi no 354 du 26 juillet 1975 prévoit, entre autres, la possibilité d’une libération anticipée des condamnés. Dans ses parties pertinentes, son article 54 § 1 se lit comme suit :
« En vue d’une meilleure réinsertion dans la société, la personne condamnée à une peine de réclusion ayant fait preuve de participation au projet de réadaptation peut bénéficier d’une réduction de peine de quarante-cinq jours pour chaque semestre de peine purgée (...). »
III.  DOCUMENTS INTERNATIONAUX ET EUROPÉENS PERTINENTS
A.  Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (adopté par l’Assemblée Générale des Nations unies le 16 décembre 1966)
40.  Les dispositions pertinentes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques sont ainsi libellées :
Article 10
« 1.  Toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine.
3.  Le régime pénitentiaire comporte un traitement des condamnés dont le but essentiel est leur amendement et leur reclassement social. (...). »
Article 25
« Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l’article 2 [race, couleur, sexe, langue, religion, opinion politique ou autre, origine nationale ou sociale, fortune, naissance ou toute autre situation] et sans restrictions déraisonnables :
a)  de prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis ;
b)  de voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs;
c)  d’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays. »
B.  Comité des droits de l’homme des Nations unies
41.  Dans son observation générale no 25 (1996) sur l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le comité s’est exprimé ainsi :
« 14. Dans leurs rapports, les Etats parties devraient préciser les motifs de privation du droit de vote et les expliquer. Ces motifs devraient être objectifs et raisonnables. Si le fait d’avoir été condamné pour une infraction est un motif de privation du droit de vote, la période pendant laquelle l’interdiction s’applique devrait être en rapport avec l’infraction et la sentence. Les personnes privées de leur liberté qui n’ont pas été condamnées ne devraient pas être déchues du droit de vote. »
42.  Dans l’affaire Yevdokimov et Rezanov c. Fédération de Russie (communication no 1410/2005, du 21 mars 2011), le comité, se référant à l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire Hirst (no2) [GC] (précité), a déclaré ce qui suit :
« (...) l’Etat partie, dont la législation prévoit que toute personne condamnée à une peine d’emprisonnement est automatiquement privée du droit de vote, n’a avancé aucun argument montrant qu’en l’espèce les restrictions présentaient le caractère raisonnable qu’exige le Pacte. Compte tenu des faits de l’espèce, le Comité conclut qu’il y a eu violation de l’article 25 et du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte (...) ».
C.  Convention américaine relative aux droits de l’homme du 22 novembre 1969
43.  L’article 23 de la Convention américaine, intitulé « droits politiques », se lit ainsi :
« 1. Tous les citoyens doivent jouir des droits et facultés ci-après énumérés :
a. de participer à la direction des affaires publiques, directement ou par l’intermédiaire de représentants librement élus;
b. d’élire et d’être élus dans le cadre de consultations périodiques authentiques, tenues au suffrage universel et égal, et par scrutin secret garantissant la libre expression de la volonté des électeurs, et
c. d’accéder, à égalité de conditions générales, aux fonctions publiques de leur pays.
2. La loi peut réglementer l’exercice des droits et facultés mentionnés au paragraphe précédent, et ce exclusivement pour des motifs d’âge, de nationalité, de résidence, de langue, de capacité de lire et d’écrire, de capacité civile ou mentale, ou dans le cas d’une condamnation au criminel prononcée par un juge compétent. »
D.  Code de bonne conduite en matière électorale (Commission de Venise)
44.  Ce document, adopté par la Commission européenne pour la démocratie par le droit (« la Commission de Venise ») lors de sa 51e session plénière (5-6 juillet 2002) et soumis à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe le 6 novembre 2002, contient les lignes directrices élaborées par la Commission sur les circonstances dans lesquelles il peut y avoir privation du droit de vote ou d’éligibilité. Ses passages pertinents se lisent comme suit :
« i.  une exclusion du droit de vote et de l’éligibilité peut être prévue, mais elle est soumise aux conditions cumulatives suivantes :
ii.  elle doit être prévue par la loi ;
iii.  elle doit respecter le principe de la proportionnalité ; l’exclusion de l’éligibilité peut être soumise à des conditions moins sévères que celle du droit de vote ;
iv.  elle doit être motivée par une interdiction pour motifs liés à la santé mentale ou des condamnations pénales pour des délits graves ;
v.  en outre, l’exclusion des droits politiques ou l’interdiction pour motifs liés à la santé mentale doivent être prononcées par un tribunal dans une décision spécifique. »
IV.  ÉLÉMENTS DE DROIT COMPARÉ
A.  Le cadre législatif dans les Etats contractants
45.  Sur les quarante-trois Etats contractants ayant fait l’objet d’une étude de droit comparé, dix-neuf n’appliquent aucune restriction au droit de vote des détenus (Albanie, Azerbaïdjan, Chypre, Croatie, Danemark, Espagne, Finlande, Irlande, Lettonie, Lituanie, ex-République yougoslave de Macédoine, Moldova, Monténégro, République tchèque, Serbie, Slovénie, Suède, Suisse et Ukraine).
46.  Sept Etats prévoient la suppression automatique du droit de vote pour tous les détenus condamnés qui purgent une peine de prison (Arménie, Bulgarie, Estonie, Géorgie, Hongrie, Royaume-Uni et Russie).
47.  Les seize Etats restants (Allemagne, Autriche, Belgique, Bosnie-Herzégovine, France, Grèce, Luxembourg, Malte, Monaco, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie, Saint-Marin, Slovaquie et Turquie) forment une catégorie intermédiaire dans laquelle la privation du droit de vote est appliquée en fonction du type d’infraction et/ou à partir d’un certain seuil de gravité de la peine privative de liberté (lié à sa durée). La législation italienne en la matière se rapproche des systèmes de ce groupe de pays.
48.  Dans certains Etats appartenant à cette dernière catégorie (Allemagne, Autriche, Belgique, France, Grèce, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie et Saint-Marin), l’application de l’interdiction du droit de vote au condamné relève du pouvoir d’appréciation du juge pénal. En Grèce et au Luxembourg, la déchéance du droit de vote s’applique de plein droit pour les infractions particulièrement graves.
B.  Autres éléments jurisprudentiels pertinents
1.  Canada
49.  En 1992, la Cour suprême du Canada avait annulé à l’unanimité une disposition législative interdisant à tous les détenus de voter (Sauvé c. Canada (no 1), Recueil de la Cour suprême, 1992, vol. 2, p. 438). Des amendements furent introduits pour limiter l’interdiction aux détenus purgeant une peine de deux ans ou plus. La Cour d’appel fédérale confirma cette disposition. Toutefois, la Cour suprême a dit le 31 octobre 2002 dans l’affaire Sauvé c. le procureur général du Canada (no 2), par cinq voix contre quatre, que l’alinéa 51 e) de la loi électorale du Canada de 1985, qui prive du droit de vote toute personne détenue dans un établissement correctionnel pour y purger une peine de deux ans ou plus, était inconstitutionnel, car contraire aux articles 1 et 3 de la Charte canadienne des droits et libertés, aux termes desquels :
« 1.  La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. »
« 3.  Tout citoyen canadien a le droit de vote et est éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales. »
50.  Selon la juge en chef Beverley McLachlin, qui s’exprimait au nom de la majorité, le droit de vote est un droit fondamental pour la démocratie canadienne et la prééminence du droit, et il ne peut être écarté à la légère. Les restrictions à ce droit exigent non pas une retenue judiciaire, mais un examen approfondi. La majorité a estimé que le gouvernement n’avait pas réussi à cerner les problèmes spécifiques nécessitant la privation du droit de vote et que cette mesure ne répondait pas au critère de la proportionnalité, en particulier parce que le gouvernement n’était pas parvenu à établir un lien rationnel entre la privation du droit de vote et les objectifs poursuivis par la mesure, à savoir, accroître le sens civique et le respect de l’Etat de droit et infliger une sanction appropriée.
