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11/10/1984 | FRANCE | N°84-181

France | France, Conseil constitutionnel, 11 octobre 1984, 84-181


Le Conseil constitutionnel a été saisi, d'une part, le 12 septembre 1984, par MM Charles Pasqua, Jean Cluzel, Etienne Dailly, Georges Mouly, Paul Robert, Paul Girod, Raymond Soucaret, Charles Beaupetit, Michel Durafour, Pierre Merli, Victor Robini, Jean François-Poncet, Max Lejeune, Mme Brigitte Gros, MM Guy Besse, Joseph Raybaud, Jean-Pierre Cantegrit, Jacques Moutet, Jacques Pelletier, Roland du Luart, Christian Bonnet, Louis de la Forest, Roland Ruet, Albert Voilquin, Yves Goussebaire-Dupin, Jean-Marie Girault, Jean-François Pintat, Jacques Ménard, Jean Bénard Mousseaux, Hubert Martin

, Jean-Pierre Tizon, Guy de La Verpillière, Jean-Pier...

Le Conseil constitutionnel a été saisi, d'une part, le 12 septembre 1984, par MM Charles Pasqua, Jean Cluzel, Etienne Dailly, Georges Mouly, Paul Robert, Paul Girod, Raymond Soucaret, Charles Beaupetit, Michel Durafour, Pierre Merli, Victor Robini, Jean François-Poncet, Max Lejeune, Mme Brigitte Gros, MM Guy Besse, Joseph Raybaud, Jean-Pierre Cantegrit, Jacques Moutet, Jacques Pelletier, Roland du Luart, Christian Bonnet, Louis de la Forest, Roland Ruet, Albert Voilquin, Yves Goussebaire-Dupin, Jean-Marie Girault, Jean-François Pintat, Jacques Ménard, Jean Bénard Mousseaux, Hubert Martin, Jean-Pierre Tizon, Guy de La Verpillière, Jean-Pierre Fourcade, Pierre Louvot, Pierre-Christian Taittinger, Michel Crucis, Louis Boyer, Pierre Croze, Michel Miroudot, Jean-Paul Chambriard, Louis Lazuech, Henri Elby, Jacques Larché, Jean Boyer, Michel Sordel, Richard Pouille, Jules Roujon, Jacques Thyraud, Jacques Descours Desacres, André Bettencourt, Charles Jolibois, Philippe de Bourgoing, Marcel Lucotte, Jean Arthuis, Jean-Pierre Blanc, Roger Boileau, Raymond Bouvier, Pierre Brantus, Pierre Ceccaldi-Pavard, Adolphe Chauvin, Auguste Chupin, Jean Colin, André Diligent, Jean Faure, Charles Ferrant, André Fosset, Jean Francou, Henri Goetschy, Daniel Hoeffel, Jean Huchon, Jean Lecanuet, Bernard Lemarié, Georges Lombard, Jean Machet, Jean Madelain, Louis Mercier, Daniel Millaud, René Monory. Jacques Mossion, Dominique Pado, Francis Palmero, Raymond Poirier, Roger Poudonson, André Rabineau, Jean-Marie Rausch, Pierre Schiélé, Pierre Sicard, Michel Souplet, Pierre Vallon, Albert Vecten, Louis Virapoullé, Jean-Marie Bouloux, Marcel Daunay,
Alfred Gérin, Roger Lise, Michel Alloncle, Jean Amelin, Hubert d'Andigné, Marc Bécam, Henri Belcour, Paul Bénard, Amédée Bouquerel, Yvon Bourges, Jacques Braconnier, Raymond Brun, Michel Caldaguès, Pierre Carous, Auguste Cazalet, Jean Chamant, Jacques Chaumont, Michel Chauty, Jean Chérioux, François O Collet, Henri Collette, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jacques Delong, Charles Descours, Franz Duboscq, Marcel Fortier, Philippe François, Michel Giraud, Adrien Gouteyron, Bernard-Charles Hugo, Roger Husson, Paul Kauss, Christian de La Malène, Jean-François Le Grand, Maurice Lombard, Paul Malassagne, Paul Masson, Michel Maurice-Bokanowski, Geoffroy de Montalembert, Arthur Moulin, Jean Natali, Lucien Neuwirth, Paul d'Ornano, Christian Masson, Sosefo Makapé Papilio, Christian Poncelet, Henri Portier, Alain Pluchet, Claude Prouvoyeur, Josselin de Rohan, Roger Romani, Michel Rufin, Maurice Schumann, Louis Souvet, Dick Ukeiwé, Jacques Valade, Edmond Valcin, André-Georges Voisin, sénateurs.
