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26/07/1984 | FRANCE | N°84-172

France | France, Conseil constitutionnel, 26 juillet 1984, 84-172


Le Conseil constitutionnel a été saisi, les 30 juin et 4 juillet 1984, par MM Michel Souplet, Marcel Daunay, Roland du Luart, Charles Jolibois, Bernard Barbier, Michel Sordel, Louis de la Forest, Louis Lazuech, Jacques Menard, Jean Puech, Louis Boyer, Christian Bonnet, Jacques Descours Desacres, Pierre-Christian Taittinger, Jean-Pierre Fourcade, Richard Pouille, Guy de La Verpillière, Marc Castex, Jean-François Pintat, Michel d'Aillières, Modeste Legouez, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Albert Voilquin, Hubert Martin, Paul Guillaumot, Jean-Paul Bataille, Jean Delaneau, Pierre Croze, Rola

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Le Conseil constitutionnel a été saisi, les 30 juin et 4 juillet 1984, par MM Michel Souplet, Marcel Daunay, Roland du Luart, Charles Jolibois, Bernard Barbier, Michel Sordel, Louis de la Forest, Louis Lazuech, Jacques Menard, Jean Puech, Louis Boyer, Christian Bonnet, Jacques Descours Desacres, Pierre-Christian Taittinger, Jean-Pierre Fourcade, Richard Pouille, Guy de La Verpillière, Marc Castex, Jean-François Pintat, Michel d'Aillières, Modeste Legouez, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Albert Voilquin, Hubert Martin, Paul Guillaumot, Jean-Paul Bataille, Jean Delaneau, Pierre Croze, Roland Ruet, Philippe de Bourgoing, Serge Mathieu, Michel Miroudot, Michel Crucis, Jean Boyer, Jean-Marie Girault, Jean-Pierre Tizon, Jean-Paul Chambriard, Henry Elby, Jacques Habert, Olivier Roux, Geoffroy de Montalembert, Jean Chamant, Jacques Chaumont, Jean Chérioux, François O Collet.

Henri Collette, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jacques Delong, Charles Descours, Franz Duboscq, Marcel Fortier, Philippe François, Michel Giraud, Christian Poncelet, Henri Portier, Alain Pluchet, Claude Prouvoyeur, Josselin de Rohan, Roger Romani, Michel Rufin, Maurice Schumann, Louis Souvet, Dick Ukeiwe, Jacques Valade, Edmond Valcin, André-Georges Voisin, Jean Arthuis, Jean-Pierre Blanc, Raymond Bouvier, Adolphe Chauvin, Jean Colin, Jean Faure, Jean Francou, Bernard Laurent, Bernard Lemarie, Jean Machet, Jean Madelain, Albert Vecten, Louis Virapoullé, Jacques Pelletier, Etienne Dailly, Marcel Lucotte, sénateurs, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi relative au contrôle des structures des exploitations agricoles et au statut du fermage ;

Le Conseil constitutionnel,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent que ne sont pas conformes à la Constitution les articles 2, 3, 4, 6, 7, 8, 12, 22 et 25 de la loi relative au contrôle des structures des exploitations agricoles et au statut du fermage soumise à l'examen du Conseil constitutionnel ;

En ce qui concerne l'article 2 :

2. Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent qu'en étendant au cas de faire valoir direct le régime de l'autorisation préalable applicable aux opérations d'installation, d'agrandissement ou de réunion d'exploitations agricoles qui ont pour conséquence de ramener la superficie de l'une d'entre elles en deçà de la surface minimale d'installation, la loi retire au vendeur le droit d'exploiter son bien et porte ainsi une grave atteinte au droit de disposer, qui est un des éléments du droit de propriété.

3. Considérant que, si le contrôle des structures agricoles concerne, en principe, l'exploitation d'un bien, il peut, dans certains cas, entraîner indirectement des limitations à l'exercice du droit de propriété, notamment en empêchant un propriétaire d'exploiter lui-même un bien qu'il a acquis ou en faisant pratiquement obstacle à ce qu'un propriétaire puisse aliéner un bien, faute pour l'acquéreur éventuel d'avoir obtenu l'autorisation d'exploiter ce bien ; que ces limitations n'ont pas un caractère de gravité telle que l'atteinte au droit de propriété dénature le sens et la portée de celui-ci et soit, par suite, contraire à la Constitution.

4. Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent également que, dans le cas d'une société ou d'une indivision bénéficiaire d'une autorisation d'exploiter, le fait d'étendre le régime d'autorisation préalable à toute modification de la répartition du capital entre les associés ou les indivisaires qui participent à l'exploitation porte atteinte au droit de propriété ;

5. Considérant que cette disposition a pour seul objet d'assurer le contrôle des conditions d'exploitation des biens de la société ou en indivision et ne constitue pas, là encore, une atteinte au droit de propriété contraire à la Constitution ;

En ce qui concerne l'article 3 :

6. Considérant que les auteurs de la saisine reprochent à cet article, qui définit les conditions dans lesquelles l'autorisation d'exploiter est accordée de plein droit, de porter atteinte au droit de propriété ; qu'ils font valoir qu'il réduit, par rapport à la législation antérieure, le nombre de cas où l'autorisation ne peut pas être refusée et, plus particulièrement, que, dans le cas d'un recueilli par succession ou donation d'un parent ou d'un allié jusqu'au troisième degré, il limite à quatre fois la surface minimale d'installation le seuil au-delà duquel l'autorisation de plein droit cesse de s'appliquer ;

7. Considérant que la réduction du nombre des cas d'autorisation de plein droit n'est pas, en elle-même, contraire à la Constitution ; que celle-ci n'oblige pas le législateur à prendre en compte l'origine des biens pour déterminer le champ d'application du contrôle des structures agricoles ; que, dès lors, le moyen développé par les auteurs de la saisine ne saurait être retenu ;

8. Considérant que ceux-ci font également grief à l'article 3 de porter atteinte au principe constitutionnel d'égalité en limitant pour les conjoints la possibilité d'obtenir de plein droit une autorisation d'exploiter au cas où la réunion des biens, que chacun d'entre eux mettait en valeur avant le mariage, n'excède pas un seuil fixé au double de la surface minimale d'exploitation ;

9. Considérant que cette disposition ne figure pas dans le texte définitivement adopté par le Parlement ; que, par suite, le moyen manque en fait ;

En ce qui concerne l'article 4 :

10. Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent que l'adoption de cet article est intervenue en violation des règles constitutionnelles sur la procédure législative ainsi que de celles contenues dans les règlements de l'Assemblée nationale et du Sénat ;

11. Considérant que l'article 4, qui reprend, pour l'essentiel, une disposition figurant dans le projet déposé par le Gouvernement, est issu d'un amendement d'origine parlementaire voté en deuxième lecture par l'Assemblée nationale ; que si, en première lecture, lors de la discussion à l'Assemblée nationale, le Gouvernement avait retiré la disposition correspondante de son projet et si, en conséquence, celle-ci n'avait pas été soumise à l'examen du Sénat, ce déroulement de la première lecture n'était pas de nature à limiter, au cours des phases ultérieures de la procédure, l'exercice du droit d'amendement ouvert aux parlementaires par l'article 44 de la Constitution ; qu'après son adoption, en deuxième lecture, à l'Assemblée nationale, l'article 4 a été délibéré par les deux assemblées conformément aux articles 42 et 45 de la Constitution ; qu'enfin, s'agissant des dispositions des règlements des assemblées, ceux-ci n'ont pas valeur constitutionnelle ; qu'ainsi l'article 4 de la loi soumise au Conseil constitutionnel a été adopté selon une procédure conforme à la Constitution ;

En ce qui concerne l'article 6 :

12. Considérant que cet article, relatif à la procédure d'instruction des demandes d'autorisation, est contesté par les auteurs de la saisine en tant qu'il supprime pour le demandeur l'obligation de produire devant la commission départementale de contrôle des structures une attestation du propriétaire indiquant que celui-ci est disposé à louer son bien au demandeur ;

13. Considérant que cette modification des conditions de présentation d'une demande d'autorisation n'impose aucune contrainte au propriétaire qui demeure libre de choisir la personne à laquelle il confiera l'exploitation de son fonds ; que, dès lors, elle est sans influence sur l'exercice du droit de propriété ;

