La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/02/1982 | FRANCE | N°82-138

France | France, Conseil constitutionnel, 25 février 1982, 82-138


Le Conseil constitutionnel,

Saisi le 5 février 1982, d'une part, par MM Claude Labbé, Jacques Chirac, Bernard Pons, Marc Lauriol, Mme Nicole de Hauteclocque, MM Didier Julia, Louis Goasduff, Gabriel Kaspereit, Pierre Mauger, Philippe Séguin, Michel Noir, Roger Corrèze, Mme Hélène Missoffe, MM Jean Falala, Jacques Chaban-Delmas, Jacques Marette, Maurice Couve de Murville, Emmanuel Aubert, Claude-Gérard Marcus, Jean-Paul de Rocca Serra, Pierre-Charles Krieg, Serge Charles, Jacques Lafleur, Jean Narquin, Pierre Messmer, Georges Tranchant, Hyacinthe Santoni, Roger Fosse, Michel DebrÃ

©, Maurice Cornette, Jean Foyer, Jean-Paul Charié, Antoine Gi...

Le Conseil constitutionnel,

Saisi le 5 février 1982, d'une part, par MM Claude Labbé, Jacques Chirac, Bernard Pons, Marc Lauriol, Mme Nicole de Hauteclocque, MM Didier Julia, Louis Goasduff, Gabriel Kaspereit, Pierre Mauger, Philippe Séguin, Michel Noir, Roger Corrèze, Mme Hélène Missoffe, MM Jean Falala, Jacques Chaban-Delmas, Jacques Marette, Maurice Couve de Murville, Emmanuel Aubert, Claude-Gérard Marcus, Jean-Paul de Rocca Serra, Pierre-Charles Krieg, Serge Charles, Jacques Lafleur, Jean Narquin, Pierre Messmer, Georges Tranchant, Hyacinthe Santoni, Roger Fosse, Michel Debré, Maurice Cornette, Jean Foyer, Jean-Paul Charié, Antoine Gissinger, Pierre-Bernard Cousté, Robert Wagner, Olivier Guichard, Robert Galley, Georges Gorse, Mme Florence d'Harcourt, MM Michel Inchauspé, Christian Bergelin, Yves Lancien, Robert-André Vivien, Jean Valleix, Michel Cointat, Jean Tiberi, Georges Delatre, Pierre de Benouville, René La Combe, Bruno Bourg-Broc, Camille Petit, Alain Peyrefitte, Régis Perbet, Jean de Lipkowski, Jacques Toubon, Edouard Frédéric-Dupont, Michel Barnier, Henri de Gastines, Jacques Godfrain, Daniel Goulet, Maurice Dousset, Pierre Micaux, Paul Pernin, Charles Deprez, Jacques Dominati, Maurice Ligot, François d'Aubert, Michel d'Ornano, Philippe Mestre, Loïc Bouvard, Alain Madelin, Jean-Pierre Soisson, Jean-Marie Daillet, Charles Fèvre, Georges Mesmin, Henri Baudouin, François Léotard, Claude Birraux, Pascal Clément, Joseph-Henri Maujoüan du Gasset, Jacques Fouchier, Jean Bégault, Marcel Bigeard, Francis Geng, Christian Bonnet, Adrien Durand, Jean-Paul Fuchs, Jean Rigaud, Jacques Blanc, Bernard Stasi, Jean Proriol, Yves Sautier, députés,