et, d'autre part, le 14 septembre 1984, par MM Jean-Claude Gaudin, Jacques Dominati, Jean Rigaud, Francisque Perrut, Germain Gengenwin, Marcel Bigeard, Paul Pernin, Gilbert Gantier, Claude Birraux, Bernard Stasi, Albert Brochard, Joseph-Henri Maujoüan du Gasset, Alain Madelin, Jean Brocard, Michel d'Ornano, Philippe Mestre, Edmond Alphandéry, Pierre Micaux, Charles Fèvre, Georges Mesmin, Jean Briane, Jean Desanlis, Francis Geng, Jean-Pierre Soisson, René Haby, Jacques Blanc, François d'Aubert, Charles Deprez, Adrien Durand, Adrien Zeller, Pascal Clément, Jacques Fouchier, Mme Louise Moreau, MM Loïc Bouvard, Jean-Paul Fuchs, André Rossinot, Charles Millon, Alain Mayoud, Maurice Dousset, Roger Lestas, Raymond Barre, François d'Harcourt, Marcel Esdras, Jean Seitlinger, Claude Labbé, Jacques Chirac, Bernard Pons, Jacques Toubon, Marc Lauriol, Bruno Bourg-Broc, Georges Tranchant, Roger Corrèze, Robert-André Vivien, Philippe Séguin, Gabriel Kaspereit, Mme Nicole de Hauteclocque, MM René La Combe, Daniel Goulet, Jean-Paul Charié, Pierre Weisenhorn, Jacques Godfrain, Emmanuel Aubert, Pierre Messmer, Jean-Louis Goasduff, Claude-Gérard Marcus, Pierre Mauger, Christian Bergelin, Maurice Couve de Murville, Alain Peyrefitte, Pierre-Charles Krieg, Didier Julia, Pierre Bachelet, Robert Wagner, Jean de Préaumont, Michel Debré, Etienne Pinte, Tutaha Salmon, Robert Galley, Roland Nungesser, Edouard Frédéric-Dupont, Jean Tiberi, Pierre Raynal, Jean-Paul de Rocca Serra, Régis Perbet, Michel Cointat, Charles Paccou, Michel Barnier, Michel Péricard, Georges Gorse, Jacques Baumel, Yves Lancien, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse.

Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment les articles figurant au chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Le rapporteur ayant été entendu ;

Sur la procédure législative :

1. Considérant que les auteurs de l'une et de l'autre saisines soutiennent que la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel aurait été adoptée selon une procédure irrégulière ; qu'ils exposent que, lors des première et seconde lectures devant l'Assemblée nationale, le rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales a présenté un rapport ne comportant pas de conclusions, notamment en ce qui concerne les très nombreux amendements présentés ; que, selon les auteurs de l'une des saisines, cette procédure aurait également enfreint les articles 43 et 44 de la Constitution ;
2. Considérant que l'article 43 de la Constitution dispose : "Les projets et propositions de loi sont, à la demande du Gouvernement ou de l'assemblée qui en est saisie, envoyés pour examen à des commissions spécialement désignées à cet effet. - Les projets ou propositions pour lesquels une telle demande n'a pas été faite sont envoyés à l'une des commissions permanentes dont le nombre est limité à six dans chaque assemblée" ; que l'article 44 dispose : "Les membres du Parlement et le Gouvernement ont le droit d'amendement. - Après l'ouverture du débat, le Gouvernement peut s'opposer à l'examen de tout amendement qui n'a pas été antérieurement soumis à la commission. - Si le Gouvernement le demande, l'assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement" ;
3. Considérant que le projet dont est issue la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel a été examiné en commission, avant sa discussion en séance publique, lors de chacune de ses lectures ; qu'aucun amendement n'a été rejeté au motif qu'il n'aurait pas été soumis à la commission ; que, par suite, les articles 43 et 44 de la Constitution n'ont pas été méconnus ;
4. Considérant que les articles 86, 90 et 91 du règlement de l'Assemblée nationale précisent l'objet, le contenu et la forme du rapport qui doit, après que la proposition ou le projet de loi ait été soumis à une commission comme le veut l'article 43 de la Constitution, être présenté aux députés au nom de la commission ;
5. Considérant que les règlements des assemblées parlementaires n'ayant pas en eux-mêmes valeur constitutionnelle, la seule méconnaissance des dispositions réglementaires invoquées ne saurait avoir pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution ;
6. Considérant, dès lors, que la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel a été adoptée selon une procédure qui n'est pas contraire à la Constitution ;
Sur l'article 2 de la loi :
7. Considérant que l'article 2 de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel est ainsi conçu : "Dans la présente loi : 1° le mot "personne" désigne une personne physique ou morale ou un groupement de droit ou de fait de personnes physiques ou morales ; 2° l'entreprise de presse s'entend de toute personne définie au 1° du présent article et qui édite ou exploite une ou plusieurs publications ; 3° le contrôle s'entend de la possibilité pour une personne d'exercer, sous quelque forme que ce soit et par tous moyens d'ordre matériel ou financier, une influence déterminante sur la gestion ou le fonctionnement d'une entreprise de presse" ;