En ce qui concerne l'article 7 :

14. Considérant que cet article dispose que les informations nécessaires à l'exercice du contrôle des structures figurant dans les fichiers de la Mutualité sociale agricole seront communiquées, annuellement ou à sa demande, au représentant de l'État dans le département ;

15. Considérant que, selon les auteurs de la saisine, cette communication, par sa généralité, porterait atteinte au secret de la vie privée et, par suite, aux libertés publiques ;

16. Considérant qu'il résulte tant des termes de l'article 7 que de son objet que la communication est limitée aux renseignements nécessaires à l'exercice du contrôle des structures ; qu'elle sera faite dans des conditions qui seront précisées par un décret pris après avis de la commission nationale Informatique et Libertés ; que, compte tenu de ces garanties, le texte critiqué ne met en cause aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle ;

En ce qui concerne l'article 8 :

17. Considérant que cet article fixe les règles applicables dans le cas d'exploitation d'un fonds par son propriétaire en contravention avec les dispositions relatives au contrôle des structures et prévoit, notamment, que, si le propriétaire n'a pas régularisé sa situation à l'expiration de l'année culturale au cours de laquelle il a été mis en demeure de le faire, le tribunal paritaire des baux ruraux peut accorder l'autorisation d'exploiter à toute personne physique intéressée par la mise en valeur du fonds ;

18. Considérant que, selon les auteurs de la saisine, ces dispositions mettraient en cause les principes essentiels du droit de propriété et de la liberté d'établissement ;

19. Considérant, d'une part, en ce qui concerne le droit de propriété, que ces dispositions donnent au propriétaire exploitant en situation irrégulière des garanties de fond et de procédure ; qu'en effet la procédure prévue à l'article 8 ne jouera qu'à l'expiration de l'année culturale au cours de laquelle intervient la mise en demeure ; que, pendant ce délai, le propriétaire a la possibilité de régulariser sa propre situation d'exploitant ou de choisir un fermier ; que, passé ce délai, s'il n'a pas déféré à la mise en demeure, sa situation est examinée par une instance juridictionnelle ; que ses relations avec le fermier choisi par cette juridiction relèveront du statut de droit commun fixé par le code rural ; que, dans ces conditions, les dispositions de l'article 8 ne portent pas au droit de propriété une atteinte contraire à la Constitution ;

20. Considérant, d'autre part, en ce qui concerne la liberté d'établissement, qu'aucun principe de valeur constitutionnelle n'interdit au législateur de réglementer les conditions d'établissement d'un exploitant agricole ;

En ce qui concerne l'article 12 :

21. Considérant que cet article relatif à la définition des parcelles soumises au statut du fermage précise que la nature et la superficie maximale à retenir, lors de chaque renouvellement de la location, sont celles figurant dans l'arrêté du commissaire de la République en vigueur à la date du renouvellement et prévoit, à titre transitoire, que ces arrêtés s'imposeront de plein droit aux parties aux contrats en cours à l'expiration d'un délai d'un an ;

22. Considérant qu'en prenant ces dispositions, le législateur n'a fait qu'user des pouvoirs qui lui appartiennent de fixer les conditions de mise en vigueur des règles qu'il édicte ; que, dès lors, contrairement à ce que soutiennent les auteurs de la saisine, il n'a méconnu aucun principe de valeur constitutionnelle ;

En ce qui concerne l'article 22 :

23. Considérant qu'en vertu de cette disposition, lorsqu'un bien loué a été acquis moyennant le versement d'une rente viagère sous forme de prestations de services personnels, le droit de reprise de l'acquéreur ne peut être exercé pendant les neuf premières années suivant l'acquisition ;

24. Considérant que, contrairement à ce que soutiennent les auteurs de la saisine, cette condition de délai imposée au nouveau propriétaire ne fait pas échec au principe d'égalité ; qu'en effet, dans le cas d'une acquisition en viager sous forme de prestations de services personnels, le bailleur se trouve dans une situation différente de celle des autres bailleurs par le fait que, lors de son acquisition, il ne pouvait se voir opposer le droit de préemption ;