51.  Selon l’opinion de la minorité, exprimée par le juge Gonthier, les objectifs de la mesure étaient urgents et réels et se fondaient sur une philosophie sociale ou politique à la fois raisonnable et rationnelle (pour plus de détails sur ces opinions, notamment en ce qui concerne les objectifs poursuivis par la mesure litigieuse, voir Hirst (no 2) [GC] précité, §§ 36-37).
2.  Afrique du Sud
a)  L’affaire August and Another v. Electoral Commission and Others (CCT8/99:1999 (3) SA 1)
52.  Le 1er avril 1999, la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud a examiné la demande que des détenus avaient présentée pour obtenir une déclaration et une ordonnance contraignant la Commission électorale à prendre des mesures qui leur permettent, ainsi qu’à d’autres détenus, de s’inscrire sur les listes électorales et de voter pendant leur séjour en prison. Elle a relevé que dans la Constitution sud-africaine le droit de tout citoyen adulte de participer aux élections législatives était énoncé de manière absolue et elle a souligné l’importance de ce droit :
« L’universalité du droit de vote est importante non pas seulement pour la nation et la démocratie. Le fait que tous les citoyens sans exception jouissent du droit de vote est une marque de reconnaissance de la dignité et de l’importance de la personne. Au sens littéral, cela signifie que chacun compte. »
53.  La Cour constitutionnelle a jugé que, par sa nature même, le droit de vote entraînait des obligations positives pour les pouvoirs législatif et exécutif et que la loi électorale devait être interprétée de manière à donner effet aux déclarations, garanties et responsabilités constitutionnelles. Elle a relevé que beaucoup de sociétés démocratiques limitaient le droit de vote de certaines catégories de détenus. Bien que la Constitution ne renferme aucune disposition de ce genre, elle a reconnu qu’il était possible d’instaurer des restrictions à l’exercice des droits fondamentaux, à condition que celles-ci soient notamment raisonnables et justifiables.
54.  La question de savoir si la législation frappant les détenus d’interdiction était justifiée au regard de la Constitution n’a pas été soulevée dans la procédure et la Cour constitutionnelle a souligné que son arrêt ne devait pas être interprété comme empêchant le Parlement de priver certaines catégories de détenus du droit de vote. En l’absence d’une telle législation, les détenus disposaient du droit constitutionnel de voter et ni la commission électorale ni elle-même n’avaient le pouvoir de les en priver. Elle a conclu que la Commission était tenue de prendre des mesures raisonnables afin de permettre aux détenus de voter.
b)  L’affaire Minister of Home Affairs v. National Institute for Crime Prevention and the Reintegration of Offenders (NICRO) (no 3/04 du 3 mars 2004)
55.  La Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud a été saisie de la question de savoir si l’amendement de 2003 à la loi électorale prévoyant la suppression du droit de vote des personnes détenues condamnées à une peine de prison ferme sans possibilité de s’acquitter d’une amende en contrepartie de leur remise en liberté (person serving a sentence of imprisonment without the option of a fine) était compatible avec la Constitution.
56.  Par neuf voix contre deux, la Cour constitutionnelle a conclu à l’inconstitutionnalité de la mesure en question et a ordonné à la commission électorale de prendre les mesures nécessaires afin de permettre aux détenus de voter aux élections.
57.  L’un des juges majoritaires, le juge Chaskalson, a estimé que dans des affaires de ce genre, où était en cause une interdiction de voter dont l’objectif n’allait pas de soi et qui était imposée par le gouvernement à un groupe de citoyens, il était nécessaire de fournir à la Cour constitutionnelle des informations suffisantes afin qu’elle comprenne quel était le but de ladite interdiction. Il a ajouté que, lorsque le gouvernement invoquait des considérations d’ordre politique (policy considerations), la Cour devait être suffisamment informée pour pouvoir examiner et évaluer la politique en question (points nos 65 et 67 de l’arrêt). Il a également relevé qu’il s’agissait d’une interdiction absolue (blanket exclusion) frappant toute personne condamnée à une peine de prison ferme, et qu’aucune information concernant la gravité de l’infraction, les personnes pouvant faire l’objet d’une telle mesure et le nombre de celles qui pouvaient être déchues de leur droit de vote pour des infractions mineures n’avait été donnée à la Cour.
58.  L’un des juges minoritaires, le juge Madala, a considéré que la déchéance temporaire du droit de vote et le rétablissement de celui-ci après la remise en liberté répondaient à l’objectif du gouvernement de ménager un juste équilibre entre la jouissance des droits individuels et le respect des valeurs primordiales de la société, tout particulièrement dans un pays au taux de criminalité très élevé tel que l’Afrique du Sud (points nos 116 et 117 de l’arrêt).
3.  Australie
59.  La High Court d’Australie a annulé par quatre voix contre deux l’interdiction générale du droit de vote qui avait remplacé l’interdiction prévue par la législation antérieure, laquelle ne s’appliquait qu’aux condamnations d’une durée égale ou supérieure à trois ans (voir Roach v. Electoral Commissioner [2007] HCA 43 (26 septembre 2007)).
60.  Pour se prononcer ainsi, la High Court a relevé notamment que l’ancienne législation tenait compte de la gravité de l’infraction commise en tant qu’indice de la culpabilité et de l’incapacité temporaire de la personne condamnée à participer au processus électoral, au-delà du simple fait de son emprisonnement (point no 98 de l’arrêt).
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DU PROTOCOLE No 1
61.  Le requérant se plaint d’avoir été déchu de son droit de vote consécutivement à sa condamnation au pénal.
Il invoque l’article 3 du Protocole no 1, ainsi libellé :
« Les Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif. »
A.  L’arrêt de la chambre
62.  La chambre a estimé que l’interdiction du droit de vote frappant le requérant présentait les caractères d’automaticité, de généralité et d’application indifférenciée relevés dans l’arrêt Hirst no 2 ([GC], précité), raison pour laquelle elle a conclu à la violation de l’article 3 du Protocole no 1. Elle s’est exprimée ainsi :
« 48.  En l’occurrence, l’interdiction perpétuelle du droit de vote touchant le requérant était une conséquence de l’application de la peine accessoire de l’interdiction d’exercer des fonctions publiques. Cette dernière dérivait automatiquement de l’application de la peine principale consistant en la condamnation du requérant à la réclusion perpétuelle. Force est de constater donc que l’application de la mesure litigieuse était de nature automatique. A cet égard, il y a lieu de remarquer, à l’instar du requérant, qu’aucune mention de cette mesure n’est faite dans les décisions judiciaires concluant à la condamnation du requérant.
