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30/12/1982 | FRANCE | N°82-150

France | France, Conseil constitutionnel, 30 décembre 1982, 82-150


Le Conseil constitutionnel,

Saisi le 18 décembre 1982 par MM Claude Labbé, Bernard Pons, Mme Hélène Missoffe, MM Michel Noir, Pierre Mauger, Antoine Gissinger, Georges Tranchant, Jean-Louis Masson, Hyacinthe Santoni, Pierre-Charles Krieg, Didier Julia, Jacques Chirac, Michel Inchauspé, Claude-Gérard Marcus, Jean Foyer, Mme Nicole de Hauteclocque, MM Marc Lauriol, Jacques Godfrain, Roger Corrèze, Michel Barnier, Maurice Couve de Murville, Jacques Marette, Jacques Chaban-Delmas, Jean Falala, Henri de Gastines, Robert-André Vivien, Gabriel Kaspereit, Michel Cointat, Mme Florence d'

Harcourt, MM Michel Péricard, Pierre-Bernard Cousté, Daniel G...

Le Conseil constitutionnel,

Saisi le 18 décembre 1982 par MM Claude Labbé, Bernard Pons, Mme Hélène Missoffe, MM Michel Noir, Pierre Mauger, Antoine Gissinger, Georges Tranchant, Jean-Louis Masson, Hyacinthe Santoni, Pierre-Charles Krieg, Didier Julia, Jacques Chirac, Michel Inchauspé, Claude-Gérard Marcus, Jean Foyer, Mme Nicole de Hauteclocque, MM Marc Lauriol, Jacques Godfrain, Roger Corrèze, Michel Barnier, Maurice Couve de Murville, Jacques Marette, Jacques Chaban-Delmas, Jean Falala, Henri de Gastines, Robert-André Vivien, Gabriel Kaspereit, Michel Cointat, Mme Florence d'Harcourt, MM Michel Péricard, Pierre-Bernard Cousté, Daniel Goulet, Charles Miossec, Jean Tiberi, Christian Bergelin, Etienne Pinte, Bruno Bourg-Broc, Yves Lancien, Tutaha Salmon, Jacques Baumel, Georges Gorse, Olivier Guichard, Pierre Messmer, Roland Nungesser, Michel Debré, Alain Peyrefitte, Jean-Paul Charié, Jean Valleix, René La Combe, Serge Charles, Jacques Toubon, Jean Narquin, Jacques Lafleur, Jean-Louis Goasduff, Philippe Séguin, Camille Petit, Robert Galley, Jean de Préaumont, Germain Sprauer, Emmanuel Aubert, Gérard Chasseguet, Lucien Richard, Pierre Raynal, Pierre Bas, Pierre de Benouville, Gilbert Mathieu, Roger Lestas, Germain Gengenwin, Jean Bégault, Albert Brochard, Alain Madelin, René Haby, Philippe Mestre, Christian Bonnet, François d'Harcourt, Gilbert Gantier, Edmond Alphandéry, Michel d'Ornano, Joseph-Henri Maujoüan du Gasset, Georges Mesmin, Adrien Durand, Jean Briane, Jacques Fouchier, Jacques Blanc, Pascal Clément, Claude Birraux, Jean-Pierre Soisson, Francisque Perrut, Henri Bayard, Georges Delfosse, Francis Geng, Jean-Claude Gaudin, Jean Brocard, Maurice Dousset, Charles Fèvre, Charles Millon, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi d'orientation des transports, intérieurs, telle qu'elle a été adoptée par le Parlement le 18 décembre 1982 ;

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;

Ouï le rapporteur en son rapport ;

1. Considérant que l'article 30 de la loi édicte que, dans un délai de quatre ans, à compter de l'entrée en vigueur de l'article 29 relatif notamment, à l'organisation des transports publics de personnes d'intérêt départemental régional et national, "tous les transports publics réguliers non urbains de personnes qui ne sont pas exploités directement par l'autorité compétente doivent faire l'objet d'une convention. Si l'autorité organisatrice décide soit de supprimer ou de modifier de manière substantielle la consistance du service en exploitation, soit de le confier à un autre exploitant, et si elle n'offre pas à l'entreprise des services sensiblement équivalents, elle doit lui verser une indemnité en compensation du dommage éventuellement subi de ce fait. Si, à l'expiration du délai de quatre ans, la convention n'est pas intervenue du fait de l'autorité organisatrice, l'autorisation antérieurement accordée au transporteur public vaut convention pour une durée maximale de dix ans" ;

2. Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent que ces dispositions méconnaissent le droit de propriété et la liberté d'entreprendre et sont contraires aux principes constitutionnels posés aux articles 2, 4 et 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen en ce que l'article 30, alinéa 2, ne prévoit pas une indemnisation juste et préalable du préjudice subi par l'entreprise dont le service est modifié, supprimé ou confié à un tiers et en ce que l'article 30, alinéa 3, réalise, à l'expiration d'un délai de quatorze ans, "une expropriation sans indemnisation" ;

3. Considérant que les autorisations d'exploiter des services de transports publics réguliers de personnes accordées à des fins d'intérêt général par l'autorité administrative à des entreprises de transports ne sauraient être assimilées à des biens objets pour leurs titulaires d'un droit de propriété et comme tels garantis, en cas d'expropriation pour utilité publique, par l'article 17 de la déclaration des droits de l'homme ;

4. Considérant que l'article 30, alinéa 2, qui prévoit une indemnité compensatrice du préjudice subi par l'entreprise de transports dont le service est supprimé, modifié ou confié à un autre exploitant, ne méconnaît aucune règle ou principe de valeur constitutionnelle ; que l'article 30, alinéa 3, qui prévoit, quand du fait de l'autorité organisatrice aucune convention ne sera intervenue dans le délai de quatre ans, que l'entreprise de transports bénéficie de plein droit de la faculté de poursuivre, pour une durée maximum de dix ans, l'exploitation de son service dans les conditions antérieures de son activité n'est lui non plus contraire à aucune règle ou principe de valeur constitutionnelle ;

5. Considérant, qu'en l'espèce, il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen,

Décide :

Article premier :

La loi d'orientation des transports intérieurs est déclarée conforme à la Constitution.

Article 2 :

La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.


Loi d'orientation des transports intérieurs
Sens de l'arrêt : Conformité
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Saisine

Les députés soussignés,conformément à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, défèrent au Conseil Constitutionnel la loi d'orientation des transports intérieurs, adoptée définitivement par l'Assemblée Nationale le18 décembre 1982, et spécialement son article 30, alinéas 2 et 3.

I - Le texte de l'article 30 est ainsi rédigé :

Art. 30

"Dans un délai de quatre ans à compter de l'entrée en vigueur des dispositions de l'article 29, tous les transports publics réguliers non urbains de personnes qui ne sont pas exploités directement par l'autorité compétente doivent faire l'objet d'une convention.

Si l' autorité organisatrice décide soit de supprimer ou de modifier de manière substantielle la consistance du service en exploitation, soit de le confier à un autre exploitant, et si elle n'offre pas à l'entreprise des services sensiblement équivalents, elle doit lui verser une indemnité en compensation du dommage éventuellement subi de ce fait.

Si, à l'expiration du délai de quatre ans, la convention n'est pas intervenue du fait de l'autorité organisatrice, l'autorisation antérieurement accordée au transporteur public vaut convention pour une durée maximale de dix ans.

Des contrats de développement peuvent être passés entre l'Etat et les départements pour faciliter la modernisation des réseaux de transports publics non urbains de personnes".

Le nouveau régime du transport routier de voyageurs doit être analysé à partir des deux articles qui composent le chapitre III, les articles 29 et 30. Selon ces textes, les services réguliers et les services à la demande font l'objet d'un plan départemental ou régional. Ces plans sont établis, selon le cas, par le Conseil général ou le Conseil régional. Auparavant ils étaient préparés par le Comité technique départemental des transports, soumis au Conseil Général puis approuvés par arrêtés du Ministre des Transports après consultation du Conseil Supérieur des Transports. Les plans seront donc établis par les assemblées dans des conditions qui ne sont d'ailleurs pas précisées par la loi. On remarquera qu'en ce qui concerne les liaisons d'intérêt national, il n'y a pas de plan mais seulement des conventions passées avec l'Etat (normalement le Ministère des Transports).