En ce qui concerne l'article 25 :

25. Considérant que cet article dispose que la conversion du métayage en fermage ne pourra être refusée lorsque la demande en sera faite par un métayer en place depuis huit ans et plus ;

26. Considérant qu'il est soutenu qu'en prévoyant un cas de conversion de droit sans que celle-ci soit soumise aux conditions antérieurement définies pour les autres formes de conversion et sans qu'elle comporte le contrôle de l'autorité judiciaire, l'article 25 n'est pas conforme à la Constitution ;

27. Considérant que les modalités de conversion de droit seront fixées dans les conditions habituelles, c'est-à-dire, soit par voie d'accord entre les parties soit par voie de recours aux tribunaux ; qu'ainsi, la disposition critiquée ne méconnaît aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle ;

En ce qui concerne l'ensemble de la loi ;

28. Considérant qu'en l'espèce il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen,

Décide :

Article premier :

La loi relative au contrôle des structures des exploitations agricoles et au statut du fermage est déclarée conforme à la Constitution.

Article 2 :

La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.


Loi relative au contrôle des structures des exploitations agricoles et au statut du fermage
Sens de l'arrêt : Conformité
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Saisine

SAISINE SENATEURS :

Conformément à l'article 61, alinéa 2 de la Constitution, les sénateurs soussignés défèrent au Conseil constitutionnel le projet de loi relatif au contrôle des structures agricoles et au statut du fermage.

Ils concluent qu'il plaise au Conseil de dire non conformes à la Constitution les articles suivants :

Article 3 L'article 3 du projet se borne, en apparence, à remettre en ordre, en les complétant un peu, les différents cas soumis au contrôle des structures.

En réalité, il le dénature totalement et porte ainsi gravement atteinte au droit de propriété.

A ce jour, en effet, le contrôle des structures n'a porté que sur l'exploitation des biens, ainsi d'ailleurs que le déclare l'article 188-1 du code rural. Il en était ainsi même pour le contrôle des démembrements qui ne concernait que les biens loués : s'il s'agissait de reprendre quelques hectares aux fermiers, la propriété n'était pas en cause. En visant tous les démembrements, y compris en cas d'exploitation directe, le contrôle vise désormais la propriété elle-même.

Prenons un exemple : Un propriétaire exploitant met en valeur 30 hectares, dans un département où la surface minimum d'installation (SMI) est de 20 hectares. S'il vend 11 hectares à son voisin, cette opération entraîne un démembrement faisant tomber l'exploitation en-dessous de la SMI et se trouve donc soumise à contrôle. Mais, comme la perte du droit d'exploitation du vendeur est consécutive à la vente elle-même, c'est cette vente dont la validité risque d'être mise en cause.

Considérable est l'atteinte portée ainsi au droit de disposer, qui constitue l'un des éléments constitutifs du droit de propriété. Qu'adviendra-t-il du malheureux propriétaire ayant besoin d'argent (ce qui est généralement le cas quand on vend) et voyant tous ses projets de vente rejetés par la commission des structures ? Qu'en sera-t-il, d'autre part, en cas de vente forcée, par exemple sur saisie immobilière ? Devra-t-on attendre le bon vouloir de la commission pour procéder à la vente ? Et quelle sera la valeur d'une hypothèque consentie sans la sacro-sainte autorisation de celle-ci, si elle ne peut être exécutée sans son accord ? L'atteinte ainsi portée au droit de propriété d'une manière insidieuse, quasi-subreptice, est trop grave pour pouvoir être admise, au regard des principes généraux.

La même atteinte au droit de propriété est portée, au même article, à propos des sociétés. Alors que le texte actuel se borne à contrôler l'identité des associés qui participent à l'exploitation, le texte voté par l'Assemblée nationale vise également toute modification de la répartition du capital, ce qui constitue, à l'évidence, un contrôle des transferts de propriété des actions, avec des difficultés analogues à celles que nous avons déjà évoquées, auxquelles s'ajoutent celles propres au droit des transferts de parts dans les différents types de sociétés.

