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30/08/1984 | FRANCE | N°84-178

France | France, Conseil constitutionnel, 30 août 1984, 84-178


Le Conseil constitutionnel a été saisi le 2 août 1984 par MM. Claude Labbé, Jacques Chirac, Bernard Pons, Jacques Toubon, Marc Lauriol, Bruno Bourg-Broc, Georges Tranchant, Roger Corrèze, Robert-André Vivien, Philippe Séguin, Gabriel Kaspereit, Mme Nicole de Hauteclocque, MM René La Combe, Daniel Goulet, Jean Foyer, Michel Péricard, Michel Barnier, Jean-Paul de Rocca Serra, Pierre Mauger, Michel Debré, Xavier Deniau, Maurice Couve de Murville, Camille Petit, Robert Wagner, Jean Tiberi, Jean Narquin, Jacques Lafleur, Didier Julia, Jacques Chaban-Delmas, Pierre Bas, Claude-Gérard Marc

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Le Conseil constitutionnel a été saisi le 2 août 1984 par MM. Claude Labbé, Jacques Chirac, Bernard Pons, Jacques Toubon, Marc Lauriol, Bruno Bourg-Broc, Georges Tranchant, Roger Corrèze, Robert-André Vivien, Philippe Séguin, Gabriel Kaspereit, Mme Nicole de Hauteclocque, MM René La Combe, Daniel Goulet, Jean Foyer, Michel Péricard, Michel Barnier, Jean-Paul de Rocca Serra, Pierre Mauger, Michel Debré, Xavier Deniau, Maurice Couve de Murville, Camille Petit, Robert Wagner, Jean Tiberi, Jean Narquin, Jacques Lafleur, Didier Julia, Jacques Chaban-Delmas, Pierre Bas, Claude-Gérard Marcus, Edouard Frédéric-Dupont, Henri de Gastines, Yves Lancien, Hyacinthe Santoni, Pierre-Charles Krieg, Jean-Louis Goasduff, Georges Gorse, Alain Peyrefitte, Olivier Guichard, Robert Galley, Pierre Messmer, Charles Paccou, Jacques Baumel, Pierre Bachelet, Jean-Paul Charié, Jean Weisenhorn, Jacques Godfrain, Emmanuel Aubert, Mme Hélène Missoffe, MM Jean-Louis Masson, Roland Vuillaume, Christian Bergelin, Michel Noir, Jean de Lipkowski, Roland Nungesser, René André, Jean de Préaumont, Etienne Pinte, Tutaha Salmon, Pierre Raynal, Régis Perbet et Michel Cointat, députés, dans les conditions prévues à l'article 61 (alinéa 2) de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi portant statut du territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances, et notamment ses articles 12, 131 et 137 ;
Il a également été saisi d'une demande d'examen de la conformité à la Constitution de cette loi par une lettre de M. Stéphane Diemert, demeurant à Sartrouville (Yvelines), en date du 13 août 1984.

Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment les articles figurant au chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Le rapporteur ayant été entendu ;

Sur la recevabilité de la demande de M. Diemert :

1. Considérant qu'aux termes de l'article 61 de la Constitution "les lois peuvent être déférées au Conseil constitutionnel avant leur promulgation, par le Président de la République, le Premier ministre, le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs" ; que cette désignation des autorités habilitées à soumettre au Conseil l'examen de la conformité à la Constitution du texte d'une loi adoptée par le Parlement avant sa promulgation interdit cette saisine à toute autre personne ; qu'il suit de là que la demande de M. Diemert est irrecevable ;

Sur la conformité de la loi à la Constitution :

En ce qui concerne l'article 12 de la loi :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 12 (alinéa 2) de la loi déférée au Conseil constitutionnel les fonctions de membre du gouvernement du territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances "sont, en outre, incompatibles avec la qualité de membre du Gouvernement de la République, de député, de sénateur, de conseiller économique et social, de membre de l'Assemblée des communautés européennes..." ;

3. Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent que ces dispositions méconnaissent, d'une part, les articles 23, 25 et 71 de la Constitution en ce qu'elles modifient le régime des incompatibilités applicables aux membres du Gouvernement de la République, aux membres du Parlement ainsi qu'aux membres du Conseil économique et social, qui est de la compétence exclusive de la Constitution pour les premiers et de la loi organique pour les autres et qu'elles méconnaissent, d'autre part, le principe d'égalité en ce qu'elles créent à l'encontre des membres du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et dépendances une incompatibilité avec la qualité de membre de l'Assemblée des communautés européennes, alors que celle-ci est compatible avec les fonctions de maire et de président de conseil général ou régional ;

- Quant à l'incompatibilité entre les fonctions de membre du Gouvernement du territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances et celles de membre du Gouvernement de la République :

4. Considérant qu'aux termes de l'article 23 de la Constitution : "Les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l'exercice de tout mandat parlementaire, de toute fonction de représentation professionnelle à caractère national et de tout emploi public ou de toute activité professionnelle." ;

5. Considérant que la qualité de membre du gouvernement du territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances n'entre dans aucune des catégories de fonctions ainsi énoncées ; qu'ainsi la disposition critiquée n'est pas conforme à la Constitution ;

- Quant à l'incompatibilité entre les fonctions de membre du Gouvernement du territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances et celles de membre du Parlement :

6. Considérant qu'en vertu de l'article 25 (alinéa 1er) de la Constitution une loi organique fixe le régime des incompatibilités applicables aux membres du Parlement ; que, par suite, la loi déférée au Conseil constitutionnel, qui n'a pas le caractère organique, ne pouvait instituer un nouveau cas d'incompatibilité ;

- Quant à l'incompatibilité entre les fonctions de membre du Gouvernement du territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances et celles de membre du Conseil économique et social :

7. Considérant que l'article 71 de la Constitution, en disposant que "la composition du Conseil économique et social et ses règles de fonctionnement sont fixées par une loi organique" , réserve à la loi organique le soin d'instituer les incompatibilités applicables aux membres du Conseil économique et social ; que, par suite, la loi déférée au Conseil constitutionnel, qui n'a pas le caractère organique, ne pouvait instituer un nouveau cas d'incompatibilité ;

- Quant à l'incompatibilité entre les fonctions de membre du Gouvernement du territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances et celles de membre de l'Assemblée des communautés européennes :

8. Considérant que cette incompatibilité, qui intéresse l'exercice des droits civiques, touche certains citoyens en fonction de leurs attaches avec une partie déterminée du territoire de la France ; qu'elle est donc contraire à l'indivisibilité de la République consacrée par l'article 2 de la Constitution ;

En ce qui concerne les dispositions de l'article 131 de la loi :

9. Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent que l'article 131 de la loi qui prévoit que "les statuts particuliers des corps de fonctionnaires de catégories C et D peuvent permettre le recrutement de ces fonctionnaires sans concours" méconnaît le principe de l'égal accès aux emplois publics proclamé par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;

10. Considérant qu'aucune règle ou principe de valeur constitutionnelle n'interdit au législateur de prévoir que les statuts particuliers de certains corps de fonctionnaires pourront autoriser le recrutement d'agents sans concours et qu'aucune disposition de la loi ne saurait être interprétée comme permettant de procéder à des mesures de recrutement en méconnaissance de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; qu'ainsi le moyen tiré du principe de l'égal accès aux emplois publics ne saurait être retenu ;

En ce qui concerne les dispositions de l'article 137 de la loi :

11. Considérant que, selon les auteurs de la saisine, ces dispositions qui, pour une période transitoire de trois ans, prévoient des modalités particulières de recrutement de fonctionnaires des catégories A et B de la fonction publique du territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances, et instituent pour cela un mode d'accès aux corps des catégories A et B de la fonction publique du territoire sans vérification des capacités des candidats, seraient contraires au principe de l'égalité d'accès aux emplois publics et à la règle qui réserve le recrutement des emplois de catégorie A aux titulaires d'un diplôme de l'enseignement supérieur ;