49.  Quant aux caractères de généralité et d’application indifférenciée, la Cour note que le critère établi par la loi n’a, en l’espèce, qu’une nature temporelle, le requérant ayant été déchu de son droit de vote en raison de la durée de la peine privative de sa liberté, indépendamment du délit commis et au delà de tout examen du juge du fond portant sur la nature et la gravité de celui-ci (Frodl c. Autriche, précité, §§ 34 et 35). De l’avis de la Cour, dans ce contexte, l’évaluation menée par le juge du fond lors de la détermination de la peine et la possibilité pour la personne condamnée d’obtenir un jour sa réhabilitation, telles que mentionnées par le Gouvernement (voir § 30 ci-dessus), n’enlèvent rien à ce constat. »
B.  Arguments des parties
1.  Le Gouvernement
63.  Le Gouvernement renvoie pour l’essentiel à ses observations devant la chambre (Scoppola c. Italie (no 3), no 126/05, §§ 29-33, 18 janvier 2011, ci-après « l’arrêt de chambre »).
64.  Il rappelle qu’en matière de droit de vote, les Etats contractants jouissent d’une ample marge d’appréciation (Hirst (no 2) [GC], précité, §§ 61-62) et soutient que, comme la chambre l’aurait admis implicitement au paragraphe 45 de son arrêt, l’interdiction du droit de vote imposée au requérant visait un but légitime, à savoir la prévention du crime et le respect de l’Etat de droit.
65.  Selon lui, cette mesure répondait aussi à l’exigence de proportionnalité. D’ailleurs, la Cour en aurait déjà jugé ainsi dans l’affaire M.D.U. c. Italie ((déc.), no 58540/00, 28 janvier 2003), où était en cause une interdiction du droit de vote prévue, comme en l’espèce, par l’article 29 du CP.
66.  En outre, à la différence des dispositions du système britannique critiquées dans l’affaire Hirst no 2, la déchéance du droit de vote prévue par le droit italien ne découlerait pas d’une condition subjective telle que la détention, mais de l’acquisition de la force de la chose jugée par des jugements rendus au pénal.
67.  De surcroît, l’application de l’interdiction d’exercer des fonctions publiques emportant déchéance du droit de vote serait soumise à l’appréciation du juge du fond qui, se basant sur la peine établie par la loi (pena edittale), fixerait celle applicable au cas d’espèce conformément aux articles 132 et 133 du CP (paragraphe 37 ci-dessus), en tenant compte des circonstances tant aggravantes qu’atténuantes.
68.  Au vu de ce qui précède, on ne saurait affirmer que l’interdiction du droit de vote est appliquée de manière automatique.
69.  Par ailleurs, il conviendrait de relever que, aux termes des articles 178 et 179 du CP (paragraphe 38 ci-dessus), la réhabilitation peut être demandée trois ans après le jour où la peine principale a été purgée et que, lorsqu’il est fait droit à pareille demande, les peines accessoires cessent de s’appliquer. En outre, les personnes condamnées bénéficiant de la libération anticipée (en vertu de l’article 54 de la loi no 354 de 1975 – paragraphe 39 ci-dessus) pourraient voir leur peine réduite de quarante-cinq jours par semestre de peine purgée.
70.  Enfin, le système juridique italien viserait à éviter les discriminations pouvant découler de décisions prises par le juge au cas par cas, dans un domaine sensible tel que celui des droits politiques.
2.  Le requérant
71.  Le requérant renvoie lui aussi aux observations qu’il a déposées devant la chambre (voir les paragraphes 34-36 de l’arrêt de chambre).
72.  Il soutient en outre que, en tant que peine accessoire, l’interdiction du droit de vote devrait tendre à la réadaptation du condamné. Or en l’espèce, elle ne serait que l’expression d’un jugement d’indignité morale et de réprobation sociale se heurtant au principe, généralement reconnu, du respect de la dignité humaine.
73.  Appliquée de façon automatique et généralisée à toute personne condamnée à une peine de réclusion non inférieure à cinq ans, la déchéance du droit de vote incriminée serait sans lien direct avec le type de crime commis par le requérant et les circonstances particulières de l’espèce. Dès lors, elle serait dépourvue de toute finalité préventive et dissuasive. Echappant au pouvoir d’appréciation du juge, elle ne répondrait pas non plus au critère de la proportionnalité.
74.  Enfin, la situation de l’intéressé ne saurait être considérée comme s’apparentant à celle qui était en cause dans l’affaire M.D.U. (décision précitée). Dans ce dernier cas, l’interdiction du droit de vote aurait découlé de l’application de l’article 6 de la loi no 516 de 1982, disposition portant interdiction à toute personne condamnée pour certaines infractions fiscales d’exercer des fonctions publiques pour une durée de trois mois à deux ans. Dans ces conditions, la durée de l’interdiction aurait été fixée par le juge à la lumière des circonstances de l’espèce.
3.  Le gouvernement du Royaume-Uni, tiers intervenant (ci-après, « le tiers intervenant »)
75.  Se référant à l’arrêt Hirst no 2 ([GC], précité, § 61), à l’opinion dissidente commune aux juges Wildhaber, Costa, Lorenzen, Kovler et Jebens jointe à l’arrêt en question ainsi qu’à l’arrêt Greens et M.T. c. Royaume-Uni (nos 60041/08 et 60054/08, § 113-114, 23 novembre 2010), le tiers intervenant souligne d’abord que les Etats contractants jouissent d’une ample marge d’appréciation en matière de droit de vote. Chaque Etat devrait donc pouvoir adopter le système juridique qui lui est propre selon sa politique sociale (social policy) et choisir librement le pouvoir – législatif, exécutif ou judiciaire – jugé par lui compétent pour se prononcer sur le droit de vote des détenus.
76.  En effet, un système prévoyant l’interdiction du droit de vote des détenus condamnés pour la durée au cours de laquelle ils purgent leur peine ne saurait passer pour un instrument sans nuances (Hirst (no 2) [GC] précité, § 82). En premier lieu, l’interdiction litigieuse poursuivrait un but légitime en ce qu’elle viserait à renforcer le sens civique ainsi que le respect de l’Etat de droit et tendrait à inciter à un comportement citoyen (ibidem, § 74). En  second lieu, le lien entre l’infraction commise et le but poursuivi par l’interdiction serait établi puisque celle-ci ne frapperait que les auteurs d’infractions d’une gravité suffisante pour mériter une peine d’emprisonnement.
77.  Dans ces conditions, le système britannique interdisant l’exercice du droit de vote à un groupe de personnes, à savoir les détenus condamnés, répondrait à la marge d’appréciation accordée aux Etats membres en la matière. L’interdiction en cause ne saurait donc être qualifiée de manifestement arbitraire.
