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03/07/2012 | CEDH | N°001-111952

CEDH | CEDH, AFFAIRE TASHEV c. BULGARIE, 2012, 001-111952


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE TASHEV c. BULGARIE

(Requête no 41816/04)

ARRÊT

STRASBOURG

3 juillet 2012

DÉFINITIF

19/11/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Tashev c. Bulgarie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Lech Garlicki, président,
David Thór Björgvinsson,
Päivi Hirvelä,
George Nicolaou,
Ledi Bianku, <

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Vincent A. De Gaetano, juges,
et de Lawrence Early, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 juin ...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE TASHEV c. BULGARIE

(Requête no 41816/04)

ARRÊT

STRASBOURG

3 juillet 2012

DÉFINITIF

19/11/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Tashev c. Bulgarie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Lech Garlicki, président,
David Thór Björgvinsson,
Päivi Hirvelä,
George Nicolaou,
Ledi Bianku,
Zdravka Kalaydjieva,
Vincent A. De Gaetano, juges,
et de Lawrence Early, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 juin 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 41816/04) dirigée contre la République de Bulgarie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Petko Nikolov Tashev (« le requérant »), a saisi la Cour le 25 novembre 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Mes M. Ekimdzhiev et K. Boncheva, avocats à Plovdiv. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme R. Nikolova, du ministère de la Justice.

3. Le requérant allègue qu’il a été victime d’une ingérence injustifiée dans son droit au respect de ses biens, protégé par l’article 1 du Protocole no 1, parce qu’il a été contraint de démolir son atelier de mécanique. Il soutient qu’il n’a pas eu à sa disposition des voies de recours internes adéquates, comme l’aurait voulu l’article 13 de la Convention.

4. Le 29 janvier 2009, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond de l’affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1941 et réside à Plovdiv.

6. Il est copropriétaire d’un terrain constructible à Plovdiv. Sur ce terrain existaient plusieurs bâtiments principaux et secondaires, parmi lesquels figurait un garage que l’intéressé avait transformé en atelier de mécanique. Il y réparait les pots d’échappement de voitures, activité qui constituait selon ses dires la source principale de revenus de sa famille.

7. Le 21 mars 1999, un notaire lui délivra un acte attestant qu’il avait acquis la propriété dudit garage par voie d’usucapion.

8. Le 8 novembre 2000, trois agents de l’administration municipale effectuèrent une inspection du terrain en cause. Ils dressèrent un procès‑verbal constatant que le garage du requérant avait une superficie de 27 mètres carrés, que celui-ci était utilisé comme atelier de réparation de pots d’échappement d’automobiles et qu’il avait été construit sans les documents nécessaires et sans l’accord des autres copropriétaires du terrain.

9. Par une ordonnance du 29 décembre 2000, le maire de Plovdiv ordonna au requérant de démolir l’atelier de mécanique. L’ordonnance du maire faisait référence aux constats du procès-verbal du 8 novembre 2000 et à l’article 44 de la loi sur l’urbanisme (Закон за териториално и селищно устройство).

10. Le 22 février 2001, le requérant contesta cette ordonnance devant le tribunal régional de Plovdiv. Le tribunal régional accueillit les preuves écrites présentées par les parties et interrogea quelques témoins. Il ordonna trois expertises techniques consécutives, y compris une triple expertise à la demande du requérant, afin de déterminer si la construction en cause répondait aux règles d’urbanisme et aux exigences de l’article 44 de la loi sur l’urbanisme. Le tribunal tint neuf audiences : une audience fut reportée à cause de l’absence d’un des experts ; deux des audiences furent ajournées parce que les experts n’avaient pas préparé et déposé leur rapport au greffe du tribunal ; une autre audience fut reportée pour défaut de citation d’un des copropriétaires du terrain.

11. Dans leur rapport, dressé à l’issue d’une visite sur le terrain, les trois experts techniques observèrent que le garage en question avait une superficie de 27 mètres carrés. La construction avait une ossature métallique, le toit était fait de tôles en métal et deux des murs étaient constitués de tôles de bois et de matériaux composites. Il y avait deux portes métalliques. Le sol était couvert de béton d’une épaisseur de 8 à 10 centimètres et il y avait une fosse creusée au milieu. Une partie du côté est du garage était constituée d’un ancien mur en pierres et en briques. Les experts observèrent que le plan d’urbanisme ne prévoyait pas d’atelier mécanique sur le terrain en cause et que le garage litigieux avait été érigé sans permis de construire ni plan déposé. Les matériaux employés laissaient à penser que la construction datait des années 1980, exception faite d’une partie de son mur est. Le garage n’avait pas d’accès direct au boulevard sur lequel il donnait et les voitures devaient passer par le trottoir pour accéder à l’atelier de mécanique. Les experts observaient que la construction en cause avait l’aspect d’une baraque métallique.

