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12/07/1978 | FRANCE | N°78-874

France | France, Conseil constitutionnel, 12 juillet 1978, 78-874


Le Conseil constitutionnel,

Vu l'article 59 de la Constitution ;
Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le Code électoral ;
Vu la loi n°77-805 du 19 juillet 1977 tendant à faciliter le vote des Français établis hors de France ;
Vu la requête sommaire et le mémoire ampliatif présentés par Mme Edwige AVICE, demeurant 22, rue Jonquoy à Paris (14e), ladite requête et ledit mémoire enregistrés les 30 mars et 8 avril 1978 au secrétariat général du Conseil constitutionnel et tendant à ce qu'il plaise au Conseil

statuer sur les opérations électorales auxquelles il a été procédé le 19 mars 1978...

Le Conseil constitutionnel,

Vu l'article 59 de la Constitution ;
Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le Code électoral ;
Vu la loi n°77-805 du 19 juillet 1977 tendant à faciliter le vote des Français établis hors de France ;
Vu la requête sommaire et le mémoire ampliatif présentés par Mme Edwige AVICE, demeurant 22, rue Jonquoy à Paris (14e), ladite requête et ledit mémoire enregistrés les 30 mars et 8 avril 1978 au secrétariat général du Conseil constitutionnel et tendant à ce qu'il plaise au Conseil statuer sur les opérations électorales auxquelles il a été procédé le 19 mars 1978 dans la seizième circonscription de Paris, pour la désignation d'un député à l'Assemblée nationale et, à titre principal, proclamer l'élection de Mme Edwige AVICE aux lieu et place de M. DE LA MALENE ou, subsidiairement, prononcer l'annulation de l'élection de M DE LA MALENE ;
Vu les observations en défense présentées pour M. Christian DE LA MALENE, député, enregistrées le 21 avril 1978 au secrétariat général du Conseil constitutionnel ;
Vu les observations en réplique présentées pour Mme AVICE, enregistrées comme ci-dessus le 15 juin 1978 ;
Vu les nouvelles observations présentées pour M. DE LA MALENE, enregistrées comme ci-dessus le 27 juin 1978 ;
Vu les observations présentées par le ministre de l'Intérieur, enregistrées le 24 mai 1978 au secrétariat général du Conseil constitutionnel ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Ouï le rapporteur en son rapport ;