et, d'autre part, MM Charles Ornano, Adolphe Chauvin, Philippe de Bourgoing, Charles Pasqua, Jean-Pierre Cantegrit, Paul Girod, Guy Petit, Jean Bénard Mousseaux, Louis Lazuech, Henri Torre, Jacques Larché, Pierre Louvot, Louis de la Forest, Hubert Martin, Roland du Luart, Pierre Sallenave, Serge Mathieu, Michel Miroudot, Jean-Pierre Fourcade, Lionel Cherrier, Jacques Thyraud, Pierre-Christian Taittinger, Bernard Barbier, Pierre Croze, Paul d'Ornano, Jean Chamant, André Bettencourt, Guy de La Verpillière, Roland Ruet, Marcel Lucotte, Michel Sordel, Jean Puech, Paul Guillard, René Travert, Paul Guillaumot, Michel d'Aillières, Jean-François Pintat, Albert Voilquin, Jacques Ménard, Michel Giraud, Christian Poncelet, Jacques Valade, Michel Chauty, Christian de La Malène, René Tomasini, Geoffroy de Montalembert, Yvon Bourges, Marc Jacquet, Marc Bécam, Hubert d'Andigné, Jean Chérioux, Jacques Chaumont, François Collet, Roger Moreau, Henri Portier, Edmond Valcin, Jacques Braconnier. Marcel Fortier, Henri Collette, Maurice Schumann, Georges Repiquet, Paul Kauss, Michel Maurice-Bokanowski, Michel Caldaguès, Louis Souvet, Raymond Brun, Roger Romani, Jean Natali, Charles de Cuttoli, Etienne Dailly, Jacques Pelletier, Jacques Habert, Jean Desmarets, Hector Dubois, Yves Durand, Alphonse Arzel, Jean-Pierre Blanc, Raymond Bouvier, Jean Cauchon, Pierre Ceccaldi-Pavard, François Dubanchet, Charles Durand, Marcel Daunay, Jean Francou, Jacques Genton, Marcel Lemaire, Georges Lombard, Jean Madelain, Claude Mont, Jacques Mossion, Dominique Pado, Raymond Poirier, Roger Poudonson, Maurice Prévoteau, André Rabineau, Paul Séramy, René Tinant, Pierre Vallon, Jean Colin, sénateurs, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, du texte de la loi portant statut particulier de la région de Corse, telle qu'elle a été adoptée par le Parlement ;

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment les articles figurant au chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;

Ouï le rapporteur en son rapport ;

Sur le moyen tiré de la violation des dispositions des articles 72, 73 et 74 de la Constitution :

1. Considérant que l'article 72, alinéa 1er, de la Constitution dispose que "les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les territoires d'outre-mer. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi" ;

2. Considérant que, pour contester la conformité à cette disposition de la loi portant statut particulier de la région de Corse, les auteurs des saisines font valoir que la seconde phrase du texte précité devrait être entendue comme permettant la création de nouvelles catégories de collectivités territoriales et non la création d'une collectivité territoriale particulière et dérogatoire au droit commun ; qu'ils ajoutent, à l'appui de cette affirmation, que les articles 73 et 74 de la Constitution, dont le premier prévoit des mesures d'adaptation de la législation à la situation particulière des départements d'outre-mer et le second retient le principe d'une organisation propre aux territoires d'outre-mer, démontreraient qu'il n'existe pas, en territoire métropolitain, "une diversité telle qu'elle puisse justifier des différences dans l'organisation institutionnelle de ses divisions administratives" ;

3. Considérant, en premier lieu, que l'article 72 de la Constitution est relatif à l'ensemble des collectivités de la République alors que les articles 73 et 74 visent exclusivement les collectivités d'outre-mer ; que les dispositions de l'article 72, qui, dans un alinéa concernant tant les collectivités de la métropole que celles d'outre-mer, donnent compétence à la loi pour créer d'autres collectivités territoriales, ne sauraient voir leur application réduite aux seules collectivités d'outre-mer ;

4. Considérant, en second lieu, que la disposition de la Constitution aux termes de laquelle "toute autre collectivité territoriale est créée par la loi" n'exclut nullement la création de catégories de collectivités territoriales qui ne comprendraient qu'une unité ; que telle a été l'interprétation retenue par le législateur lorsque, en métropole, il a donné un statut particulier à la ville de Paris et, outre-mer, il a créé la collectivité territoriale de Mayotte ;

5. Considérant, d'ailleurs, que selon l'article 1er de la loi déférée à l'examen du Conseil constitutionnel, la création de la région de Corse intervient dans le cadre de la législation relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions ;

6. Considérant enfin que, contrairement à ce qui est soutenu dans la saisine, le fait qu'une collectivité territoriale soit amenée à collaborer avec un établissement public non créé par elle ne porte pas atteinte à la libre administration des collectivités locales ;

Sur le moyen tiré de la violation de l'article 2 de la Constitution :

7. Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la Constitution : "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion " ;

