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14/01/1983 | FRANCE | N°82-153

France | France, Conseil constitutionnel, 14 janvier 1983, 82-153


Le Conseil constitutionnel,
Saisi le 20 décembre 1982 par MM Adolphe Chauvin, Philippe de Bourgoing, Daniel Hoeffel, Etienne Dailly, Alphonse Arzel, Octave Bajeux, René Ballayer, Jean Cluzel, André Bohl, Roger Boileau, Jean-Marie Bouloux, Louis Caiveau, Pierre Ceccaldi-Pavard, Auguste Chupin, Jean Colin, André Fosset, Jean Francou, Jean Gravier, René Jager, Louis Jung, Pierre Lacour, Bernard Lemarié, Louis Le Montagner, Jean Madelain, Kléber Malécot, Daniel Millaud, René Monory, Paul Pillet, Raymond Poirier, Roger Poudonson, Maurice Prévoteau, André Rabineau, Marcel Rudloff, Pier

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Le Conseil constitutionnel,
Saisi le 20 décembre 1982 par MM Adolphe Chauvin, Philippe de Bourgoing, Daniel Hoeffel, Etienne Dailly, Alphonse Arzel, Octave Bajeux, René Ballayer, Jean Cluzel, André Bohl, Roger Boileau, Jean-Marie Bouloux, Louis Caiveau, Pierre Ceccaldi-Pavard, Auguste Chupin, Jean Colin, André Fosset, Jean Francou, Jean Gravier, René Jager, Louis Jung, Pierre Lacour, Bernard Lemarié, Louis Le Montagner, Jean Madelain, Kléber Malécot, Daniel Millaud, René Monory, Paul Pillet, Raymond Poirier, Roger Poudonson, Maurice Prévoteau, André Rabineau, Marcel Rudloff, Pierre Salvi, Jean Sauvage, Paul Séramy, René Tinant, Raoul Vadepied, Pierre Vallon, Louis Virapoullé, Joseph Yvon, Charles Zwickert, Marcel Daunay, Alfred Gérin, Roger Lise, Georges Treille, Michel d'Aillières, Jacques Larché, Guy Petit, Jean-Pierre Fourcade, Pierre-Christian Taittinger, Serge Mathieu, Jacques Ménard, Paul Guillaumot, Jean Puech, Richard Pouille, Pierre Louvot, Louis de la Forest, Pierre Croze, Paul Guillard, Louis Boyer, Roland du Luart, Hubert Martin, Lionel Cherrier, René Travert, Jean Bénard Mousseaux, Roland Ruet, Jean-Marie Girault, Frédéric Wirth, Guy de La Verpillière, Louis Lazuech, Modeste Legouez, Bernard Barbier, Michel Miroudot, Michel Sordel, Jean-Pierre Cantegrit, Pierre Jeambrun, Jacques Moutet, Paul Girod, Jean-François Le Grand, Marc Jacquet, Jean Amelin, Jacques Braconnier, Jean Chérioux, Henri Belcour, Georges Repiquet, Charles Pasqua, Bernard-Charles Hugo, Louis Souvet, Edmond Valcin, Michel Alloncle, Michel Caldaguès, Jean Natali, Amédée Bouquerel, Marcel Fortier, Michel Chauty, Henri Portier, Roger Romani, Paul d'Ornano, François O Collet, Pierre Carous, Geoffroy de Montalembert, Sosefo Makape Papilio, Yvon Bourges, Jean Chamant, Hubert d'Andigné, Maurice Lombard, Henri Collette, Christian de La Malène, Michel Giraud, Adrien Gouteyron, Jacques Valade, Paul Kauss, Christian Poncelet, sénateurs, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la loi relative au statut général des fonctionnaires, telle qu'elle a été adoptée par le Parlement ;

Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Ouï le rapporteur en son rapport ;