78.  En conséquence, les conclusions auxquelles la Cour est parvenue dans l’arrêt Hirst (no 2) ([GC], précité) seraient erronées et celle-ci devrait revenir sur cette jurisprudence.
79.  A cet égard, il conviendrait de signaler que la question de la compatibilité de la législation du Royaume-Uni avec les lignes directrices établies dans cette affaire a été discutée le 10 février 2011 au sein de la chambre basse du Parlement (House of Commons). Par 234 voix contre 22, celle-ci se serait opposée à ce que la portée de l’article 3 de la loi de 1983 (Representation of the People Act 1983) soit restreinte.
80.  Enfin, l’article 3 du Protocole no 1 n’exigerait pas que l’interdiction du droit de vote soit imposée au cas par cas par une décision judiciaire. Dans l’arrêt Frodl c. Autriche (no 20201/04, 8 avril 2010), la Cour n’aurait jamais indiqué vouloir étendre le sens ou la portée de l’arrêt Hirst (no 2), ainsi qu’il ressortirait notamment du paragraphe 28, qui indiquerait expressément que la mesure d’interdiction devrait « de préférence » être appliquée non pas sur la base de la seule loi, mais à la suite d’une décision d’un juge dans le cadre d’une procédure judiciaire. Cela se trouverait confirmé également par l’arrêt Greens et M.T. (précité, § 113).
C.  Appréciation de la Cour
1.  Principes généraux
81.  La Cour rappelle que l’article 3 du Protocole no 1 garantit des droits subjectifs, dont le droit de vote et celui de se porter candidat à des élections (Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, 2 mars 1987, §§ 46-51, série A no 113).
82.  Elle relève aussi que les droits protégés par cet article sont cruciaux pour l’établissement et le maintien des fondements d’une véritable démocratie régie par l’Etat de droit (Hirst (no 2) [GC] précité, § 58). En outre, le droit de vote ne constitue pas un privilège. Au XXIe siècle, dans un Etat démocratique, la présomption doit jouer en faveur de l’octroi de ce droit au plus grand nombre et le suffrage universel est désormais le principe de référence (Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, § 51 et Hirst (no 2) [GC] précité, § 59). Elle observe que les droits en cause figurent aussi dans l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (paragraphe 40 ci-dessus).
83.  Néanmoins, les droits consacrés par l’article 3 du Protocole no 1 ne sont pas absolus : il y a place pour des limitations implicites et les Etats contractants doivent se voir accorder une marge d’appréciation en la matière. La Cour a affirmé à maintes reprises que la marge d’appréciation en ce domaine est large (Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, § 52 ; Matthews c. Royaume-Uni [GC], no 24833/94, § 63, CEDH 1999-I; Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 201, CEDH 2000-IV ; et Podkolzina c. Lettonie, no 46726/99, § 33, CEDH 2002-II). Il existe de nombreuses manières d’organiser et de faire fonctionner les systèmes électoraux et une multitude de différences au sein de l’Europe notamment dans l’évolution historique, la diversité culturelle et la pensée politique, qu’il incombe à chaque Etat contractant d’incorporer dans sa propre vision de la démocratie (Hirst (no 2) [GC] précité, § 61).
84.  Cependant, il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur l’observation des exigences de l’article 3 du Protocole no 1 ; il lui faut s’assurer que les limitations ne réduisent pas les droits dont il s’agit au point de les atteindre dans leur substance même et de les priver de leur effectivité, qu’elles poursuivent un but légitime et que les moyens employés ne se révèlent pas disproportionnés (Mathieu-Mohin et Clerfayt précité, § 52). En particulier, aucune des conditions imposées le cas échéant ne doit entraver la libre expression du peuple sur le choix du corps législatif – autrement dit, elles doivent refléter, ou ne pas contrecarrer, le souci de maintenir l’intégrité et l’effectivité d’une procédure électorale visant à déterminer la volonté du peuple par l’intermédiaire du suffrage universel. En outre, toute dérogation au principe du suffrage universel risque de saper la validité démocratique du corps législatif ainsi élu et des lois promulguées par lui. L’exclusion de groupes ou catégories quelconques de la population doit en conséquence se concilier avec les principes sous-tendant l’article 3 du Protocole no 1 (Hirst (no 2) [GC] précité, § 62).
85.  La Cour a examiné la question des restrictions au droit de vote des détenus condamnés dans l’affaire Hirst (no 2). Elle a estimé que, dans un domaine où les Etats contractants avaient adopté un certain nombre de méthodes différentes pour traiter cette question, elle devait se borner « à déterminer si la restriction applicable à tous les détenus condamnés purgeant leur peine outrepass[ait] une marge d’appréciation acceptable et laisser le législateur choisir les moyens de garantir les droits énoncés à l’article 3 du Protocole no 1 » (Hirst (no 2) [GC] précité, § 84 ; voir également Greens et M.T. précité, §§ 113 et 114).
86.  Après avoir examiné les circonstances particulières de l’affaire Hirst (no 2), elle a considéré que la législation du Royaume-Uni privant tout détenu condamné du droit de vote pendant sa détention (article 3 de la loi de 1983) était « un instrument sans nuances, qui dépouill[ait] du droit de vote, garanti par la Convention, un grand nombre d’individus, et ce de manière indifférenciée ». Elle a estimé que cette disposition « inflige[ait] une restriction globale à tous les détenus condamnés purgeant leur peine et s’appliqu[ait] automatiquement à eux, quelle que [fût] la durée de leur peine et indépendamment de la nature ou de la gravité de l’infraction qu’ils [avaient] commise et de leur situation personnelle ». Elle a conclu que « pareille restriction générale, automatique et indifférenciée à un droit consacré par la Convention et revêtant une importance cruciale outrepass[ait] une marge d’appréciation acceptable, aussi large [fût]-elle, et [était] incompatible avec l’article 3 du Protocole no 1 » (Hirst (no 2) [GC], précité, § 82). Elle a également noté que « [l’interdiction du droit de vote] concern[ait] (...) une grande fraction des personnes incarcérées et toutes sortes de peines d’emprisonnement, allant d’un jour à la réclusion à perpétuité, et d’infractions, allant d’actes relativement mineurs aux actes les plus graves » (Hirst (no 2) [GC], précité, § 77).
87.  La Cour rappelle enfin qu’elle a par la suite été appelée, dans l’affaire Frodl, à juger de la compatibilité avec l’article 3 du Protocole no 1 de l’interdiction du droit de vote d’un détenu condamné en Autriche. A cette occasion, elle a considéré que le fait que la décision portant sur l’interdiction du droit de vote fût prise par un juge et qu’elle fût dûment motivée constituait un « élément essentiel » pour l’appréciation de la proportionnalité d’une telle mesure (Frodl, précité, §§ 34-35).