En ce qui concerne le principe de l'indivisibilité de la République :

8. Considérant que, selon les auteurs de la saisine, la loi soumise à l'examen du Conseil serait contraire à l'indivisibilité de la République en ce que "la notion de statut particulier contient, au-delà des intentions, des risques évidents de dislocation de l'unité nationale", ce qui serait démontré par l'exposé des motifs et par les travaux parlementaires ;

9. Considérant que, dans l'état actuel de la définition des attributions respectives des autorités décentralisées et des organes de l'État, le texte de la loi soumis à l'examen du Conseil constitutionnel ne comporte pas de disposition qui puisse, en tant que telle, être regardée comme portant atteinte au caractère indivisible de la République et à l'intégrité du territoire national ;

En ce qui concerne le principe de l'égalité devant la loi :

10. Considérant, en premier lieu, que les auteurs de la saisine estiment que la loi déférée au Conseil constitutionnel serait contraire au principe d'égalité proclamé par l'article 2 de la Constitution, pour autant qu'"il y aurait disproportion entre l'édiction d'un statut électoral spécial et le fait que la Corse est une île" ;

11. Considérant qu'en l'état actuel de la législation et jusqu'à l'intervention du texte destiné à fixer le régime général des élections aux conseils régionaux rien ne permet de soutenir que le régime applicable à la région de Corse sera dérogatoire au droit commun applicable à l'ensemble des régions ;

12. Considérant, en second lieu, que, selon les auteurs de la saisine, la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel serait encore contraire à l'égalité en ce que les mesures d'amnistie édictées par l'article 50 ne s'appliquent qu'à des infractions en rapport avec la détermination du statut particulier de la Corse, lesquelles ne diffèrent pas des infractions commises dans d'autres parties du territoire national ;

13. Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article 34 de la Constitution "la loi fixe les règles concernant l'amnistie" ; qu'en vertu de cette compétence le législateur peut effacer certaines conséquences pénales d'agissements que la loi réprime ; qu'il lui appartient, alors, d'apprécier quelles sont les infractions et, le cas échéant, les personnes auxquelles doit s'appliquer le bénéfice de ces dispositions ; que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce qu'il délimite ainsi le champ d'application de l'amnistie dès lors que les catégories qu'il retient sont définies de manière objective ; que tel est le cas dans la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel ;

Sur le moyen tiré de la violation de l'article 24, alinéa 3, de la Constitution :

14. Considérant que, selon les députés auteurs de la saisine, la loi relative au statut particulier de la région de Corse méconnaîtrait les dispositions de la Constitution pour autant que l'entrée en vigueur de cette loi n'est pas subordonnée à l'intervention d'une loi organique et d'une loi ordinaire modifiant les règles électorales applicables au Sénat et permettant d'y assurer la représentation de cette collectivité territoriale ;

15. Considérant que, si l'article 24 de la Constitution exige la modification de ces dispositions législatives, il n'impose pas qu'elle intervienne avant l'entrée en vigueur de la loi portant statut particulier de la région de Corse ;

Sur l'article 44 de la loi :

16. Considérant que l'article 44 de la loi dispose : "le représentant de l'État dans la région de Corse exerce sur toutes les catégories d'actes administratifs et budgétaires de la collectivité territoriale les contrôles prévus par le titre III de la loi n° du relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions pour l'ensemble des actes administratifs et budgétaires des régions" ;

17. Considérant que, si la référence ainsi faite par la loi portant statut particulier de la région de Corse au titre III de la loi relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions ne peut avoir d'effet avant la promulgation des nouvelles dispositions dudit titre III à la suite de la décision du Conseil constitutionnel n° 82-137 DC du 25 février 1982, cette circonstance n'est pas de nature à affecter la conformité à la Constitution de l'article 44 de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel ;

18. Considérant qu'en l'espèce, il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à cet examen,

Décide :

Article premier :

La loi portant statut particulier de la région de Corse : organisation administrative, est déclarée non contraire à la Constitution.

Article 2 :

La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.