12. Devant le tribunal régional, le requérant soutint que l’ordonnance du maire n’était pas conforme à la législation en vigueur : si le motif pour ordonner la démolition de son atelier était l’absence des documents nécessaires à sa construction, alors le maire n’était pas compétent pour prendre l’acte administratif contesté. D’autre part, l’ordonnance mentionnait l’article 44 de la loi sur l’urbanisme, or celui-ci prévoyait plusieurs cas de figure, et le maire n’avait pas précisé exactement les motifs retenus en l’espèce pour ordonner la démolition de la construction en cause. Le requérant faisait valoir qu’en tout état de cause les exigences de l’article 44 de la loi sur l’urbanisme étaient remplies car l’existence de son atelier ne perturbait pas la circulation, la construction était stable, l’atelier était propre, le bâtiment était éloigné de tout immeuble d’habitation, et il n’y avait pas de nuisances sonores ni de préjudice à l’unité architecturale du quartier.

13. Par un jugement du 30 décembre 2003, le tribunal régional de Plovdiv accueillit le recours du requérant et annula l’ordonnance du maire. Le tribunal constata que l’ordonnance en cause reposait sur le constat que l’atelier avait été construit sans les permis nécessaires. Dans ce cas de figure l’organe compétent n’était pas le maire, mais le directeur de la direction du contrôle des constructions. Partant, l’ordonnance en cause n’émanait pas de l’organe administratif compétent.

14. Le maire contesta ce jugement devant la Cour administrative suprême. Le requérant reprit les arguments déjà présentés devant le tribunal régional.

15. Par un arrêt du 25 mai 2004, la haute juridiction administrative infirma le jugement du tribunal régional. Elle estima que l’atelier n’entrait pas dans la catégorie des bâtiments solides aux termes de la loi, mais qu’il s’agissait d’une construction secondaire et temporaire, faite de différentes pièces démontables de métal et de matériaux composites. Le maire était bien compétent pour demander sa démolition en vertu de l’article 44 de la loi sur l’urbanisme, dès lors qu’un des cas de figure prévus par cette disposition était constaté. La Cour administrative suprême constata ensuite que le plan d’urbanisme ne prévoyait pas la construction d’un atelier de mécanique sur le terrain en cause. L’activité exercée par le requérant, la réparation des pots d’échappement des automobiles, était de nature à causer une pollution et une nuisance sonore excessives dans le quartier. L’emplacement et l’aspect de l’atelier n’étaient pas convenables aux termes de l’article 44 de la loi sur l’urbanisme, ce qui était démontré par les prévisions du plan d’urbanisme local et par les rapports que les experts avaient présentés devant le tribunal régional. Il existait des immeubles d’habitation sur la même parcelle et la Cour administrative suprême estima que la démolition de l’atelier du requérant répondait aux intérêts des habitants de ces immeubles.

16. La construction en cause fut démolie le 8 octobre 2004 en exécution de l’arrêt définitif de la Cour administrative suprême.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

17. L’article 44 de la loi sur l’urbanisme de 1973 (Закон за териториално и селищно устройство), en vigueur à l’époque des faits, autorisait le maire à demander à tout particulier d’aménager, réparer ou démolir une construction secondaire lui appartenant si l’emplacement ou l’aspect de celle-ci n’était pas convenable. Le maire pouvait également demander au propriétaire d’effectuer les travaux nécessaires pour le respect de la sécurité, de la sûreté de la circulation, de la propreté, de l’hygiène et de la santé publiques ou de la tranquillité des autres habitants.

18. Selon la jurisprudence constante de la Cour administrative suprême à l’époque des faits, la simple illégalité de la construction pour absence de permis nécessaire n’entrait pas en ligne de compte pour l’application de l’article 44 de la loi sur l’urbanisme. Ce n’était pas l’illégalité du bâtiment en cause qui justifiait l’application des mesures prévues par cet article, mais l’emplacement et l’aspect inconvenables de celui-ci (voir par exemple Решение № 10417 от 20.11.2002 г. на ВАС по адм. д. № 6427/2002 г., ІІ о. ; Решение № 11277 от 11.12.2002 г. на ВАС по адм. д. № 5038/2002 г., ІІ о.).

