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19/06/2012 | CEDH | N°001-111511

CEDH | CEDH, AFFAIRE CONSTANTIN FLOREA c. ROUMANIE, 2012, 001-111511


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE CONSTANTIN FLOREA c. ROUMANIE

(Requête no 21534/05)

ARRÊT

STRASBOURG

19 juin 2012

DÉFINITIF

19/09/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Constantin Florea c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,

Alvina Gyulumyan,

Egbert Myjer,

Ján Šikuta,
>Ineta Ziemele,

Luis López Guerra,

Kristina Pardalos, juges,

et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 mai ...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE CONSTANTIN FLOREA c. ROUMANIE

(Requête no 21534/05)

ARRÊT

STRASBOURG

19 juin 2012

DÉFINITIF

19/09/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Constantin Florea c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,

Alvina Gyulumyan,

Egbert Myjer,

Ján Šikuta,

Ineta Ziemele,

Luis López Guerra,

Kristina Pardalos, juges,

et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 mai 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 21534/05) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Constantin Florea (« le requérant »), a saisi la Cour le 6 mai 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme I. Cambrea, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant allègue en particulier que la durée de la procédure à son encontre a été déraisonnable et que la présomption d’innocence a été méconnue.

4. Le 15 février 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

5. A la suite du déport de M. Corneliu Bîrsan, juge élu au titre de la Roumanie (article 28 du règlement), le président de la chambre a désigné Mme Kristina Pardalos pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 26 § 4 de la Convention et 29 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Le requérant est né en 1950 et réside à Damieneşti.

7. Il était l’associé unique d’une société commerciale qui possédait un abattoir situé dans la commune de Damieneşti. Pour la viande issue de l’abatage d’animaux achetés dans des fermes locales, la société encaissa entre janvier et juin 1996 des subventions de la part de la Direction départementale pour l’agriculture (ci-après « la Direction »).

8. A l’issue d’un contrôle effectué en juin 1996, la Direction estima que le requérant avait falsifié des documents comptables en déclarant un nombre plus élevé d’animaux abattus afin de bénéficier de subventions plus importantes. La Direction estima que la société avait ainsi indument perçu environ 245 millions de lei roumains (ROL), à savoir l’équivalent d’environ 7500 dollars américains (USD). Le parquet près le tribunal de première instance de Bacău, saisi par la Direction, ouvrit une enquête des chefs d’accusation d’escroquerie, de falsification et d’usage de faux documents officiels.

9. Entre les 9 et 19 octobre 1996, le requérant fut placé en détention provisoire par ordre du parquet. Le 19 octobre 1996, les biens de la société furent mis sous séquestre.

10. Les enquêteurs entendirent plus de 400 fermiers et ordonnèrent la réalisation d’une expertise comptable.

11. Par un réquisitoire du 5 décembre 1996, le parquet renvoya le requérant en jugement des chefs d’accusation susmentionnés.

12. Le tribunal de première instance de Bacău renvoya le dossier au tribunal départemental de Bacău qui le retourna au tribunal de première instance. La cour d’appel de Bacău attribua le dossier au tribunal départemental.

13. Le 18 septembre 1997, le tribunal départemental, sans administrer de nouvelles preuves, renvoya le dossier au parquet départemental pour la poursuite de l’enquête et la réalisation d’une nouvelle expertise comptable. Le parquet départemental renvoya le dossier au parquet près le tribunal de première instance.

14. Le 20 août 1998, le parquet rendit un non-lieu en faveur du requérant au motif qu’il n’avait commis aucune infraction. Le non-lieu fut annulé par le paquet départemental qui continua l’enquête. Une nouvelle expertise comptable fut effectuée.

15. Le 21 décembre 2000, le parquet rendit un non-lieu au motif que les faits reprochés avait été commis sans intention frauduleuse. Le 12 avril 2002, le parquet près la cour d’appel de Bacău annula le non-lieu et renvoya le dossier au parquet départemental pour la poursuite de l’enquête.