8. Considérant que les députés auteurs de l'une des saisines soutiennent que les définitions ainsi énoncées présentent un caractère extensif et imprécis ; que, par suite, les dispositions pénales de la loi qui font référence, directement ou indirectement, à ces notions insuffisamment définies enfreignent le principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines proclamé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; qu'en outre lesdites définitions permettent l'application de la loi aux partis politiques en violation de l'article 4 de la Constitution ; que les sénateurs auteurs de l'autre saisine reprennent ce dernier grief à propos de l'article 21 de la loi ;
9. Considérant, d'une part, que les termes de "personne", "entreprise de presse", "contrôle" sont définis de façon suffisamment précise pour que les dispositions de caractère pénal qui s'y réfèrent, directement ou indirectement, ne méconnaissent pas, de ce seul chef, le principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines ;
10. Considérant, d'autre part, que l'article 4 de la Constitution dispose : "Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie";
11. Considérant que ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de conférer aux partis politiques, en matière de liberté de la presse, des droits supérieurs à ceux que l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 reconnaît à tous les citoyens ; qu'il incombe seulement au législateur de formuler des prescriptions tendant à empêcher que l'application des règles relatives à la transparence financière et au pluralisme des entreprises de presse n'entrave l'activité spécifique des partis politiques dont le libre exercice est garanti par l'article 4 de la Constitution ;
12. Considérant que l'article 21 de la loi dispose : "Pour l'accomplissement des missions qui lui sont assignées par la présente loi, la commission peut recueillir tous les renseignements nécessaires auprès des administrations et des personnes sans que puissent lui être opposées d'autres limitations que celles résultant du libre exercice de l'activité des partis et groupements politiques visés à l'article 4 de la Constitution " ;
13. Considérant qu'il est ainsi satisfait aux exigences de l'article 4 de la Constitution ;
14. Considérant, dès lors, que l'article 2 de la loi n'est pas contraire à la Constitution ;
Sur les dispositions du titre Ier de la loi relatives à la transparence et sur celles du titre IV relatives aux sanctions correspondantes :
15. Considérant que le titre Ier de la loi, dans ses articles 3 à 9, est consacré aux dispositions relatives à la transparence ; que les articles 26 à 31 du titre IV relatif aux sanctions pénales tendent à assurer le respect de ces dispositions ;
16. Considérant que, loin de s'opposer à la liberté de la presse ou de la limiter, la mise en oeuvre de l'objectif de transparence financière tend à renforcer un exercice effectif de cette liberté ; qu'en effet, en exigeant que soient connus du public les dirigeants réels des entreprises de presse, les conditions de financement des journaux, les transactions financières dont ceux-ci peuvent être l'objet, les intérêts de tous ordres qui peuvent s'y trouver engagés, le législateur met les lecteurs à même d'exercer leur choix de façon vraiment libre et l'opinion à même de porter un jugement éclairé sur les moyens d'information qui lui sont offerts par la presse écrite ;
17. Considérant que, sans contester dans son principe l'objectif de transparence, les auteurs des saisines soutiennent que certaines des dispositions susvisées ne sont pas conformes à la Constitution ;
En ce qui concerne les articles 3 et 26 :
18. Considérant que l'article 3 de la loi dispose : "Il est interdit de prêter son nom, de quelque manière que ce soit, à toute personne qui possède ou contrôle une entreprise de presse" ; que l'article 26 dispose : "Quiconque aura prêté son nom en violation des dispositions de l'article 3 sera puni d'un emprisonnement de trois mois à un an et d'une amende de 6000 F à 200000 F. Les mêmes peines seront applicables à celui au profit de qui l'opération de prête-nom sera intervenue. Lorsque l'opération de prête-nom aura été faite au nom d'une personne morale, les peines seront appliquées à celui qui aura réalisé cette opération pour le compte de la personne morale" ;
19. Considérant que les députés auteurs de l'une des saisines font valoir que ni l'article 3 ni l'article 26 précités ne définissent les éléments constitutifs de l'infraction de prête-nom, notamment en ce qui concerne le domaine de l'interdiction, et sont ainsi contraires au principe de la légalité des délits et des peines proclamé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
20. Considérant, d'une part, que les éléments constitutifs de l'infraction ressortent des termes mêmes de l'article 3 dont il reviendrait aux juridictions compétentes de faire application dans les espèces qui leur seraient soumises ; que, d'autre part, il résulte nécessairement de la place de ces dispositions dans une loi tendant à assurer la transparence financière des entreprises de presse que l'interdiction de prête-nom visée par ces dispositions ne concerne, sans préjudice de semblable interdiction en d'autres matières, que les actes de prête-nom pouvant porter atteinte aux règles de transparence financière intéressant les entreprises de presse ; qu'ainsi les articles 3 et 26 de la loi ne sont pas contraires à la Constitution ;
En ce qui concerne les articles 4 et 27 :
