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25/07/1984 | FRANCE | N°84-174

France | France, Conseil constitutionnel, 25 juillet 1984, 84-174


Le Conseil constitutionnel a été saisi le 2 juillet 1984, d'une part, par MM Louis Virapoulle, Paul Girod, Roger Lise, Edmond Valcin, Jean Arthuis, Alphonse Arzel, René Ballayer, Jean-Pierre Blanc, Maurice Blin, André Bohl, Roger Boileau, Charles Bosson, Raymond Bouvier, Pierre Brantus, Louis Caiveau, Jean Cauchon, Pierre Ceccaldi-Pavard, Adolphe Chauvin, Auguste Chupin, Jean Cluzel, Jean Colin, André Diligent, Jean Faure, Charles Ferrant, André Fosset, Jean Francou, Jacques Genton, Henri Goetschy, Marcel Henry, Rémi Herment, Daniel Hoeffel, Jean Huchon, Louis Jung, Pierre Lacour, Berna

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Le Conseil constitutionnel a été saisi le 2 juillet 1984, d'une part, par MM Louis Virapoulle, Paul Girod, Roger Lise, Edmond Valcin, Jean Arthuis, Alphonse Arzel, René Ballayer, Jean-Pierre Blanc, Maurice Blin, André Bohl, Roger Boileau, Charles Bosson, Raymond Bouvier, Pierre Brantus, Louis Caiveau, Jean Cauchon, Pierre Ceccaldi-Pavard, Adolphe Chauvin, Auguste Chupin, Jean Cluzel, Jean Colin, André Diligent, Jean Faure, Charles Ferrant, André Fosset, Jean Francou, Jacques Genton, Henri Goetschy, Marcel Henry, Rémi Herment, Daniel Hoeffel, Jean Huchon, Louis Jung, Pierre Lacour, Bernard Laurent, Jean Lecanuet, Edouard Le Jeune, Bernard Lemarie, Georges Lombard, Jean Machet, Jean Madelain, Guy Male, Kléber Malecot, Louis Mercier, Daniel Millaud, Claude Mont, Jacques Mossion, Dominique Pado, Francis Palmero, Raymond Poirier, Roger Poudonson, René Monory, André Rabineau, Jean-Marie Rausch, Marcel Rudloff, Pierre Salvi, Pierre Schiele, Paul Seramy, Pierre Sicard, Michel Souplet, Pierre Vallon, Albert Vecten, Frédéric Wirth, Charles Zwickert, Paul Alduy, Jean-Marie Bouloux, Marcel Daunay, Alfred Gérin, Claude Huriet, Henri Le Breton, Yves Le Cozannet, Georges Treille.

Michel Alloncle, Jean Amelin, Hubert d'Andigné, Marc Becam, Henri Belcour, Paul Benard, Amédée Bouquerel, Yvon Bourges, Raymond Bourgine, Jacques Braconnier, Raymond Brun, Michel Caldagues, Pierre Carous, Auguste Cazalet, Jean Chamant, Jacques Chaumont, Michel Chauty, Jean Cherioux, François O Collet, Henri Collette, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jacques Delong, Charles Descours, Franz Duboscq, Marcel Fortier, Philippe François, Michel Giraud, Adrien Gouteyron, Bernard-Charles Hugo, Roger Husson, Paul Kauss, Christian de La Malène, Jean-François Le Grand, Maurice Lombard, Paul Malassagne, Paul Masson, Michel Maurice-Bokanowski, Geoffroy de Montalembert, Arthur Moulin, Jean Natali, Lucien Neuwirth, Paul d'Ornano, Christian Masson.

Sosefo Makape Papilio, Charles Pasqua, Christian Poncelet, Henri Portier, Alain Pluchet, Claude Prouvoyeur, Josselin de Rohan, Roger Romani, Michel Rufin, Maurice Schumann, Louis Souvet, Dick Ukeiwe, Jacques Valade, André-Georges Voisin, Philippe de Bourgoing, Serge Mathieu, Michel Miroudot, Michel Crucis, Jean Boyer, Jean-Marie Girault, Jean-Pierre Tizon, Richard Pouille, Guy de La Verpillière, Marc Castex, Roland du Luart, Charles Jolibois, Bernard Barbier, Michel Sordel, Louis de la Forest, Louis Lazuech, Jacques Menard, Jean Puech, Christian Bonnet, Jacques Descours-Desacres, Louis Boyer, Pierre-Christian Taittinger, Jean-Pierre Fourcade, Jean-François Pintat, Michel d'Aillières, Modeste Legouez, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Albert Voilquin, Hubert Martin, Jean Delaneau, Jacques Pelletier, Jean-Pierre Cantegrit, Joseph Raybaud, Jacques Moutet, Georges Mouly, Etienne Dailly, sénateurs. Et, d'autre part, par MM Claude Labbé, Jacques Chirac, Bernard Pons, Jacques Toubon, Marc Lauriol, Bruno Bourg-Broc, Georges Tranchant, Roger Corrèze, Robert-André Vivien, Philippe Seguin, Gabriel Kaspereit, Mme Nicole de Hauteclocque, MM Jean Foyer, René La Combe, Michel Péricard, Michel Barnier, Jean-Paul de Rocca-Serra, Daniel Goulet, Pierre Mauger, Michel Debré,

Xavier Deniau, Maurice Couve de Murville, Camille Petit, Robert Wagner, Jean Tiberi, Jean Narquin, Jacques Lafleur, Didier Julia, Jacques Chaban-Delmas, Pierre Bas, Claude-Gérard Marcus, Edouard Frédéric-Dupont, Henri de Gastines, Yves Lancien, Hyacinthe Santoni, Pierre-Charles Krieg, Jean-Louis Goasduff, Georges Gorse, Alain Peyrefitte, Olivier Guichard, Robert Galley, Pierre Messmer, Charles Paccou, Jacques Baumel, Pierre Bachelet, Jean-Paul Charié, Pierre Weisenhorn, Jacques Godfrain, Emmanuel Aubert, Mme Hélène Missoffe, MM Christian Bergelin, Roland Vuillaume, Michel Noir, Jean-Louis Masson, Jean de Lipkowski, Roland Nungesser, René André, Alain Mayoud, André Rossinot, Jean Proriol, Emmanuel Hamel, Pierre Méhaignerie, Marcel Esdras, Alain Madelin, Loïc Bouvard, François d'Aubert, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi relative aux compétences des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion ;

