La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/07/1983 | FRANCE | N°83-160

France | France, Conseil constitutionnel, 19 juillet 1983, 83-160


Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 30 juin 1983, par MM Claude Labbé, Jean Falala, Philippe Séguin, Michel Barnier, Etienne Pinte, Mme Hélène Missoffe, MM Pierre-Charles Krieg, Robert Galley, Jacques Chaban-Delmas, Jacques Marette, Jacques Toubon, Emmanuel Aubert, Roger Corrèze, Jean-Louis Goasduff, Gabriel Kaspereit, Pierre Mauger, Jacques Godfrain, Robert-André Vivien, Marc Lauriol, Maurice Couve de Murville, Hyacinthe Santoni, Jean-Paul Charié, Claude-Gérard Marcus, Jean Hamelin, Pierre-Bernard Cousté, Jean-Charles Cavaillé, Michel Debré, Didier Julia, Bernard Pons, Mme

Nicole de Hauteclocque, MM Bruno Bourg-Broc, Christian Berg...

Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 30 juin 1983, par MM Claude Labbé, Jean Falala, Philippe Séguin, Michel Barnier, Etienne Pinte, Mme Hélène Missoffe, MM Pierre-Charles Krieg, Robert Galley, Jacques Chaban-Delmas, Jacques Marette, Jacques Toubon, Emmanuel Aubert, Roger Corrèze, Jean-Louis Goasduff, Gabriel Kaspereit, Pierre Mauger, Jacques Godfrain, Robert-André Vivien, Marc Lauriol, Maurice Couve de Murville, Hyacinthe Santoni, Jean-Paul Charié, Claude-Gérard Marcus, Jean Hamelin, Pierre-Bernard Cousté, Jean-Charles Cavaillé, Michel Debré, Didier Julia, Bernard Pons, Mme Nicole de Hauteclocque, MM Bruno Bourg-Broc, Christian Bergelin, Michel Cointat, Roland Vuillaume, Michel Noir, Serge Charles, Gérard Chasseguet, Pierre Gascher, Jean de Lipkowski, Daniel Goulet, Jean-Louis Masson, Georges Tranchant, Camille Petit, Benjamin Brial, Yves Lancien, Robert Wagner, Jean-Paul de Rocca Serra, Alain Peyrefitte, Georges Gorse, Pierre Bachelet, François Fillon, Charles Miossec, Jacques Lafleur, Jean-Pierre Soisson, Jean Briane, Jean-Marie Caro, René Haby, Jacques Dominati, Georges Mesmin, Jean Proriol, Claude Wolff, Maurice Dousset, François d'Aubert, Alain Madelin, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi portant approbation d'une convention fiscale avec le territoire d'outre-mer de la Nouvelle-Calédonie et dépendances.

Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment les articles figurant au chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que les députés auteurs de la saisine soutiennent que la convention fiscale, conclue les 31 mars et 5 mai 1983 entre le Gouvernement de la République française et le Conseil de gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et dépendances en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale, est contraire aux articles 2, 34, 53, 55 et 72 de la Constitution et que, par voie de conséquence, la loi portant approbation de cette convention leur est également contraire ;
Sur le principe de la convention fiscale :
2. Considérant que les auteurs de la saisine contestent, dans son principe même qu'une convention fiscale puisse être conclue avec un territoire d'outre-mer ; qu'en effet, selon eux, une telle procédure n'aurait été conforme à la Constitution que "si la Nouvelle-Calédonie eût été un Etat souverain" ; qu'ils soutiennent que "les questions de doubles impositions et de prévention de l'évasion fiscale posées à l'intérieur de la République ne peuvent être résolues que par la loi de la République" ;
3. Considérant que, de façon générale, aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle ne s'oppose à ce que l'Etat passe des conventions avec les diverses collectivités territoriales de la République telles que les communes, les départements, les régions ou les territoires d'outre-mer ;
4. Considérant que, de même, aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle ne s'oppose à ce que de telles conventions aient pour objet d'harmoniser l'action des administrations respectives de l'Etat, d'une part, et des collectivités territoriales, d'autre part, dans l'exercice des compétences qui leur sont dévolues en vertu de la Constitution et de la loi ;
5. Considérant que de telles conventions, de pur droit interne, puisent leur force obligatoire à l'égard du Gouvernement, des administrations et des juridictions dans la loi française en vigueur ; que le législateur, qui n'est soumis qu'à l'autorité de la Constitution, ne peut s'interdire lui-même, que ce soit unilatéralement ou conventionnellement, de modifier la loi en vigueur ; que, par suite, de telles conventions ne peuvent avoir ni pour objet ni pour effet de restreindre l'exercice des compétences conférées au législateur par la Constitution ;
6. Considérant qu'en vertu de dispositions conformes à la constitution, le territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances perçoit à son profit un impôt sur les sociétés et un impôt sur le revenu des personnes physiques établis selon des règles spécifiques ; que, s'il était loisible au législateur de poser lui-même les règles tendant à éviter les doubles impositions et l'évasion fiscale pouvant résulter de deux régimes fiscaux coexistant au sein de la république française, il n'était pas interdit d'établir de telles règles par le moyen d'une convention avec le territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances, suivant d'ailleurs en cela la pratique antérieure telle qu'elle ressort de la loi n° 71-145 du 22 juin 1971 approuvant une convention fiscale entre le Gouvernement de la République française et le Conseil de gouvernement du territoire des Comores, dont les clauses sont semblables à celles de la convention que critiquent les auteurs de la saisine ;
Sur certaines dispositions de la convention fiscale :
7. Considérant qu'outre la contestation de principe qui vient d'être examinée, les députés auteurs de la saisine critiquent plus particulièrement certaines stipulations de la convention fiscale approuvée par la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel ;
En ce qui concerne la prétendue reconnaissance du territoire comme autorité souveraine :
8. Considérant qu'il est fait grief à la convention fiscale de traiter la République française et le territoire de la Nouvelle-Calédonie "sur un pied de stricte égalité juridique inadmissible dans les rapports d'un Etat souverain avec l'un de ses éléments constitutifs que l'on ne peut personnaliser en tant qu'autorité souveraine sans démembrer la République française" ;
9. Considérant qu'aucune des stipulations de la convention ne reconnaît au territoire la qualité d'autorité souveraine ou de personne du droit international ; que rien ne s'oppose à ce que, dans le cadre de la convention de droit interne passée par les autorités compétentes au titre de chacune des personnes morales contractantes, soient définis des droits et des obligations réciproques ; que, comme il a été dit plus haut, la définition de ces droits et obligations par la voie contractuelle ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de priver le législateur français des compétences que lui confère la Constitution ni d'attribuer aux autorités du territoire des prérogatives contraires à la Constitution ;
10. Considérant de même que, si les besoins de la rédaction de la convention ont entraîné l'emploi de termes distinguant "le territoire" français et le "territoire de la Nouvelle-Calédonie" et en définissant les ressorts géographiques respectifs, ou "l'impôt français" et "l'impôt calédonien", il ressort des dispositions mêmes de l'article 3 que ces termes résultent d'une convention de langage de pure commodité et qu'ils n'ont aucune autre portée juridique ;
11. Considérant que ne saurait davantage être retenue l'allégation selon laquelle "la procédure utilisée par le Gouvernement est calquée sur la pratique internationale" ni celle selon laquelle la convention critiquée a eu pour "modèle la convention type élaborée par l'OCDE pour les accords destinés à éviter les doubles impositions entre Etats" ; qu'en effet, si pour des raisons de technique fiscale, les rédacteurs de la convention critiquée ont pu s'inspirer de certaines des stipulations habituelles dans les traités internationaux, ce fait ne saurait en rien conférer à la convention en cause un quelconque caractère international ;
12. Considérant de même que, si l'article 25 de la convention stipule : "La présente convention sera approuvée conformément aux dispositions en vigueur dans chaque territoire", cette clause, contrairement à ce que soutiennent les auteurs de la saisine, ne comporte aucune référence explicite ou implicite à l'article 53 de la Constitution relatif à la ratification et à l'approbation des traités et accords internationaux et procède de l'application des règles de pur droit interne relatives à l'exercice des compétences publiques en matière contractuelle ;
En ce qui concerne la méconnaissance prétendue de l'article 34 de la Constitution :
13. Considérant que les auteurs de la saisine font valoir que nombre de stipulations de la convention critiquée sont de nature à retirer au législateur l'exercice de compétences qui lui appartiennent en vertu de l'article 34 de la Constitution ; qu'il en serait ainsi notamment de l'article 23 qui, pour l'application des accords amiables, écarte les règles de délai prévues par "le droit interne des territoires", et de l'article 26 subordonnant à un délai de préavis la dénonciation de la convention par l'une ou l'autre partie ;
14. Considérant que ces stipulations qui ont force obligatoire dans le cadre contractuel ne sauraient, pour les raisons exposées plus haut, avoir ni pour objet ni pour effet d'affecter l'exercice de la compétence du législateur telle qu'elle résulte de l'article 34 de la Constitution dont ni la convention en cause ni la loi déférée au Conseil constitutionnel n'ont entendu limiter la portée ;
Sur l'ensemble :
15. Considérant que ni la convention approuvée par la loi déférée au Conseil constitutionnel ni cette loi elle-même ne sont contraires à l'indivisibilité de la République proclamée par l'article 2 de la Constitution, ni à l'article 34 définissant le domaine de la loi, ni aux articles 53 et 55 de la Constitution relatifs aux traités et accords internationaux, totalement étrangers aux textes soumis à l'examen du Conseil constitutionnel, ni à l'article 72 de la Constitution consacrant l'existence et les droits des collectivités territoriales ;
16. Considérant qu'en l'espèce il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen.