21. Considérant que l'article 4 de la loi impose la forme nominative aux actions représentant le capital social d'une entreprise de presse et à celles d'une société qui détient directement ou indirectement 20 p 100 au moins du capital social d'une entreprise de presse ou des droits de vote dans cette entreprise ; qu'il précise : "Les dirigeants d'une société qui constatent l'une des situations visées au premier alinéa du présent article doivent publier un mois au plus après cette constatation, dans un journal d'annonces légales, un avis aux porteurs d'actions les invitant à mettre leurs titres sous la forme nominative" ; que l'article 27 punit de peines correctionnelles "les dirigeants de droit ou de fait d'une société par actions qui, en violation des dispositions de l'article 4, auront émis des actions au porteur ou n'auront pas fait toute diligence pour faire mettre les actions au porteur sous la forme nominative dans les délais prévus à cet article" ;
22. Considérant que les députés auteurs de l'une des saisines font valoir que les expressions "dirigeants de droit ou de fait", "qui n'auront pas fait toute diligence" sont d'une imprécision telle que l'article 27 méconnaît le principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines ;
23. Considérant que, malgré leur généralité, les termes critiqués et qui sont d'ailleurs employés dans d'autres textes législatifs définissent de façon suffisamment précise les infractions pénales visées à l'article 27 ; que celui-ci n'est donc pas contraire à la Constitution ;
En ce qui concerne l'article 5 :
24. Considérant que l'article 5 de la loi est ainsi conçu : "Les actionnaires des sociétés mentionnées à l'article 4 peuvent consulter le compte des valeurs nominatives tenu par ces sociétés. Le même droit est reconnu aux membres de l'équipe rédactionnelle des publications visées à l'article 1er, alinéa 1er" ;
25. Considérant que, selon les députés auteurs de l'une des saisines, ces dispositions méconnaîtraient le droit au secret des affaires et du patrimoine, éléments essentiels du droit au respect de la vie privée ;
26. Considérant que le texte critiqué qui, pour assurer la transparence financière, permet à certaines personnes ayant un intérêt légitime de consulter le compte des valeurs nominatives des sociétés visées à l'article 4 ne méconnaît aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle ;
En ce qui concerne les articles 6 et 28 de la loi :
27. Considérant que l'article 6 de la loi dispose : "La cession ou promesse de cession d'actions ou de parts ayant pour effet d'assurer la détention directe ou indirecte de 20 p 100 au moins du capital social d'une entreprise de presse ou des droits de vote dans cette entreprise doit faire l'objet, dans le délai d'un mois, d'une insertion dans la publication ou les publications éditées par cette entreprise" ;
28. Considérant que l'article 28 de la loi est ainsi conçu : "Le défaut d'insertion dans le délai prescrit à l'article 6 sera puni d'une amende de 6000 F à 40000 F. La même peine sera applicable au directeur de la publication qui aura volontairement omis de procéder à cette insertion" ;
29. Considérant que les députés auteurs d'une des saisines font tout d'abord grief à ces dispositions de ce que les termes "détention directe ou indirecte" employés dans l'article 6 seraient d'une imprécision telle que l'infraction définie à l'article 28 par référence à l'article 6 serait édictée en méconnaissance du principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines ; que cette critique n'est pas fondée ;
30. Considérant que ces mêmes députés font valoir, en second lieu, que l'article 6 ne précise pas à quelle personne - cédant ou cessionnaire - incombe l'obligation d'insertion prescrite par le texte ; qu'ainsi l'infraction visée par la première phrase de l'article 28 est édictée en méconnaissance du principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines puisque la détermination de son auteur est incertaine ;
31. Considérant que cette critique est fondée ; que, par suite, la première phrase de l'article 28 n'est pas conforme à la Constitution ; que la rédaction du texte rend la seconde phrase de l'article 28, qui cependant n'appelle pas en elle-même de critique du point de vue constitutionnel, inséparable de la première ; qu'ainsi l'article 28 dans son ensemble n'est pas conforme à la Constitution ;
En ce qui concerne les articles 8 et 30 :
32. Considérant que l'alinéa 1er de l'article 8 de la loi est ainsi conçu : "Toute personne détenant directement ou indirectement 20 p 100 au moins du capital social ou des droits de vote d'une entreprise de presse ou d'une entreprise en assurant la gérance est tenue de répondre aux demandes de renseignements sur la propriété, le contrôle et le financement de la publication qui lui sont adressées par la commission instituée à l'article 16" ; que l'article 30 punit de peines d'amende les infractions à ces dispositions ;
33. Considérant que les députés auteurs de l'une des saisines soutiennent que ces dispositions sont contraires au secret des affaires et au secret du patrimoine, éléments essentiels du droit au respect de la vie privée ;