19. L’article 1, alinéa 1, de la loi sur la responsabilité de l’Etat pour les dommages causés aux particuliers (depuis 2006, loi sur la responsabilité de l’Etat et des municipalités pour dommages), dans sa rédaction en vigueur à l’époque des faits, disposait comme suit :

« L’Etat est responsable des dommages causés aux particuliers du fait des actes, actions ou inactions illégaux de ses autorités ou agents à l’occasion de l’accomplissement de leurs fonctions en matière administrative. (...) ».

Le dédommagement couvre tous les préjudices matériels et moraux qui sont les conséquences directes de l’acte, l’action ou l’inaction illicite (article 4 de la loi).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

20. Le requérant allègue que la démolition de son atelier de mécanique a porté une atteinte injustifiée à son droit au respect de ses biens, garanti par l’article 1 du Protocole no 1. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, il conteste l’issue de la procédure engagée par lui pour faire contrôler la légalité de l’ordonnance de démolition du maire et soutient que celle-ci a été inéquitable.

21. La Cour rappelle que la qualification juridique sous telle ou telle disposition de la Convention ou de ses Protocoles des faits invoqués par les requérants relève de sa propre compétence exclusive et qu’elle n’est pas tenue de suivre les arguments des parties sur ce point. Un grief se caractérise par les faits qu’il dénonce et non par les simples moyens ou arguments de droit invoqués (voir Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 44, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I).

22. Compte tenu de ce principe et des circonstances spécifiques de la présente affaire, la Cour estime qu’il a lieu d’aborder les allégations du requérant uniquement sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. ».

A. Sur la recevabilité

23. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

a) Le requérant

24. Le requérant allègue que la démolition de son atelier de mécanique l’a non seulement privé d’un bien immeuble, mais a également mis fin à son activité de réparation de véhicules, ce qui l’a privé de la possibilité d’obtenir des revenus futurs. L’intéressé estime que cette situation s’analyse incontestablement en une ingérence dans son droit au respect de ses biens.

25. Le requérant soutient que cette ingérence ne répondait pas à l’exigence de légalité posée par l’article 1 du Protocole no 1. Il fait observer que, selon la législation interne, l’ordonnance du maire qui l’a obligé à démolir son atelier était un acte administratif individuel. Elle devait donc contenir une référence à la disposition législative pertinente et exposer les raisons factuelles qui imposaient la démolition de son bien, afin d’éviter tout risque d’arbitraire. Certes, l’ordonnance du maire mentionnait qu’elle était délivrée en vertu de l’article 44 de la loi sur l’urbanisme. Cependant, cette disposition législative prévoyait plusieurs cas de figure différents dans lesquels le maire avait le droit d’exiger la démolition d’une construction secondaire. L’ordonnance du 29 décembre 2000 ne précisait pas l’hypothèse exacte qui justifiait la démolition de l’atelier du requérant. Par ailleurs, l’ordonnance en cause faisait référence au procès-verbal du 8 novembre 2000 dans lequel les agents municipaux constataient que la construction en cause avait été construite sans les documents nécessaires. Or un tel motif n’était pas au nombre de ceux prévus par l’article 44 de la loi sur l’urbanisme. Ainsi, l’ordonnance en cause ne répondait pas aux exigences posées par la législation interne. Par ailleurs, le caractère imprécis de l’ordonnance litigieuse aurait privé le requérant de la possibilité de défendre effectivement ses droits et intérêts légitimes devant les juridictions internes.

26. Le requérant soutient que la démolition de son atelier de mécanique n’était pas ordonnée dans l’intérêt de la société. En particulier, aucune des preuves rassemblées devant les tribunaux administratifs ne démontrait que la construction en cause nuisait à l’hygiène publique, ou bien que son emplacement et son aspect extérieur étaient inappropriés. Il n’était pas prouvé que l’atelier de mécanique ait été construit illégalement et en tout état de cause la législation interne prévoyait la possibilité de régulariser des constructions bâties sans les permis et plans nécessaires. De plus, il n’appartenait pas au maire d’établir l’illégalité de la construction en cause car une telle appréciation relevait de la compétence de l’administration spécialisée dans le contrôle des constructions.