12. Considérant qu'aucune règle ou principe de valeur constitutionnelle n'impose que le recrutement des fonctionnaires de catégorie A s'effectue parmi les seuls titulaires de diplômes de l'enseignement supérieur ;

13. Considérant que les dispositions critiquées confient à une commission de sélection présidée par un magistrat de l'ordre administratif le soin de proposer les candidats les plus aptes qui, seuls, peuvent être nommés ; qu'ainsi la procédure organisée par la loi ne méconnaît pas le principe de l'égal accès des citoyens aux emplois publics ;

En ce qui concerne les autres dispositions de la loi :

14. Considérant qu'en l'espèce il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen,

Décide :
Article premier :
La demande de M Stéphane Diemert est irrecevable.
Article 2 :
Les dispositions contenues dans les mots : "membre du Gouvernement de la République, de député, de sénateur, de conseiller économique et social, de membre de l'Assemblée des communautés européennes", figurant à l'article 12 (alinéa 2) de la loi portant statut du territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances sont déclarées non conformes à la Constitution.
Article 3 :
Les autres dispositions de ladite loi sont déclarées conformes à la Constitution.
Article 4 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.


Loi portant statut du territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances, et notamment ses articles 12, 131 et 137
Sens de l'arrêt : Non conformité partielle
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Saisine

SAISINE DEPUTES :

Les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel, conformément à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, la loi portant statut de la Nouvelle-Calédonie.

Par le présent recours les soussignés défèrent les articles 11, 125 et 131 du texte dont il s'agit : I : Article 11

L'article 11 institue une incompatibilité entre les fonctions nouvelles de membre du Gouvernement du territoire de la Nouvelle-Calédonie et celles de : : membre du Gouvernement de la République ;

: député ou sénateur ;

: membre du Conseil économique et social ;

: membre de l'Assemblée des communautés européennes.

Aucune de ces incompatibilités n'est instituée conformément à la Constitution.

1° Les incompatibilités entre les fonctions gouvernementales et d'autres activités ont été établies par la Constitution elle-même en son article 23. Il n'appartient pas à la loi ordinaire d'en ajouter d'autres.

2° Si la Constitution n'a pas fixé elle-même les incompatibilités parlementaires, elle en a renvoyé le soin à une loi organique (Constitution, art 25).

Certes, l'ordonnance n° 58-998 du 24 octobre 1958, par une disposition figurant sous l'article LO 139 du code électoral, a établi une incompatibilité entre le mandat de député ou de sénateur et les fonctions de "membre du conseil de Gouvernement d'un territoire d'outre-mer".

Mais, la disposition contestée n'est pas la simple reproduction de cette règle organique. En effet, la loi organique se référait à une institution, le conseil du Gouvernement, qui disparaît en vertu des nouvelles dispositions de la loi déférée.

Une nouvelle loi organique eût donc été nécessaire.

3° Aux termes de l'article 71 de la Constitution, la composition du Conseil économique et social est fixée par une loi organique.

Il appartient seulement à une loi de cette nature d'instituer des incompatibilités entre la qualité de membre du Conseil économique et social et d'autres activités.

4° La loi ordinaire peut édicter des règles d'incompatibilité entre le mandat de représentant de la France à l'Assemblée des communautés européennes et d'autres activités.

Cependant, le législateur est tenu au respect du principe d'égalité.

Or, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 2 mars 1982, les fonctions exécutives sont confiées, dans toutes les collectivités locales de la République, à des personnes élues dans leur sein par les assemblées délibérantes.

Aucun motif ne justifie la rupture de l'égalité au détriment des membres du Gouvernement du TOM alors qu'aucune incompatibilité n'a été instituée avec les fonctions de président du conseil régional, de président de conseil général et de maire.

II : Articles 125 et 131

L'article 125 fixe les règles de recrutement dans les emplois administratifs de la fonction publique du territoire.