34. Considérant que ces dispositions qui se justifient par l'objectif de transparence financière ne méconnaissent aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle, alors d'ailleurs qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 21 "les renseignements ainsi recueillis ne peuvent être utilisés à d'autres fins que l'accomplissement des missions de la commission et leur divulgation est interdite" et que l'article 35 punit de peines d'amende les auteurs de divulgations illicites ; qu'ainsi les articles 8 et 30 de la loi ne sont pas contraires à la Constitution ;
Sur les dispositions du titre II de la loi relatives au pluralisme :
35. Considérant que l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 énonce : "La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi" ;
36. Considérant que le principe ainsi proclamé ne s'oppose point à ce que le législateur, compétent aux termes de l'article 34 de la Constitution pour fixer "les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques", édicte des règles concernant l'exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, écrire et imprimer ;
37. Considérant que, cependant, s'agissant d'une liberté fondamentale, d'autant plus précieuse que son exercice est l'une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et de la souveraineté nationale, la loi ne peut en réglementer l'exercice qu'en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec celui d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle ;
38. Considérant que le pluralisme des quotidiens d'information politique et générale auquel sont consacrées les dispositions du titre II de la loi est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ; qu'en effet la libre communication des pensées et des opinions, garantie par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ne serait pas effective si le public auquel s'adressent ces quotidiens n'était pas à même de disposer d'un nombre suffisant de publications de tendances et de caractères différents ; qu'en définitive l'objectif à réaliser est que les lecteurs qui sont au nombre des destinataires essentiels de la liberté proclamée par l'article 11 de la Déclaration de 1789 soient à même d'exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions ni qu'on puisse en faire l'objet d'un marché ;
39. Considérant que, dans leur principe, la recherche, le maintien et le développement du pluralisme de la presse nationale, régionale, départementale ou locale sont conformes à la Constitution ; qu'il convient d'examiner si les modalités de mise en oeuvre de ce principe le sont également ;
En ce qui concerne les articles 10, 11, 12 :
40. Considérant que l'article 10 de la loi est ainsi conçu : "Une personne peut posséder ou contrôler plusieurs quotidiens nationaux d'information politique et générale si le total de leur diffusion n'excède pas 15 p 100 de la diffusion de tous les quotidiens nationaux de même nature. - Est considéré comme national un quotidien, toutes éditions confondues, qui réalise 20 p 100 au moins de sa diffusion en dehors de ses trois principales régions de diffusion ou qui consacre de manière régulière plus de la moitié de sa surface rédactionnelle à l'information nationale et internationale" ; que l'article 11 dispose : "Une personne peut posséder ou contrôler plusieurs quotidiens régionaux, départementaux ou locaux d'information politique et générale, si le total de leur diffusion n'excède pas 15 p 100 de la diffusion de tous les quotidiens régionaux, départementaux ou locaux de même nature" ; que l'article 12 est ainsi conçu : "Une personne peut posséder ou contrôler un ou plusieurs quotidiens régionaux, départementaux ou locaux d'information politique et générale et un ou plusieurs quotidiens nationaux de même nature si la ou les diffusions de ces quotidiens n'excèdent pas : 1° pour les quotidiens nationaux, 10 p 100 du total de la diffusion de tous les quotidiens nationaux de même nature ; 2° pour les quotidiens régionaux, départementaux ou locaux, 10 p 100 du total de la diffusion de tous les quotidiens régionaux, départementaux ou locaux de même nature" ;
41. Considérant que, prises isolément ces dispositions seraient évidemment inconstitutionnelles ; qu'en effet elles imposeraient à tout moment aux personnes possédant ou contrôlant les quotidiens visés le respect de plafonds dont le dépassement peut dépendre du succès auprès du public desdits quotidiens ou des mécomptes des quotidiens concurrents ; qu'elles porteraient ainsi à la liberté de ces personnes et, plus, encore, à la liberté des lecteurs, une atteinte directement contraire à l'article 11 de la Déclaration de 1789 ;
42. Considérant cependant que l'article 13 de la loi dispose : "Les plafonds de 15 p 100 fixés aux articles 10 et 11 et ceux de 10 p 100 fixés à l'article 12 s'apprécient sur une même période constituée par les douze derniers mois connus précédant l'acquisition ou la prise de contrôle. - Pour les situations existant au moment de la publication de la présente loi, ces plafonds s'apprécient sur une même période constituée par les douze derniers mois connus précédant la publication de la présente loi" ;
