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31/05/2012 | CEDH | N°001-111136

CEDH | AFFAIRE SOCIEDADE DE CONSTRUCOES MARTINS & VIEIRA, LDA ET AUTRES c. PORTUGAL (N° 4)


DEUXIÈME SECTION
AFFAIRES SOCIEDADE DE CONSTRUÇÕES MARTINS & VIEIRA, LDA ET AUTRES c. PORTUGAL (no 4)
(Requêtes nos 58103/08 et 58158/08)
ARRÊT
STRASBOURG
31 mai 2012
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En les affaires Sociedade de Construções Martins & Vieira, Lda et autres c. Portugal,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un Comité composé de :
Dragoljub Popović, président, András Sajó, Paulo Pinto de Albuquerque, juges,et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,<

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Rend l’arrêt que voici, adopté à ce...

DEUXIÈME SECTION
AFFAIRES SOCIEDADE DE CONSTRUÇÕES MARTINS & VIEIRA, LDA ET AUTRES c. PORTUGAL (no 4)
(Requêtes nos 58103/08 et 58158/08)
ARRÊT
STRASBOURG
31 mai 2012
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En les affaires Sociedade de Construções Martins & Vieira, Lda et autres c. Portugal,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un Comité composé de :
Dragoljub Popović, président, András Sajó, Paulo Pinto de Albuquerque, juges,et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en Comité du conseil le 10 mai 2012,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 58103/08 et 58158/08) dirigées contre la République portugaise et dont une société de cet Etat, Sociedade de Construções Martins & Vieira, Lda (« la requérante »), a saisi la Cour les 21 et 27 novembre 2008 respectivement en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante a été représentée par Me J. J. F. Alves, avocat à Matosinhos (Portugal). Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme M. F. Carvalho, procureur général adjoint.
3. Le 7 septembre 2010, la Cour a décidé de joindre les requêtes nos 57062/08, 58103/08 et 58158/08. Par une décision du même jour, elle a également déclaré les requêtes partiellement irrecevables et a décidé de communiquer les griefs tirés de la durée de la procédure et de l’absence de recours à cet égard, pour autant qu’ils concernent la société requérante, au Gouvernement.
4. Le 6 mars 2012, la Cour a décidé de disjoindre les deux présentes requêtes de la requête no 57062/08.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. La requérante, Sociedade de Construções Martins & Vieira, Lda est une société à responsabilité limitée de droit portugais ayant son siège à Porto.
A. Requête no 58103/08
1. L’affaire devant le tribunal de Porto (Procédure interne no 8563/93)
6. Le 26 mai 1993, la requérante saisit le tribunal de Porto d’une demande en recouvrement d’une créance d’un montant de 144 000 euros (EUR) contre la société W.
7. Par un jugement du 14 mars 1994, le tribunal déclara la faillite de la société W.
8. Le 29 avril 1994, la requérante présenta à nouveau au tribunal sa demande en recouvrement de créances contre la société W.
9. Par une ordonnance du 28 avril 1997, le tribunal de Porto reconnut la créance de la requérante, la classant dans le groupe des créances de type commun (crédito comum). Deux créances supplémentaires furent ajoutées à la liste établie dans cette ordonnance, suite au recours des parties dont les créances n’avaient pas été reconnues.
10. Le 3 juin 1997, créancière de la société W., la banque C. informa le tribunal qu’une des créances réclamées (en l’occurrence, celle-ci s’élevait à 183 528 304 escudos portugais, soit 915 435,32 EUR) dans le cadre de la procédure faisait déjà l’objet d’une autre procédure en recouvrement de créances devant le tribunal de Porto. Elle demanda alors la suspension de l’instance jusqu’à la clôture de cette autre affaire. Par une ordonnance du 18 septembre 1997, le tribunal fit droit à cette demande. Cette ordonnance fut portée à la connaissance de la requérante le 19 novembre 1997.
11. Le 20 février 2002, la requérante demanda au tribunal de Porto de justifier le versement de sommes à certains créanciers et de l’informer des actes qui ne lui avaient pas été communiqués. Par une ordonnance du 1er mars 2002, le tribunal de Porto informa la requérante des différents actes qui avaient été réalisés dans le cadre de la liquidation de la masse en faillite.