2.  Application de ces principes au cas d’espèce
88.  En l’espèce, la Cour doit vérifier si l’interdiction du droit de vote dont M. Scoppola a fait l’objet est compatible avec l’article 3 du Protocole no 1. Pour ce faire, elle doit d’abord déterminer s’il y a eu ingérence dans les droits garantis au requérant par cette disposition. Dans l’affirmative, elle devra ensuite se pencher sur les questions de savoir si cette ingérence poursuivait un ou plusieurs buts légitimes et si les moyens employés pour les atteindre étaient proportionnés.
a)  Sur l’existence d’une ingérence
89.  La Cour observe que, consécutivement à la peine accessoire qui lui a été infligée, le requérant a été privé de la possibilité de voter aux élections législatives. Il n’est pas contesté entre les parties qu’il en est résulté une ingérence dans le droit de vote de l’intéressé tel que garanti par l’article 3 du Protocole no 1. Il reste à établir si cette ingérence poursuivait un but légitime et était proportionnée au sens de la jurisprudence de la Cour.
b)  Sur la légitimé du but poursuivi
90.  La Cour rappelle avoir reconnu que l’interdiction du droit de vote imposée à une personne condamnée à une peine d’emprisonnement pouvait passer pour viser les buts légitimes que sont la prévention du crime et le renforcement du sens civique et du respect de l’Etat de droit (Hirst (no 2) [GC], précité, §§ 74 et 75, et Frodl précité, § 30).
91.  Elle a constaté aussi qu’en droit italien, la déchéance du droit de vote imposée à une personne condamnée à la peine accessoire d’interdiction d’exercer des fonctions publiques poursuivait l’objectif légitime du bon fonctionnement et du maintien de la démocratie (M.D.U., décision précitée).
92.  Elle ne voit pas de raison en l’espèce de s’écarter de ces conclusions, et admet donc que l’interdiction du droit de vote dont le requérant a fait l’objet poursuivait les objectifs légitimes que sont le renforcement du sens civique et du respect de l’Etat de droit ainsi que le bon fonctionnement et le maintien de la démocratie.
c)  Sur la proportionnalité de l’ingérence
i.  Sur la question de savoir s’il y a lieu de confirmer les principes affirmés dans l’arrêt Hirst
93.  Dans ses observations, le tiers intervenant soutient que les conclusions de la Grande Chambre dans l’affaire Hirst (no 2) sont erronées et demande à la Cour de revenir sur cette jurisprudence. Il avance notamment que l’interdiction du droit de vote applicable à un groupe de personnes, tel que les détenus condamnés, est compatible avec la marge d’appréciation accordée aux Etats membres en la matière. L’interdiction litigieuse ne frappant que les auteurs d’infractions dont la gravité est de nature à entraîner une peine d’emprisonnement, elle ne saurait être qualifiée de manifestement arbitraire. A cet égard, il conviendrait de signaler que la question de la compatibilité de la législation du Royaume-Uni avec les lignes directrices établies par la Cour aurait fait récemment l’objet d’un débat au sein du Parlement (paragraphes 75-80 ci-dessus).
94.  La Cour rappelle que, sans qu’elle soit formellement tenue de suivre ses arrêts antérieurs, « il est dans l’intérêt de la sécurité juridique, de la prévisibilité et de l’égalité devant la loi qu’elle ne s’écarte pas sans motif valable de ses propres précédents. Cependant, la Convention étant avant tout un mécanisme de protection des droits de l’homme, la Cour doit tenir compte de l’évolution de la situation dans l’Etat défendeur et dans les Etats contractants en général et réagir, par exemple, au consensus susceptible de se faire jour quant aux normes à atteindre » (voir, parmi beaucoup d’autres, Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], no 28957/95, § 74, CEDH 2002-VI ; et Bayatyan c. Arménie [GC], no 23459/03, § 98, CEDH 2011-..., ainsi que la jurisprudence qui s’y trouve citée).
95.  Or, il n’apparaît pas que, depuis l’arrêt rendu dans l’affaire Hirst (no 2), il se serait produit, au niveau européen et dans le système de la Convention, un événement ou un changement quelconque susceptible d’accréditer la thèse selon laquelle les principes affirmés dans cette affaire devraient être réexaminés. Au contraire, l’analyse des instruments internationaux et européens pertinents (paragraphes 40-44 ci-dessus) et des éléments de droit comparé (paragraphes 45-60 ci-dessus) montre, tout au plus, une évolution dans le sens opposé, autrement dit vers une diminution des limitations au droit de vote des détenus condamnés.
96.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour réaffirme les principes dégagés par la Grande Chambre dans l’arrêt Hirst (paragraphes 85-86 ci-dessus), notamment le fait que ne se concilient pas avec l’article 3 du Protocole no 1 des interdictions générales du droit de vote qui touchent automatiquement un groupe indifférencié de personnes, sur la seule base de leur détention et indépendamment de la durée de leur peine, de la nature ou de la gravité de l’infraction commise et de leur situation personnelle (ibid., § 82).
ii. Sur la question de savoir si l’interdiction du droit de vote imposée aux personnes condamnées doit être prononcée par un juge
97.  La Cour observe que, dans l’arrêt rendu dans la présente affaire, la chambre a constaté une violation de l’article 3 du Protocole no 1 en soulignant l’absence de « tout examen du juge du fond portant sur la nature et la gravité [du délit commis] » (paragraphe 62 ci-dessus). A cet égard, elle s’est fondée notamment sur les conclusions auxquelles la Cour était parvenue dans l’arrêt Frodl, précité.
98.  Dans ce dernier arrêt, la Cour, définissant les critères à prendre en compte pour apprécier la proportionnalité d’une mesure d’interdiction aux fins de l’article 3 du Protocole no 1, a dit qu’il fallait avoir égard à l’automaticité et à la généralité d’une telle mesure, et qu’il était essentiel de rechercher si « la décision portant sur l’interdiction [...] [avait été] prise par un juge ». Elle a aussi jugé que pareille décision devait être dûment motivée, précisant que celle-ci « [devait] expliquer les raisons pour lesquelles, compte tenu des circonstances particulières de chaque affaire, l’interdiction litigieuse se révél[ait] nécessaire » (Frodl, précité, §§ 34-35).
99.  Ce raisonnement reflète une conception large des principes établis dans l’arrêt Hirst, que la Grande Chambre ne partage pas entièrement. En effet, l’arrêt Hirst ne mentionne pas explicitement l’intervention d’un juge parmi les éléments essentiels déterminant la proportionnalité d’une mesure d’interdiction du droit de vote. Ceux-ci se limitent à la généralité, l’automaticité et l’application indifférenciée de la mesure litigieuse, dans le sens indiqué par la Cour (paragraphes 85, 86 et 96, ci-dessus). S’il est clair que l’intervention d’un juge est en principe de nature à assurer la proportionnalité d’une restriction au droit de vote d’un détenu, une telle restriction n’est pas forcement automatique, générale et indifférenciée par cela seul qu’elle n’a pas été ordonnée par un juge. Les circonstances dans lesquelles l’interdiction du droit de vote est prononcée peuvent en effet être indiquées dans la loi, qui peut moduler l’application de la mesure en fonction d’éléments tels que la nature ou la gravité de l’infraction commise.