16. Une quatrième expertise comptable conclut que le requérant avait indument encaissé environ 169 millions ROL, à savoir environ 5 000 EUR. Sur demande du requérant, une nouvelle expertise fut effectuée en octobre 2002. Elle conclut que le préjudice s’élevait à environ 103 millions ROL, à savoir environ 3 000 EUR.

17. Par un réquisitoire du 1er novembre 2002, le requérant fut renvoyé devant le tribunal de première instance de Bacău des chefs d’escroquerie, de falsification et d’usage de faux documents officiels. La Direction se constitua partie civile pour la somme de 624 millions ROL représentant le préjudice allégué.

18. Le tribunal entendit plusieurs témoins et rejeta une demande du requérant concernant la réalisation d’une nouvelle expertise au motif qu’elle n’était pas nécessaire.

19. Par un jugement du 12 mai 2004, le tribunal considéra que les faits pour lesquels le requérant était poursuivi correspondaient à la définition pénale des infractions d’escroquerie, de falsification et d’usage de faux documents sous seing privé dès lors que ces documents ne provenaient pas d’une autorité publique.

20. Examinant les pièces du dossier, il estima qu’à partir de janvier 1996, le requérant, afin de bénéficier de subventions plus importantes, avait falsifié des documents comptables en inscrivant un nombre d’animaux abattus supérieur à la réalité. Il conclut en ces termes :

« Entre janvier et mai 1996, en vertu de la même volonté dolosive, le requérant, administrateur de la société commerciale « M » a falsifié les documents d’achat des animaux et [...] a encaissé illégalement du budget de l’Etat, en plusieurs tranches, la somme de 103 200 500 ROL au titre de subventions pour la viande mise sur le marché [...] ; Ces faits constituent l’infraction d’escroquerie [et] le fait d’avoir falsifié les documents d’achat constitue l’infraction de falsification d’actes sous seing privé qui inclut celle d’usage de faux. »

21. Il constata ensuite que l’action publique pour l’ensemble de ces faits était prescrite depuis novembre 2003 et, par conséquent, mit fin aux poursuites pénales.

22. Sur le volet civil de l’affaire, en vertu de l’article 998 du code civil, le tribunal condamna le requérant à rembourser à l’Etat la somme de 103 200 200 ROL. Le tribunal considéra que les éléments de la responsabilité civile délictuelle étaient caractérisés, en ces termes :

« L’existence du préjudice est certaine et pleinement prouvée par les expertises réalisées [...] L’acte qui a provoqué ce préjudice ressort des faits exposés, à savoir que le requérant, en falsifiant les documents d’acquisition, a trompé la partie civile afin d’obtenir pour soi des avantages indus [...] La faute est intentionnelle et ses allégations concernant la responsabilité des employés de la Direction (...) ne peuvent pas être retenues. Il y a également un rapport de causalité direct entre l’acte et le préjudice provoqué [...] ».

23. Le requérant forma un appel et un pourvoi alléguant son innocence. Le jugement rendu en première instance fut confirmé par deux arrêts définitifs du tribunal départemental et de la cour d’appel de Bacău des 7 octobre et 16 décembre 2004 au motif qu’il « a été constaté avec certitude que l’accusé avait commis les infractions dont il était accusé ».

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

24. L’article 10 g) du code de procédure pénale prévoit que l’action publique s’éteint par l’amnistie, la prescription ou le décès du prévenu.

25. En vertu de l’article 121 du code pénal, la prescription ôte aux faits poursuivis le caractère délictueux et fait obstacle à l’exercice de l’action publique. Le délai de la prescription varie de trois à quinze ans, en fonction de l’infraction poursuivie.