Le Conseil constitutionnel,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment les articles figurant au chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que les saisines visent à faire déclarer contraire aux articles 2, 62, 72 et 73 de la Constitution l'ensemble de la loi relative aux compétences des régions de Guyane, de Guadeloupe, de Martinique et de la Réunion, et plus spécialement ses articles 2, 11, 14, 15, 30, 33, 34, 38, 40 et 41 ;

Sur la conformité à la Constitution de l'ensemble de la loi ; En ce qui concerne l'application aux régions des articles 72, 73 et 2, 1er alinéa, de la Constitution :

2. Considérant que la saisine des sénateurs fait grief à l'ensemble de la loi d'instituer une tutelle de la région sur le département et les communes ; que la saisine des députés reproche à la loi de travestir la décentralisation au point d'aboutir à l'omnipotence de la région qui, par l'étendue de ses compétences, limite la liberté du département et des communes en contradiction avec le principe posé par l'article 72, alinéa 2 de la Constitution ; que les deux saisines invoquent, en outre, le principe d'égalité posé par l'article 2, 1er alinéa, de la Constitution, conforté par le principe d'identité de l'article 72 qui prévoit l'unité de compétences entre tous les départements du territoire national ; qu'en vertu de l'article 73 les mesures d'adaptation liées à la situation particulière des départements d'outre-mer leur sont réservées à l'exclusion des régions d'outre-mer ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article 72 de la Constitution "Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les territoires d'outre-mer. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi. Ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus, et dans les conditions prévues par la loi" ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article 73 de la Constitution "Le régime législatif et l'organisation administrative des départements d'outre-mer peuvent faire l'objet de mesures d'adaptation nécessitées par leur situation particulière" ;

5. Considérant qu'il résulte de ces articles que le statut des départements d'outre-mer doit être le même que celui des départements métropolitains sous la seule réserve de mesures d'adaptation nécessitées par leur situation particulière ; que ces adaptations ne sauraient avoir pour effet de doter les départements d'outre-mer d'une "organisation particulière" au sens de l'article 74 de la Constitution réservée aux seuls territoires d'outre-mer, mais permettent de tenir compte des nécessités particulières de ces départements au sens de l'article 73 ; que les articles 72 et 73 de la Constitution n'excluent pas la possibilité pour des collectivités territoriales créées par la loi de faire l'objet de mesures d'adaptation ; que, dès lors, à condition que soit respecté le régime propre à chacune des collectivités territoriales, la loi peut, sans méconnaître l'article 72 de la Constitution, définir les compétences des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion, créées par la loi du 31 décembre 1982 ; qu'elle peut donc prévoir des mesures d'adaptation susceptibles de se traduire par un aménagement limité des compétences des régions et des départements d'outre-mer par rapport aux autres régions et départements, sans pour autant méconnaître le principe d'égalité posé par l'article 2, 1er alinéa, de la Constitution, qui n'interdit pas l'application de règles différentes à des situations non identiques ;

En ce qui concerne la violation de l'article 62, alinéa 2, de la Constitution :

6. Considérant que les auteurs des saisines soutiennent qu'en réduisant, au profit des régions, les attributions des départements d'outre-mer, la loi a consacré l'amoindrissement fonctionnel des conseils généraux, en violation de la décision du Conseil constitutionnel du 2 décembre 1982 et, par conséquent, de l'article 62, alinéa 2, de la Constitution ;

7. Considérant qu'aux termes de l'article 62 de la Constitution ; "Une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulguée ni mise en application. Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.

8. Considérant que la loi portant adaptation de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions à la Guadeloupe, à la Guyane, à la Martinique et à la Réunion, déclarée non conforme à la Constitution par la décision n° 82-147 DC du 2 décembre 1982 n'a pas été promulguée ; que, dès lors, le moyen tiré de la violation de l'article 62 de la Constitution ne saurait être retenu ;

Sur la conformité à la Constitution de certaines dispositions de la loi :

9. Considérant que les auteurs des saisines critiquent plus particulièrement les dispositions des articles, 2, 11, 14, 15, 30, 33, 34, 38, 40 et 41 de la loi déférée comme étant contraires aux articles 2, 62, 72 et 73 de la Constitution ;

En ce qui concerne l'article 2 de la loi :

10. Considérant qu'il est fait grief à l'article 2 de la loi de supprimer toute consultation de certaines communes dans la préparation de la planification régionale, contrairement à la règle applicable à l'ensemble du territoire national, et de violer ainsi les dispositions susvisées de la Constitution ;

11. Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la loi, dans les régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion, le plan de région est élaboré et approuvé par le conseil régional après consultation, outre de divers organismes, de la commune chef-lieu du département, des communes de plus de 10000 habitants et des communes associées entre elles dans le cadre d'une charte intercommunale de développement et d'aménagement ;

12. Considérant que l'article 27-II de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat prévoit, en matière de planification régionale pour l'ensemble du territoire national, la consultation obligatoire, directe ou indirecte, non seulement des communes les plus importantes et des communes associées par une charte intercommunale, mais aussi des autres communes représentées dans des commissions constituées à cet effet par chaque conseil général ;