Synthèse
Numéro de décision : 82-138
Date de la décision : 25/02/1982
Loi portant statut particulier de la région de Corse
Sens de l'arrêt : Conformité
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Saisine

SAISINE DEPUTES Les Députés soussignés, conformément à l'article 61, alinéa 2 de la Constitution, défèrent au Conseil Constitutionnel la loi portant statut particulier de la région de Corse : organisation administrative, définitivement votée devant l'Assemblée Nationale, le 5 février 1982.

Ils concluent qu'il plaise au Conseil Constitutionnel de dire non conforme aux articles 2, 72, 73 et 74 de la Constitution l'ensemble de la loi. Ils estiment, au surplus, que le non respect de l'article 24 de la Constitution, suffirait à conduire à une même déclaration de non-conformité.

I : Ce faisant, les députés soussignés n'entendent nullement remettre en cause les caractères particuliers de la région de Corse, qui auraient pu justifier que des adaptations au droit commun des régions soient apportées, et que le Sénat aurait lui-même reconnu sous la forme d'un article additionnel après l'article premier, lors de la discussion du projet de loi par la Haute Assemblée en première lecture.

Ils ne peuvent toutefois admettre que ces caractères particuliers justifient pour la seule région de Corse, la création d'un statut particulier totalement dérogatoire au droit commun.

Ils estiment en effet, d'une part, que la notion de statut particulier n'est conforme ni à l'article 72, alinéa 1er de la Constitution, notamment lorsque cet article est interprété par rapprochement avec les dispositions des articles 73 et 74 qui ne prévoient des adaptations ou des dérogations que pour les seuls départements et territoires d'Outre-Mer, ni à l'article 2 de cette même Constitution qui affirme l'unité et l'indivisibilité de la République, ainsi que l'égalité des citoyens devant la loi.

1° LA LOI N'EST PAS CONFORME AUX ARTICLES 72, 73 ET 74 DE LA CONSTITUTION.

L'article 72, alinéa premier de la Constitution, constate que les collectivités territoriales sont les communes et les départements et les territoires d'Outre-Mer. Ses auteurs, ainsi que les débats au Comité Consultatif Constitutionnel l'ont montré, n'ont pas voulu cependant fermer la porte à des mesures d'adaptation de notre organisation administrative à des circonstances nouvelles, c'est pourquoi, ils ont ajouté la phrase : "toute autre collectivité territoriale est créée par la loi".

L'analyse littérale de l'ensemble de l'alinéa où les mots "communes, départements et territoires d'Outre-Mer" sont au pluriel, tend à montrer que les auteurs de la Constitution ont estimé qu'en matière de collectivités territoriales, il ne pouvait y avoir que des catégories. L'expression "toute autre collectivité territoriale est créée par la loi" doit donc être interprétée comme signifiant que toute autre catégorie de collectivité est créée par la loi. Dans ces conditions, les auteurs du présent recours estiment que la création d'une nouvelle catégorie de collectivité territoriale, telle que la région par une simple loi, est conforme à la Constitution, sous réserve cependant que le texte constitutionnel soit lui-même complété de façon à ce que l'énumération du premier alinéa soit complète et qu'il n'y ait pas deux séries de collectivités territoriales, l'une ayant valeur constitutionnelle, l'autre simple valeur législative. Il conviendrait également que ce complément concerne le troisième alinéa de façon à bien marquer qu'il y a un délégué du Gouvernement, non seulement dans les départements et les territoires, mais également dans les régions.

En revanche, il ne semble pas conforme à la Constitution d'envisager la création, en application de la phrase "toute autre collectivité territoriale est créée par la loi", d'une collectivité locale sui generis et dérogatoire au droit commun.

La comparaison de la rédaction de l'article 72 et de la rédaction des articles 73 et 74 permet d'étayer cette affirmation.

Cette comparaison fait apparaître clairement que le constituant n'a explicitement voulu d'adaptation au droit commun que pour les seules collectivités territoriales d'Outre-Mer. Il n'a pas considéré que le territoire métropolitain recouvrait une diversité telle qu'elle puisse justifier des différences dans l'organisation institutionnelle de ses divisions administratives.

La considération avancée par le Gouvernement selon laquelle de tels statuts particuliers existeraient déjà, ne leur paraît pas devoir être retenue. Les "précédents" invoqués concernent les départements d'Alsace-Moselle, Paris et Mayotte.