26. L’article 124 du code pénal prévoit une forme de prescription spéciale, qui intervient indifféremment du nombre d’interruptions, dès lors que les délais de prescription ordinaires sont dépassés d’un intervalle de temps égal à leur moitié.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

27. Le requérant allègue que la durée de la procédure pénale à son encontre a été déraisonnable. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

A. Sur la recevabilité

28. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

29. Le Gouvernement soutient que l’affaire présentait une certaine complexité en raison de la gravité des faits, du nombre de témoins interrogés et de la nature des preuves. Quant à la conduite des autorités, le Gouvernement ajoute qu’il n’y a pas eu de périodes d’inaction complète ou de lenteurs injustifiées. Enfin, il considère que le requérant a contribué à l’allongement de la durée de la procédure par des demandes d’ajournement visant la préparation de la défense, une demande de récusation et l’absence à l’une des expertises.

30. La Cour rappelle d’emblée que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999-II).

31. En l’espèce, la Cour note que la période à considérer a débuté en juin 1996 et s’est terminée le 16 décembre 2004. Elle a donc duré environ huit ans et cinq mois pour trois degrés de juridiction.

32. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle de la présente espèce, dans lesquelles elle a conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (Pélissier et Sassi, précité).

33. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. En particulier, elle note que la procédure a été prolongée soit en raison de l’incompétence matérielle des tribunaux et du délai nécessaire à la résolution du conflit de compétence, soit par les multiples renvois entre les juridictions et les divers parquets, jusqu’au constat de la prescription de la responsabilité pénale. Or, il n’est pas déraisonnable de penser que ces questions liées à la compétence des instances et les cassations répétées ont causé des retards qui ne sauraient être imputés au requérant (voir, mutatis mutandis, Wierciszewska c. Pologne, no 41431/98, § 46, 25 novembre 2003, SC Concept Ltd SRL et Manole c. Roumanie, no 42907/02, § 51, 22 novembre 2007 et Didu c. Roumanie, no 34814/02, § 29, 14 avril 2009).

34. Au vu de ce qui précède et compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime que la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

35. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 2 DE LA CONVENTION

36. Le requérant dénonce une violation du principe du respect de la présomption d’innocence en raison du fait que les tribunaux internes ont exprimé un jugement sur sa culpabilité pénale et lui ont infligé une sanction pécuniaire, malgré la prescription des faits dont il était accusé. Il invoque l’article 6 § 2 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

37. Le Gouvernement conteste cette thèse.

A. Sur la recevabilité

38. Le Gouvernement soulève une exception d’incompatibilité ratione materiae de ce grief estimant que les allégations du requérant concernant la violation du principe de la présomption d’innocence sont la conséquence d’une interprétation erronée du droit interne.

39. A cet égard, il expose que les juridictions internes doivent d’abord établir l’existence de la responsabilité pénale pour ensuite écarter les conséquences de celle-ci en raison de l’intervention de la prescription. Dès lors, il estime que c’était à juste titre que les juridictions internes ont établi la culpabilité du requérant et ont jugé qu’il avait commis les infractions dont il était accusé.

40. Le Gouvernement souligne que la cessation du procès pénal n’affecte pas l’application d’une sanction civile et qu’en l’espèce, se penchant sur le volet civil de l’affaire, les tribunaux ont constaté que les conditions de la responsabilité pénale délictuelle étaient réunies et, par conséquent, ont condamné le requérant à réparer le préjudice subi par la partie civile.

41. Le Gouvernement plaide également que le requérant ne peut pas se prétendre victime d’une violation du droit au respect de la présomption d’innocence dès lors que sa culpabilité a été légalement établie sous les volets pénal et civil de l’affaire.

42. Le requérant soutient que sa condamnation malgré le constat de la prescription de la responsabilité pénale a porté atteinte au droit au respect de la présomption d’innocence.

43. La Cour rappelle que la présomption d’innocence consacrée par le paragraphe 2 de l’article 6 figure parmi les éléments de la notion de procès équitable en matière pénale exigé par le paragraphe 1 (Deweer c. Belgique, 27 février 1980, § 56, série A no 35) et doit être interprétée à la lumière de la jurisprudence de la Cour en la matière. La Cour a déjà examiné des requêtes sous l’angle des deux paragraphes combinés (Bernard c. France, 23 avril 1998, § 37, Recueil des arrêts et décisions 1998‑II, et Janosevic c. Suède, no 34619/97, § 96, CEDH 2002‑VII) et jugé que l’article 6 § 2 régissait l’ensemble de la procédure, indépendamment de l’issue des poursuites et y compris dans le cas où celles-ci ont été arrêtées pour cause de prescription (Minelli c. Suisse, 25 mars 1983, §§ 25 et suiv., série A no 62 et Didu, précité, § 41).