II - Selon l'alinéa 2 de l'article 30, si "l'autorité organisatrice" décide de supprimer ou de modifier de façon substantielle la consistance du service ou de le confier un autre exploitant et si elle n'offre pas à l'entreprise des services sensiblement équivalents, "elle doit lui verser une indemnité en compensation du dommage éventuellement subi de ce fait".

Ce texte, particulièrement ambigu et lacunaire mérite une analyse précise.

1° - L' "autorité organisatrice" est le Conseil général ou le Conseil régional. Cette autorité peut ne pas inscrire une entreprise au plan de transport ou modifier profondément sa situation. Mais l' "autorité organisatrice" pourrait être également l'Etat qui refuse de signer une convention.

2° - Le projet gouvernemental prévoyait que les modalités de l'indemnisation seraient fixées par un décret en Conseil d'Etat. Or un amendement de M. CHENARD, rapporteur, accepté par le gouvernement, a fait disparaître ce renvoi à un décret en Conseil d'Etat (J.O., Débats, A.N., ,2ème séance du 15 octobre 1982, p. 5867). La raison donnée était qu'il fallait laisser au juge le soin d'apprécier le préjudice et qu'un décret "risquerait de trop figer les choses dans une matière aussi complexe". Cette explication rejoint une intervention précédente de M. FITERMAN, Ministre des Transports qui, à propos des difficultés de conclure une convention, venait de déclarer: "En cas de difficultés - et il n'y a pas de raison qu'elles soient nombreuses - la justice tranchera".

On arrive ici à un premier aspect crucial de la nouvelle législation. Personne, au cours des débats, n'a considéré que ce qui était en cause était le droit de propriété et la liberté d'entreprendre, droits reconnus par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789 et auxquels la décision précitée du Conseil constitutionnel du 16 janvier 1982 (Loi de nationalisation, J.O. 17 janvier, p. 299 et s.) a reconnu un caractère constitutionnel :

"Considérant que, si postérieurement à 1789 et jusqu'à nos jours, les finalités et les conditions d'exercice du droit de propriété ont subi une évolution caractérisée à la fois par une notable extension de son champ d'application à des domaines individuels nouveaux et par des limitations exigées par l'intérêt général, les principes mêmes énoncés par la Déclaration des droits de l'homme ont pleine valeur constitutionnelle tant en ce qui concerne le caractère fondamental du droit de propriété dont la conservation constitue l'un des buts de la société politique et qui est mis au même rang que la liberté, la sûreté et la résistance l'oppression, qu'en ce qui concerne les garanties données aux titulaires de ce droit et les prérogatives de la puissance publique ; que la liberté qui, aux termes de l'article 4 de la Déclaration, consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, ne saurait elle-même être préservée si des restrictions arbitraires ou abusives étaient appelées à la liberté d'entreprendre".

Le droit à indemnité est ainsi reconnu, à propos de ce qu'on doit considérer comme une véritable expropriation, mais il faut alors considérer que l'indemnisation doit obéir aux conditions fixées par l'article 17 de la Déclaration des droits de 1789 :

"La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment et sous la condition d'une juste et préalable indemnité".

Or, l'indemnisation prévue par l'article 30, alinéa 2, n'est ni préalable, ni juste.

1° - L'indemnisation n'est pas préalable

La jurisprudence considère aujourd'hui qu'il n'est pas nécessaire, pour que l'expropriation soit régulière, que le versement de l'indemnité soit préalable à la perte, par l'exproprié, de la possession du bien exproprié.

En revanche, elle exige, pour que le caractère préalable existe, que les "modalités de règlement" de l'indemnité soient prévues par le texte même qui prévoit la perte de la propriété. C'est la formule qui figure dans la décision précitée du Conseil constitutionnel du 16 janvier 1982 :

"Considérant au contraire que, sous réserve de ce qui vient d'être dit concernant l'exigence, à laquelle il n'est pas satisfait, du caractère juste de l'indemnisation, les modalités de règlement prévues pour celle-ci doivent être regardées comme en assurant suffisamment le caractère préalable".

En l'espèce, l'article 30, alinéa 2 et aucune autre disposition de la loi ne prévoient ces modalités de règlement. Si, selon la formule du Ministre "la justice tranchera", nul ne peut savoir sur quelles bases elle devra trancher. Par conséquent, l'indemnité n'est pas préalable au sens où l'entend la jurisprudence et, à ce titre, l'article 30, alinéa 2, est non conforme à la constitution.