Sur le grief relatif au décompte des suffrages exprimés :
1. Considérant qu'en soulevant un moyen tiré de ce que les procès-verbaux de recensement des votes de certains bureaux font apparaître un excédent dans le nombre des enveloppes et bulletins sans enveloppe trouvés dans l'urne par rapport au nombre des émargements, les parties ont saisi le Conseil constitutionnel de l'ensemble des opérations de décompte des suffrages exprimés ; qu'il appartient, dans ce cas, au juge de l'élection d'examiner les procès-verbaux de tous les bureaux de vote et d'opérer les redressements nécessaires ; que lorsque apparaît l'excédent qui vient d'être indiqué, il convient de retenir, pour chaque bureau de vote, le moins élevé des deux nombres et de diminuer corrélativement le nombre des votants, celui des suffrages exprimés ainsi que celui des voix recueillies par le candidat le plus favorisé ; que de l'examen des procès-verbaux, il ressort que le nombre des voix obtenues par M. DE LA MALENE doit être réduit d'un total de vingt pour les bureaux n°46, 49, 50, 55, 56, 57 et 59 où ce candidat est arrivé en tête et que le nombre des voix obtenues par Mme AVICE arrivée en tête dans les bureaux n°37, 38, 41, 51, 52 et 54 doit, au total, être diminué de 14 unités ; qu'après ces rectifications M. DE LA MALENE, avec 15 555 voix conserve une majorité de 53 suffrages sur Mme AVICE qui a recueilli 15 502 voix ;
Sur le grief relatif au décompte des bulletins nuls :
2. Considérant que le deuxième alinéa de l'article L.165 du Code électoral dispose que, sous réserve des dispositions de l'article L. 163, lequel est sans application en l'espèce, le bulletin de vote doit comporter le nom du candidat et celui du remplaçant ; que l'article R. 103 rappelle cette prescription et ajoute que le nom du suppléant doit être imprimé en caractères de moindre dimension que celui du candidat ; que l'article R. 104 déclare valables les bulletins manuscrits à la seule condition qu'ils comportent les mêmes mentions et que l'article R. 105 ne permet de déclarer nuls, pour des questions de forme, que les bulletins qui ne répondent pas aux conditions visées à l'article R. 103 ;
3. Considérant que ces dispositions ne permettent pas de tenir pour nuls des bulletins de vote imprimés en vue du premier tour de scrutin et utilisés au second, dès lors, que ceux-ci répondent aux conditions visées à l'article R. 103 ; que la circonstance que les bulletins de vote du premier tour, désignaient Mme AVICE et son suppléant M. MAILLOT comme candidats du parti socialiste, alors que ceux du second tour désignaient ces candidats comme étant ceux de l'"Union de toute la gauche, présentés par le P.S. et soutenus par le P.C.F. et le M.R.G." re rend pas irrégulière l'utilisation au second tour de ces bulletins du premier tour, dès lors qu'ils répondent, les uns comme les autres, aux prescriptions du Code électoral qui réglementent leur forme et qu'au second tour Mme AVICE restait la candidate du parti socialiste même si elle bénéficiait en outre du soutien de deux autres formations politiques ; que c'est donc à tort que, contrairement à ce que d'autres bureaux de vote de la circonscription ont admis, les bureaux de vote ou la commission de recensement des votes ont annulé, au total, 13 votes exprimés au profit de Mme AVICE au moyen de bulletins imprimés pour le premier tour, dans les bureaux n°34, 40, 45, 50, 51 et 58 ;
4. Considérant que c'est également à tort que le bureau de vote n° 42 a annulé un bulletin de vote en faveur de Mme AVICE, portant une légère trace, manifestement accidentelle, de rouge à lèvres ;
5. Considérant que c'est également à bon droit que le bureau de vote n°59 a tenu pour non valable le vote émis par un électeur au profit de Mme AVICE, au moyen d'une profession de foi de cette candidate ; qu'en effet ce document ne constitue pas un bulletin de vote au sens des dispositions précitées du Code électoral ;
6. Considérant que c'est également à bon droit que la Commission de recensement a validé, pour le 43e bureau, un vote émis au profil de M. DE LA MALENE et se trouvant dans une enveloppe du type de celles qui ont été fournies par l'administration préfectorale, portant le timbre à date de la préfecture prévu par l'article R. 54 du Code électoral mais sur laquelle, à l'évidence par suite d'une malfaçon lors de l'impression, ne figure pas la mention "République française" qui est exprimée sur les autres enveloppes et dont l'existence n'est pas exigée par le Code électoral ; que l'examen des pièces annexées au procès-verbal du bureau de vote n°60 permet également de constater que les 23 votes déclarés nuls l'étaient effectivement ;
7. Considérant que, de ce qui précède, il résulte que 14 suffrages doivent être ajoutés au nombre des voix obtenues par Mme AVICE, ce qui porte ce nombre du chiffre précédemment rectifié de 15.502 à celui de 15 516 voix; et qu'ainsi, avec 15 555 suffrages, M. DE LA MALENE conserve une majorité de 39 voix ;