44. En l’espèce, le requérant soutient que la prescription s’oppose à l’établissement de sa responsabilité pénale et à la condamnation civile pour les mêmes faits. La Cour estime que la question de l’applicabilité de l’article 6 § 2 de la Convention et de la qualité de victime du requérant, contestées par le Gouvernement, se confond en réalité avec le fond, dans le cadre duquel elle doit être examinée.

45. Partant, la Cour constate que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

46. Le Gouvernement affirme que le requérant a bénéficié de toutes les garanties du procès équitable dans le cadre duquel les droits à la défense ont été respectés. Il expose que le requérant a pu faire administrer toutes les preuves qu’il estimait pertinentes devant le parquet et les tribunaux internes qui, sur la base de l’ensemble des pièces et après un examen approfondi du dossier, ont renversé la présomption d’innocence à l’égard du requérant et ont établi sa culpabilité pénale et civile.

47. S’agissant du volet civil de l’affaire, le Gouvernement souligne que le tribunal avait jugé que le préjudice était certain et qu’il était la conséquence du fait illicite du requérant, à savoir la falsification des documents comptables afin d’obtenir des bénéfices illégaux pour soi-même au détriment de la partie civile.

48. Enfin, il rappelle que le bien-fondé du jugement rendu en première instance a été confirmé sur appel et pourvoi du requérant, le tribunal départemental et la cour d’appel estimant, à leur tour, que le requérant était coupable des faits qui lui étaient reprochés.

49. Le requérant conteste la position du Gouvernement.

2. Appréciation de la Cour

50. La Cour rappelle que la présomption d’innocence se trouve méconnue si, sans établissement légal préalable de la culpabilité d’un prévenu et, notamment, sans que ce dernier ait eu l’occasion d’exercer les droits de la défense, une décision judiciaire le concernant reflète le sentiment qu’il est coupable. Il peut en aller ainsi même en l’absence de constat formel; il suffit d’une motivation donnant à penser que le juge considère l’intéressé comme coupable (voir, parmi beaucoup d’autres, Minelli, précité, § 37).

51. La Cour rappelle également qu’elle a jugé dans l’affaire Didu précitée, que le fait pour la juridiction statuant en dernier instance de casser les décisions d’acquittement rendues par les juridictions inférieures et de constater la culpabilité de l’intéressé tout en clôturant les poursuites pour cause de prescription de la responsabilité pénale méconnaissait l’article 6 § 2 de la Convention, dans la mesure où les droits de la défense n’avaient pas été respectés dans la procédure déroulée devant elle, alors qu’elle était la première juridiction à avoir jugé le requérant coupable. De même, dans l’affaire Giosakis c. Grèce (no 3), (no 5689/08, § 41, 3 mai 2011), la Cour a sanctionné comme étant contraire à l’article 6 § 2 de la Convention, le fait pour la Cour de cassation de casser l’arrêt d’acquittement rendu par la cour d’appel, alors qu’en même temps elle avait constaté l’extinction des poursuites pour cause de prescription, et cela bien qu’elle ne se fût aucunement penchée sur la culpabilité de l’intéressé.

52. Il ressort de cette jurisprudence qu’un problème apparaît sous l’angle de l’article 6 § 2 de la Convention lorsque la juridiction qui clôt la procédure pour cause de prescription casse simultanément les acquittements prononcés par les juridictions inférieures et, de plus, se prononce pour la première fois sur la culpabilité de l’intéressé, sans que les droits de la défense soient respectés dans la procédure menée devant elle. La Cour considère toutefois que cette jurisprudence n’est pas applicable en l’espèce pour les motifs exposés ci-après.