43. Considérant que les articles 10, 11 et 12 de la loi ne sauraient être lus que compte tenu des termes de l'article 13 précité qui limitent l'application des plafonds énoncés aux articles 10, 11 et 12 à deux hypothèses seulement : d'une part, en cas de dépassement au moment de la publication de la loi et, d'autre part, pour l'avenir, aux cas de dépassement provenant exclusivement d'acquisitions ou de prises de contrôle ; que la loi elle-même exclut le jeu des plafonds au cas de création de nouveaux quotidiens ou au cas de développement de la diffusion dû à d'autres causes que des opérations d'acquisition ou de prise de contrôle ; que, donc, la liberté de création et de développement naturel des quotidiens n'est en rien atteinte ni le libre choix des lecteurs ;
44. Considérant que cette interprétation d'ailleurs conforme aux travaux préparatoires doit prévaloir ; qu'en conséquence toute autre interprétation qui conduirait à faire application des dispositions des articles 10, 11 et 12 de la loi en dehors du cadre tracé par l'article 13 serait contraire à la Constitution ;
En ce qui concerne l'article 13 :
45. Considérant que l'article 13 définit, comme il vient d'être dit, le champ d'application de la loi dans le temps et comporte deux séries de dispositions, les unes portées à l'alinéa 2 relatives aux situations existant au moment de la publication de la loi, les autres, portées à l'alinéa 1er relatives aux situations réalisées postérieurement à la publication de la loi ;
Quant au deuxième alinéa de l'article 13 :
Sans qu'il soit besoin de statuer sur d'autres moyens ;
46. Considérant que l'effet des dispositions de l'alinéa 2 de l'article 13 serait d'obliger des entreprises de presse à se conformer au respect des plafonds définis par les articles 10, 11 et 12, alors que la situation existante de ces entreprises s'est constituée sous l'empire d'une législation ne comportant pas de tels plafonds ;
47. Considérant que, s'il est loisible au législateur, lorsqu'il organise l'exercice d'une liberté publique en usant des pouvoirs que lui confère l'article 34 de la Constitution, d'adopter pour l'avenir, s'il l'estime nécessaire, des règles plus rigoureuses que celles qui étaient auparavant en vigueur, il ne peut, s'agissant de situations existantes intéressant une liberté publique, les remettre en cause que dans deux hypothèses : celle où ces situations auraient été illégalement acquises ; celle où leur remise en cause serait réellement nécessaire pour assurer la réalisation de l'objectif constitutionnel poursuivi ;
48. Considérant, d'une part, que l'alinéa 2 de l'article 13 ne fait aucune référence au caractère licite ou illicite des conditions de création des situations existant au moment de la publication de la loi, pas plus qu'aux décisions, même éventuelles, des tribunaux, seuls compétents en la matière, pour apprécier ce caractère ;
49. Considérant d'autre part, en ce qui concerne les quotidiens nationaux, qu'il ne peut être valablement soutenu que le nombre, la variété de caractères et de tendances, les conditions de diffusion de ces quotidiens méconnaîtraient actuellement l'exigence de pluralisme de façon tellement grave qu'il serait nécessaire, pour restaurer celui-ci, de remettre en cause les situations existantes, notamment en procédant à des transferts ou à des suppressions de titres éventuellement contre le gré des lecteurs ;
50. Considérant, dès lors, que les dispositions de l'alinéa 2 de l'article 13 qui tendent de façon indivisible à l'application des plafonds des articles 10, 11 et 12 aux situations existant lors de la publication de la loi ne se justifient ni par une référence à l'illégalité de ces situations ni par la nécessité de restaurer un pluralisme effectif qui aurait déjà disparu et ne sont donc pas conformes à la Constitution ;

Quant au premier alinéa de l'article 13 :
51. Considérant que, selon l'interprétation ci-dessus exposée, qui est la condition impérative de la constitutionnalité des articles 10, 11 et 12, l'alinéa 1er de l'article 13 de la loi soumise au Conseil constitutionnel tend à interdire que soient dépassés les plafonds définis aux articles 10, 11 et 12 lorsque ce dépassement serait le résultat d'opérations d'acquisitions ou de prises de contrôle postérieures à la publication de la loi, sans que ces plafonds puissent s'appliquer en quoi que ce soit aux situations résultant de la création de nouveaux quotidiens ou du développement de la clientèle des quotidiens existants et, compte tenu de la déclaration de non-conformité à la Constitution concernant l'alinéa 2 de l'article 13, sans que soient remises en cause les situations existant lors de la publication de la loi ;
52. Considérant que, dans l'acception ainsi strictement définie, les dispositions de l'alinéa 1er de l'article 13 ne sont contraires ni à l'article 11 de la Déclaration de 1789, ni à aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle concernant la liberté définie par ce texte ; qu'elles n'empêchent ni la création de nouveaux quotidiens ni le développement des quotidiens existants lors même qu'il en résulterait un dépassement des plafonds fixés par les articles 10, 11 et 12 ; qu'elles ne font application de ces plafonds qu'au cas où leur dépassement résulterait de pures transactions financières de nature à desservir le pluralisme dont le maintien et le développement sont nécessaires à l'exercice effectif de la liberté proclamée par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; qu'ainsi, les critiques adressées à ces dispositions par les auteurs des saisines sur le fondement dudit article 11 ne sont pas justifiées ;