1. Considérant que les sénateurs auteurs de la saisine font valoir à l'encontre de la loi modifiant l'ordonnance du 4 février 1959 relative au statut général des fonctionnaires, d'une part que, dans son ensemble, elle serait contraire au principe de l'égal accès aux emplois publics proclamé par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, d'autre part, que certaines de ses dispositions méconnaîtraient le principe constitutionnel de l'égalité de traitement dans le déroulement de la carrière des fonctionnaires ;
Sur l'égal accès aux emplois publics :
2. Considérant que l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose : "La loi est l'expression de la volonté générale .... Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents." ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel ajoutant un article 20 bis à l'ordonnance du 4 février 1959 relative au statut général des fonctionnaires : "Pour cinq nominations prononcées dans chacun des corps recrutés par la voie de l'Ecole nationale d'administration parmi les anciens élèves de cette école, à l'issue de leur scolarité, une nomination peut être prononcée parmi les candidats déclarés admis à un concours de sélection sur épreuves ouvert aux personnes justifiant de l'exercice durant huit années au total de l'une ou de plusieurs des fonctions suivantes : 1° Membre non parlementaire d'un conseil régional ou d'un conseil général, maire et, dans les communes de plus de dix mille habitants, adjoint au maire ; 2° Membre élu d'un organisme national ou local d'administration ou de direction d'une des organisations syndicales de salariés ou de non-salariés considérées comme les plus représentatives au plan national ; 3° Membre élu du bureau du conseil d'administration d'une association reconnue d'utilité publique ou d'une société, union ou fédération soumise aux dispositions du code de la mutualité, membre du conseil d'administration d'un organisme régional ou local chargé de gérer un régime de prestations sociales ..." .
4. Considérant qu'aux termes de l'alinéa 8 du même article : "Les nominations interviennent, dans chacun des corps, en fonction des choix exercés entre ces corps par les intéressés dans l'ordre d'une liste établie selon le mérite à l'issue d'une formation dispensée par l'Ecole nationale d'administration ..." ;
5. Considérant que, si le principe de l'égal accès des citoyens aux emplois publics, proclamé par l'article 6 précité de la Déclaration de 1789, impose que, dans les nominations de fonctionnaires, il ne soit tenu compte que de la capacité, des vertus et des talents, il ne s'oppose pas à ce que les règles de recrutement destinées à permettre l'appréciation des aptitudes et des qualités des candidats à l'entrée dans une école de formation ou dans un corps de fonctionnaires soient différenciées pour tenir compte tant de la variété des mérites à prendre en considération que de celle des besoins du service public ;
6. Considérant que, sans contester la possibilité de diversité des modes de recrutement des fonctionnaires d'un même corps, d'ailleurs consacrée par la pratique, les sénateurs auteurs de la saisine soutiennent que la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel méconnaît l'article 6 précité de la Déclaration de 1789 à deux points de vue : en premier lieu, en ce que certains des critères retenus par la loi pour définir les catégories de citoyens admis au mode particulier de recrutement qu'elle institue sont sans rapport avec l'exigence de capacité formulée par l'article 6 de la Déclaration ; en second lieu, en ce que la loi écarte du concours qu'elle institue des citoyens dont les aptitudes et les qualités ne sauraient être présumées inférieures à celles des citoyens qu'elle admet à concourir ;
En ce qui concerne l'exigence de capacité formulée par l'article 6 de la Déclaration de 1789 :
7. Considérant qu'il résulte des travaux préparatoires que le législateur a estimé que les personnes appartenant aux catégories définies par l'article 20 bis nouveau de l'ordonnance du 4 février 1959 présentaient des qualités de compétence, d'expérience et de désintéressement faisant présumer leur aptitude à se présenter à un concours de recrutement ayant pour objet de vérifier leur capacité et de choisir les meilleures d'entre elles ; que cette appréciation qu'il appartenait au législateur de porter n'est pas entachée d'une erreur manifeste ;
8. Considérant que, si l'alinéa 8 de l'article 20 bis nouveau confie au ministre chargé de la fonction publique le soin d'établir, après avis d'une commission présidée par un conseiller d'État, la liste des personnes admises à concourir, il résulte tant des travaux préparatoires que des règles générales de la fonction publique que la mission ainsi confiée, sous le contrôle du juge, au ministre chargé de la fonction publique a pour seul objet la vérification de l'aptitude légale des candidats à se présenter au concours et non celle de leur capacité qui relève du seul jury du concours ;