13. Considérant que si, en vertu de l'article 1er de la loi déférée au Conseil constitutionnel, les conseils généraux des départements d'outre-mer conservent la possibilité de constituer ces commissions, l'article 2 n'en supprime pas moins, ainsi qu'il ressort des débats parlementaires, l'obligation de les consulter ; que se trouvent ainsi exclues des garanties accordées par la loi du 7 janvier 1983 à l'ensemble des communes du territoire national les communes des départements d'outre-mer qui n'entrent pas dans les dispositions de l'article 2 de la loi ; qu'une telle exclusion, dont les raisons n'apparaissent pas, ne saurait être regardée comme une mesure d'adaptation nécessitée par la situation particulière des communes de ces départements et entache d'inconstitutionnalité l'énumération des organismes obligatoirement consultés en vertu de l'article 2 de la loi et par voie de conséquence l'ensemble de cet article ;

En ce qui concerne les articles 11 et 30 de la loi :

14. Considérant qu'il est reproché à la loi d'enfreindre les mêmes dispositions constitutionnelles, en ce qu'elle institue, en son article 11, la représentation des conseils régionaux au sein des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) et en ce qu'elle crée, en son article 30, un centre régional de promotion de la santé ;

15. Considérant qu'en conférant aux conseils régionaux une représentation dans les conseils d'administration des SAFER sans en modifier les autres composantes et en instituant un centre régional de promotion de la santé sans porter atteinte aux compétences exercées en cette matière par les conseils généraux les articles 11 et 30 de la loi associent la région au département, sans méconnaître les articles 72 et 73 de la Constitution ;

En ce qui concerne l'article 14 de la loi :

16. Considérant qu'il est fait grief à l'article 14 de la loi d'attribuer aux régions qu'il vise l'ensemble des compétences en matière d'aide aux cultures marines qui, en métropole, sont réparties entre les départements et les régions par l'article 11 de la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 ;

17. Considérant que, si la loi du 22 juillet 1983 attribue à la région la compétence relative au financement et à l'attribution des aides aux entreprises de cultures marines et au département celles relatives aux aides aux travaux d'aménagement destinés auxdites cultures, une telle répartition de compétences, de portée limitée, peut ne pas être identiquement transposable dans le cadre des départements d'outre-mer et faire l'objet de mesures d'adaptation, dès lors qu'elle ne porte pas atteinte au statut départemental ; que l'article 14 de la loi n'est donc pas contraire aux articles 72 et 73 de la Constitution ;

En ce qui concerne l'article 15 de la loi :

18. Considérant que les auteurs des saisines reprochent à l'article 15 de la loi de transférer aux régions, en contradiction avec les articles susvisés de la Constitution, la compétence des départements d'outre-mer en matière de transports intérieurs ;

19. Considérant que l'article 15 de la loi dispose, d'une part, qu'en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique et à la Réunion les comités régionaux des transports exercent les compétences des comités départementaux visés aux articles 16 et 17 de la loi n° 82-1153 du 30 septembre 1982 d'orientation des transports intérieurs et que, d'autre part, les compétences dévolues aux départements et aux conseils généraux par les articles 27, 29 et 30 de cette loi sont exercées respectivement par les conseils régionaux et les régions ;

20. Considérant que les articles 16 et 17 de la loi du 30 décembre 1982 ont institué pour l'ensemble du territoire national des comités régionaux et départementaux des transports, qui, notamment, sont associés à l'élaboration et à la mise en oeuvre de la politique des transports intérieurs dans le domaine de la compétence de l'Etat et qui peuvent être consultés sur des questions relatives à l'organisation et au fonctionnement du système des transports ; que l'article 27 de la même loi prévoit l'avis du conseil général sur la définition du périmètre des transports urbains ; que l'article 29 remet au département l'organisation des services réguliers publics non urbains et des services à la demande à l'exception des liaisons d'intérêt régional ou national ; qu'enfin l'article 30 permet au département de passer avec l'Etat des contrats de développement pour la modernisation des réseaux de transports publics non urbains ;

21. Considérant que si les articles 72 et 73 de la Constitution n'interdisent pas de faire coïncider l'étendue d'un département d'outre-mer avec celle d'une région, la loi qui consacre ce choix et aménage les attributions en conséquence ne peut aller, en une matière comme celle des transports qui concerne les diverses composantes territoriales dont le département est représentatif, jusqu'à dessaisir celui-ci de la plus grande partie de ses attributions et de toutes les formes d'association avec la région prévues par les articles susmentionnés de la loi du 30 décembre 1982 pour l'ensemble du territoire national ; qu'un tel dessaisissement dépasse les mesures d'adaptation nécessitées par la situation particulière de ces départements ; que, dès lors, l'article 15 de la loi n'est pas conforme aux articles 72 et 73 de la Constitution ;

En ce qui concerne les articles 33 et 34 de la loi :

22. Considérant qu'il est fait grief aux articles 33 et 34 de la loi de violer les mêmes dispositions de la Constitution en supprimant le conseil départemental de l'habitat pour le remplacer par le conseil régional de l'habitat à qui sont transférées les compétences en cette matière ;

23. Considérant que, dans les régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion, l'article 33 de la loi institue un conseil régional de l'habitat qui exerce les pouvoirs du conseil départemental prévu à l'article 79 de la loi du 7 janvier 1983, auquel il se substitue ; que l'article 34 de la loi présentement examinée dispose que le représentant de l'Etat arrête la répartition des aides de celui-ci en faveur de l'habitat après avis du conseil régional de l'habitat ;

24. Considérant que l'article 79 de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983, relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat, a institué un conseil départemental de l'habitat substitué à l'ensemble des commissions, comités et conseils départementaux en matière de logement ; que cette même loi permet à la région de définir les priorités en matière d'habitat et de donner un avis sur la répartition des crédits de l'Etat entre les différents départements de la région ; que l'article 80 de la loi prévoit, dans son alinéa 2, que la répartition des aides de l'Etat entre les départements d'une région est effectuée par le représentant de l'Etat après consultation du conseil régional et, dans son alinéa 3, que la répartition de ces aides de l'Etat à l'intérieur du département est effectuée après consultation du conseil général ;