12. Le 10 mai 2005, le tribunal de Porto leva la suspension de l’instance, suite au jugement de l’autre affaire (voir ci-dessus § 9).
13. Par un jugement du 28 mars 2007, le tribunal de Porto classa, par ordre de priorité, les différentes créances (graduação de créditos) dont était redevable la société W.
14. Divers créanciers firent appel de ce jugement devant la cour d’appel de Porto. La requérante reçut notification de leurs mémoires en appel le 13 juin 2007.
15. Par un arrêt du 15 octobre 2007, la cour d’appel de Porto reformula une partie du jugement du 28 mars 2007, la partie du jugement portant sur la créance de la requérante ne fut toutefois pas modifiée.
16. Le 14 décembre 2007, d’autres créanciers se pourvurent en cassation devant la Cour suprême. La requérante reçut notification de leurs mémoires en appel le 21 décembre 2007.
17. La Cour suprême prononça un arrêt de rejet le 19 juin 2008, confirmant l’arrêt de la cour d’appel de Porto.
18. Le 24 octobre 2008, la requérante reçut notification du plan de remboursement des créances en tenant compte de l’actif disponible de la société. Aucune somme ne lui fut octroyée, faute d’actif.
2. L’action en responsabilité extracontractuelle
19. Le 10 octobre 2006, la requérante avait introduit une action en responsabilité extracontractuelle contre l’Etat devant le tribunal administratif et fiscal de Porto, se plaignant de la durée excessive de la procédure en recouvrement de créances devant le tribunal de Porto (Procédure interne no 2534/06.4 BEPRT).
20. Le 6 février 2007, la requérante reçut notification du mémoire en réponse (contestação) qui avait été présenté par l’Etat.
21. A une date non indiquée dans le dossier, le tribunal administratif et fiscal de Porto prononça un jugement déboutant les requérants de leurs demandes. La requérante interjeta appel de cette décision devant le tribunal central administratif du Nord.
22. Aux dernières informations reçues de la requérante, lesquelles remontent au 21 septembre 2011, cette procédure était toujours pendante devant le tribunal central administratif du Nord.
3. La requête no 19062/02 devant la Cour
23. Le 10 mai 2002, la requérante avait introduit la requête no 19062/02 devant la Cour se plaignant de la durée excessive de la procédure en recouvrement de créance devant le tribunal de Porto. Par une décision du 24 juin 2003, la Cour avait alors déclaré cette partie de la requête irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes dans la mesure où la requérante n’avait pas introduit une action en responsabilité civile extracontractuelle contre l’Etat, recours qui était, à l’époque des faits, à épuiser en tenant compte de la jurisprudence Paulino Tomás c. Portugal, (déc.), no 58698/00, CEDH 2003-VIII.
B. Requête no 58158/08
1. L’affaire devant le tribunal de Porto (Procédure interne no 80/2002)
24. Le 26 juin 2002, la requérante fut citée devant le tribunal de Porto dans le cadre d’une action en responsabilité civile contractuelle pour construction défectueuse d’un immeuble.
25. Le 30 juillet 2002, la requérante informa le tribunal qu’elle avait introduit une demande auprès des services sociaux en vue de l’obtention de l’aide juridictionnelle avec exemption des frais judiciaires et désignation d’un avocat d’office.
26. Par une ordonnance du 21 février 2003, le tribunal sollicita auprès des services sociaux des informations s’agissant de ladite demande d’aide juridictionnelle de la requérante. Par une lettre du 14 mars 2003, les services sociaux indiquèrent que la demande avait été acceptée et que la requérante en avait été informée par une lettre expédiée le 16 décembre 2003.
27. Par une ordonnance du 20 mars 2003, le tribunal considéra que la requérante avait omis d’introduire son mémoire en réponse (contestação) dans le délai imparti. La requérante contesta cette ordonnance en relevant que son avocat n’avait pas eu connaissance de l’acceptation de la demande d’aide juridictionnelle et de sa désignation comme avocat d’office, ni par les services sociaux, ni par l’ordre des avocats.
