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05/06/2012 | CEDH | N°001-111318

CEDH | CEDH, AFFAIRE COLAZZO c. ITALIE, 2012, 001-111318


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE COLAZZO c. ITALIE

(Requête no 63633/00)

ARRÊT

(satisfaction équitable)

Cette version a été rectifiée conformément à l’article 81 du règlement de la Cour le 23 octobre 2012

STRASBOURG

5 juin 2012

Cet arrêt est définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Colazzo c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant une chambre composée de :

Nina V

ajić, présidente,
Peer Lorenzen,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Guido Raimondi,
Julia Laffranque,
Linos-Alexandre Sicilian...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE COLAZZO c. ITALIE

(Requête no 63633/00)

ARRÊT

(satisfaction équitable)

Cette version a été rectifiée conformément à l’article 81 du règlement de la Cour le 23 octobre 2012

STRASBOURG

5 juin 2012

Cet arrêt est définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Colazzo c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant une chambre composée de :

Nina Vajić, présidente,
Peer Lorenzen,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Guido Raimondi,
Julia Laffranque,
Linos-Alexandre Sicilianos, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15 mai 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 63633/00) dirigée contre la République italienne et dont quatre ressortissants de cet Etat, Mme William Colazzo, M. Massimo Colazzo, Mme Donata Colazzo et Mme Maria Teresa Sbocchi (« les requérants »), ont saisi la Cour le 23 mars 2000 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Par un arrêt du 13 octobre 2005 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé que l’ingérence dans le droit au respect des biens des requérants n’était pas compatible avec le principe de légalité et que, partant, il y avait eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 (Colazzo c. Italie, no 63633/00, § 87, 13 octobre 2005).

3. En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, les requérants réclamaient une satisfaction équitable de 434 614,73 EUR au titre de préjudice matériel et de 108 653,68 EUR au titre de préjudice moral. En outre, ils demandaient le remboursement des frais encourus devant la Cour ainsi que des frais dans le cadre de la procédure nationale.

4. La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l’a réservée et a invité le Gouvernement et les requérants à lui soumettre par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 96, et point 3 du dispositif).

5. Le délai fixé pour permettre aux parties de parvenir à un accord amiable est échu sans que les parties n’aboutissent à un tel accord. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations.

6. Le 12 mars 2007, le président de la chambre a décidé de demander aux parties de nommer chacune un expert chargé d’évaluer le préjudice matériel et de déposer un rapport d’expertise avant le 14 juin 2007.

7. Lesdits rapports d’expertise ont été déposés dans le délai imparti.

EN FAIT

8. Les faits survenus après l’arrêt au principal peuvent se résumer comme suit.

9. Par un arrêt du 16 mai 2008, déposé le 13 octobre 2008, la cour d’appel de Lecce condamna la municipalité à payer 51 235,10 EUR à la première requérante et 57 450,66 EUR aux trois autres requérants et à l’autre héritier, à savoir des sommes égales à la valeur vénale des terrains expropriés, telles que déterminées par l’expert commis d’office.

Ces montants devaient être réévalués et assortis d’intérêts à compter du 28 septembre 1988, date de la perte de propriété des terrains par effet de l’expropriation indirecte[1].

10. La municipalité ne s’étant pas exécutée, le 10 juillet 2009 les requérants signifièrent au ministère de la justice un commandement de payer (atto di precetto). Il ressort du dossier qu’en juin 2011, la municipalité de Lecce à versé une somme à titre d’acompte aux requérants. En particulier, la première requérante a reçu 133 246 EUR et les trois autres requérants ont reçu conjointement 115 606 EUR.[2]

11. Par un acte du 26 novembre 2009, la municipalité de Lecce se pourvut en Cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Lecce. La procédure est actuellement pendante.

EN DROIT

12. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage matériel

13. Se référant aux critères d’indemnisation établis dans l’arrêt Guiso-Gallisay c. Italie ((satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009), les requérants demandent une somme correspondant à la valeur vénale des terrains expropriés, plus indexation et intérêts. Ils font valoir que plus de vingt-quatre ans se sont écoulés depuis l’expropriation de leurs biens sans que l’administration se soit acquittée de son obligation de les indemniser pour la perte de propriété de leurs terrains.