25. Considérant que si consécutivement à la décision de créer les régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion, la loi peut aménager les compétences respectives de la région et du département telles que prévues par la loi du 7 janvier 1983 pour l'ensemble du territoire national, elle ne peut cependant, sans dépasser les mesures d'adaptation nécessitées par la situation particulière visée à l'article 73 de la Constitution, priver le département représentatif de ses composantes territoriales d'une partie importante de ses attributions en matière d'habitat ; qu'en supprimant le conseil départemental de l'habitat et en retirant aux départements de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion les pouvoirs qu'ils tiennent de l'article 79 de la loi susvisée du 7 janvier 1983, l'article 33 de la loi déférée au Conseil constitutionnel méconnaît les articles 72 et 73 de la Constitution ; qu'il y a donc lieu de déclarer inconstitutionnelle, en cet article, l'expression : "et exerçant les pouvoirs du conseil départemental de l'habitat prévu à l'article 79 de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 précitée, auquel il se substitue" ;

26. Considérant que, s'agissant de la répartition des aides de l'Etat en faveur de l'habitat, si l'article 34 de la loi présentement examinée prescrit au représentant de l'Etat de recueillir l'avis du conseil régional de l'habitat, cette disposition qui n'abroge pas l'article 80, 3ème alinéa, de la loi du 7 janvier 1983 maintient l'avis obligatoire du conseil général pour la répartition des crédits affectés au département ; que, dès lors, l'article 34 de la loi n'est pas contraire aux articles susvisés de la Constitution ;

En ce qui concerne les articles 38, 40 et 41 :

27. Considérant que les auteurs des saisines soutiennent que la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel prive le conseil général, au profit de la région, de compétences financières spécifiques dans les départements d'outre-mer, d'une part, en attribuant des compétences aux régions par l'article 38 en matière d'octroi de mer et par l'article 40 en matière de taxes sur les rhums et spiritueux et, d'autre part, en prévoyant à l'article 41 l'affectation à la région d'une partie de la taxe spéciale de consommation sur les produits pétroliers et ce, en violation de l'article 73 de la Constitution ; 28. Considérant que l'article 38 de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel confère au conseil régional le pouvoir de fixer les taux du droit de consommation, dénommé octroi de mer, auquel sont soumises les marchandises introduites dans les régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion, sans modifier les modalités de répartition du produit de cet impôt ; que l'article 40 prévoit que le taux des droits auxquels sont soumis les rhums et spiritueux fabriqués et livrés à la consommation locale est fixé par délibération du conseil régional et que le produit de ces droits constitue une recette du budget de la région ; qu'enfin, l'article 41 donne au conseil régional le pouvoir de fixer, dans les limites déterminées par la loi de finances, le taux de la taxe spéciale de consommation sur les essences, supercarburant et gazole et attribue à la région une partie du produit de cette taxe ;

29. Considérant que, si ces dispositions transfèrent aux conseils régionaux les attributions actuellement dévolues aux départements d'outre-mer, elles n'ont pas pour effet de créer un régime différent entre ces derniers et les départements métropolitains, les impositions qui font l'objet des articles susmentionnés n'existant pas en métropole ; que s'agissant d'attributions relatives à des impositions spécifiques aux seuls départements d'outre-mer, la loi peut en modifier le régime ; que les articles 38, 40 et 41 ne sont donc pas contraires à la Constitution ;

Sur les autres dispositions de la loi :

30. Considérant qu'en l'espèce il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen ;

Décide :

Article premier :

Sont déclarées non-conformes à la Constitution : : les dispositions des articles 2 et 15 de la loi relative aux compétences des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion ; : et les dispositions de l'article 33 de ladite loi contenues dans le membre de phrase formé par les mots : "et exerçant les pouvoirs du conseil départemental de l'habitat prévu à l'article 79 de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 précitée, auquel il se substitue".

Article 2 :

Les autres dispositions de la loi relative aux compétences des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion sont conformes à la Constitution.

Article 3 :

La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.


Loi relative aux compétences des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion
Sens de l'arrêt : Non conformité partielle
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Saisine

I SAISINE DEPUTES : MEMOIRE ET RECOURS LOI RELATIVE AUX COMPETENCES DES REGIONS DE GUADELOUPE, DE GUYANE, DE MARTINIQUE ET DE LA REUNION.

Les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel, conformément à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, la loi relative aux compétences des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion définitivement adoptée par l'Assemblée nationale le 30 juin 1984.

L'exposé des motifs de la loi soumise à l'appréciation du Conseil constitutionnel indique que ce texte a pour objet d'adapter aux "particularités de l'outre-mer" la volonté décentralisatrice du Gouvernement. Il est précisé en outre que ce texte complète la loi du 31 décembre 1982 portant organisation des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion.

Dès l'exposé des motifs, et avant même de livrer au Conseil l'analyse qui fonde le présent recours, on ne peut manquer de remarquer que les principes invoqués pour l'application de la décentralisation aux départements d'outre-mer sont très éloignés de ceux qui ont inspiré la décentralisation en métropole.

Ainsi, il est précisé que la région a vocation à préparer le long terme, tandis que le département a la charge de gérer le quotidien. Ainsi, des blocs homogènes de compétences sont attribués à la région en privant le département de compétences qui lui sont normalement dévolues. Ainsi, la région bénéficierait de pouvoirs exceptionnels dépouillant le département de ses compétences et de ses ressources financières. En bref, il s'agit moins d'une adaptation de la décentralisation que d'un bouleversement des équilibres actuels au bénéfice d'une collectivité nouvelle : la région.

On ne peut comprendre le caractère de cette loi qu'en se souvenant de la décision du Conseil constitutionnel en date du 2 décembre 1982 annulant la loi qui supprimait les conseils généraux et créait une assemblée régionale et départementale unique.