Aucun ne leur semble constituer un véritable précédent pour des raisons diverses : : en ce qui concerne les spécificités du droit applicable en Alsace et Moselle connues sous le nom de "droit local", il s'agit de particularités historiques antérieures à la Constitution que celle-ci a entendu maintenir, de même que par son article 75, elle a entendu maintenir le statut personnel que pourraient posséder certains citoyens de la République.

Le statut de Paris est également antérieur à la Constitution qui, son texte le montre bien, a reconnu l'existence des collectivités territoriales, mais n'a pas entendu les créer. En outre, la volonté du législateur qui s'est manifestée nettement en 1975 et au cours même des débats du projet de loi relatif aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, est de réaliser le plus complètement possible une assimilation au droit commun des départements et des communes.

S'agissant enfin de Mayotte, cette collectivité territoriale présente toutes les caractéristiques essentielles d'un département d'Outre-Mer.

Le projet initial déposé par le Gouvernement le précisait d'ailleurs explicitement. Ce n'est qu'en raison de considérations de politique internationale que le titre de département d'Outre-Mer ne lui a pas été explicitement donné. On peut penser, cependant, qu'il n'y aurait plus de difficultés aujourd"hui à ce que cette qualification, qui correspond à la réalité juridique de son statut, lui soit conférée.

La notion de statut particulier s'oppose d'autre part, aux notions d'unité et d'indivisibilité de la République, ainsi que d'égalité des citoyens devant la loi rappelées par l'article 2 de notre Constitution.

2° LA LOI N'EST PAS CONFORME A L'ARTICLE 2 DE LA CONSTITUTION.

Si la notion de décentralisation est parfaitement conforme à l'unité de la République et ne paraît en soi nullement changer la nature de l'Etat français dans un sens fédéral, la notion de statut particulier contient, au-delà des intentions, des risques évidents de dislocation de l'unité nationale. La loi portant statut particulier de la Corse, l'exposé des motifs qui avaient été à son origine ainsi surtout que les travaux parlementaires le démontrent à l'évidence. Le Gouvernement et l'Assemblée Nationale ont beaucoup hésité quant au fondement juridique de ce statut particulier. Ils ont oscillé entre l'article 72 de la Constitution et l'article 59 du projet de loi relatif aux droits et libertés des communes, des départements et des régions. Par les termes employés, ils ont montré que la loi allait au-delà de sa lettre. Faisaient-ils explicitement référence à l'article 45 de la loi générale dans l'article premier de la loi portant statut particulier, le rapport de la Commission des Lois de l'Assemblée Nationale en nouvelle lecture parlait d'une collectivité territoriale créée en application de l'article 72 de la Constitution. Alors que la notion de statut particulier n'apparaît que dans le titre de la loi, l'exposé des motifs du projet de loi qui en est à l'origine, en reconnaissant implicitement l'existence d'un peuple corse, laisse présager que le statut particulier n'est en fait qu'une étape transitoire vers un stade d'autonomie supplémentaire et pourquoi pas, la reconnaissance du droit pour ce peuple à l'autodétermination. Le caractère incomplet du texte aggrave ces incertitudes. Certaines des qualifications juridiques qu'il comporte accroissent la perplexité qu'inspirent les conditions dans lesquelles il a été élaboré et discuté. Pourquoi assemblée de Corse et pourquoi pas Conseil régional ? L'expression assemblée de Corse est-elle un élément de la reconnaissance du peuple Corse ? Sous-entend-elle, qu'à terme, il n'y aurait plus désormais en Corse qu'une seule assemblée ? Que deviendraient les départements actuels dans le cadre de ce statut particulier ? Le texte n'est pas conforme à l'article 2 de la Constitution, d'autre part, dans la mesure où il prévoit des dérogations au statut de droit commun qui ne sont pas justifiées par les caractères particuliers de la région de Corse. N'y a-t-il pas disproportion entre l'édiction d'un statut électoral spécial et le fait que la Corse est une île ? Certes, le Gouvernement a pu objecter au cours des débats que le statut n'était pas dérogatoire dans la mesure où le droit commun lui-même n'était pas encore défini. Il a pu laisser entendre également que le statut particulier n'était qu'une préfiguration du futur droit commun. Outre que le Parlement n'a aucune certitude qu'il en sera bien ainsi, il a bien été obligé de constater que le simple fait de prévoir des dispositions spéciales pour la région de Corse dans un texte particulier constituait en soi une atteinte à l'égalité des citoyens devant la loi. Cela est vrai pour des dispositions autres que des dispositions électorales, par exemple la création d'un deuxième Conseil Consultatif à côté de l'Assemblée élue mais, outre qu'il ne s'agit pas de dispositions essentielles, on peut considérer à la limite qu'il s'agit d'une réponse adaptée à des caractères culturels particuliers et qui sont aujourd"hui reconnus.