9. Considérant que la nomination des candidats admis au concours dans les corps auxquels ils ont accès est précédée d'une formation dispensée par l'Ecole nationale d'administration ; que l'établissement, à l'issue de cette formation, d'une liste de classement par ordre de mérite commande le choix des corps par les intéressés ;
10. Considérant que cet ensemble de mesures satisfait à l'exigence de capacité formulée par l'article 6 de la Déclaration de 1789 ; qu'ainsi, de ce premier point de vue, le grief élevé par les auteurs de la saisine ne saurait être retenu.
En ce qui concerne l'exclusion de certaines catégories de personnes du bénéfice de la loi :
11. Considérant que, de façon générale, les auteurs de la saisine font valoir que le législateur n'a pas admis au bénéfice de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel des catégories de personnes, notamment les cadres du secteur public, semi-public ou privé, dont les mérites et les aptitudes ne sauraient être présumés moindres que ceux des personnes admises à subir le concours de sélection sur épreuves ;
12. Considérant que la loi présentement examinée ne s'est pas référée, pour déterminer les catégories de personnes admises à son bénéfice, à aucun critère de caractère socio-professionnel ; qu'ainsi le principe de l'égal accès aux emplois publics n'a pu être méconnu au détriment des cadres ni d'ailleurs au détriment d'aucune autre catégorie socio-professionnelle ;
13. Considérant que les possibilités d'accès aux qualifications ouvrant le bénéfice de la loi sont égales pour toutes les personnes, sans discrimination de droit ou de fait selon les professions ;
14. Considérant ainsi que, dans sa formulation la plus générale, le grief présentement examiné ne saurait être retenu.
15. Considérant que les auteurs de la saisine font également valoir, de façon plus particulière, qui seraient contraires au principe d'égalité certaines des limitations apportées à la définition des personnes admises à se présenter au concours de sélection sur épreuves ;
16. Considérant qu'à ce point de vue, il est reproché à la loi de n'avoir pas compris parmi ses bénéficiaires les adjoints au maire des communes ne comptant pas plus de dix mille habitants, les dirigeants ou administrateurs d'organisations syndicales autres que les plus représentatives, ainsi que les responsables des associations non reconnues d'utilité publique ;
17. Considérant que, sous peine d'ouvrir le concours qu'il a institué à un nombre très élevé de participants, ce qui en aurait rendu l'organisation et le fonctionnement pratiquement impossibles, le législateur était conduit à limiter le nombre des postulants éventuels et à donner la préférence à ceux qui pouvaient être présumés les plus expérimentés et les plus compétents ; que les dispositions critiquées ont un tel objet et ne procèdent pas d'une appréciation manifestement erronée ;
18. Considérant que les auteurs de la saisine font encore valoir que, la loi n'ayant pas été rendue applicable aux territoires d'outre-mer et à Mayotte, les élus de ces collectivités territoriales sont, en violation du principe d'égalité, exclus du bénéfice de la loi :
19. Considérant qu'en raison de la nature et de l'objet de la loi présentement examinée les élus des territoires d'outre-mer appartenant aux catégories visées par le 1° de l'article 20 bis nouveau peuvent, de plein droit, bénéficier de la loi comme les autres citoyens français ; qu'il en est ainsi pour tout maire et, dans les communes de plus de dix mille habitants, pour tout adjoint au maire ; que le législateur pouvait, en revanche, sans méconnaître le principe d'égalité, s'abstenir d'étendre les dispositions concernant les membres des conseils généraux des départements aux membres des assemblées territoriales dont le statut et les attributions sont différents ;
20. Considérant enfin que les auteurs de la saisine relèvent que la législation spéciale aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ne comportant pas la reconnaissance d'utilité publique des associations, les citoyens habitant ces départements sont privés indûment de l'une des qualifications possibles ouvrant le bénéfice de la loi ;
21. Considérant que la particularité de la législation locale sur les associations ainsi relevée ne procède pas de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel et ne saurait, du seul fait de ses conséquences, entacher celle-ci d'inconstitutionnalité ; qu'il appartiendra au législateur d'apprécier s'il y a lieu de réparer cette anomalie ;
22. Considérant au total que, ni la détermination des bénéficiaires de la loi présentement examinée, ni la création du concours de sélection sur épreuves qui leur est ouvert, ne sont contraires à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
Sur le principe de l'égalité de traitement dans le déroulement de la carrière des fonctionnaires :
23. Considérant qu'il résulte des termes de la loi et des travaux préparatoires que les candidats admis au concours de sélection sur épreuves recevront, de la part de l'Ecole nationale d'administration, une formation ne se confondant pas avec celle dispensée par l'école à ses élèves provenant des concours dits "externe" et "interne" ; que cette différenciation est justifiée par le fait que les besoins de formation des intéressés ne sont pas les mêmes dans ces divers cas ;