Il n'est pas davantage conforme à la Constitution et il est en outre contraire à la décision précitée du Conseil constitutionnel de décider, tout en maintenant le Conseil général, d'en faire outre-mer une assemblée mineure et de l'abaisser au bénéfice d'une assemblée régionale, contrairement aux principes de la législation métropolitaine.

L'analyse des dispositions de la loi soumise à l'appréciation du Conseil ne peut, à cet égard, laisser aucun doute : Elle prive les départements d'outre-mer de compétences de droit commun. Ce faisant, ce texte viole non seulement le principe d'égalité devant la loi de tous les citoyens posé par l'article 2 de la Constitution, mais clairement l'article 72 qui énonce dans son alinéa premier qu'il n'existe qu'une seule catégorie de département ; premier qu'il n'existe qu'une seule catégorie de département Elle prive les départements d'outre-mer des compétences spécifiques qu'ils exerçaient jusque-là. Ce faisant, elle nie la compétence d'adaptation reconnue au législateur par l'article 73 de la Constitution aux seuls départements d'outre-mer ;

Elle établit dans la plupart des domaines la prépondérance de la région. Non seulement elle s'écarte sur ce point des principes de la loi du 2 mars 1982 sur la décentralisation, mais elle est contraire à l'article 72, alinéa 2, de la Constitution qui fonde le principe de "libre administration" des collectivités territoriales.

Nous conclurons cette argumentation en faisant valoir qu'en faisant de la région, outre-mer, une collectivité territoriale majeure qui dépouille le Conseil général, donc la collectivité départementale, la présente loi tourne la décision du Conseil constitutionnel en date du 2 décembre 1982.

PREMIER MOYEN L'article 2 de la Constitution pose le principe d'égalité devant la loi de tous les citoyens, principe dont l'application a été étendue par le Conseil constitutionnel des personnes physiques aux personnes morales et, notamment, aux collectivités publiques.

Ce principe d'égalité est conforté, en l'espèce, par le principe d'identité résultant de l'article 72, 1er alinéa, de la Constitution, qui dispose que : "les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les territoires d'outre-mer".

A l'évidence, les départements d'outre-mer qui ne sont pas expressément mentionnés ne constituent pas une catégorie juridique distincte. Leur appellation marque leur situation géographique et leur éloignement de la métropole. La Constitution impose donc qu'il y ait identité de structure, unité de régime et de compétence pour l'ensemble des départements, qu'ils soient situés en métropole ou outre-mer. C'est là le principe que l'on nomme "assimilation", déjà posé par la Constitution de 1946, renforcé par la Constitution du 4 octobre 1958, exprimé par la politique de "départementalisation", reconnu et consacré tant par la jurisprudence du Conseil constitutionnel que par celle du Conseil d'Etat. C'est ce qu'a formellement rappelé la décision du 2 décembre 1982 en affirmant que : "Le statut des départements d'outre-mer doit être le même que celui des départements métropolitains, sous la seule réserve des mesures d'adaptation que peut rendre nécessaires la situation particulière de ces départements d'outre-mer".

On peut donc affirmer qu'il existe un droit commun départemental, un minimum de compétences communes à tous les départements et dont aucun ne saurait être dépouillé sans qu'il soit porté atteinte aux principes constitutionnels rappelés ci-dessus.

C'est pourtant ce qui résulte de plusieurs dispositions de la présente loi, notamment :

1° L'article 2 qui ne fait pas référence à la consultation des commissions instituées en application de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 par les conseils généraux ;

2° L'article 9 qui prévoit, contrairement au droit commun, la représentation des conseils généraux au sein des SAFER.

3° L'article 13, relatif à l'aide aux cultures marines, en ce qu'il ne respecte pas le droit commun fixé par l'article 11 de la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 répartissant les compétences à cet égard entre département et région ;

4° L'article 14, transférant aux régions et aux conseils régionaux les compétences attribuées par la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 et la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 aux départements et aux conseils généraux, privant notamment la collectivité départementale des compétences de droit commun en matière de transports scolaires ;

5° L'article 27 B, instituant un centre régional de promotion de la santé placé sous l'autorité de la région alors que la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 a transféré au département les compétences en matière de santé ;

6° L'article 27 E, substituant au conseil départemental de l'habitat prévu à l'article 79 de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983, un conseil régional de l'habitat ;

7° L'article 27 F, enfin, qui déroge du droit commun établi par la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983. Cette loi prévoit un double système de répartition des aides en faveur de l'habitat au niveau départemental et régional. Le présent article retient seulement les compétences régionales pour écarter le département. Ainsi, la loi nouvelle amoindrit les départements d'outre-mer en les plaçant en deçà du droit commun départemental. Les dispositions précitées sont donc contraires aux principes constitutionnels d'égalité et d'identité entre départements d'outre-mer et la métropole.

DEUXIEME MOYEN

L'article 73 de la Constitution complète et précise l'article 72 en disposant que :

"Le régime législatif et l'organisation administrative des départements d'outre-mer peuvent faire l'objet de mesures d'adaptation nécessitées par leur situation particulière".

La jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d'Etat est, à cet égard, claire et constante. Pour qu'il y ait adaptation, c'est-à-dire dérogation au droit commun, il faut tout d'abord qu'il y ait nécessité, c'est-à-dire impossibilité d'appliquer aux départements d'outre-mer la règle commune en l'état ; mais il faut aussi que l'adaptation rendue nécessaire soit directement liée à la situation particulière de ces départements. L'article 73 est donc la faculté, pour le législateur, de tenir compte de spécificités diverses, d'ordre économique, social, culturel . Mais son application ne saurait violer le principe général d'assimilation voulu par le constituant et ne saurait justifier non plus une atteinte au statut départemental lui-même, c'est-à-dire aux structures et aux compétences résultant du droit commun.

L'article 73 pose donc le principe d'une adaptation "en plus" et non une adaptation "en moins" ; c'est la latitude pour le législateur de donner des compétences supplémentaires aux départements d'outre-mer, notamment en raison de l'éloignement.