53. La Cour constate que le tribunal de première instance a connu de l’affaire en fait et en droit et a étudié dans son ensemble la question de la culpabilité pénale et civile du requérant. S’appuyant sur les preuves administrées au préalable dans le cadre d’une procédure contradictoire et respectueuse des droits de la défense, il a apprécié que le requérant avait commis les infractions dont il était accusé, tout en constatant la prescription de la responsabilité pénale.

54. Le Gouvernement reconnait qu’il s’agit d’un constat formel de culpabilité pénale, mais estime qu’il n’était pas incompatible avec le respect de la présomption d’innocence dès lors qu’il a été établi à l’issue d’une procédure équitable. Le requérant ne conteste pas la manière dont le procès a eu lieu devant le tribunal de première instance, mais se plaint du fait que ce tribunal a examiné et a conclu à sa culpabilité malgré l’arrivée à l’échéance du délai de prescription.

55. La Cour observe que le tribunal de première instance a examiné d’abord l’existence des éléments constitutifs des infractions pour se pencher ensuite sur la prescription et la responsabilité civile délictuelle. A cet égard, la Cour ne substituera pas sa propre appréciation des faits et du droit à la leur en l’absence d’arbitraire, sauf si et dans la mesure où elle pourrait avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention.

56. Certes, les poursuites dirigées contre le requérant étant éteintes en raison de la prescription, l’examen de cette question à titre préliminaire aurait pu rendre inutile l’analyse du fond de la culpabilité pénale du requérant. Cependant, la Cour rappelle que c’est, en principe, aux juridictions internes de veiller au bon déroulement de leurs propres procédures, le droit à un procès équitable n’exigeant pas l’examen des moyens dans un certain ordre (Cortina de Alcocer et de Alcocer Torra c. Espagne (déc.), no 33912/08).

57. Par ailleurs, la Cour note que la culpabilité pénale du requérant a été établie dans le cadre d’une procédure dont l’équité n’a pas été jugée contraire à la Convention et dans laquelle aucune méconnaissance des droits à la défense n’a été relevée. Quant au volet civil de l’affaire, la Cour constate que le tribunal de première instance a statué sur l’action civile et a condamné le requérant après avoir établi que les éléments constitutifs de la responsabilité délictuelle étaient caractérisés. La Cour estime que le tribunal a suffisamment motivé cette condamnation, laquelle ne peut être considérée comme arbitraire.

58. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 2 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION

59. Le requérant se plaint également de la mise sous séquestre par ordonnance du parquet des biens de la société. Il invoque l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

Sur la recevabilité

60. La Cour note que le requérant n’a pas contesté l’ordonnance du parquet, au motif que celle-ci n’aurait pas été portée à sa connaissance. Cependant, il ressort des pièces du dossier que cette ordonnance lui a bien été communiquée, même si le requérant affirme que la signature sur le procès-verbal ne lui appartient pas. Or, il n’a pas contesté cette signature ni pendant la procédure pénale diligentée contre lui, ni par une action civile séparée, mais il a soulevé ce grief pour la première fois devant la Cour.

61. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

62. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

63. Le requérant réclame 10 millions d’euros (EUR) au titre du préjudice matériel et moral qu’il aurait subi, dont 8,4 millions d’euros pour les souffrances éprouvées au cours de la procédure et 1,6 millions pour la perte de gains en raison de la cessation d’activité de sa société.

64. Le Gouvernement estime qu’il convient de rejeter la demande du requérant et, à titre subsidiaire, considère que la somme exigée est excessive.

65. La Cour rappelle avoir conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison du délai de la procédure pénale dirigée contre le requérant. Partant, elle n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 1 200 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

66. Le requérant, demande, sans fournir des justificatifs, 50 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.

67. Le Gouvernement considère que la demande est à rejeter comme non étayée.

68. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour rejette la demande relative aux frais et dépens.

C. Intérêts moratoires

69. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 6 §§ 1 et 2 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 2 de la Convention ;

4. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 1 200 EUR (mille deux cents euros), à convertir dans la monnaie de l’Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement, pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 juin 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident


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