24. Considérant que, de même, le législateur a pu prévoir que les candidats admis au concours de sélection sur épreuves feraient, à l'issue de la formation dispensée par l'Ecole nationale d'administration, l'objet d'un classement particulier ; qu'en effet, il était loisible au législateur d'écarter, en ce qui concerne ces candidats, un classement commun avec des élèves ayant reçu une formation différente ;
25. Considérant que l'avant-dernier alinéa de l'article 20 bis nouveau de l'ordonnance du 4 février 1959 dispose : "Le classement dans le corps a lieu à un grade et à un échelon déterminés en fonction de l'avancement moyen dans ce corps en prenant en compte une fraction de la durée des fonctions énumérées aux 1°, 2° et 3° ci-dessus".
26. Considérant que, selon les auteurs de la saisine, ces dispositions sont contraires au principe constitutionnel de l'égalité dans le déroulement de la carrière des fonctionnaires ; qu'en effet elles auraient pour effet de privilégier à l'entrée dans les corps de fonctionnaires et donc dans le déroulement de leur carrière les candidats ayant accédé à ces corps en application de la présente loi par rapport à ceux de leurs collègues ayant accédé à ces corps par la voie habituelle des concours d'entrée et du classement de sortie de l'Ecole nationale d'administration ;
27. Considérant qu'il résulte des travaux préparatoires que les dispositions de l'avant-dernier alinéa de l'article 20 bis ont pour objet de tenir compte de la longue durée des fonctions visées aux 1°, 2° et 3°, nécessaires pour avoir accès au concours de sélection sur épreuves ; qu'en effet les personnes pouvant se réclamer de l'application des dispositions de la loi seraient, du fait de cette longue durée, d'un âge moyen sensiblement supérieur à celui de leurs collègues admis dans les mêmes corps par la voie habituelle des concours d'entrée et du classement de sortie de l'Ecole nationale d'administration ; que la mesure portée à l'avant-dernier alinéa précité de l'article 20 bis nouveau tendrait, à l'instar d'autres dispositions législatives et notamment de celles de l'article 21 de la loi organique du 29 octobre 1980 relative au statut de la magistrature, à réparer cette inégalité et à permettre aux bénéficiaires de la loi d'accéder éventuellement, avant d'atteindre la limite d'âge, aux grades les plus élevés des corps où ils seront entrés ;
28. Considérant que la prétendue analogie entre les dispositions de l'avant-dernier alinéa de l'article 20 bis nouveau et celles de l'article 21 de la loi organique du 29 octobre 1980 n'est pas pertinente ; qu'en effet, si l'article 21 de cette dernière loi permettait de prendre en compte, pour leur classement hiérarchique, les années d'activité professionnelle accomplies avant leur recrutement par les personnes admises directement dans la magistrature, c'était dans le cadre d'un mode de recrutement exceptionnel et transitoire motivé par la pénurie de personnel et au profit de personnes ayant acquis, avant même leur recrutement, une indiscutable qualification technique ; que ces dispositions s'accompagnaient d'ailleurs de mesures favorisant l'avancement des magistrats recrutés selon la voie normale ;
29. Considérant qu'à supposer que la moyenne d'âge des bénéficiaires de l'article 20 bis nouveau doive être sensiblement plus élevée que celle de leurs collègues recrutés par la voie habituelle des concours d'entrée et du classement de sortie de l'Ecole nationale d'administration, il n'en demeure pas moins que, selon les textes en vigueur, le temps passé dans le service public par les anciens élèves de l'Ecole nationale d'administration issus du concours dit interne ouvert aux personnes ayant accompli cinq ans de services effectifs comme fonctionnaires ou agents publics n'est pas pris en compte pour déterminer le classement hiérarchique des intéressés dans les corps auxquels ils ont accès à l'issue de leur scolarité ; que, pas davantage, n'est retenu pour ce classement le temps consacré à leurs études par les anciens élèves de l'Ecole nationale d'administration issus du concours dit externe ouvert aux candidats titulaires de certains diplômes ou titres équivalents.
30. Considérant ainsi que, si les autres dispositions de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel n'attribuent aux personnes visées aux 1°, 2° et 3° de l'article 20 bis nouveau aucun avantage contraire au principe d'égalité, les dispositions de l'avant-dernier alinéa de l'article 20 bis nouveau auraient pour effet, si elles étaient appliquées, de leur conférer un privilège méconnaissant les principes proclamés par l'article 6 de la Déclaration de 1789 ; que dès lors, l'avant-dernier alinéa de l'article 20 bis nouveau doit être déclaré contraire à la Constitution ; que cette disposition est séparable des autres dispositions jugées conformes à la Constitution ;
31. Considérant qu'en l'espèce il n'y a pas lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen,