28. Le 20 novembre 2003, la requérante introduisit son mémoire en réponse devant le tribunal de Porto. Par une ordonnance du 28 novembre 2003, le tribunal joignit le mémoire au procès-verbal de l’affaire en reconnaissant que l’ordre des avocats n’avait communiqué la désignation de l’avocat d’office que le 3 novembre 2003.
29. Le 11 décembre 2003, les demandeurs introduisirent leur mémoire en réplique.
30. Par une ordonnance du 27 janvier 2004, le tribunal fit droit à une demande des demandeurs visant l’administration anticipée des preuves (produção de prova), laquelle incluait une inspection des lieux et la réalisation d’une expertise.
31. Le 30 janvier 2004, la requérante informa le tribunal qu’elle acceptait la désignation d’un expert qui avait été indiqué par des codéfendeurs dans le cadre de la procédure. Le 19 mai 2004, les experts prêtèrent serment devant le tribunal. Ce même jour, le tribunal leur accorda un délai de 60 jours pour réaliser leur expertise. Le 14 octobre 2004, les experts sollicitèrent la prorogation de ce délai pour une période de 60 jours, ce qui fut admis par le tribunal par une ordonnance du 20 octobre 2004. Le 9 février 2005, le tribunal demanda aux experts de justifier leur retard. Ces derniers sollicitèrent une nouvelle prorogation de délai. Le 19 septembre 2005, le rapport d’expertise fut porté à la connaissance des parties, lesquelles contestèrent le contenu du rapport. Un nouveau rapport leur fut signifié le 16 décembre 2005. Les parties sollicitèrent au tribunal divers éclaircissements concernant les rapports. Les experts répondirent à ces demandes le 6 avril 2006.
32. Le 2 juin 2006, le tribunal prononça une ordonnance spécifiant les faits établis et ceux restant à établir (despacho saneador). Des défendeurs, autres que la requérante, interjetèrent appel de cette ordonnance. Admis par une ordonnance du 14 juillet 2006, le recours fut transmis à la cour d’appel de Porto.
33. L’audience fut fixée au 23 octobre 2006, date à laquelle les parties signèrent un accord, lequel fut homologué par le tribunal de Porto à cette date.
2. L’action en responsabilité extracontractuelle
34. Le 30 octobre 2006, la requérante introduisit une action en responsabilité extracontractuelle devant le tribunal administratif et fiscal de Porto, se plaignant de la durée excessive de la procédure de responsabilité civile contractuelle (Procédure interne no 2766/06.5BEPRT).
35. Le 24 janvier 2007, en représentation de l’Etat, le ministère public présenta son mémoire en réponse.
36. Par un jugement du 5 mai 2010, le tribunal administratif et fiscal de Porto débouta la requérante de sa demande jugeant que la durée de la procédure civile devant le tribunal de Porto n’avait pas été excessive. Il considéra notamment que les retards liés à la demande d’aide juridictionnelle et l’expertise survenus au cours de la procédure ne pouvaient être imputés aux juridictions. La requérante interjeta appel devant le tribunal central administratif du Nord.
37. Par un arrêt du 21 mars 2011, le tribunal central administratif du Nord rejeta le recours de la requérante, confirmant la décision du tribunal administratif et fiscal de Porto.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNE
38. La décision Paulino Tomás c. Portugal (précité) contient un descriptif du droit et de la pratique interne pertinents applicables à l’époque des faits à l’origine de la présente requête. S’agissant du nouveau système portugais de responsabilité extracontractuelle de l’Etat, voir Martins Castro et Alves Correia de Castro c. Portugal, no 33729/06, §§ 20-28, 10 juin 2008.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 § 1 ET 13 DE LA CONVENTION
39. Dans les deux cas d’espèce, la requérante allègue que la durée des deux procédures civiles devant le tribunal de Porto a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention. Invoquant l’article 13, elle dénonce également l’inefficacité, au niveau interne, de l’action en responsabilité extracontractuelle pour obtenir réparation à cet égard au niveau interne.
L’article 6 § 1, dans sa partie pertinente, est ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Quant à l’article 13, il stipule :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale (...) »
A. Sur la recevabilité
40. Le Gouvernement soulève une exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes en faisant valoir que les actions en responsabilité civile extracontractuelle introduites au niveau interne sont toujours pendantes. La requérante conteste les arguments du Gouvernement, faisant valoir que ces actions ne constituent pas des recours efficaces au sens de l’article 13 de la Convention.
41. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle « ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes tel qu’il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus, et dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive. »
42. En l’espèce, la Cour estime que l’exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes est étroitement liée au bien-fondé du grief tiré de l’article 13 de la Convention. Compte tenu des affinités étroites que présentent les articles 35 § 1 et 13 de la Convention (Kudla c. Pologne [GC], no 30210/96, § 152, CEDH 2000-XI), la Cour reprendra donc ci-après son examen sur ce point dans le cadre de l’examen du fond des deux affaires.
43. La Cour constate que les griefs déduits de la violation des articles 6 § 1 et 13 de la Convention ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.
B. Sur le fond
1. Sur la violation de l’article 6 § 1 de la Convention
44. Dans les deux cas d’espèce, la requérante dénonce la durée des procédures devant le tribunal de Porto et l’absence au niveau interne d’une action efficace pour se plaindre de ce grief, en violation des articles 6 § 1 et 13 de la Convention.
45. S’agissant de la requête no 58103/08, le Gouvernement conteste l’argument de la requérante en relevant le caractère complexe de l’affaire vu le montant global réclamé (plus de 13 millions d’euros), le nombre de créances en jeu (en l’occurrence, plus de deux cents), le montant final de l’actif disponible (plus de trois millions) et les divers incidents survenus au cours de la procédure. Le Gouvernement estime également que la procédure s’est prolongée en raison de la suspension pendant huit ans de l’instance en l’attente d’un jugement portant sur une affaire.
46. Pour ce qui est de l’affaire no 58158/08, la Gouvernement estime que les retards survenus au cours de la procédure ne peuvent être imputés aux juridictions dans la mesure où ils s’étaient manifestés dans le cadre de la procédure d’aide juridictionnelle et pendant la réalisation des expertises. Le Gouvernement fait également valoir que la requérante ne s’est jamais plainte des atermoiements de la procédure au cours de celle-ci et que les parties auraient pu signer un accord transactionnel sans attendre la date de l’audience.
47. La Cour rappelle que le terme d’une procédure dont la durée est examinée sous l’angle de l’article 6 § 1 est le moment où le droit revendiqué trouve sa « réalisation effective » (voir Estima Jorge c. Portugal, 21 avril 1998, § 37, Recueil des arrêts et décisions 1998‑II ; Zappia c. Italie, 26 septembre 1996, § 23, Recueil 1996‑IV).
48. En ce qui concerne la requête no 58103/08, la procédure a débuté le 26 mai 1993, date d’introduction de l’action, et s’est terminée le 24 octobre 2008, date à laquelle la requérante reçut notification du plan de remboursement des créances tenant compte de l’actif disponible de la société en situation de faillite. Elle a donc duré 15 années, 5 mois et 3 jours pour trois niveaux de juridictions.
49. S’agissant de la requête no 58158/08, la procédure a débuté le 26 juin 2002, date de la citation de la requérante, et s’est terminée le 23 octobre 2006 avec le jugement homologuant l’accord signé entre les parties. Elle a donc duré 4 années, 3 mois et 28 jours pour deux niveaux de juridictions saisis, un recours ayant été introduit par des défendeurs devant la cour d’appel de Porto.
50. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement des requérantes et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).
51. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Frydlender précité).
52. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent.
53. En ce qui concerne l’affaire no 58103/08, la Cour note que la procédure a été suspendue pendant huit ans en l’attente d’un jugement portant sur une autre affaire qui avait pour objet une créance réclamée également dans le cadre de la présente procédure, durée dont ne pourra, certes, être tenu responsable le juge en charge de l’affaire, mais dont sont de toute évidence responsables les juridictions nationales. La Cour observe également qu’il fallut presque deux ans au tribunal de Porto pour conclure le plan de remboursement des créances après la levée de la suspension de l’instance le 10 mai 2005.
54. Pour ce qui est de l’affaire no 58158/08, la Cour considère que les retards survenus au cours de la procédure ne peuvent être imputés à la requérante.
55. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime que dans les deux cas d’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et n’a pas répondu à l’exigence du « délai raisonnable ».
56. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
2. Sur la violation de l’article 13 de la Convention
57. La requérante soutient que l’action en responsabilité extracontractuelle ne saurait constituer un recours « effectif », au sens de l’article 13 de la Convention, pour faire sanctionner la durée excessive d’une procédure judiciaire.
58. Le Gouvernement considère qu’il n’y a aucune raison justifiant de s’écarter de la jurisprudence établie par la Cour dans sa décision Paulino Tomás estimant que l’action en responsabilité extracontractuelle de l’Etat demeure un moyen efficace, adéquat et accessible à tous ceux qui souhaitent se plaindre de la durée excessive des procédures judiciaires au Portugal.
59. La Cour rappelle que l’article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (voir Kudla c. Pologne, précité, § 156). Elle relève que les exceptions et arguments soulevés par le Gouvernement ont déjà été rejetés précédemment (voir parmi beaucoup d’autres Martins de Castro c. Portugal, précité) et ne voit pas de raison de parvenir à une conclusion différente dans le cas présent. Ainsi, en l’espèce, la Cour estime que l’action en responsabilité extracontractuelle de l’Etat n’a pas offert un recours « effectif » au sens de l’article 13 de la Convention dans les deux cas d’espèce.
60. Partant, il y a eu violation de l’article 13 de la Convention.
3. Sur les autres dispositions alléguées
61. A l’appui de ses allégations, la requérante invoque également la violation des articles 17, 34, 35, 41, 46 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.
62. Eu égard aux observations et conclusions ci-dessus, la Cour estime toutefois que cette partie de la requête ne soulève aucune autre question séparée susceptible d’être examinée sous l’angle de ces dispositions, sauf s’agissant des considérations qu’elle fera ci-après sur l’application de l’article 41 de la Convention.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
63. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
64. La requérante réclame une somme, à fixer en équité, pour ce qui est du dommage matériel qu’elle a subi dans le cadre des deux affaires.
65. Elle réclame aussi 20 000 euros (EUR) et 15 000 EUR pour le préjudice moral subi, respectivement, dans le cadre des requêtes nos 58103/08 et 58158/08.
66. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
67. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande.
68. S’agissant de la requête no 58103/08, dans la mesure où la requérante pourrait éventuellement recevoir une indemnisation à l’issue de l’action en responsabilité extracontractuelle, toujours pendante au niveau interne, la Cour décide de calculer le préjudice moral de la requérante en équité comme le permet l’article 41 de la Convention. Il appartiendra ensuite aux juridictions portugaises concernées, le cas échéant, de prendre en considération la somme reçue à ce titre devant la Cour (voir Mora do Vale et autres c. Portugal (satisfaction équitable), no 53468/99, § 19, 18 avril 2006). Aussi, elle lui accorde 14 400 EUR à ce titre.
69. Pour la requête 58158/08, elle estime qu’il y a lieu d’octroyer 2 000 EUR au titre du préjudice moral.
70. La Cour octroie ainsi à la requérante la somme totale de 16 400 EUR pour le dommage moral subi dans le cadre des deux affaires.
B. Frais et dépens
71. Pour chaque affaire, la requérante demande 4 350 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.
72. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
73. Compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’allouer à la requérante la somme de 2 000 EUR à ce titre.
C. Intérêts moratoires
74. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare le restant des requêtes recevables quant aux griefs tirés de la durée excessive de la procédure et de l’inexistence d’un recours efficace au niveau interne pour obtenir un redressement à cet égard ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;
4. Dit qu’il ne s’impose pas d’examiner séparément les articles 17, 34, 35 et 46 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;
5. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois, 16 400 EUR (seize mille quatre cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral et 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la requérante, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 31 mai 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Françoise Elens-Passos Dragoljub Popović Greffière adjointe Président


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure civile ; Article 6-1 - Délai raisonnable) ; Violation de l'article 13 - Droit à un recours effectif (Article 13 - Recours effectif)

Parties
Demandeurs : SOCIEDADE DE CONSTRUCOES MARTINS & VIEIRA, LDA,
Défendeurs : PORTUGAL (N° 4)

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (deuxième section comité)
Date de la décision : 31/05/2012
Date de l'import : 24/07/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 001-111136
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2012-05-31;001.111136 ?

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