Sur les moyens tirés de ce que, par suite d'une double manoeuvre, un certain nombre de Français de l'étranger auraient, d'une part, été irrégulièrement inscrits sur les listes électorales de la seizième circonscription de Paris et, d'autre part, été admis à voter par procuration en méconnaissance des dispositions du Code électoral :
8. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'un télégramme, en date du 15 décembre 1977, de l'ambassadeur de France du Gabon, se référant à un précédent télégramme du 5 décembre, annonce qu'un représentant des Français au Gabon au Conseil supérieur des Français de l'étranger a acheminé la veille, au siège de l'association dénommée "Rassemblement des Français à l'étranger", 1650 demandes d'inscription en blanc et un nombre égal de procurations également en blanc et que deux envois supplémentaires, identiques au premier, suivront fin décembre ; qu'un second télégramme en date du 21 décembre 1977, de la même autorité, confirme l'acheminement, par une autre personne, de 350 demandes supplémentaires d'inscription en blanc et d'un nombre identique de procurations également en blanc et annonce une troisième opération qui aura pour effet de "dépasser largement le chiffre de 2 000 atteint ce jour" ;
En ce qui concerne l'inscription sur les listes électorales :
9. Considérant que, s'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, juge des élections, de se prononcer sur la régularité des inscriptions sur les listes électorales, le requérant est recevable à invoquer les manoeuvres dont serait entaché l'établissement de ces listes et qui seraient de nature à porter atteinte à la sincérité du scrutin ;
10. Considérant que la loi susvisée du 19 juillet 1977 tendant à faciliter le vote des Français établis hors de France a donné à ces derniers "la faculté de demander leur inscription dans toute commune de plus de 30 000 habitants de leur choix", sous la seule réserve que le nombre des inscriptions effectuées à ce titre dans une commune n'excède pas "une proportion de 2% des électeurs inscrits sur les listes de celle commune arrêtées à la date de la clôture de la dernière révision annuelle" ;
11. Considérant que ces dispositions de caractère exceptionnel, ouvrant à cette catégorie d'électeurs une totale liberté de choix de leur lieu d'inscription, n'interdisent pas aux intéressés, contrairement à ce que soutient la requérante, d'user de celle liberté en fonction de leurs préférences politiques et, notamment, de l'influence que pourraient exercer leurs suffrages sur les résultats du scrutin dans la commune choisie ; que, dès lors, si des personnes ou groupements ont, à l'époque de la révision des listes électorales, incité des Français établis en Allemagne fédérale et à Pondichéry à s'inscrire dans la seizième circonscription de Paris en vue de favoriser le succès de la tendance à laquelle appartient le candidat proclamé élu dans celle circonscription le 19 mai 1978, ces actions n'ont pas revêtu en l'espèce, eu égard aux conclusions ci-dessus rappelées dans lesquelles les Français intéressés peuvent participer aux consultations électorales, le caractère de manoeuvre ayant altéré la sincérité du scrutin ;
12. Considérant que la désignation de la commune et, le cas échéant, de la circonscription de vote doit procéder d'un choix personnel de chaque électeur pouvant user de la faculté ouverte par la loi du 19 juillet 1977 ; qu'il en résulte que ce choix doit être exercé par l'électeur, lui-même, avant qu'il n'appose sa signature sur sa demande ;
13. Considérant que les documents produits établissent à la fois que les électeurs du Gabon qui ont été inscrits sur les listes électorales de la seizième circonscription de Paris n'avaient pas personnellement choisi leur inscription dans la commune de Paris et que ce choix a été opéré par des tiers, en violation des dispositions de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 12 du Code électoral ; que ces faits sont constitutifs d'une manoeuvre destinée à fausser les résultats du scrutin ; qu'en raison du caractère systématique de cette manoeuvre la circonstance que les noms des électeurs qui s'y sont prétés soient inconnus et que, par voie de conséquence, il soit impossible de déterminer avec certitude si les 44 inscriptions d'électeurs du Gabon dans la seizième circonscription de Paris ont été acquises dans les mêmes conditions ne fait pas obstacle à ce que ces inscriptions soient, en totalité, tenues pour irrégulières ;
En ce qui concerne les procurations :
14. Considérant qu'aucune disposition de loi ou de décret relative au vote par procuration n'exige que le mandant connaisse personnellement le mandataire qu'il désigne ; que, dès lors, si la requérante allègue que des électeurs résidant en République fédérale d'Allemagne et à Pondichéry auraient choisi comme mandataires des électeurs de Paris dont le nom leur avait été indiqué par des tiers, cette circonstance n'est pas de nature à entacher d'irrégularité ces procurations ;