Cette notion d'adaptation ainsi définie appelle deux remarques complémentaires : D'une part, le constituant a strictement distingué la faculté d'adaptation, prévue à l'article 73, de la possibilité d'organisation particulière relevant de l'article 74 : la première s'applique aux départements d'outre-mer ; la seconde, beaucoup plus large et évolutive, ne concerne que les territoires d'outre-mer, catégorie juridiquement distincte de collectivités territoriales. Le constituant a donc entendu limiter l'ampleur des mesures d'adaptation qui peuvent être envisagées : un bouleversement de la structure ou des compétences du département ne saurait en conséquence relever de l'adaptation, mais constitue une organisation particulière, à ce titre inconstitutionnelle.

D'autre part, les termes de l'article 73 ne peuvent laisser de doute : la faculté d'adaptation reconnue au législateur concerne les départements d'outre-mer et non les régions, qui n'ont pas d'existence constitutionnelle, mais simplement légale. C'est donc pour artifice que de décider : comme l'explique l'exposé des motifs de la loi soumise à l'appréciation du conseil : que "la région bénéficie () des pouvoirs exceptionnels précédemment accordés aux départements d'outre-mer". Il n'existe aucune base juridique sur laquelle asseoir un glissement injustifié au profit de la région.

Les compétences spécifiques des départements d'outre-mer auxquelles la présente loi porte atteinte sont essentiellement des compétences financières. Il s'agit notamment :

Des dispositions de l'article 34 confiant au conseil régional le pouvoir de fixer les taux de l'octroi de mer, ainsi que de proposer d'éventuelles modifications aux modalités de répartition des communes.

De l'article 36 relatif aux droits assimilés au droit d'octroi de mer, c'est-à-dire des taxes sur les rhums et spiritueux destinés à la consommation locale. L'article 36 transfère la maîtrise des taux du conseil général au conseil régional et précise que le produit de ces droits constitue une recette du budget de la région ;

De l'article 37 enfin, qui attribue à la région une partie du produit de la taxe spéciale de consommation sur les essences, supercarburants et gazole. Il est de plus précisé que c'est au conseil régional qu'il appartient désormais d'en fixer les taux dans les limites déterminées par la loi de finances.

Les dispositions précitées, outre qu'elles montrent l'absence de tranfert de ressources de l'Etat vers la région : comme le voudrait une bonne conception des règles de décentralisation - violent l'article 73 de la Constitution en faisant une fausse application aux régions au détriment des départements d'outre-mer.

TROISIEME MOYEN

Aux moyens précédents tirés, d'une part, de la violation des principes constitutionnels d'égalité et d'identité entre départements de métropole et d'outre-mer, d'autre part, de la mauvaise application faite de l'article 73 de la Constitution, il faut ajouter un moyen complémentaire qui résulte des deux premiers.

A vouloir confisquer des pouvoirs importants au département pour les confier à la région ; à vouloir prélever sur les ressources départementales les moyens financiers nécessaires à la région ; à vouloir enfin donner à la région des compétences étendues dans la plupart des secteurs clés : développement économique et aménagement du territoire, éducation, recherche, culture et communication, santé logement , il est inévitable d'aboutir à un déséquilibre tel des compétences au profit de l'institution régionale que les autres collectivités territoriales, et notamment le département, perdent une part essentielle de leur liberté de définir et de conduire une politique propre.

C'est pourtant l'un des axes majeurs du mouvement de décentralisation engagé par la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, dont paradoxalement la présente loi, censée en faire application aux départements d'outre-mer, aboutit à l'effet inverse : elle abaisse une collectivité décentralisée : le département : au profit d'une autre collectivité.

Le texte déféré au conseil, sous prétexte d'adaptation aux particularités de l'outre-mer, travestit donc la décentralisation au point d'aboutir à son contraire : une recentralisation au bénéfice de la région. Transfert "horizontal" des compétences, du département vers la région, et non de l'Etat vers la région ; prélèvement sur les ressources du département au profit de la région et non-transfert de l'Etat vers la région ; enfin, omniprésence de la collectivité régionale qui, par le poids de ses compétences, limite singulièrement la liberté du département et des communes.

Outre le paradoxe d'une décentralisation à l'envers, l'abaissement du département et des communes qui en résulte est une atteinte au principe d'autonomie des collectivités territoriales posé par l'article 72, alinéa 2, de la Constitution, qui dispose que les collectivités territoriales de la République " s'administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi".

Deux exemples sont particulièrement frappants : l'article 14, qui substitue aux comités départementaux des transports des comités régionaux, et l'article 27 E, qui supprime les conseils départementaux de l'habitat pour les remplacer par des conseils régionaux, alors que dans aucun de ces deux cas la spécificité des départements ou des régions d'outre-mer ne peut justifier la suppression des compétences départementales.

QUATRIEME MOYEN En dépouillant les départements d'outre-mer de certaines compétences de droit commun au profit des régions, en les privant de leurs attributions spécifiques au profit des régions, en leur enlevant une partie de leurs ressources financières au profit des régions, il est inévitable d'aboutir à un déséquilibre grave, mais significatif : cette assemblée régionale puissante, élue à la représentation proportionnelle, semble bien être une tentative d'instaurer, en dépit de la décision du Conseil constitutionnel en date du 2 décembre 1982, faute d'assemblée unique, une assemblée supérieure. N'ayant pu réaliser la suppression organique des conseils généraux : le Conseil constitutionnel s'y étant opposé : le Gouvernement tente de provoquer leur profond amoindrissement fonctionnel. Aux arguments ci-dessus développés, il convient donc d'ajouter qu'un tel procédé tombe sous le coup des dispositions de l'article 62 de la Constitution, qui prévoit que les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent aux pouvoirs publics.

CONCLUSION Pour ces motifs, les députés soussignés concluent qu'il plaise au Conseil constitutionnel de sanctionner les articles 2, 9, 13, 14, 27 B, 27 E, 27 F, 34, 36 et 37 de la loi relative aux compétences des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion, et toutes autres dispositions de ce texte que le Conseil pourrait estimer contraires aux articles 2, 62, 72 et 73 de la Constitution.