100.  Certes, dans sa réponse à certains arguments du gouvernement britannique, la Cour a relevé que « lorsqu’elles prononcent leur condamnation, les juridictions pénales d’Angleterre et du pays de Galles ne mentionnent nullement la privation du droit de vote » et « qu’il n’apparaît pas, au-delà du fait qu’un tribunal a jugé approprié d’infliger une peine privative de liberté, qu’il existe un lien direct entre les actes commis par un individu et le retrait du droit de vote frappant celui-ci » (Hirst (no 2) [GC] précité § 77 in fine). Il s’agit toutefois de considérations d’ordre général qui ne concernaient pas la situation particulière du requérant et qui, contrairement aux arguments tirés de la généralité, de l’automaticité et de l’application indifférenciée de l’interdiction du droit de vote, ne sont pas reprises au paragraphe 82 de l’arrêt Hirst où sont énoncés les critères permettant d’apprécier la proportionnalité de la mesure litigieuse.
101.  Par ailleurs, il ressort des éléments de droit comparé dont la Cour dispose (paragraphes 45-48 ci-dessus) qu’en matière de limitations du droit de vote des personnes condamnées, les systèmes juridiques nationaux sont très hétérogènes, notamment en ce qui concerne la possibilité que des telles limitations fassent l’objet d’une décision judiciaire. Seuls dix-neuf des Etats ayant fait l’objet de l’étude de droit comparé mentionnée ci-dessus (soit moins de la moitié d’entre eux) n’apportent aucune restriction au droit de vote des détenus condamnés. Onze des vingt-quatre Etats où ce droit connaît des restrictions plus ou moins sévères exigent une décision du juge pénal prise au cas par cas (avec, en outre, des exceptions s’agissant des peines les plus graves, comme en Grèce et au Luxembourg).
102.  Ces éléments confortent le principe selon lequel chaque Etat demeure libre d’adopter sa législation en la matière selon « l’évolution historique, la diversité culturelle et la pensée politique qu’[il lui] incombe d’incorporer dans sa propre vision de la démocratie » (Hirst (no 2) [GC] précité, § 61). En particulier, en vue de garantir les droits énoncés par l’article 3 du Protocole no 1 (Hirst (no 2) [GC] précité, § 84, et Greens et M.T. précité, § 113), les Etats contractants peuvent décider de confier au juge le soin d’apprécier la proportionnalité d’une mesure restrictive du droit de vote des détenus condamnés ou d’incorporer dans la loi des dispositions définissant les circonstances dans lesquelles une telle mesure trouve à s’appliquer. Dans cette seconde hypothèse, c’est le législateur lui-même qui met en balance les intérêts concurrents afin d’éviter toute interdiction générale, automatique et d’application indifférenciée. Il appartiendra ensuite à la Cour d’évaluer si, dans un cas donné, ce résultat a été atteint et si le libellé de la loi ou la décision du juge a respecté l’article 3 du Protocole no 1.
iii.  Sur le respect en l’espèce du droit garanti par l’article 3 du Protocole no 1
103.  En l’espèce, la Cour observe tout d’abord que l’interdiction définitive du droit de vote imposée au requérant n’a pas été soumise à l’appréciation du juge du fond. En effet, l’interdiction litigieuse n’a pas été mentionnée dans les arrêts concluant à la condamnation de l’intéressé (paragraphe 22 ci-dessus). Par ailleurs, elle résultait de l’interdiction d’exercer des fonctions publiques, peine accessoire prévue par l’article 29 du CP et applicable à toute personne condamnée à la réclusion à perpétuité – comme le requérant – ou à une peine d’emprisonnement non inférieure à cinq ans (paragraphes 21 et 36 ci-dessus).
104.  Cependant, comme la Cour vient de le souligner (paragraphes 97-102 ci-dessus), l’application d’une interdiction du droit de vote en l’absence d’une décision judiciaire ad hoc n’emporte pas à elle seule violation de l’article 3 du Protocole no 1. Il faut en outre que, par ses modalités d’application et par le cadre juridique dans lequel elle s’inscrit, la mesure litigieuse s’avère disproportionnée par rapport aux buts légitimes poursuivis, à savoir le renforcement du sens civique et du respect de l’Etat de droit ainsi que le bon fonctionnement et le maintien de la démocratie (paragraphe 92 ci-dessus).
105.  Quant au cadre juridique dans laquelle s’inscrit la mesure incriminée, il convient de noter que, dans le système italien, celle-ci s’applique aux personnes condamnées pour certaines infractions bien déterminées (par exemple, les infractions touchant les intérêts de l’administration publique – voir le paragraphe 33 ci-dessus) – quelle que soit la durée de la peine appliquée – ou à une peine privative de liberté dont la durée est supérieure à un seuil fixée par la loi. Dans cette dernière hypothèse, l’interdiction revêt un caractère temporaire et s’applique pour une durée de cinq ans si la peine infligée par le juge du fond n’est pas inférieure à trois ans d’emprisonnement. Elle est en revanche définitive si la peine n’est pas inférieure à cinq ans et en cas de réclusion à perpétuité (paragraphes 34 et 36 ci-dessus).
106.  De l’avis de la Cour, les dispositions de la loi italienne définissant les conditions d’application de l’interdiction du droit de vote montrent que le législateur a eu soin de moduler l’emploi de cette mesure en fonction des particularités de chaque affaire, compte étant notamment tenu de la gravité de l’infraction commise et de la conduite du condamné. En effet, la mesure en question ne s’applique qu’à certaines infractions contre l’administration publique et l’administration de la justice, et à des infractions que le juge du fond a estimé devoir sanctionner par une peine très sévère après avoir tenu compte des critères précisés aux articles 132 et 133 du CP (paragraphe 37 ci-dessus) – parmi lesquels figure la situation personnelle du condamné – ainsi que des circonstances tant atténuantes qu’aggravantes. Il s’ensuit que l’interdiction ne s’applique pas à toute personne condamnée à une peine privative de liberté mais seulement à celles dont la peine est d’une durée au moins égale à trois ans. Le législateur italien a également modulé la durée de la mesure d’interdiction en fonction de la peine infligée et donc, indirectement, de la gravité de l’infraction. En effet, l’interdiction dure cinq ans pour les peines d’une durée comprise entre trois ans et moins de cinq ans et elle est définitive en cas de peine d’une durée égale ou supérieure à cinq ans.
107.  En l’espèce, le requérant a été condamné pour meurtre, tentative de meurtre, mauvais traitements infligés aux membres de sa famille et port d’arme prohibé (paragraphes 13-14 ci-dessus). Il s’agissait là de délits graves, qui ont conduit la cour d’appel de Rome à prononcer une condamnation à la réclusion à perpétuité (paragraphe 19 ci-dessus), peine qui a ensuite été ramenée à trente ans d’emprisonnement (paragraphe 32 ci-dessus).
108.  Dans ces circonstances, la Cour ne saurait conclure que l’interdiction du droit de vote telle que prévue par le droit italien présente les caractères de généralité, d’automaticité et d’application indifférenciée qui, dans l’affaire Hirst (no 2), l’ont conduite à un constat de violation de l’article 3 du Protocole no 1. En effet, l’interdiction du droit de vote ne s’applique en Italie ni aux délits mineurs ni aux infractions d’une certaine gravité mais qui ne méritent pas, en raison des modalités concrètes de leur commission et de la situation personnelle du coupable, l’infliction d’une peine d’emprisonnement d’une durée au moins égale à trois ans. La Cour de cassation l’a souligné à juste titre (paragraphe 28 ci-dessus). Il s’ensuit que nombreux sont les détenus condamnés à avoir conservé la possibilité de voter aux élections législatives.
