Le Conseil constitutionnel,
Vu l'article 59 de la Constitution ;
Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le Code électoral ;
Vu la requête présentée par M. Ernest Voyer, demeurant 36, rue du Premier-But, à Laigle (Orne), ladite requête enregistrée à la préfecture de l'Orne le 17 mars 1967 et tendant à ce qu'il plaise au Conseil constitutionnel statuer sur les opérations électorales auxquelles il a été procédé le 12 mars 1967 dans la 2e circonscription du département de l'Orne pour la désignation d'un député à l'Assemblée nationale ;
Vu le mémoire en défense présenté pour M. Roland Boudet, député, ledit mémoire enregistré au secrétariat général du Conseil constitutionnel le 12 avril 1967 ;
Vu le mémoire ampliatif et le mémoire en réplique présentés pour M. Ernest Voyer, lesdits mémoires enregistrés au secrétariat général du Conseil constitutionnel les 19 avril 1967 et 5 mai 1967 ;
Vu le mémoire en duplique présenté pour M. Boudet, enregistré comme ci-dessus le 16 mai 1967 ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Ouï le rapporteur en son rapport ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. Deniau, conseiller municipal S. F. I. O. a fait apposer, sur la plupart des emplacements d'affichage électoral de la circonscription, le jeudi précédant le deuxième tour de scrutin, une affiche invitant les électeurs à voter non pour M. Camus, candidat de la F. G. D. S., mais pour M. Boudet, candidat du centre démocrate ; que cette affiche portait, outre la signature de son auteur, celle de M. Paris, lequel n'avait pas été consulté ; que, si ce dernier a déclaré, après l'élection, approuver l'initiative prise par M. Deniau, il l'a, au contraire, désavouée la veille du scrutin en signant une mise au point du parti socialiste S. F. I. O. désapprouvant l'intervention de M. Deniau et reprochant à M. Boudet d'en être le véritable instigateur ; que l'affiche incriminée a été imprimée dans l'entreprise appartenant à M. Boudet et a été diffusée par cette entreprise ; que l'appel ainsi adressé aux électeurs a constitué une manoeuvre destinée à favoriser l'élection de M. Boudet ; que si, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le parti socialiste S. F. I. O. a fait imprimer une mise au point, il est constant que celle-ci n'a été diffusée qu'au cours de l'après-midi du samedi 11 mars et n'a pas été affichée comme l'appel de M. Deniau sur la plupart des emplacements réservés à l'affichage électoral ; qu'ainsi l'effet produit par cette mise au point n'a pu compenser le déplacement de voix qu'avait pu provoquer l'appel de M. Deniau ;
2. Considérant que l'utilisation, sur une affiche approuvée par M. Voyer, d'une combinaison des trois couleurs nationales dans la composition de l'emblème du groupement soutenant sa candidature et l'affichage de documents de propagande en faveur de l'intéressé sur quelques emplacements non destinés à cette fin ont constitué des irrégularités ne pouvant exercer d'influence sur le sens du scrutin ;
3. Considérant que MM. Boudet et Voyer ont recueilli respectivement 15.835 et 15.710 voix au deuxième tour de scrutin, soit une différence de 125 suffrages ; qu'eu égard à cet écart de voix séparant les deux candidats la manoeuvre précitée a pu modifier les résultats du scrutin ; qu'il y a lieu, dès lors, d'annuler l'élection contestée,
Décide :
Article premier :
L'élection législative à laquelle il a été procédé les 5 et 12 mars 1967 dans la 2° circonscription de l'Orne est annulée.
Article 2 :
La présente décision sera notifiée à l'Assemblée nationale et publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 11 juillet 1967, où siégeaient : MM. Gaston PALEWSKI, président, DESCHAMPS, MONNET, WALINE, ANTONINI, GILBERT-JULES, MICHARD-PELLISSIER ET LUCHAIRE.