II : SAISINE SENATEURS : Les sénateurs soussignés défèrent au Conseil constitutionnel, conformément à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, la loi relative aux compétences des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion, définitivement adoptée par l'Assemblée nationale le 30 juin 1984 et demandent à la Haute Juridiction de déclarer que la loi repoussée par le Sénat et adoptée par l'Assemblée nationale est non conforme à la Constitution et ils invoquent à ce sujet les moyens suivants : Premier moyen : en créant dans les départements d'outre-mer des régions spécifiques, la loi dont il s'agit méconnaît les dispositions de l'article 73 et de l'article 2, alinéa premier, de la Constitution.

Il suffit de lire la décision n° 82-147 DC du 2 décembre 1982, rendue par le Conseil constitutionnel, pour affirmer que les départements d'outre-mer doivent, aux termes de l'article 73 de la Constitution, être considérés comme des entités juridiques et non des espaces géographiques.

La caractéristique essentielle de l'article 73 est de créer par voie constitutionnelle une possibilité d'exception dans le cadre d'une catégorie précise des collectivités territoriales : les départements.

Il résulte de cette exception, de caractère constitutionnel, qu'une conjonction de lois ne peut valablement aboutir à créer de telles exceptions dans d'autres cas.

En un mot, en ce qui concerne l'outre-mer, seuls les départements qui sont partie intégrante d'une des catégories de collectivités territoriales visées à l'article 72 de la Constitution peuvent être l'objet de mesures dérogatoires en vertu de l'article 73. Toute interprétation contraire doit être considérée comme injuste, mal fondée et anticonstitutionnelle : le constituant n'ayant apporté de dérogations qu'au régime d'une seule catégorie de collectivités territoriales nommément citée dans la Constitution n'a pas pour autant implicitement autorisé de telles dérogations au sein de catégories de collectivités territoriales créées ultérieurement en vertu de la deuxième phrase de l'alinéa 1er de l'article 72.

Il est donc clair que la création d'une nouvelle catégorie de collectivités territoriales, conformément aux dispositions de l'article 72 de la Constitution : "Toute autre collectivité est créée par la loi", et de la décision du Conseil constitutionnel n° 82-138 DC du 25 février 1982, visant la création des régions, implique que les collectivités ainsi créées ne peuvent être qu'homogènes.

Le droit applicable aux régions doit en conséquence respecter le principe de l'unicité et de l'identité.

Le nombre de départements composant la région, la situation géographique de cette dernière ne constituent ni éléments de fait ni éléments de droit qui pourraient permettre au Parlement de ne pas respecter le principe de l'identité en ce qui concerne notamment les attributions des régions.

Admettre la règle contraire, c'est permettre au Parlement d'adopter tantôt en considération de l'importance des régions, tantôt en considération de leur situation géographique, des systèmes différents violant ainsi le principe de l'égalité des citoyens devant la loi, principe posé par l'article 2, alinéa 1er, de la Constitution.

Dans sa décision n° 82-138 DC du 25 février 1982, le Conseil constitutionnel, en ce qui concerne la Corse, a d'ailleurs expressément et clairement précisé : "Considérant qu'en l'état actuel de la législation et jusqu'à l'intervention du texte destiné à fixer le régime général des élections des conseils régionaux, rien ne permet de soutenir que le régime applicable à la région de Corse sera dérogatoire au droit commun, applicable à l'ensemble des régions".

Cette règle ainsi définie stipule clairement qu'il ne peut y avoir de règles dérogatoires au droit commun en ce qui concerne l'ensemble des régions. Le Conseil constitutionnel a indiqué nettement que le droit doit être le même pour l'ensemble des régions.

Ainsi donc, le Gouvernement (voir débats Sénat, JO du 23 mai 1984, page 962), en affirmant "qu'il s'était, d'autre part, engagé à préciser dans un deuxième temps par une législation appropriée l'étendue de ces compétences et à les adapter aux spécificités de l'outre-mer, conformément à l'article 73 de la Constitution", fait manifestement une fausse interprétation de cet article.

En effet, la création de particularités au profit des départements d'outre-mer étant limitée expressément à ceux-ci, entendus en tant que collectivités territoriales (décision du Conseil constitutionnel du 2 décembre 1982), il est évident que, par voie de conséquence, toute originalité au sein d'une nouvelle catégorie créée simplement par la loi est impossible. Ni l'article 73 ni aucun autre ne l'ont prévue pour l'une quelconque des collectivités antérieures ou futures, autre que les départements d'outre-mer.

La méconnaissance de cet état de droit aboutirait ainsi qu'il a été dit plus haut à ce que la création législative de nouvelles dérogations dans de nouvelles catégories de collectivités pourrait se faire sous n'importe quel prétexte. Serait ainsi rompu le principe de l'égalité des citoyens devant la loi, posé par l'article 2 de la Constitution.

Certes, des différences existent entre certaines communes ou certains départements et l'ensemble des collectivités territoriales de même catégorie (départements concordataires, ville de Paris, communes des DOM), mais l'essentiel de ces différences préexistait à l'adoption de la Constitution de 1958. Conformément aux dispositions constitutionnelles, l'évolution législative s'est traduite par le rapprochement de leur situation avec celle du droit applicable à leur catégorie respective.

La loi dont il s'agit, en attribuant notamment aux régions d'outre-mer des compétences en matière d'octroi de mer (art 34), en matière de taxe sur les rhums et spiritueux (art 36), pour percevoir la taxe spéciale de consommation, prévue à l'article 266 quater du code des douanes (art 37), fait manifestement, comme n'a cessé d'ailleurs de le reconnaître le ministre, des régions d'outre-mer de véritables régions spécifiques à statut dérogatoire.