27. A supposer même que la démolition de la construction en cause fût dans l’intérêt général, l’intéressé estime que cette ingérence dans son droit au respect de ses biens n’a pas satisfait à l’exigence de proportionnalité posée par l’article 1 du Protocole no 1. Il fait observer que dans son arrêt du 25 mai 2004, la Cour administrative suprême a reconnu que ce n’était pas la construction elle-même qui était incompatible avec le maintien de l’hygiène publique et la tranquillité du quartier, mais l’activité que le requérant y exerçait. Dans ce cas de figure, la mesure adéquate n’était pas la démolition de l’atelier mais la cessation de l’activité nuisible. Enfin s’il est vrai que la haute juridiction a également retenu que l’atelier du requérant n’avait pas un aspect extérieur convenable, le maire aurait à cet égard pu demander au requérant d’entreprendre des travaux de réfection de l’atelier de mécanique au lieu d’ordonner sa démolition.

b) Le Gouvernement

28. Le Gouvernement s’oppose à la position du requérant. Il admet que la situation en l’occurrence s’analyse en une ingérence dans le droit de l’intéressé de jouir de son bien immeuble. Il estime toutefois que l’ingérence en cause était prévue par la loi, qu’elle poursuivait un but légitime et qu’elle était proportionnée au but légitime poursuivi.

29. L’ordonnance du maire imposant la destruction de l’atelier de mécanique du requérant reposait sur l’article 44 de la loi sur l’urbanisme. De ce fait, la destruction du bien du requérant répondait au critère de légalité posé par l’article 1 du Protocole no 1. La Cour administrative suprême avait effectué un contrôle de la légalité de cette ordonnance et elle avait estimé que la législation interne avait été respectée.

30. Le Gouvernement estime que la mesure litigieuse était prise dans l’intérêt général parce qu’elle visait à la sauvegarde de l’hygiène publique et de la tranquillité des voisins de l’atelier de mécanique en cause. En outre, au cours de la procédure devant les tribunaux administratifs il avait été établi qu’il n’y avait pas d’accès direct du côté de la rue et que les véhicules devaient passer par le trottoir pour accéder à l’atelier du requérant, ce qui posait un danger pour la circulation automobile et pour les piétons.

31. Le Gouvernement estime que les autorités ont opéré un juste équilibre entre l’intérêt général et le droit du requérant de jouir de ses biens. L’intéressé n’a pas démontré que la démolition de son atelier de mécanique a constitué une charge excessive pour lui. Le Gouvernement est d’avis que l’intérêt du requérant, consistant à utiliser une construction secondaire à des fins lucratives, ne saurait être opposable à l’intérêt général qui impose la destruction des constructions nuisibles à l’hygiène publique, à l’esthétique de l’environnement urbain, à la sécurité et la propreté du territoire urbanisé, ainsi qu’à la santé de ses habitants. L’intéressé avait érigé une construction temporaire qui ne répondait pas aux exigences posées par les règles d’urbanisme et qui avait incontestablement un emplacement et un aspect extérieur inappropriés. Dans ces circonstances, l’intérêt commun primait sur le droit du requérant de jouir de son bien et la décision des autorités, ordonnant la démolition de son atelier de mécanique, était justifiée au regard de l’article 1 du Protocole no 1.

2. Appréciation de la Cour

32. La Cour rappelle que l’article 1 du Protocole no 1, qui garantit en substance le droit de propriété, contient trois normes distinctes : la première, qui s’exprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ; la troisième, contenue dans le second alinéa, reconnaît aux Etats contractants le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général. Les deuxième et troisième normes, étant des exemples particuliers d’atteintes au droit de propriété, doivent s’interpréter à la lumière du principe consacré par la première (James et autres c. Royaume-Uni, 21 février 1986, § 37, série A no 98 ; Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, § 134, CEDH 2004-V).

33. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour observe que le requérant a été obligé par l’administration municipale à démolir un garage, fait de matériaux légers et qualifié par les tribunaux internes de construction secondaire et temporaire (voir paragraphe 15 ci-dessus), qu’il utilisait comme atelier de mécanique. Le garage se trouvait sur un terrain dont l’intéressé était l’un des copropriétaires et le requérant disposait d’un acte notarié le reconnaissant propriétaire individuel de ce local. Les autorités ont basé leur décision de démolition de cette construction sur l’article 44 de la loi sur l’urbanisme, selon lequel la création et l’utilisation de constructions secondaires en milieu urbain étaient assujetties à certaines conditions liées notamment à l’emplacement et à l’aspect extérieur de celles-ci (voir paragraphe 17 ci-dessus). Elles ont estimé que l’atelier de mécanique ne répondait pas à ces exigences. La légalité de la construction en cause était par ailleurs douteuse puisque le plan d’urbanisme ne prévoyait pas d’atelier mécanique sur le terrain en cause. Quoi qu’il en soit, les parties s’accordent sur le fait que la démolition de l’atelier de mécanique du requérant s’analyse en une ingérence dans son droit au respect de ses biens (voir paragraphes 24 et 28 ci-dessus). La Cour, pour sa part, ne voit aucune raison d’arriver à une conclusion différente sur ce point. L’intéressé était en possession d’un document officiel, notamment un acte notarié, qui attestait qu’il était le titulaire du droit de propriété sur un bien immeuble identifiable, ne fût-ce qu’une construction secondaire, d’une petite superficie et faite d’éléments détachables. Compte tenu des faits spécifiques de l’espèce, la Cour estime que la situation dont se plaint le requérant tombe dans le champ d’application de la deuxième règle énoncée par l’article 1 du Protocole no 1, à savoir la privation d’un bien.

34. La Cour rappelle que pour être justifiée, une telle ingérence dans le droit au respect des biens doit être d’abord « prévue par la loi » (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 58, CEDH 1999‑II), c’est-à-dire découler de l’application d’une règle suffisamment accessible et prévisible pour permettre au requérant de se conformer à ces exigences et de prévoir les conséquences de sa non-observation.

35. Dans le cas d’espèce, la mesure litigieuse reposait sur l’article 44 de loi sur l’urbanisme, qui était expressément visé par l’ordonnance de démolition (voir paragraphe 9 ci-dessus). Le requérant ne conteste pas l’accessibilité de cette disposition législative. Il estime cependant que la règle énoncée à l’article 44 de loi sur l’urbanisme n’était pas suffisamment prévisible. Cet article énumérait plusieurs hypothèses dans lesquelles une construction secondaire pouvait être démolie. Ce fait et la manière succincte et imprécise dont l’ordonnance du maire était rédigée auraient rendu impossible pour lui de faire valoir ses droits devant les tribunaux administratifs.

36. La Cour reconnaît que l’article 44 de la loi sur l’urbanisme prévoyait plusieurs cas de figure dans lesquels le maire pouvait demander la démolition d’une construction secondaire (voir paragraphe 17 ci-dessus) et que l’ordonnance du maire de Plovdiv du 29 décembre 2000 était succinctement rédigée, se bornant essentiellement à renvoyer à la disposition législative précitée et aux constats factuels contenus dans le procès-verbal dressé à l’issue d’une récente inspection de la construction litigieuse (voir paragraphe 9 ci-dessus). La Cour observe cependant que ladite ordonnance a été contestée par le requérant devant les tribunaux administratifs. Au cours de cette procédure l’intéressé a pu soulever les arguments qui selon lui rendaient inapplicable l’article 44 de la loi sur l’urbanisme à son atelier de mécanique. La Cour administrative suprême a estimé que l’emplacement et l’aspect dudit bâtiment n’étaient pas convenables et elle a amplement répondu aux arguments pertinents de l’intéressé (voir paragraphes 12-15 ci-dessus). A la lumière des faits de l’espèce, la Cour estime que la disposition législative appliquée était suffisamment prévisible pour permettre au requérant de se conformer à ses exigences, de prévoir les conséquences de leur inobservation et d’exercer d’une manière effective son droit de contester la mesure litigieuse devant les tribunaux. Il s’ensuit que l’ingérence contestée était « prévue par la loi » au sens de l’article 1 du Protocole no 1.

37. La Cour doit ensuite chercher à établir si l’ingérence en cause poursuivait un « but légitime », c’est-à-dire si elle était justifiée par une « cause d’utilité publique » (voir, parmi beaucoup d’autres, Allard c. Suède, no 35179/97, § 51, CEDH 2003‑VII). Elle observe à cet effet que l’article 44 de la loi sur l’urbanisme prévoyait la démolition des constructions secondaires qui avaient un emplacement ou un aspect inappropriés et que cette règle visait à assurer le respect de la sécurité de la circulation, de la propreté, de l’hygiène et de la santé publiques, ainsi que de la tranquillité des habitants dans les aires urbaines (voir paragraphe 17 ci-dessus). La Cour estime que ce sont là autant de buts légitimes qui s’inscrivent incontestablement dans l’intérêt général puisqu’il s’agit d’assurer à la population un cadre de vie fonctionnel et sécurisé en milieu urbain. La Cour estime dès lors que cette deuxième condition de la régularité de l’ingérence contestée a également été respectée.