109.  En outre, la Cour ne saurait minimiser la possibilité offerte par le système juridique italien au condamné frappé par une interdiction définitive du droit de vote d’obtenir le rétablissement de celui-ci. Trois ans après avoir entièrement purgé sa peine, l’intéressé peut en effet obtenir sa réhabilitation à condition d’avoir fait preuve d’une bonne conduite effective et constante, ce qui met fin à toute peine accessoire prononcée contre lui (articles 178 et 179 du CP – paragraphe 38 ci-dessus). En outre, la durée effective d’une peine de réclusion peut être réduite par l’effet de la libération anticipée prévue à l’article 54 § 1 de la loi no 354 de 1975, aux termes duquel une réduction de peine de quarante-cinq jours pour chaque semestre de peine purgée est octroyée aux détenus participant au projet de réadaptation (paragraphe 39 ci-dessus). Cette disposition permet au condamné d’introduire une demande en réhabilitation dans des délais plus courts et, le cas échéant, de recouvrer plus rapidement le droit de vote. Eu égard à ce dispositif, la Cour estime que le système italien ne souffre pas d’une rigidité excessive.
3.  Conclusion
110.  Au vu de ce qui précède, la Cour estime que, dans les circonstances de l’espèce, les restrictions apportées au droit de vote du requérant se concilient avec le souci de ne pas entraver « la libre expression du peuple sur le choix du corps législatif » et de maintenir « l’intégrité et l’effectivité d’une procédure électorale visant à déterminer la volonté du peuple par l’intermédiaire du suffrage universel » (Hirst (no 2) [GC], précité, § 62). La marge d’appréciation reconnue au gouvernement défendeur dans ce domaine n’a donc pas été outrepassée.
Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 3 du Protocole no 1.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
Dit, par seize voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 22 mai 2012.
Erik Fribergh Nicolas Bratza   Greffier Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Björgvinsson.
N.B.  E.F.
OPINION DISSIDENTE DU JUGE DAVID THOR BJÖRGVINSSON
(Traduction)
J’approuve le constat de violation par la chambre dans son arrêt du 18 janvier 2011, qui à mon sens constitue une suite prudente et logique de l’arrêt rendu par la Grande Chambre dans l’affaire Hirst. Aussi ai-je voté contre le constat de violation en l’espèce.
Je tiens à faire des observations suivantes à l’appui de mon opinion.
Dans le contexte de la présente affaire, l’article 3 du Protocole no 1 comporte deux volets importants. L’un porte sur l’organisation du système électoral dans un pays donné, c’est-à-dire le mode de scrutin, le découpage électoral, le nombre de représentants pour chaque circonscription, etc. L’autre point porte sur le droit de chacun de participer aux élections législatives. S’agissant du premier volet, les Etats contractants jouissent, comme il se doit, d’un pouvoir discrétionnaire – ou d’une marge d’appréciation – étendu(e) dans le choix du mode de scrutin et l’agencement du système électoral en général. Toutefois, s’agissant du second volet, qui touche directement au droit pour chacun de participer au processus électoral, la marge de l’Etat est bien plus étroite. Aussi la nécessité de toute restriction au droit des citoyens d’une société démocratique de voter pour élire le législateur doit-elle être soumise au contrôle strict de la Cour.
Au paragraphe 90 de l’arrêt ci-dessus, il est indiqué que l’interdiction du droit de vote imposée à une personne condamnée purgeant une peine d’emprisonnement peut passer pour viser les buts légitimes que sont la prévention du crime et le renforcement du sens civique et du respect de l’Etat de droit. De plus, il est précisé au paragraphe suivant que pareille interdiction poursuit l’objectif légitime du bon fonctionnement et du maintien de la démocratie.
Concernant le premier de ces buts, l’interdiction du droit de vote pour un condamné peut se justifier en un certain sens en tant que mesure pénale concomitante à certaines infractions bien précises et, en principe, au même titre que toute autre peine, elle peut avoir une fin préventive. On peut y voir un but légitime. Cependant, si l’interdiction doit être entendue comme une forme de peine, il faut alors que soient respectées certaines conditions tenant à la solidité et à la clarté de la base juridique sur laquelle la mesure se fonde et que le juge statue dans chaque cas d’espèce, comme lorsqu’il applique tout autre forme de sanction pénale. Sous cet angle pénal, il faut éviter tout type d’interdiction automatique du droit de vote du fait d’une condamnation pénale sans le moindre examen du cas individuel.
Le second but évoqué, à savoir que les restrictions peuvent contribuer au bon fonctionnement et au maintien de la démocratie, est bien plus problématique à mes yeux. Bien sûr, ce but est en lui-même légitime. Mais je ne pense pas que priver du droit de vote une partie entière de la population – ce qui est la conséquence manifeste de la législation italienne litigieuse – contribue au bon fonctionnement et au maintien de la démocratie. À mon sens, il est tout aussi probable que ladite législation a exactement l’effet inverse. Si je reconnais que le bon fonctionnement et le maintien de la démocratie est à l’évidence un but légitime, je ne vois pas comment cette législation y contribue. En revanche, faire voter des détenus et mieux faire accepter leur droit de vote est bien plus susceptible d’accomplir ce but important.
La raison principale pour laquelle je m’écarte de la majorité est tout simplement que, à mes yeux, la position adoptée par elle dans son arrêt est incompatible avec les conclusions de la Cour dans l’arrêt Hirst.
Je soulignerais tout d’abord que la situation concrète des requérants dans l’affaire Hirst et en l’espèce est exactement la même : les deux purgent des peines d’emprisonnement très longues, l’un pour homicide et l’autre pour meurtre. Bien que les textes de loi sur la base desquels ils ont été privés de leur droit de vote diffèrent à certains égards, les effets pour chacun d’eux sont les mêmes, en ce que leur condamnation à la réclusion à perpétuité leur a fait perdre automatiquement ce droit. Pour cette raison, des arguments particulièrement solides doivent être avancés pour expliquer pourquoi l’un a été jugé victime d’une violation de l’article 3 du Protocole no 1 à raison d’une telle privation mais pas l’autre.
Voici les principaux éléments sur lesquels se fonde le constat de violation dans l’arrêt Hirst :
- Lorsqu’elles ont condamné le requérant, les juridictions pénales d’Angleterre et du Pays de Galles n’ont nullement mentionné la privation du droit de vote et il n’apparaissait pas, au-delà du fait qu’un tribunal avait jugé approprié d’infliger une peine privative de liberté, qu’il existât un lien direct entre les actes commis par un individu et le retrait du droit de vote frappant celui-ci (Hirst, § 77).