Décide :
Article premier :
La loi portant approbation d'une convention fiscale avec le territoire d'outre-mer de la Nouvelle-Calédonie et dépendances est déclaré conforme à la Constitution.
Article 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.


Loi portant approbation d'une convention fiscale avec le territoire d'outre-mer de la Nouvelle-Calédonie et dépendances
Sens de l'arrêt : Conformité
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Saisine

SAISINE DEPUTES : Les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel conformément à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, la loi portant approbation d'une convention fiscale avec le territoire d'outre-mer de la Nouvelle-Calédonie et dépendances, définitivement votée par l'Assemblée nationale le 28 juin 1983, tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale.

La procédure adoptée par le Gouvernement pour résoudre ces problèmes, qui eût été conforme à la Constitution si la Nouvelle-Calédonie eut été un état étranger souverain, est contraire à la Constitution s'agissant d'un territoire d'outre-mer.

1° En effet, la Nouvelle-Calédonie et ses dépendances forment un territoire d'outre-mer, dont le statut résulte de la loi n° 76-1222 du 28 décembre 1976. L'article 1er de ce statut disposant que la Nouvelle-Calédonie constitue "au sein de personnalité juridique et de l'autonomie financière" s'inscrit dans le cadre de l'article 72 de la Constitution aux termes duquel : "les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements et les territoires d'outre-mer . Ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi." La Nouvelle-Calédonie ne constitue donc en aucune façon un état souverain, ou même seulement autonome, même si le statut du territoire confère à son assemblée des compétences fiscales.

2° Or, dans la présente convention approuvée par la loi déférée au conseil, la République française et la Nouvelle-Calédonie et dépendances sont traitées sur un pied de stricte égalité juridique inadmissible, dans les rapports d'un état souverain avec l'un de ses éléments constitutifs que l'on ne peut personnaliser en tant qu'autorité souveraine sans démembrer la République française.

Ainsi l'intitulé même de la convention est : "convention entre le Gouvernement de la République française et le conseil du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et dépendances".

Ainsi plusieurs dispositions, notamment celles de l'article 2 et de l'article 3, distinguent le territoire français (limité aux départements européens et d'outre-mer) et le territoire de Nouvelle-Calédonie.

Ainsi encore, l'article 22 distingue : "les impôts français" et les "impôts calédoniens".

En définissant la France et la Nouvelle-Calédonie et dépendances comme deux territoires indépendants l'un de l'autre, la présente convention méconnaît les dispositions de l'article 2 de la Constitution qui dispose que "la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale".

3° L'ambiguïté que la convention fait naître quant à la nature du territoire de Nouvelle-Calédonie est encore aggravée par le fait que la procédure utilisée par le Gouvernement est calquée sur la pratique internationale.