38. Toute atteinte au droit au respect des biens doit également ménager un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu. L’équilibre à préserver est rompu si la personne concernée a dû supporter une charge spéciale et exorbitante. En d’autres termes, il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir, par exemple, Allard, précité, § 54 et les références y citées).

39. La Cour observe que le bien qui a été démoli n’était pas un bâtiment destiné à être habité par le requérant ou sa famille. Il s’agissait en effet d’un ancien garage, d’une superficie de 27 mètres carrés, que le requérant avait réaménagé en atelier de mécanique. D’après le rapport de trois experts dont les juridictions internes ont retenu les conclusions, il s’agissait d’une construction de type secondaire et temporaire, érigée au cours des années 1980 et constituée pour l’essentiel d’une ossature métallique et de tôles en métal et en divers matériaux légers (voir paragraphes 11 et 15 ci-dessus).

40. Le requérant y pratiquait une activité artisanale, à savoir la réparation des pots d’échappement de divers véhicules, et il affirme que la démolition de son atelier l’a pratiquement privé de toute possibilité d’exercer son métier. La Cour admet certes que la démolition du local où l’intéressé exerçait son activité professionnelle a inévitablement mené à la cessation temporaire de celle-ci et à l’impossibilité de l’exercer sur le même emplacement. Elle observe cependant que le requérant n’a pas allégué que ses instruments de travail aient été endommagés ou détruits au cours de la démolition du local. Il n’a pas non plus précisé pourquoi il lui aurait été impossible de reprendre son activité de mécanicien dans un autre local adapté à cette fin qu’il aurait, par exemple, loué. L’intéressé n’a pas non plus prétendu que la relocalisation éventuelle de son atelier de mécanique dans un autre quartier à Plovdiv lui aurait causé la perte d’une partie de sa clientèle. Au vu de ces éléments, la Cour estime peu convaincant l’argument du requérant selon lequel la démolition du local où il avait son atelier de mécanique aurait eu une répercussion négative majeure sur sa principale activité professionnelle.

41. L’intéressé fait remarquer que la destruction de son bien n’était pas la seule mesure qui pouvait être prise par le maire : ce dernier aurait pu lui demander, par exemple, d’effectuer des travaux de réfection dudit atelier, ce qui aurait permis d’éviter la destruction du bien du requérant tout en préservant l’intérêt général. Il est vrai que l’article 44 de la loi sur l’urbanisme permettait au maire, entre autres, de demander au requérant d’effectuer des travaux de réfection de ladite construction pour améliorer son aspect extérieur. La Cour observe cependant que d’après la conclusion des experts recueillie par les tribunaux internes, l’atelier de l’intéressé avait l’apparence d’une « baraque en métal ». Les juridictions internes ont également constaté que le plan d’urbanisme ne prévoyait pas la construction d’un atelier d’artisan sur le terrain du requérant (voir paragraphe 15 ci‑dessus). Dans ces circonstances, la Cour ne saurait reprocher aux autorités d’avoir choisi l’option de la démolition de l’atelier en question, dès lors qu’il s’agissait d’une construction secondaire et temporaire, que son emplacement était contraire aux prévisions du plan d’urbanisme et qu’il avait l’aspect d’une baraque métallique.

42. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que le requérant n’a pas été amené à supporter une charge spéciale et exorbitante. La mesure prise par les autorités était régulière au regard du droit interne, justifiée par une cause d’utilité publique et proportionnée au but qu’elle poursuivait.

43. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

44. Le requérant se plaint que le droit interne ne lui offrait aucune voie de recours effective pour remédier à la violation alléguée de son droit au respect de ses biens. Il invoque l’article 13 de la Convention, libellé comme suit :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. ».