La possibilité prévue par l'article 2 d'association aux institutions élues d'établissements publics non créés par elles, est une dérogation qui ne saurait en revanche être admise ; elle porte atteinte au principe de la libre administration des collectivités territoriales et, au lieu et place de créer, comme le voulaient les promoteurs du texte, une collectivité plus libre, met en place une collectivité moins autonome que les collectivités territoriales de droit commun.

L'édiction d'un statut électoral particulier pose un problème d'une autre nature dans la mesure où le droit de vote est un élément constitutif de la citoyenneté française et qu'édicte des dispositions particulières pour la reconnaissance de la qualité d'électeur, pour les conditions de présentation de candidature, pour le régime des incompatibilités, pour le contrôle des opérations électorales, tend à constituer en France deux catégories de citoyens, et par là même, une inégalité dans l'exercice des droits civiques.

Il en est de même s'agissant des dispositions de l'article 48 de la loi qui limite les effets de l'amnistie aux seules infractions en relation avec la détermination du statut de la Corse alors que ces infractions, ni dans leur nature, ni dans leur motivation, ni dans leur date, ne diffèrent des infractions commises dans d'autres parties du territoire national. Il porte atteinte, d'autre part, au principe constant de notre droit selon lequel il n'y a d'amnistie que générale.

II : Au surplus, la création d'une nouvelle catégorie de collectivité territoriale implique, pour que l'article 24 de la Constitution soit respecté, que la représentation par le Sénat de la nouvelle collectivité territoriale soit assurée.

L'article 24, alinéa 3 de la Constitution énonce en effet, que "le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République".

Cette disposition implique donc que toutes les collectivités territoriales de la République soient représentées au Sénat.

SAISINE SENATEURS Les Sénateurs soussignés, conformément à l'article 61, alinéa 2 de la Constitution, défèrent au Conseil Constitutionnel la loi portant statut particulier de la région de Corse : organisation administrative, définitivement votée devant l'Assemblée Nationale, le 5 février 1982.

Ils concluent qu'il plaise au Conseil Constitutionnel de dire non conforme aux articles 2, 72, 73 et 74 de la Constitution l'ensemble de la loi.

Ce faisant, ils n'entendent nullement remettre en cause les caractères particuliers de la région de Corse, qui auraient pu justifier que des adaptations au droit commun des régions soient apportées et qu'ils avaient eux-mêmes reconnues sous forme d'un article additionnel après l'article premier lors de la discussion du projet de loi par le Sénat en première lecture.

Ils ne peuvent toutefois admettre que ces caractères particuliers justifient pour la seule région de Corse la création d'un statut particulier totalement dérogatoire au droit commun.

Ils estiment, en effet, d'une part, que la notion de statut particulier n'est conforme ni à l'article 72, alinéa premier de la Constitution, notamment lorsque cet article est interprété par rapprochement avec les dispositions des articles 73 et 74 qui ne prévoient des adaptations ou des dérogations que pour les seuls départements et territoires d'outre-mer, ni à l'article 2 de cette même Constitution qui affirme l'unité et l'indivisibilité de la République, ainsi que l'égalité des citoyens devant la loi.

I : La loi n'est pas conforme aux articles 72, 73 et 74 de la Constitution L'article 72, alinéa premier de la Constitution, constate que les collectivités territoriales sont les communes, les départements et les territoires d'outre-mer. Ses auteurs, ainsi que les débats au Comité Consultatif Constitutionnel l'on montré, n'ont pas voulu cependant fermer la porte à des mesures d'adaptation de notre organisation administrative à des circonstances nouvelles, c'est pourquoi ils ont ajouté la phrase : "toute autre collectivité territoriale est créée par la loi".