Article 4 L'article 4 concerne les cas d'autorisations, dites de "plein droit", c'est-à-dire dans lesquels l'autorisation ne peut être refusée.

Dans le texte voté en 1980, ces cas étaient nombreux, tant il est vrai que le propre d'une législation libérale est d'autoriser plus souvent qu'elle n'interdit.

Le nouveau texte restreint, au contraire, les cas d'autorisations de plein droit, à tel point que : compte tenu des aggravations déjà prévues par l'article précédent : il n'est pas excessif d'affirmer que la proportion est inversée : désormais, le texte interdit plus qu'il n'autorise.

C'est le cas notamment en matière de biens dits "de famille", c'est-à-dire provenant d'une succession ou d'une donation. Le texte de 1980 (reprenant en cela les dispositions déjà existantes en matière de cumuls) admettait, dans la plupart des cas, l'héritier ou le donataire au bénéfice d'une autorisation de plein droit, les seules limitations posées ayant pour but essentiel d'empêcher la fraude et de s'assurer d'une compétence agricole minimale du successeur.

Désormais ce cas est enserré dans une multitude de limitations plus discutables les unes que les autres, la plus grave étant le fait, qu'au-delà de quatre fois, la SIM (soit, en pratique, soixante-quatre hectares), aucune autorisation de plein droit ne pourra être obtenue.

Ainsi, sans autre raison que le dépassement d'un chiffre assez bas, et purement arbitraire, est-il mis fin au principe selon lequel l'héritier continue la personne de son auteur, dont on ne saurait contester qu'il figure au nombre des principes généraux du droit, ne serait-ce que comme conséquence du droit de propriété, qui comporte en lui-même la permanence, c'est-à-dire la continuité au profit des successeurs du propriétaire initial.

Sans s'attarder sur cet article 4, sur lequel il y aurait encore beaucoup à dire, il convient d'y signaler, au 5°, une atteinte sérieuse, non seulement à la morale : qui n'a pas encore valeur constitutionnelle : mais aussi à l'égalité devant la loi.

Devant le texte de 1980, cette disposition accorde une autorisation de plein droit en cas de réunion par deux époux des biens que chacun d'eux mettait en valeur avant le mariage.

Le nouveaux texte n'accorde cette autorisation que jusqu'à deux fois le maximum en matière d'installation.

Il en résulte que, si ce maximum doit être dépassé, les intéressés auront manifestement intérêt à ne pas donner à leur union la consécration légale du mariage. Cette inégalité de traitement entre personnes mariées et non mariées constituant un cas manifeste d'inégalité devant la loi.

Article 4 bis L'inconstitutionnalité de l'article 4 bis relatif aux commissions cantonales et intercantonales des structures, résulte, non de son contenu, mais des conditions dans lesquelles il a été adopté.

Ce texte, en effet, figurait dans la rédaction initiale du Gouvernement puis, devant certaines difficultés, a été retiré par celui-ci devant l'Assemblée nationale en première lecture. Le Sénat, à son tour ne l'ayant pas rétabli en première lecture, le sort de ce texte paraissait réglé. Il n'en est rien, puisque l'Assemblée nationale a cru devoir l'introduire en deuxième lecture sous forme d'un article nouveau, sans qu'aucun impératif de coordination ne justifie cette manipulation.

On doit, dans ces conditions, considérer comme contraire à la Constitution l'adoption de cet article, intervenue en violation des principes de la navette et des deux règlements de l'Assemblée nationale et du Sénat.

Article 7 Relatif à la procédure de délivrance de l'autorisation d'exploiter, l'article 7 (art 188-5 du code rural) a, comme les articles 3 et 4, subi une série d'adaptations subtiles qui en dénature le sens initial.

Dans la loi de 1980, toute demande d'autorisation devait soit émaner du propriétaire, soit être accompagnée d'une attestation par laquelle celui-ci se déclarait prêt à louer à l'intéressé.

Il n'y avait donc qu'un demandeur, sur lequel la commission statuait en fonction de ses qualités propres, sans comparaisons avec d'autres candidats éventuels.