A. Sur la recevabilité

45. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

46. Le requérant fait remarquer qu’il ne disposait d’aucun recours indemnitaire pour remédier à l’atteinte injustifiée à son bien. Il observe que l’article 1, alinéa 1, de la loi sur la responsabilité de l’Etat ne trouvait à s’appliquer qu’à la condition que l’acte de l’administration ait d’abord été reconnu contraire à la législation interne. Or, dans son cas de figure, les tribunaux ont confirmé la légalité de l’ordonnance du maire qui exigeait la démolition de son atelier de mécanique.

47. Le Gouvernement conteste cette thèse. Il souligne que le requérant a formé un recours judiciaire à l’encontre de l’ordonnance de démolition de son atelier et que les tribunaux administratifs ont rejeté celui-ci pour des raisons pertinentes et suffisantes. La loi sur la responsabilité de l’Etat constituait également une voie de recours à exercer puisqu’elle permettait le dédommagement des personnes ayant subi un dommage du fait d’actes illégaux de l’administration.

48. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, l’article 13 exige un recours interne pour les seuls griefs que l’on peut estimer « défendables » au regard de la Convention ou de ses Protocoles. L’article 13 garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés de la Convention, tels qu’ils peuvent s’y trouver consacrés. Cette disposition exige donc un recours interne habilitant « l’instance nationale compétente » à connaître du contenu du grief fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié, même si les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que leur fait cette disposition. Le recours exigé par l’article 13 doit être « effectif » en pratique comme en droit (voir, parmi beaucoup d’autres, Rotaru c. Roumanie [GC], no 28341/95, § 67, CEDH 2000-V).

49. La Cour rappelle qu’elle a déclaré recevable le grief que le requérant a soulevé sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1 (voir paragraphe 23 ci-dessus). Il s’ensuit que le requérant a soulevé un grief défendable au regard de l’article 1 du Protocole no 1 et que l’article 13 de la Convention trouve donc à s’appliquer dans le cas d’espèce.

50. Elle observe ensuite que le grief du requérant formulé sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1 découlait de la décision du maire d’ordonner la démolition de son atelier de mécanique. L’intéressé a contesté devant les tribunaux administratifs la régularité de l’ordonnance du maire et a exposé plusieurs arguments à cet égard (voir paragraphes 10 et 12 ci-dessus). Son affaire a été examinée par deux degrés de juridiction et les tribunaux ont finalement rejeté son recours, après avoir estimé que l’ordonnance du maire était conforme à la législation interne et que la construction appartenant au requérant devait être démolie parce qu’elle ne remplissait pas les conditions posées par l’article 44 de la loi sur l’urbanisme. La Cour est d’avis qu’il s’agissait d’un recours suffisamment effectif, dont l’exercice a permis au requérant de faire valoir les raisons militant contre la démolition de son atelier, même si en fin de compte les tribunaux ont rejeté les arguments avancés par lui.

51. La Cour observe également que le droit interne prévoyait une voie de recours indemnitaire, à savoir l’action en dommages et intérêts régie par l’article 1, alinéa 1 de la loi sur la responsabilité de l’Etat (voir paragraphe 19 ci-dessus), que l’intéressé aurait pu utiliser si les tribunaux internes avaient estimé que l’ordonnance du maire était irrégulière au regard du droit interne.

52. Au vu de ces constats, la Cour estime que l’intéressé ne saurait prétendre valablement qu’il était privé de tout recours effectif interne pour faire valoir son droit au respect de ses biens. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 13 de la Convention, combiné avec l’article 1 du Protocole no 1.

III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

53. Le requérant dénonce la durée excessive de la procédure de contestation de l’ordonnance du maire et allègue que le droit interne ne lui offrait aucune voie de recours pour remédier à cette situation.

54. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et en particulier de la courte durée de la procédure administrative, du caractère de l’affaire et du nombre d’instances l’ayant examinée, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 1 du Protocole no 1 et de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;

3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 juillet 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Lawrence EarlyLech Garlicki
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (quatriÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-111952
Date de la décision : 03/07/2012
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Non-violation de l'article 1 du Protocole n° 1 - Protection de la propriété (article 1 al. 1 du Protocole n° 1 - Privation de propriété);Non-violation de l'article 13+P1-1 - Droit à un recours effectif (Article 13 - Recours effectif) (article 1 du Protocole n° 1 - Protection de la propriété;article 1 al. 1 du Protocole n° 1 - Privation de propriété)

Parties
Demandeurs : TASHEV
Défendeurs : BULGARIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : EKIMDZHIEV M. ; BONCHEVA K.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2012-07-03;001.111952 ?

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