2° - L'indemnisation n'est pas juste

C'est un euphémisme que de dire que l'indemnité n'est pas juste puisqu'on ne peut invoquer que la formule :"... si elle n'offre pas à l'entreprise des services sensiblement équivalents, elle doit lui verser une indemnité en compensation du dommage éventuellement subi de ce fait".

La réparation du dommage éventuel est certes reconnue mais on ne peut absolument pas savoir sur quelles bases cette indemnisation aura lieu pour être juste.

Quand on lit la décision précitée du 16 janvier 1982 et celle du 11 février 1982 qui lui fait suite (J.O., 12 février 1982, p. 560 et s.) et quand on voit l'analyse extrêmement détaillée à laquelle s'est livré le Conseil constitutionnel pour apprécier le caractère "juste" des indemnités versées au cas de nationalisation, on constate que la seule affirmation du principe de l'indemnisation ne peut suffire. Le législateur doit donc prévoir de façon précise et minutieuse l'indemnisation afin que l'article 17 soit respecté.

Il s'agit bien là d'une règle de nature constitutionnelle que le législateur n'a pas respectée car on ne sait ni quels sont les éléments qui seraient pris en considération, ni ceux qui seraient exclus ; on ne sait pas plus quels seraient les critères d'évaluation, la date de cette évaluation et l'ordre de juridiction qui doit arbitrer. Il n'est pas possible de considérer qu'il y a un droit commun de l'expropriation et que l'article 30 renvoie, même·de façon implicite, au code de l'expropriation.

En conséquence, et à cet autre titre, l'article 30, alinéa 2, n'est pas conforme à l'article 17 de la Déclaration des droits.

III - Le 3ème alinéa de l'article 30 décide que, si, à l'expiration du délai de 4 ans, la convention n'est pas intervenue "du fait de l'autorité organisatrice", l'autorisation antérieurement accordée " vaut convention pour une durée maximale de 10 ans".

Ainsi, à l'expiration du délai de 14 ans (4 + 10), le transporteur est définitivement évincé et sans indemnité. Sur ce point, la disposition est nettement inconstitutionnelle car elle porte atteinte catégoriquement. aux articles 2, 4 et 17 de la Déclaration de 1789 et constitue une spoliation.

On peut raisonner par référence au système prévu par la loi de nationalisation selon lequel les dividendes concernant l'exercice 1981 ne seraient pas décomptés parmi les indemnités dues aux actionnaires. Dans sa décision précitée du 16 janvier 1982, le Conseil constitutionnel déclare :

"qu'enfin le refus de reconnaître aux anciens actionnaires 1e bénéfice des dividendes attachés à l'exercice 1981 ou de leur accorder, sous une forme appropriée, un avantage équivalent; ampute sans justification les indemnités auxquelles ont droit les anciens actionnaires".

Autrement dit, au cas de non inscription sans contrepartie au plan de transport, il y a lieu à indemnisation, indemnisation dont on a vu pourtant les insuffisances. Mais au cas de maintien de la situation actuelle, au terme du délai de 14 ans, le transporteur perd tout droit à indemnisation. Le caractère inconstitutionnel de l'alinéa 3 de l'article 30 est donc incontestable car il s'agira, dans ce cas, d'une expropriation sans indemnisation, c'est à dire d'une véritable spoliation.

En conséquence, l'article 30, alinéa 3, n'est pas conforme aux articles 2, 4 et 17 de la Déclaration des droits de 1789.

Par ces motifs, et tous autres à relever même d'office, les soussignés demandent au Conseil constitutionnel de déclarer les alinéas 2 et 3 de l'article 30 non conformes à la Constitution, ainsi que toutes autres parties de la loi jugées inséparables de ces dispositions.


Références :

DC du 30 décembre 1982 sur le site internet du Conseil constitutionnel

Texte attaqué : Loi d'orientation des transports intérieurs (Nature : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées)


Publications
Proposition de citation: Cons. Const., décision n°82-150 DC du 30 décembre 1982

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Origine de la décision
Date de la décision : 30/12/1982
Date de l'import : 23/03/2016

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro de décision : 82-150
Numéro NOR : CONSTEXT000017667427 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.constitutionnel;dc;1982-12-30;82.150 ?
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