En effet, le modèle retenu est celui de la convention type élaborée par l'OCDE, pour les accords destinés à éviter les doubles impositions entre Etats.

Quant au fond, l'utilisation d'un tel modèle se traduit par l'insertion, dans le dispositif de la convention de dispositions exorbitantes, dérogatoires du droit interne. Ainsi l'article 23 de la convention prévoit une procédure amiable "indépendamment des recours prévus par le droit interne" en France ou en Nouvelle-Calédonie.

Selon le même article "l'accord est appliqué, quels que soient les délais prévus par le droit interne des territoires (art 23, alinéa 2). En outre, l'article 25 de la convention prévoit pour son entrée en vigueur qu'elle doit être "approuvée conformément aux dispositions en vigueur dans chaque territoire" et l'article 26 prévoit une clause de dénonciation "moyennant un préavis minimum de six mois", dispositions incompatibles avec le droit interne.

En empruntant aux conventions de type international de telles dispositions, la loi approuvant la présente convention traite implicitement mais nécessairement la Nouvelle-Calédonie en état souverain. Elle méconnaît le statut de territoire d'outre-mer de la Nouvelle-Calédonie et son appartenance au territoire de la République française : elle viole donc l'article 72 de la Constitution.

Il faut ajouter que la procédure utilisée par le Gouvernement en prévoyant que la convention ne pourra entrer en vigueur qu'après approbation (art 25) se réfère implicitement aux dispositions de l'article 53 de la constitution dont il est fait une fausse application puisqu'il ne s'agit pas là d'un traité ou accord international.

4 Etant un territoire d'outre-mer, la Nouvelle-Calédonie reste sous l'autorité du Parlement de la République, d'autant que son statut même ne résulte que d'une loi ordinaire (loi du 28 décembre 1976). De plus, la présente convention traite de dispositions d'ordre fiscal qui sont du domaine de la loi aux termes de l'article 34 de la Constitution.

Par nature, les pouvoirs du législateur ne peuvent être limités par une convention qui n'a pas le caractère d'un traité ou accord international ayant, en application de l'article 55 de la Constitution, une autorité supérieure à celle de la loi.

Or plusieurs dispositions de la présente convention ont pour effet de priver le Parlement de certaines de ses prérogatives.

Ainsi l'article 23, en prévoyant une procédure amiable "quel que soit le délai prévu par le droit interne des territoires", pose contrairement à la Constitution une règle qui serait supérieure à la législation française. De même, les articles 25 et 26, en ce qu'ils prévoient des formalités pour l'entrée en vigueur et la dénonciation de la convention, constituent une limitation aux pouvoirs souverains du Parlement parfaitement injustifiée dans le cadre d'une convention entre l'état central et une collectivité territoriale de ce même état.

Ces articles comportent donc des dispositions contraires à l'article 34 de la Constitution, garantissant le domaine d'intervention du législateur.

La présente convention est un monstre juridique, qui emprunte la technique du droit international pour régir une matière relevant exclusivement du droit purement interne et qui méconnaît les prérogatives du Parlement. L'ensemble des dispositions incriminées s'inspire d'une logique contraire à la souveraineté de la République.

Pour ces motifs, les députés soussignés concluent qu'il plaise au Conseil constitutionnel de dire non conformes aux articles 2, 34, 53, 55 et 72 de la Constitution les dispositions de la loi portant approbation d'une convention fiscale avec le territoire d'outre-mer de la Nouvelle-Calédonie et dépendances qui lui est déférée.

Les questions de doubles impositions et de prévention de l'évasion fiscale posées à l'intérieur de la République ne peuvent être résolues que par la loi de la République.


Références :

DC du 19 juillet 1983 sur le site internet du Conseil constitutionnel

Texte attaqué : Loi portant approbation d'une convention fiscale avec le territoire d'outre-mer de la Nouvelle-Calédonie et dépendances (Nature : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées)


Publications
Proposition de citation: Cons. Const., décision n°83-160 DC du 19 juillet 1983

RTFTélécharger au format RTF
Origine de la décision
Date de la décision : 19/07/1983
Date de l'import : 28/11/2023

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro de décision : 83-160
Numéro NOR : CONSTEXT000017667526 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.constitutionnel;dc;1983-07-19;83.160 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award