53. Considérant que ceux-ci ne sauraient davantage soutenir que ces dispositions méconnaissent la liberté d'entreprendre alors qu'elles ne limitent en rien la création de nouveaux quotidiens ou l'expansion de la clientèle des quotidiens existants ;
54. Considérant que, si l'interdiction de certaines opérations financières ayant pour effet le dépassement des plafonds fixés par les articles 10, 11 et 12, limite les conditions de l'exercice du droit de propriété des personnes qui seraient à même d'entreprendre de telles opérations, cette limitation qui ne s'accompagne d'aucune privation du droit de propriété ni d'aucune interdiction de ses autres modes d'exercice et qui se fonde sur la nécessité de préserver le pluralisme de la presse, ne constitue pas, contrairement à ce que soutiennent les auteurs des saisines, une méconnaissance des dispositions de l'article 17 de la Déclaration de 1789 ;
55. Considérant que, si effectivement, les plafonds de 15 p 100 concernant d'une part les quotidiens nationaux et d'autre part les autres quotidiens sont beaucoup moins protecteurs du pluralisme pour ces derniers que pour les premiers, cette différence de rigueur entre deux catégories de publication de caractère différent ne saurait être regardée comme enfreignant le principe d'égalité ;
Quant à l'ensemble de l'article 13
56. Considérant qu'il ressort de ce qui précède que l'alinéa 2 de l'article 13 de la loi n'est pas conforme à la Constitution ; que l'alinéa 1er, en revanche, n'est pas contraire à la Constitution en tant qu'il ne concerne que les acquisitions ou les prises de contrôle postérieures à la publication de la loi ; que, si l'alinéa 1er peut être regardé comme séparable de l'alinéa 2 et donc échapper à une déclaration de non-conformité à la Constitution, ce n'est qu'à la condition impérative que l'article 13 ainsi privé de son alinéa 2 soit entendu comme n'ayant aucune possibilité d'application aux acquisitions ou prises de contrôle antérieures à la publication de la loi ;
En ce qui concerne les articles 14 et 33 :
57. Considérant que l'article 14 de la loi dispose : "Toute publication quotidienne d'information politique et générale est tenue dans le délai d'un an à compter, soit de la publication de la loi pour les publications existantes, soit de leur création pour les autres, de comporter sa propre équipe rédactionnelle permanente composée de journalistes professionnels au sens de l'article L 761-2 du code du travail. - L'équipe rédactionnelle doit être suffisante pour garantir l'autonomie de conception de cette publication" ; que l'article 33 de la loi est ainsi conçu : "Tout dirigeant de droit ou de fait qui se sera soustrait à l'une des obligations visées à l'article 14 sera puni d'une amende de 100000 F à 500000 F." ;
58. Considérant que les sénateurs auteurs de l'une des saisines font valoir, à l'encontre de ce texte, qu'en réservant à des journalistes titulaires de la carte professionnelle le droit de faire partie d'une équipe rédactionnelle l'article 14 institue un monopole contraire à la liberté de la presse garantie par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que les députés auteurs de l'autre saisine soutiennent que cette disposition interdit, en violation de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme, à quiconque n'est pas journaliste professionnel de publier un quotidien et d'en assurer la rédaction et qu'en outre l'article 33 de la loi qui sanctionne pénalement la violation des obligations prévues de façon imprécise par l'article 14 méconnaît le principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines ;
59. Considérant que, en vue d'assurer les objectifs de transparence et de pluralisme, il était loisible au législateur d'exiger que chacune des publications visées à l'article 14 possède une "autonomie de conception" et ne soit pas, sous couvert d'un titre différent propre à abuser le lecteur, le décalque d'une autre publication ;
60. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-2 du code du travail auquel l'article 14 fait référence : "Le journaliste professionnel est celui qui a pour occupation principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs publications quotidiennes ou périodiques ou dans une ou plusieurs agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources." ;
61. Considérant qu'il suit de là que les dispositions de l'article 14 n'exigent point que l'équipe rédactionnelle soit composée de journalistes ayant au moment de leur embauche la possession de la carte professionnelle ; que cet article ne confère aucun monopole à quiconque, l'accès à la profession de journaliste étant libre, et exige simplement que l'équipe rédactionnelle soit composée de personnes exerçant réellement les fonctions qui leur sont attribuées ; que ces dispositions ne sont pas contraires à l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
62. Considérant d'autre part que la nature, la mission et la composition de l'"équipe rédactionnelle permanente" sont définies par l'alinéa 2 de l'article 14 avec une précision suffisante pour satisfaire au principe de la légalité des délits et des peines ;
63. Considérant dès lors que les articles 14 et 33 de la loi ne sont pas contraires à la Constitution ;
En ce qui concerne l'article 15 :