Le nouveau texte, au contraire, supprime l'exigence d'une attestation du propriétaire, et permet à la commission d'examiner simultanément le cas de plusieurs demandeurs.

Il lui sera ainsi très facile de choisir qui elle veut. Nous verrons à l'article 9 comment ce choix sera imposé au propriétaire.

Article 8 En attendant, nous devons examiner l'article 8, qui prévoit la communication générale aux commissions des structures des informations contenues dans les fichiers de la mutualité agricole.

Sans doute ce texte prévoit-il qu'un décret, pris après avis de la commission nationale de l'informatique et des libertés fixe les conditions de cette communication.

Il n'en reste pas moins que celle-ci, par son caractère général, est génératrice, outre de désordres, d'atteintes sérieuses au secret de la vie privée. Sans doute eut-il été concevable d'envisager une consultation ponctuelle, cas par cas, et toujours sous le contrôle de la commission Informatique et libertés. Tel qu'il est, de par sa trop grande généralité, le texte paraît contestable au plan des libertés publiques et doit être déclaré inconstitutionnel.

Article 9 Conséquence directe de l'article 7, qui permet à la commission de choisir qui elle veut, l'article 9 va maintenant permettre d'imposer au propriétaire l'"oiseau rare" ainsi détecté.

Ce texte permet, en effet, "lorsqu'un fonds est exploité par son propriétaire irrégulièrement" et "si, dans un délai d'un an après mise en demeure, un nouveau titulaire du droit d'exploiter n'a pas été désigné", à toute personne physique ou morale de se faire désigner comme fermier par le tribunal paritaire.

On passera rapidement sur la terminologie imprécise (que signifie "exploité par son propriétaire irrégulièrement" ? Cela couvre-t-il les modes de faire-valoir indirect, comme cela semble résulter du contexte ?) pour en venir à l'essentiel, à savoir ce qui va se passer en pratique.

Dans un premier temps, la commission se prononce en faveur d'un exploitant déterminé et refuse systématiquement toutes les autres solutions proposées par le propriétaire.

Dans un second temps, on constate l'irrégularité de la situation, et on met le propriétaire en demeure d'y remédier (tout en continuant à refuser ce qu'il propose) ;

Dans un troisième temps, on impose le fermier initialement retenu et l'affaire est close.

Les problèmes posés par l'application d'un tel texte sont innombrables (à titre d'exemple : qui entretient les bâtiments ? Qui est responsable en cas de mauvaise exploitation du fonds : la puissance publique qui a choisi un mauvais fermier ?).

Mais, là encore, nous nous en tiendrons à l'essentiel, à savoir la question de principe : un tel dispositif est-il compatible avec le droit de propriété, reconnu comme l'une des libertés publiques par la Déclaration des Droits de 1789 ? Il ne le semble pas, car il ne reste pratiquement rien au propriétaire dans cette affaire, à part un revenu qui risque d'être à peine suffisant pour payer les charges. Il ne semble même pas qu'il soit possible au propriétaire de recouvrer un jour son bien, la durée de l'"autorisation d'exploiter" n'étant pas limitée par le texte, et aucun droit de reprise n'étant prévu.

Sans doute, un dispositif analogue existe-t-il en matière de terres incultes. Mais la similitude n'est qu'apparente. En effet, en matière de terres incultes, le propriétaire a toujours le droit de reprendre son bien pour l'exploiter ou le louer à un tiers, et ce n'est qu'en cas de négligence prolongée qu'il pourra se voir imposer un exploitant.

Au contraire, dans le cas présent, le propriétaire qui veut, soit exploiter lui-même, soit faire exploiter par une personne de son choix, ne manquera pas de se heurter à des refus répétés de la commission, ce qui permettra à celle-ci de sanctionner l'"irrégularité de la situation".

Ce mécanisme diabolique permet ainsi, non seulement de dépouiller le propriétaire du libre choix de l'exploitant, mais aussi, par voie de conséquence, de mettre en cause la liberté d'établissement puisque, au moins au-delà d'un certain seuil, nul ne pourra s'installer comme exploitant, soit comme propriétaire, soit comme preneur, sans l'aval de la commission.