Décide :
Article premier :
Est déclaré contraire à la Constitution l'avant-dernier alinéa de l'article 20 bis de l'ordonnance du 4 février 1959 relative au statut général des fonctionnaires ainsi rédigé : "Le classement dans le corps a lieu à un grade et à un échelon déterminés en fonction de l'avancement moyen dans ce corps, en prenant en compte une fraction de la durée des fonctions énumérées aux 1°, 2° et 3° ci-dessus."
Article 2 :
Les autres dispositions de la loi sont déclarées conformes à la Constitution.
Article 3 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.


Synthèse
Numéro de décision : 82-153
Date de la décision : 14/01/1983
Loi relative au statut général des fonctionnaires
Sens de l'arrêt : Non conformité partielle
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Saisine

Les Sénateurs soussignés défèrent au Conseil Constitutionnel la loi modifiant l'ordonnance du 4 février 1959 relative au statut général des fonctionnaires, définitivement adoptée par l'Assemblée Nationale le 20 décembre 1982, en ce qu'elle méconnaît :

- le principe de l'égalité d'accès de tous les citoyens aux emplois publics, consacré par l'article VI de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen,

- le principe de l'égalité de traitement des fonctionnaires dans le déroulement de leur carrière tel qu'il résulte du principe d'égalité de tous les citoyens, consacré par l'article VI de la Déclaration et rappelé à l'article 2 de la Constitution.

I - L'article 2 de la loi déférée méconnaît le principe de l'égalité d'accès des citoyens aux emplois publics, tel qu'il est consacré par l'article VI de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen

La Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen consacre dans son article VI le principe de l'égalité de tous les citoyens devant la loi. Cet article dispose également que tous les citoyens " sont également admissibles à toute dignité, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ".

L'égalité d'accès de tous aux emplois publics est donc la première des applications du principe de l'égalité devant la loi et par cette disposition, qui a valeur constitutionnelle, le constituant a entendu prohiber toute distinction autre que celle fondée sur les vertus et les talents des citoyens.