- Il a été jugé que la législation britannique pertinente était un instrument sans nuances, qui dépouillait du droit de vote, garanti par la Convention, un grand nombre d’individus, et ce de manière indifférenciée, que cette législation infligeait une restriction globale à tous les détenus condamnés purgeant leur peine et qu’elle s’appliquait automatiquement à eux, quelle que soit la durée de leur peine et indépendamment de la nature ou de la gravité de l’infraction qu’ils avaient commise et de leur situation personnelle (Hirst, § 82).
- Rien ne montrait que le Parlement britannique eût jamais cherché à peser les divers intérêts en présence ou à apprécier la proportionnalité d’une interdiction totale de voter visant les détenus condamnés (Hirst, § 79). Le juge n’avait pas non plus entrepris d’apprécier la proportionnalité de la mesure elle-même (Hirst, § 80).
Tous ces éléments, avec quelques petites réserves explicitées ci-dessous, sont tout autant valables en l’espèce et devraient conduire au même constat de violation.
Pour ce qui est du premier élément, le paragraphe 100 du présent arrêt le balaie en y voyant une considération d’ordre général qui ne concerne pas la situation particulière du requérant et précise, pour étayer cette conclusion, que cet élément n’a pas été repris au paragraphe 82 de l’arrêt Hirst, où sont récapitulés les critères principaux.
Voilà un raisonnement très peu convaincant et satisfaisant puisque les autres éléments déterminants énumérés ci-dessus sur lesquels se fonde le constat de violation dans l’arrêt Hirst ne se rattachent pas non plus à la situation du requérant, mais tiennent à la généralité de la législation elle-même et à son effet automatique global sur un grand nombre de personnes, dont le requérant dans cette affaire-là, plutôt qu’à son effet concret sur ce dernier. Le fait que, dans le récapitulatif des arguments au paragraphe 82 de l’arrêt Hirst, la Cour ne reprend pas cet élément ne retire en rien, à mes yeux, sa pertinence et son importance eu égard à un constat de violation. Il y a lieu de noter à cet égard que, lorsqu’ils ont condamné le requérant en l’espèce, les juridictions italiennes n’ont nulle part évoqué expressément son interdiction de voter et il n’apparaît pas, au-delà du fait qu’un tribunal a jugé approprié d’infliger une peine d’emprisonnement, qu’il existât un lien direct entre les faits de l’espèce et le retrait du droit de vote frappant leur auteur.
Pour ce qui est du deuxième élément, la législation italienne, tout comme celle du Royaume-Uni, est un instrument sans nuances, qui dépouille du droit de vote, garanti par la Convention, un grand nombre d’individus, et ce de manière indifférenciée et, dans une large mesure, indépendamment de la nature de l’infraction qu’ils ont commise, de la durée de leur peine et de leur situation personnelle. À cet égard, il y a lieu de récapituler les différences qui opposent la législation des deux Etats. L’article 3 de la loi britannique de 1983 sur la représentation du peuple dispose que toute personne condamnée est, pendant son incarcération dans un établissement pénitentiaire, légalement incapable de voter à une quelconque élection parlementaire ou locale. Ne peuvent être privées de leur droit de vote les personnes emprisonnées pour atteinte à l’autorité de la justice (article 3 § 2 a)) ni celles seulement incarcérées parce que, par exemple, elles n’avaient pas payé une amende (article 3 § 2 c)) (Hirst, §§ 21 et 23). En outre, en vertu de ce texte, la privation est levée dès que le détenu recouvre sa liberté (Hirst, § 51). En Italie, l’article 2 du décret no 223 de 1967 prive du droit de vote toute personne condamnée à une peine emportant interdiction d’exercer des fonctions publiques. En conséquence, les personnes condamnées à une peine d’emprisonnement inférieure à trois ans continuent de jouir de ce droit, celles condamnées à des peines allant de trois à cinq ans d’emprisonnement le perdent pour une durée de cinq ans et, enfin, celles condamnées à une peine d’une durée plus longue le perdent définitivement. Ainsi, dans le système italien, la perte du droit de vote est concomitante à l’interdiction d’exercer des fonctions publiques.
La différence principale entre les deux législations est que celle de l’Italie ne prive du droit de vote que les personnes condamnées à au moins trois ans d’emprisonnement, tandis que celle du Royaume-Uni en prive toute personne condamnée à une peine d’emprisonnement pendant la durée de son séjour en prison. Si, pour cette raison, elle peut paraître plus clémente que la législation britannique, la législation italienne est plus stricte en ce qu’elle prive les détenus de leur droit de vote au-delà de la durée de leur peine d’emprisonnement et, pour un grand nombre de détenus, définitivement. Voilà pourquoi j’estime, à l’inverse de la majorité, que ces différences ne suffisent pas à justifier une conclusion différente. En réalité, la législation italienne est aussi peu nuancée que la législation britannique, quoique pour des raisons quelque peu différentes. La possibilité pour un ancien détenu, offerte par les articles 178 et 179 du code pénal italien, de demander sa réhabilitation trois ans après le jour où la peine principale a été exécutée n’y change rien. De plus, il est indifférent selon moi que, en droit italien, la privation du droit de vote soit consécutive à une interdiction d’exercer une fonction publique. Le résultat reste le même : la perte automatique du droit de vote du fait d’une condamnation à une peine d’emprisonnement. Par ailleurs, il n’y a pas nécessairement de lien entre le droit pour une personne d’exercer une fonction publique et son droit de voter aux élections législatives.
Quant au troisième élément, il est tout aussi valable en l’espèce. Ni le législateur ni le juge ne se sont livrés en l’espèce à un examen suffisant, sous l’angle de la proportionnalité, de la justification de la privation du droit de vote pour tous les détenus en Italie au-delà de la durée de leur peine d’emprisonnement, définitivement pour un grand nombre d’entre eux, à la suite d’une interdiction d’exercer des fonctions publiques.
En somme, j’estime que la distinction opérée dans le présent arrêt entre ces deux affaires pour justifier des conclusions différentes n’est pas satisfaisante. L’arrêt se livre à une interprétation très restrictive de l’arrêt Hirst et, en réalité, il s’écarte du raisonnement principal tenu dans ce dernier. Malheureusement, il a désormais retiré à l’arrêt Hirst toute sa portée en tant que jurisprudence de principe protégeant le droit de vote des détenus en Europe.
ARRÊT  SCOPPOLA c. ITALIE (N° 3)
ARRÊT  SCOPPOLA c. ITALIE (N° 3) 
ARRÊT SCOPPOLA c. ITALIE (N° 3) – OPINION SÉPARÉE
ARRÊT SCOPPOLA c. ITALIE (N° 3) – OPINION SÉPARÉE 


Synthèse
Formation : Cour (grande chambre)
Numéro d'arrêt : 126/05
Date de la décision : 22/05/2012
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Non-violation de 'article 3 du Protocole n° 1 - Droit à des élections libres-{général} (article 3 du Protocole n° 1 - Vote)

Analyses

(P1-3) DROIT A DES ELECTIONS LIBRES-{GENERAL}, (P1-3) VOTE, MARGE D'APPRECIATION


Parties
Demandeurs : SCOPPOLA
Défendeurs : ITALIE (N° 3)

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2012-05-22;126.05 ?

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