Pour toutes ces raisons, le dispositif résultant des articles 7 et 9, qui n'est nullement nécessaire, puisque des sanctions pénales sont prévues par ailleurs, et qui remet en cause les principes essentiels du droit de propriété et de la liberté d'établissement, doit être déclaré non conforme à la Constitution.

Art 12 : L'article 12 du projet de loi concerne les baux de parcelles d'une superficie inférieure à un plafond fixé par arrêté préfectoral. Compte tenu de leur faible étendue, ces parcelles échappent au statut du fermage : la durée et le prix de la location sont libres, le preneur ne bénéficie ni du droit de renouvellement ni du droit de préemption. Il s'agit généralement de locations verbales conclues à l'année et tacitement reconductibles.

Il est advenu, toutefois, que le plafond fixé par arrêté préfectoral soit modifié, généralement dans le sens d'une diminution.

La question s'est alors posée de savoir si la nouvelle réglementation s'appliquait aux contrats antérieurs, entraînant ainsi la soumission d'un certain nombre d'entre eux au statut du fermage. Le Conseil d'Etat s'étant prononcé négativement, et la Cour de cassation affirmativement, le législateur est intervenu en 1980 pour donner raison au Conseil d'Etat, en précisant que chaque convention continuerait à être régie par le droit en vigueur à l'époque où elle a été initialement convenue.

Le texte adopté par l'Assemblée nationale se prononce pour la règle inverse, c'est-à-dire l'application du statut du fermage aux conventions antérieures, ce qui paraît extrêmement choquant au plan des principes, car, comme l'avait justement noté le Conseil d'Etat, ce n'est pas à un simple arrêté préfectoral qu'il appartient de bouleverser l'équilibre de conventions faisant la loi des parties.

(Conseil d'Etat, 29 janvier 1971, Emery).

Art 21 : L'article 21 a pour objet d'interdire au bailleur d'exercer le droit de reprise pendant neuf ans lorsque le bien a été acquis en rente viagère sous forme de services personnels.

Rien ne semble justifier cette rupture de l'égalité devant la loi au détriment de bailleurs ne présentant pas de caractéristiques particulières par rapport aux autres, l'argument de "lutte contre la fraude" invoqué par le Gouvernement n'étant nullement convaincant : les acquéreurs, en rente viagère, ne sont pas, heureusement, tous des fraudeurs ! Art 22 : Aux termes de l'article 22, la conversion du métayage en fermage ne pourra être refusée lorsque la demande sera faite par un métayer en place depuis au moins huit ans.

La conversion du métayage en fermage ne pourra être refusée lorsque la demande sera faite par un métayer en place depuis au moins huit ans.

La conversion du métayage en fermage n'est pas, en soi, une chose nouvelle. Mais elle était jusqu'à maintenant subordonnée à un certain nombre de conditions, et devait faire l'objet d'une décision du tribunal, lequel s'assurait de la situation et des intérêts réciproques des parties.

Désormais, la conversion pourra jouer de plein droit, et permettre, par exemple, à un métayer de s'approprier le résultat d'investissements accomplis par le bailleur au moment où ils commencent à entrer en plein rendement.

Il ne paraît pas possible, au regard du respect des conventions entre les parties, de considérer comme conforme à la Constitution une disposition aussi grave, notamment pour autant qu'elle ne comporte aucun pouvoir de contrôle de l'autorité judiciaire.

Pour ces motifs, et tous autres à soulever d'office par le Conseil constitutionnel, les soussignés demandent au Conseil de déclarer contraires à la Constitution les articles 3, 4, 4 bis, 7, 8, 9, 12, 21 et 22 du projet.


Références :

DC du 26 juillet 1984 sur le site internet du Conseil constitutionnel

Texte attaqué : Loi relative au contrôle des structures des exploitations agricoles et au statut du fermage (Nature : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées)


Publications
Proposition de citation: Cons. Const., décision n°84-172 DC du 26 juillet 1984

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Origine de la décision
Date de la décision : 26/07/1984
Date de l'import : 23/03/2016

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro de décision : 84-172
Numéro NOR : CONSTEXT000017667744 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.constitutionnel;dc;1984-07-26;84.172 ?
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