L'analyse littérale de l'ensemble de l'alinéa où les mots "communes, départements et territoires d'outre-mer" sont au pluriel, tend à montrer que les auteurs de la Constitution ont estimé qu'en matière de collectivités territoriales il ne pouvait y avoir que des catégories. L'expression "toute autre collectivité territoriale est créée par la loi" doit donc être interprétée comme signifiant que toute autre catégorie de collectivité est créée par la loi. Dans ces conditions, les auteurs du présent recours estiment que la création d'une nouvelle catégorie de collectivité territoriale telle que la région, par une simple loi, est conforme à la Constitution, sous réserve cependant que le texte constitutionnel soit lui-même complété de façon à ce que l'énumération du premier alinéa soit complète et qu'il n'y ait pas deux séries de collectivités territoriales, l'une ayant valeur constitutionnelle, l'autre simple valeur législative. Il conviendrait également que ce complément concerne le troisième alinéa de façon à bien marquer qu'il y a un délégué du Gouvernement, non seulement dans les départements et les territoires, mais également dans les régions.

En revanche, il ne semble pas conforme à la Constitution d'envisager la création, en application de la phrase "toute autre collectivité territoriale est créée par la loi", d'une collectivité locale sui generis et dérogatoire au droit commun.

La comparaison de la rédaction de l'article 72 et de la rédaction des articles 73 et 74 permet d'étayer cette affirmation.

Cette comparaison fait apparaître clairement que le constituant n'a explicitement voulu d'adaptation au droit commun que pour les seules collectivités territoriales d'outre-mer. Il n'a pas considéré que le territoire métropolitain recouvrait une diversité telle qu'elle puisse justifier des différences dans l'organisation institutionnelle de ses divisions administratives.

La considération avancée par le Gouvernement selon laquelle de tels statuts particuliers existeraient déjà, ne leur paraît pas devoir être retenue. Les "précédents" invoqués concernent les départements d'Alsace-Moselle, Paris et Mayotte.

Aucun ne leur semble constituer un véritable précédent pour des raisons diverses : : en ce qui concerne les spécificités du droit applicable en Alsace et Moselle connues sous le nom de "droit local", il s'agit de particularités historiques antérieures à la Constitution que, celle-ci a entendu maintenir ; de même que par son article 75, elle a entendu maintenir le statut personnel que pourraient posséder certains citoyens de la République.

Le statut de Paris est également antérieur à la Constitution qui, son texte le montre bien, a reconnu l'existence des collectivités territoriales mais n'a pas entendu les créer. En outre, la volonté du législateur qui s'est manifestée nettement en 1975, et au cours même des débats du projet de loi relatif aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, est de réaliser le plus complètement possible une assimilation au droit commun des départements et des communes.

S'agissant enfin de Mayotte, cette collectivité territoriale présente toutes les caractéristiques essentielles d'un département d'outre-mer.

Le projet initial déposé par le Gouvernement le précisait d'ailleurs explicitement. Ce n'est qu'en raison de considérations de politique internationale que le titre de département d'outre-mer ne lui a pas été explicitement donné. On peut penser, cependant, qu'il n'y aurait plus de difficultés aujourd"hui à ce que cette qualification, qui correspond à la réalité juridique de son statut, lui soit conférée.

La notion de statut particulier s'oppose d'autre part, aux notions d'unité et d'indivisibilité de la République, ainsi que d'égalité des citoyens devant la loi rappelées par l'article 2 de notre Constitution.

II : La loi n'est pas conforme à l'article 2 de la Constitution Si la notion de décentralisation est parfaitement conforme à l'unité de la République et ne paraît en soi nullement changer la nature de l'Etat français dans un sens fédéral, la notion de statut particulier contient, au-delà des intentions, des risques évidents de dislocation de l'unité nationale. La loi portant statut particulier de la Corse, l'exposé des motifs qui en sont à l'origine, ainsi surtout que les travaux parlementaires le démontrent à l'évidence. Le Gouvernement et l'Assemblée Nationale ont beaucoup hésité quant au fondement juridique de ce statut particulier. Ils ont oscillé entre l'article 72 de la Constitution et l'article 45 du projet de loi relatif aux droits et libertés des communes, des départements et des régions. Par les termes employés ils ont montré que la loi allait au-delà de sa lettre.