Dans la mesure où elle tend à créer une catégorie particulière de concours réservée à certaines personnes, la loi déférée introduit une nouvelle distinction fondée sur l'exercice de certaines fonctions au sein de certains organismes ou collectivités qui sont énumérés dans son article 2. Seules les personnes y ayant assumé l'une ou plusieurs de ces fonctions seraient admises à participer à ce nouveau concours.

Les Sénateurs soussignés estiment que cette nouvelle distinction est contraire à l'article VI de la Déclaration qui, en raison même de la généralité des termes employés, a une portée absolue et ne permet donc pas au législateur de retenir une distinction "autre que celle de leurs talents et de leurs vertus" et interdit à la loi d'instituer, comme le fait la loi déférée, un véritable privilège au profit de certains citoyens.

Sans admettre pour autant que ce principe puisse avoir une valeur relative et tolérer des exceptions, il faut noter qu'en tout état de cause de telles exceptions devraient alors être dûment justifiées par le Gouvernement.

Or, dans l'exposé des motifs du projet de loi et lors des débats devant le Parlement, le Gouvernement a allégué que "des couches sociales de la Nation sont presque systématiquement écartées des emplois de haute responsabilité et c'est, considérant que "l'Administration doit être un meilleur reflet de la réalité sociale de la Nation", que le Gouvernement a estimé nécessaire de "rétablir l'égalité des chances au profit de ceux que le système social tend à marginaliser".

Outre que cette justification est dénuée de tout fondement car les garanties offertes par des concours ouverts à tous ont au contraire permis à l'ensemble des citoyens qui le méritaient, d'accéder sans distinction d'aucune sorte aux emplois de la fonction publique sans qu'il ait été pour cela nécessaire d'organiser des concours particuliers, réservés à certains citoyens, la loi déférée, sous le prétexte de rétablir l'égalité des chances, accorde un privilège aux personnes mentionnées à l'article 2 certains élus locaux, les dirigeants ou administrateurs élus des organisations les plus représentatives de salariés ou de non salariés ainsi que les administrateurs d'associations reconnues d'utilité publique, d'organismes mutualistes ou d'organismes chargés de gérer un régime de prestations sociales. Aucun critère général ne peut justifier cette énumération limitative des personnes qui seront admises à ce concours particulier.

Dans l'exposé des motifs de son projet de loi, le Gouvernement a d'ailleurs précisé que le nouveau concours profiterait·à l'ensemble des personnes qui ont fait preuve de leurs "compétences" et de "leur dévouement au service de l'intérêt général". Or, si le dévouement au service de l'intérêt général est bien l'un des éléments essentiels du mandat d'élu local, les dirigeants des syndicats professionnels n'ont pas pour mission de défendre l'intérêt général mais seulement les intérêts de la profession qu'ils sont chargés de représenter. Au demeurant, la loi déférée exclut du bénéfice de ses dispositions tous les autres citoyens qui, pourtant, ont, eux aussi, fait preuve de leurs compétences ou de leur dévouement au service de l'intérêt général tels par exemple les adjoints au maire des communes de moins de 10.000 habitants qui paraissent tout aussi dignes de concourir que les représentants locaux de syndicats. Il s'agit bien là d'une discrimination arbitraire qui n'est pas fondée sur une différence " de talent, de vertu ou de capacité".

La loi déférée est donc fondée sur une sélection arbitraire des catégories de personnes autorisées à se présenter au troisième concours de l'E.N.A. puisqu'elle prend en compte la nature des fonctions exercées et non la manière dont les personnes les ont exercées.