15. Considérant que la requérante n'apporte pas la preuve que les procurations émanant de ces électeurs auraient été établies de manière incomplète par les autorités consulaires ; que si, dans un certain nombre de cas, les mentions relatives au mandant et au mandataire n'ont pas été rédigées par le signataire lui-même, cette constatation ne suffit pas à établir que le choix du mandataire n'aurait pas été fait par le mandant au moment où l'autorité consulaire a dressé la procuration ;
16. Considérant que les volets de procuration dressés devant les autorités consulaires compétentes ont pu être valablement adressés par ces autorités, au moyen de la valise diplomatique, aux services centraux du Ministère des Affaires étrangères et expédiés, par ceux-ci, aux maires des communes intéressées et aux mandataires ;
17. Considérant que les dispositions du dernier alinéa de l'article R. 75 du Code électoral qui, par dérogation à la règle de droit commun posée par le même article, prescrivant l'envoi, sous enveloppe, des procurations établies hors de France, ne s'appliquent qu'à la circulation de ce courrier sur le territoire des pays étrangers ; que, lorsque des procurations sont acheminées à destination de la France par la valise diplomatique, la réexpédition des volets de procuration, à partir du territoire national, est soumise aux dispositions de droit commun du même article, en vertu desquelles cet envoi est fait par la poste, en recommandé, sans enveloppe ; qu'il suit de là que l'expédition à la mairie annexe du 14e arrondissement, selon ces modalités, des procurations en provenance de l'Allemagne fédérale et de Pondichéry, n'est pas entachée d'irrégularité ;
18. Considérant, en revanche, qu'il résulte des télégrammes précités que les procurations établies au nom de Français résidant au Gabon l'ont été en méconnaissance des dispositions des articles R. 72 à R. 75 du Code électoral à la suite d'une manoeuvre ayant eu pour effet d'altérer la sincérité du scrutin ;
19. Considérant qu'il ressort de l'examen des listes d'émargement que les 44 électeurs résidant au Gabon et inscrits sur les listes électorales de la seizième circonscription de Paris ont voté par procuration le 19 mars 1978 ; que ces votes, qui doivent être tenus pour nuls, ont été émis dans le 33e bureau où M. DE LA MALENE est arrivé en tête et doivent donc être soustraits du total des voix que celle-ci y a obtenues ; que l'écart des voix entre les deux candidats étant inférieurs à 44, il y a lieu d'annuler l'élection sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens présentés au soutien des conclusions d'annulation ;
Sur les conclusions tendant à ce que le Conseil constitutionnel proclame élue Mme AVICE :
20. Considérant que, sauf en ce qui concerne la réintégration des bulletins de vote annulés à tort par les bureaux de vote ou par la Commission de recensement, les redressements opérés par la présente décision sur les autres griefs sont le résultat d'une règle de procédure qui, en l'absence d'éléments permettant de constater, avec certitude, que l'irrégularité a profité à l'un ou l'autre des candidats, impute celle-ci au candidat qui est arrivé en tête dans le bureau où elle a été constatée ; que si, du fait de ces rectifications, il n'est plus assuré que le candidat proclamé élu a régulièrement acquis la majorité des suffrages, ce qui justifie l'annulation de son élection, la même incertitude plane sur le nombre des voix qui auraient été obtenues par son concurrent si ces irrégularités n'avaient pas été commises ; que, dans ces conditions, les conclusions de Mme AVICE tendant à ce que, par application de l'article L.O. 186 du Code électoral, le Conseil constitutionnel la proclame élue, ne sauraient être accueillies ;

Décide :
Article premier :
L'élection de M. Christian DE LA MALENE en qualité de député à l'Assemblée nationale, le 19 mars 1978, dans la seizième circonscription de Paris, est annulée.
Article 2 :
Les conclusions de la requête tendant à la proclamation de Mme Edwige AVICE sont rejetées.
Article 2 :
La présente décision sera notifiée à l'Assemblée nationale et publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 12 juillet 1978, où siégeaient : MM. Roger FREY, président, MONNERVILLE, JOXE, GROS, GOGUEL, BROUILLET, SEGALAT, COSTE-FLORET, PÉRETTI.


Synthèse
Numéro de décision : 78-874
Date de la décision : 12/07/1978
A.N., Paris (16ème circ.)
Sens de l'arrêt : Annulation
Type d'affaire : Élections à l'Assemblée nationale

Références :

AN du 12 juillet 1978 sur le site internet du Conseil constitutionnel

Texte attaqué : Élection à l'Assemblée nationale (type)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°78-874 AN du 12 juillet 1978
Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:1978:78.874.AN
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