14. Par ailleurs, suite à l’arrêt de la cour d’appel de Lecce du 16 mai 2008, leur reconnaissant un dédommagement à hauteur de la valeur marchande des terrains, l’administration s’est pourvue en cassation retardant ainsi ultérieurement le paiement total de leur indemnité[3].

15. Les requérants demandent également 60 000 EUR au titre de perte de chance.

16. Le Gouvernement fait observer que la cour d’appel de Lecce a octroyé aux requérants une somme correspondant à la valeur vénale des terrains expropriés, indexée et assortie d’intérêts. Il affirme que la municipalité s’exécutera prochainement.

Selon lui, si la Cour accordait une somme au titre d’une satisfaction équitable, les requérants pourraient être indemnisés deux fois.

17. La Cour répond d’emblée à l’argument du Gouvernement. Elle considère improbable que les requérants reçoivent une double indemnisation, étant donné que les juridictions nationales, lorsqu’elles décideront de la cause, vont inévitablement prendre en compte toute somme accordée aux intéressés par cette Cour (Serghides et Christoforou c. Chypre (satisfaction équitable), no 44730/98, § 29, 12 juin 2003). En outre, vu que la procédure nationale dure depuis plus de vingt ans il serait déraisonnable d’en attendre l’issue (Serrilli c. Italie (satisfaction équitable), no 77822/01, § 17, 17 juillet 2008 ; Mason et autres c. Italie (satisfaction équitable), no 43663/98, § 31, 24 juillet 2007).

18. La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’Etat défendeur l’obligation de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).

19. Elle rappelle que dans l’affaire Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], nº 58858/00, 22 décembre 2009), la Grande Chambre a modifié la jurisprudence de la Cour concernant les critères d’indemnisation dans les affaires d’expropriation indirecte. En particulier, la Grande Chambre a décidé d’écarter les prétentions des requérants dans la mesure où elles sont fondées sur la valeur des terrains à la date de l’arrêt de la Cour et de ne plus tenir compte, pour évaluer le dommage matériel, du coût de construction des immeubles bâtis par l’Etat sur les terrains.

20. Selon les nouveaux critères fixés par la Grande Chambre, l’indemnisation doit correspondre à la valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la propriété, telle qu’établie par l’expertise ordonnée par la juridiction compétente au cours de la procédure interne. Ensuite, une fois que l’on aura déduit la somme éventuellement octroyée au niveau national, ce montant doit être actualisé pour compenser les effets de l’inflation. Il convient aussi de l’assortir d’intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s’est écoulé depuis la dépossession des terrains. Ces intérêts doivent correspondre à l’intérêt légal simple appliqué au capital progressivement réévalué.

21. Les requérants ont perdu la propriété de leurs terrains respectifs en 1988. Il ressort de l’expertise effectuée au cours de la procédure nationale que la valeur du terrain de la première requérante à cette date était de 51 235,10 EUR, tandis que celle du terrain des trois autres requérants était de 57 450,66 EUR (paragraphe 9 ci-dessus).[4]

22. Par ailleurs, la Cour doit prendre en compte le fait qu’en plus des trois derniers requérants, une tierce personne peut également revendiquer des droits par rapport au deuxième terrain objet de la cause (§ 10 de l’arrêt au principal et § 9 ci-dessus). En l’absence d’indications contraires, la Cour estime que les trois derniers requérants ne sont fondés à recevoir une satisfaction équitable qu’à 25 % par rapport à la valeur de ce terrain.

23. Compte tenu de ces éléments, et de ce que les requérants ont reçu des sommes à titre d’acompte en juin 2011 (paragraphe 10 ci-dessus), la Cour estime raisonnable d’accorder 56 000 EUR à la première requérante et 14 650 EUR à chacun des trois autres requérants plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur ces sommes[5].

24. Reste à évaluer la perte de chance subies par les requérants à la suite de l’expropriation litigieuse. La Cour juge qu’il y a lieu de prendre en considération le préjudice découlant de l’indisponibilité des terrains respectifs pendant la période allant du début de l’occupation légitime (1987) jusqu’au moment de la perte de propriété (1988). Statuant en équité, la Cour alloue 4 000 EUR à la première requérante et 1 000 EUR à chacun des trois autres requérants pour la perte de chances.