Deuxième moyen : l'interprétation faite par le Gouvernement de la décision n° 82-147 DC est manifestement abusive. Il prétend qu'elle lui imposerait de ramener le statut des départements au droit commun (cf JO, p 3026, AN, 6 juin 1984 : "Il : le Conseil constitutionnel : a affirmé la nécessité de ramener le statut de ces départements au droit commun"). Cette décision ne prescrit rien de tel, puisqu'elle vise expressément comme constitutionnelles les mesures d'adaptation prises en application de l'article 73 de la Constitution.

Il n'est pas inutile de citer les deux paragraphes essentiels de cette décision.

"Considérant qu'il résulte de ces articles que le statut des départements d'outre-mer doit être le même que celui des départements métropolitains sous la seule réserve des mesures d'adaptation que peut rendre nécessaires la situation particulière de ces départements d'outre-mer ; que ces adaptations ne sauraient avoir pour effet de conférer aux départements d'outre-mer une "organisation particulière", prévue par l'article 74 de la Constitution pour les seuls territoires d'outre-mer ;

"Considérant qu'en confiant la gestion des départements d'outre-mer à une assemblée qui, contrairement au conseil général des départements métropolitains en l'état actuel de la législation, n'assure pas la représentation des composantes territoriales du département, la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel confère à cette assemblée une nature différente de celle des conseils généraux ; qu'ainsi, ces dispositions vont au-delà des mesures d'adaptation que l'article 73 de la Constitution autorise en ce qui concerne l'organisation des départements d'outre-mer".

Au surplus, et contrairement au principe du retour des départements d'outre-mer au droit commun ainsi retenu à tort dans la loi, ce texte procède à une répartition de compétences entre le département et la région de manière extrêmement curieuse : il enlève au département non seulement, comme il a été rappelé ci-dessus, ses compétences spécifiques, mais encore bon nombre de ces attributions de droit commun.

Quatre exemples suffisamment explicites font la preuve de cette contradiction : 1° En ce qui concerne l'établissement du plan, l'article 2 de la loi supprime toute consultation directe ou indirecte des communes de moins de 10000 habitants.

Il y a lieu de souligner le caractère discriminatoire de cette mesure, contraire aux dispositions en vigueur en métropole, qui rompt avec le principe d'égalité inscrit dans la Constitution et est dérogatoire au droit commun.

2° L'article 14 transfère la responsabilité des transports intérieurs du département à la région.

Cette disposition va à l'encontre de l'application du droit commun.

3° L'article 27 B, alors que tout ce qui relève de la santé est de la compétence du département, conformément à la loi n° 83-633 du 22 juillet 1983, crée un centre régional de promotion de la santé, placé sous l'autorité exclusive de la région.

4° L'article 27 E supprime le conseil départemental de l'habitat pour le remplacer par un conseil régional.

L'application du droit commun est ainsi clairement bafouée.

Troisième moyen : violation de l'article 72, alinéa 2, de la Constitution.

La mise du département comme des communes sous tutelle de la région est manifeste.

La prépondérance accordée à l'assemblée régionale qui est d'origine législative apparaît clairement, eu égard aux communes et aux départements, dont l'existence est pourtant consacrée par l'article 72 de la Constitution.

Cette priorité ainsi donnée à la région a pour conséquence d'affaiblir tant le pouvoir des autorités communales que le pouvoir des autorités départementales.

C'est une véritable tutelle de la région sur les départements et les communes qu'institue le texte attaqué, puisque non seulement il les dépouille des compétences que le droit commun leur a attribuées, mais encore il confère à la seule région des prérogatives dont l'Etat s'est désisté dans sa volonté décentralisatrice.

Quatrième moyen : Violation de l'article 62, alinéa 2, de la Constitution.

En posant comme un principe que les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours et qu'elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, l'article en cause affirme expressément l'autorité de chose jugée des décisions du Conseil constitutionnel.

La loi viole cette disposition dans la mesure où les dispositions critiquées camouflent la volonté du Gouvernement de créer une assemblée unique dans les DOM, projet qui a été censuré le 2 décembre 1982 par la Haute Juridiction.

En dépouillant notamment l'assemblée départementale tant de ses compétences spécifiques que de certaines de ses compétences de droit commun, en instituant une tutelle régionale, la loi vise le même but : faire disparaître l'assemblée départementale.

Le Conseil constitutionnel a annulé la précédente loi pour cette raison.

La disparition organique n'a donc pas été possible. Le Gouvernement utilise une autre méthode : la disparition fonctionnelle. Dans un cas comme dans l'autre, le résultat serait le même. Le département certes existerait toujours, avec d'ailleurs des compétences diminuées.

Mais le retrait de ressources majeures sans étude technique, sans prospectives financières et sans adéquation à des transferts de responsabilités (ce qui est contraire à tous les principes de la décentralisation), ruinerait la trésorerie du département, amputerait son crédit et ses moyens d'action. Son existence ne serait donc plus que fictive.

La loi ne saurait ainsi méconnaître l'autorité de chose jugée de la décision du Conseil constitutionnel n° 83-147 sans violer l'article 62, alinéa 2, de la Constitution.

Se fondant sur les quatre moyens ci-dessus développés, les requérants demandent au Conseil constitutionnel de déclarer que la loi relative aux compétences des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion, étant contraire aux articles 2, alinéa premier, 62, alinéa 2, 72, alinéa 2 et 73 de la Constitution, est non conforme à la Constitution.


Références :

DC du 25 juillet 1984 sur le site internet du Conseil constitutionnel

Texte attaqué : Loi relative aux compétences des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion (Nature : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées)


Publications
Proposition de citation: Cons. Const., décision n°84-174 DC du 25 juillet 1984

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Origine de la décision
Date de la décision : 25/07/1984
Date de l'import : 23/03/2016

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro de décision : 84-174
Numéro NOR : CONSTEXT000017667692 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.constitutionnel;dc;1984-07-25;84.174 ?
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