Faisaient-ils explicitement référence à l'article 45 de la loi générale dans l'article premier de la loi portant statut particulier, le rapport de la Commission des Lois de l'Assemblée Nationale en nouvelle lecture parlait d'une collectivité territoriale créée en application de l'article 72 de la Constitution. Alors que la notion de statut particulier n'apparaît que dans le titre de la loi, l'exposé des motifs du projet de loi qui en est à l'origine, en reconnaissant implicitement l'existence d'un peuple corse, laisse présager que le statut particulier n'est en fait qu'une étape transitoire vers un stade d'autonomie supplémentaire et pourquoi pas, la reconnaissance du droit pour ce peuple à l'autodétermination. Le caractère incomplet du texte aggrave ces incertitudes. Certaines des qualifications juridiques qu'il comporte accroissent la perplexité qu'inspirent les conditions dans lesquelles il a été élaboré et discuté. Pourquoi "assemblée de Corse" et pourquoi pas conseil régional ? L'expression assemblée de Corse est-elle un élément de la reconnaissance du peuple Corse ? Sous-entend-elle, qu'à terme, il n'y aurait plus désormais en Corse qu'une seule assemblée ? Que deviendraient les départements actuels dans le cadre de ce statut particulier ? Le texte n'est pas conforme à l'article 2 de la Constitution, d'autre part, dans la mesure où il prévoit des dérogations au statut de droit commun qui ne sont pas justifiées par les caractères particuliers de la région de Corse. N'y-a-t-il pas disproportion entre l'édiction d'un statut électoral spécial et le fait que la Corse est une île ? Certes, le Gouvernement a pu objecter au cours des débats que le statut n'était pas dérogatoire dans la mesure où le droit commun lui-même n'était pas encore défini. Il a pu laisser entendre également que le statut particulier n'était qu'une préfiguration du futur droit commun. Outre que le Parlement n'a aucune certitude qu'il en sera bien ainsi, il a bien été obligé de constater que le simple fait de prévoir des dispositions spéciales pour la région de Corse dans un texte particulier constituait en soit une atteinte à l'égalité des citoyens devant la loi. Cela est vrai pour des dispositions autres que des dispositions électorales, par exemple la création d'un deuxième conseil consultatif à côté de l'assemblée élue mais, outre qu'il ne s'agit pas de dispositions essentielles, on peut considérer à la limite qu'il s'agit d'une réponse adaptée à des caractères culturels particuliers et qui sont aujourd"hui reconnus.

La possibilité prévue par l'article 2 d'association aux institutions élues d'établissements publics non créés par elles est une dérogation qui ne saurait en revanche être admise ; elle porte atteinte au principe de la libre administration des collectivités territoriales et, aux lieu et place de créer, comme le voulaient les promoteurs du texte, une collectivité plus libre, met en place une collectivité moins autonome que les collectivités territoriales de droit commun.

L'édiction d'un statut électoral particulier pose un problème d'une autre nature dans la mesure où le droit de vote est un élément constitutif de la citoyenneté française et qu'édicter des dispositions particulières pour la reconnaissance de la qualité d'électeur, pour les conditions de présentation de candidatures, pour le régime des incompatibilités, pour le contrôle des opérations électorales, tend à constituer en France deux catégories de citoyens, et par là-même une inégalité dans l'exercice des droits civiques.

Il en est de même s'agissant des dispositions de l'article 48 de la loi qui limite les effets de l'amnistie aux seules infractions en relation avec la détermination du statut de la Corse alors que ces infractions, ni dans leur nature, ni dans leur motivation, ni dans leur date, ne diffèrent des infractions commises dans d'autres parties du territoire national. Il porte atteinte, d'autre part, au principe constant de notre droit selon lequel il n'y a d'amnistie que générale.


Références :

DC du 25 février 1982 sur le site internet du Conseil constitutionnel

Texte attaqué : Loi portant statut particulier de la région de Corse (Nature : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°82-138 DC du 25 février 1982
Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:1982:82.138.DC
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award