B. Dommage moral

25. Justificatifs à l’appui, les requérants sollicitent le versement de la somme de 250 000 EUR au titre de préjudice moral.

26. Le Gouvernement s’y oppose et considère cette somme excessive.

27. La Cour estime que le sentiment d’impuissance et de frustration face à la dépossession illégale de leurs biens a causé aux requérants un préjudice moral important, qu’il y a lieu de réparer de manière adéquate.

28. Statuant en équité, la Cour accorde à chaque requérant la somme de 2 500 EUR au titre du préjudice moral.

C. Frais et dépens

29. Les requérants sollicitent le remboursement de 57 900 EUR pour les frais encourus devant les juridictions internes et 30 320 EUR pour les frais encourus devant la Cour.

30. Le Gouvernement considère ces sommes excessives.

31. La Cour rappelle que l’allocation des frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (voir, par exemple, Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002 ; Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 105, CEDH 2003-VIII).

32. La Cour ne doute pas de la nécessité d’engager des frais, mais elle trouve excessifs les honoraires totaux revendiqués à ce titre. Elle considère dès lors qu’il y a lieu de les rembourser en partie seulement. Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour juge raisonnable d’allouer aux requérants conjointement un montant de 20 000 EUR pour l’ensemble des frais exposés.

D. Intérêts moratoires

33. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 60 000 EUR (soixante mille euros) à la première requérante, 15 650 EUR (quinze mille six cent cinquante euros) au deuxième requérant, 15 650 EUR (quinze mille six cent cinquante euros) à la troisième requérante et 15 650 EUR (quinze mille six cent cinquante euros) à la quatrième requérante, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel[6] ;

ii. 2 500 EUR (deux mille cinq cents euros) à chaque requérant, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

iii. 20 000 EUR (vingt mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

2. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 juin 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren Nielsen Nina Vajić
GreffierPrésidente

* * *

[1]. Rectifié le 23 octobre 2012 : la somme de 34 295,32 EUR est remplacée par 51 235,10 EUR et la somme de 31 627,82 EUR est remplacée par 57 450,66 EUR.

[2]. Rectifié le 23 octobre 2012. Le texte était le suivant : « Il ressort du dossier que l’administration n’a versé aucune somme aux requérants. »

[3]. Rectifié le 23 octobre 2012. Le texte était le suivant : « Par ailleurs, suite à l’arrêt de la cour d’appel de Lecce du 16 mai 2008, leur reconnaissant un dédommagement à hauteur de la valeur marchande des terrains et malgré le commandement de payer notifié à la municipalité, celle-ci n’a payé aucune somme d’argent. En revanche, l’administration s’est pourvue en cassation retardant ainsi ultérieurement le paiement de leur indemnité. »

[4]. Rectifié le 23 octobre 2012. Le texte était le suivant : « Les requérants ont perdu la propriété de leurs terrains respectifs en 1988. Il ressort de l’expertise effectuée au cours de la procédure nationale que la valeur du terrain de la première requérante à cette date était de 34 295,32 EUR, tandis que celle du terrain des trois autres requérants était de 31 627,82 EUR (paragraphe 9 ci-dessus). En outre, les requérants n’ont reçu aucune indemnité au niveau national. »

[5]. Rectifié le 23 octobre 2012. Le texte était le suivant : « Compte tenu de ces éléments, la Cour estime raisonnable d’accorder 125 000 EUR à la première requérante et 29 000 EUR à chacun des trois autres requérants, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur ces sommes. »

[6]. Rectifié le 23 octobre 2012. Le texte était le suivant : « i. 129 000 EUR (cent vingt neuf mille euros) à la première requérante, 30 000 EUR (trente mille euros) au deuxième requérant, 30 000 EUR (trente mille euros) à la troisième requérante et 30 000 EUR (trente mille euros) à la quatrième requérante, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel. »


Type d'affaire : satisfaction équitable
Type de recours : Dommage matériel et préjudice moral - réparation

Parties
Demandeurs : COLAZZO
Défendeurs : ITALIE

Références :

Composition du Tribunal
Avocat(s) : GIGANTE P. G.

Origine de la décision
Formation : Cour (premiÈre section)
Date de la décision : 05/06/2012
Date de l'import : 08/02/2021

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 001-111318
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2012-06-05;001.111318 ?

Source

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