Le procédé de l'énumération limitative des personnes admises à ce concours particulier va d'ailleurs à l'encontre de l'objectif que le Gouvernement prétend rechercher puisque les promotions issues de ce concours ne seront jamais que le reflet des seules catégories de personnes visées à l'article 2 de la loi déférée et non de la Nation tout entière. C'est ainsi que seraient par exemple exclus du droit à concourir :

- les dirigeants nationaux ou locaux des organisations syndicales de non-salariés puisqu'il n'existe dans la loi aucun critère de représentativité pour ces organisations ;

- les dirigeants des associations constituées selon le droit local d'Alsace et de Moselle puisque la procédure de reconnaissance d'utilité publique n'existe pas dans les trois départements d'Alsace et de Moselle ;

- les cadres du secteur public, semi-public ou privé, alors qu'ils participent, eux aussi, au développement économique et social du pays.

Contrairement aux déclarations du Gouvernement, la loi déférée n'a donc pas pour effet de rétablir l'égalité des chances. Elle tend en fait à établir une discrimination injustifiée au profit de certaines personnes et au détriment des autres citoyens.

Le principe constitutionnel de l'égal accès aux emplois publics est remis en cause par l'institution d'un concours réservé à certaines personnes.

Par ailleurs, dans la mesure où la loi déférée n'est pas rendue applicable dans les territoires d'Outre-Mer et dans la Collectivité territoriale de Mayotte, les élus de ces collectivités territoriales seraient exclus sans justification du droit à concourir, alors qu'ils se trouvent dans la même situation juridique que les maires de la Métropole au regard du statut général de la fonction publique.

Pour toutes ces raisons, les sénateurs soussignés demandent au Conseil Constitutionnel de bien vouloir déclarer que l'article 2 de la loi déférée n'est pas conforme au principe de l'égal accès aux emplois publics, tel qu'il est fixé par l'article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.

II - L'article 2 de la loi déférée viole le principe constitutionnel de l'égalité de traitement durant le déroulement de la carrière des fonctionnaires.

Le Conseil Constitutionnel, dans sa décision n° 76-67 du 15 juillet 1976, a consacré l'égalité de traitement dans le déroulement de la carrière comme principe constitutionnel s'appliquant à tous les agents appartenant à un même corps.

Or, la loi déférée, non seulement ouvre un accès privilégié à l'ENA à certaines personnes mais encore permet l'affectation de ces personnes dans les corps recrutés par la procédure normale du·concours selon laquelle le classement, la notation et les rangs de sortie sont établis sur des critères objectifs qui ne seront donc pas respectés pour le classement des candidats issus de la troisième voie d'accès à l'ENA. En effet, le classement des fonctionnaires issus de cette troisième voie a lieu à un grade et à un échelon déterminés en fonction de l'avancement moyen dans le corps considéré, en prenant en compte une fraction de la durée de leurs anciennes fonctions (avant dernier alinéa de l'article 2 de la loi déférée).

Les candidats entrés à l'ENA bénéficiant tous, dès leur entrée, du même statut de fonctionnaire doivent tous bénéficier du même régime à la sortie. Or il n'en est rien puisque les élèves entrés à l'ENA par la troisième voie vont bénéficier d'une sorte de "reconstitution de carrière" alors que ceux issus du deuxième concours, comme leurs camarades du concours externe, commencent leur nouvelle carrière au grade de départ (voir article 2 in fine et rapport HOEFFEL).

Il y a là, entre des fonctionnaires placés dans la même situation, une discrimination quant au déroulement de leur carrière qui n'est pas conforme au principe d'égalité consacré par l'article 2 de la Constitution et contraire au principe constitutionnel résultant de la décision n° 76-67 susmentionnée du Conseil Constitutionnel.

Pour tous ces motifs et pour tous autres qu'il plaira au Conseil Constitutionnel d'invoquer, les Sénateurs soussignés lui demandent de bien vouloir décider que la présente loi n'est conforme ni aux dispositions de l'article VI de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ni à celles de l'article 2 de la Constitution, ni au principe constitutionnel d'égalité de traitement durant le déroulement de la carrière des fonctionnaires.


Références :

DC du 14 janvier 1983 sur le site internet du Conseil constitutionnel

Texte attaqué : Loi relative au statut général des fonctionnaires (Nature : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°82-153 DC du 14 janvier 1983
Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:1983:82.153.DC
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