Dans son premier alinéa, il dispose que le recrutement des catégories A et B s'effectue à concurrence des deux tiers des emplois parmi les élèves sortant du centre de formation professionnelle administratif et pour un tiers parmi les agents de la fonction publique du territoire.

Mais, dans son second alinéa, l'article 125 donne aux statuts particuliers des corps de fonctionnaires de catégories C et D la possibilité de déroger à la règle du concours.

L'article 131, pour sa part, prévoit que, durant une période transitoire de trois ans, le recrutement de fonctionnaires de tous les corps de catégories A et B pourra s'opérer sur simple nomination parmi les personnes titulaires du baccalauréat ou ayant exercé durant cinq ans au moins les fonctions de maire, adjoint au maire, conseiller municipal ou membre d'un organe d'administration ou de direction d'une des organisations syndicales les plus représentatives de salariés ou de non-salariés.

On observe à cet égard qu'aucun quota n'ayant été fixé tous les postes vacants pourraient ainsi être pourvus par voie de nominations spéciales. Ces intégrations seraient proposées par une commission de sélection composée du président du tribunal administratif, qui la présiderait, de deux membres désignés par le haut commissaire et de deux membres désignés par le président du Gouvernement.

Il apparaît que les articles 125 et 131 sont contraires au principe d'égalité consacré par plusieurs dispositions constitutionnelles.

Ainsi, l'article 2, alinéa 1, de la Constitution rappelle que la France "assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion".

Par ailleurs, la Déclaration des droits de l'homme dispose, dans son article 6, que tous les citoyens étant égaux "sont également admissibles à toutes les dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents".

Il apparaît clairement à la lumière de ces textes que l'égalité d'accès à la fonction publique est garantie par la Constitution et que, même si la loi peut apporter certains aménagements, on ne peut y déroger en créant des distinctions dont les fondements ne seraient pas la capacité, les vertus et talents des citoyens.

Certes, il ressort de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, dans sa décision du 14 janvier 1983, que le principe d'égal accès des citoyens aux emplois publics "ne s'oppose pas à ce que les règles de recrutement destinées à permettre l'appréciation des aptitudes et des qualités des candidats à l'entrée d'une école de formation ou dans un corps de fonctionnaires soient différenciées pour tenir compte tant de la variété des mérites à prendre en considération que de celle des besoins du service public".

Mais, dans le cas visé par la décision précitée, il revenait "au ministre chargé de la fonction publique le soin d'établir, après avis d'une commission présidée par un conseiller d'Etat, la liste des personnes admises à concourir ". En l'espèce, il y avait donc simple "vérification de l'aptitude légale des candidats à se présenter au concours et non celle de leur capacité qui relève du seul jury du concours".

Or les articles 125 et 131 prévoient l'accès à la fonction publique sans vérification des capacités des candidats par voie de concours.

La commission prévue à l'article 131 pour l'accès aux emplois de catégories A et B de la fonction publique du territoire établit une sélection sur la base de la seule aptitude et non sur la capacité des candidats.

La vérification de ces capacités ne pouvant se faire qu'à l'occasion d'un stage dont certains pourraient être dispensés.

En outre on observe que ces dispositions sont contraires à la règle qui réserve le recrutement des emplois de catégorie A aux titulaires d'un diplôme de l'enseignement supérieur.

Pour ces motifs, les députés soussignés concluent qu'il plaise au Conseil constitutionnel de déclarer les articles 11, 125 et 131 non conformes à la Constitution par les moyens ci-dessus développés et par tout autre moyen que le Conseil jugera bon de soulever d'office.


Références :

DC du 30 août 1984 sur le site internet du Conseil constitutionnel

Texte attaqué : Loi portant statut du territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances (Nature : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées)


Publications
Proposition de citation: Cons. Const., décision n°84-178 DC du 30 août 1984

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Origine de la décision
Date de la décision : 30/08/1984
Date de l'import : 12/05/2017

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro de décision : 84-178
Numéro NOR : CONSTEXT000017667695 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.constitutionnel;dc;1984-08-30;84.178 ?
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