64. Considérant que l'article 15 de la loi dispose : "Toute personne qui cède ou acquiert la propriété ou le contrôle d'une entreprise de presse éditant ou exploitant un quotidien d'information politique et générale doit, avant que l'opération soit réalisée, en faire la déclaration à la commission instituée par l'article 16. - Dans un délai de trois mois à compter de la date de la déclaration, la commission, si elle estime que l'opération envisagée est de nature à porter atteinte au pluralisme de la presse au sens des articles 10 à 14 de la présente loi, et après avoir entendu les personnes intéressées, les en avertit. Si cette opération est néanmoins réalisée, il est fait application des articles 19 et 20" ;
65. Considérant que les sénateurs auteurs de l'une des saisines font valoir que ces dispositions instituent un régime d'autorisation préalable contraire à la liberté proclamée par l'article 11 de la Déclaration de 1789 ;
66. Considérant qu'en tant que l'article 15 prévoit une déclaration destinée à informer la commission et permet à celle-ci d'avertir les intéressés de ce qu'elle les estime en infraction avec les dispositions des articles 10 à 14 de la loi, il n'institue pas un régime d'autorisation préalable qui serait contraire à l'article 11 de la Déclaration de 1789 ;
67. Considérant cependant que, compte tenu de la déclaration de non-conformité à la Constitution des articles 19 et 20 de la loi qui sera prononcée plus loin, la dernière phrase dudit article 15 ne saurait être maintenue ;
68. Considérant, dès lors, que doit être déclarée non conforme à la Constitution la dernière phrase de l'article 15 ainsi conçue : "Si cette opération est néanmoins réalisée, il est fait application des articles 19 et 20." ;
Sur les dispositions du titre III de la loi relatives à la commission pour la transparence et le pluralisme de la presse :
69. Considérant que le titre III de la loi, dans ses articles 16 à 25, institue une commission pour la transparence et le pluralisme de la presse, définit ses attributions et règle les procédures selon lesquelles elles les exerce ;
En ce qui concerne l'article 16 :
70. Considérant que les députés auteurs de l'une des saisines soutiennent que l'institution d'une commission que l'article 16 qualifie d'"autorité administrative indépendante" est contraire au principe de séparation des pouvoirs du fait que les attributions de la commission empiéteraient sur le domaine réservé à l'autorité judiciaire ;
71. Considérant que ce grief concerne en réalité les pouvoirs de la commission et sera examiné plus loin ;
En ce qui concerne l'article 18 :
72. Considérant que l'article 18 détermine les conditions dans lesquelles la commission peut être saisie de demandes tendant à l'application des articles 19 et 20 de la loi ou peut se saisir d'office ainsi que la procédure d'examen des demandes ;
73. Considérant que la déclaration de non-conformité à la Constitution des articles 19 et 20 de la loi qui sera prononcée plus loin entraîne la non-conformité à la Constitution de l'article 18 ;
En ce qui concerne les articles 19 et 20 :
74. Considérant que l'article 19 de la loi dispose : "Lorsque la commission décide d'engager la procédure définie au présent article, elle en informe les personnes intéressées qui ont droit de prendre connaissance de leur dossier avant de présenter leurs observations. - Si la commission constate une violation des articles 10 à 14, elle met en demeure les personnes intéressées de respecter ces dispositions. A cette fin elle prescrit les mesures nécessaires. - La décision par laquelle la commission constate la violation doit intervenir dans un délai de trois mois à compter de l'engagement de la procédure. Ce délai peut être prorogé pour une durée égale par une décision expresse." ;
75. Considérant que l'article 20 est ainsi conçu : "La commission fixe un délai aux intéressés pour se conformer à sa mise en demeure ou pour exécuter les mesures prescrites en application de l'article 19 ci-dessus. Ce délai ne peut être inférieur à quatre mois et ne peut excéder six mois. - Si, à l'expiration de ce délai, la commission constate que sa décision n'a pas été exécutée, elle informe le ministère public et lui transmet le dossier. - Cette constatation entraîne, pour la ou les publications quotidiennes d'information politique et générale dont la possession ou la prise de contrôle a pour effet le dépassement des plafonds fixés par les articles 10 à 12 de la présente loi et jusqu'au rétablissement des conditions du pluralisme, la privation des avantages résultant des dispositions des articles 298 septies du code général des impôts et D. 18 à D. 19-3 du code des postes et télécommunications. - La commission informe la commission paritaire des publications et agences de presse et les administrations concernées." ;
76. Considérant que les auteurs de l'une et de l'autre saisines soutiennent que ces dispositions confèrent à la commission des pouvoirs de nature juridictionnelle en méconnaissance du principe de la séparation des pouvoirs et de l'article 66 de la Constitution ;
77. Considérant, d'une part, que l'article 66 de la Constitution est ainsi conçu : "Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi" ; qu'aucune des dispositions des articles 19 et 20 ne met en cause la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution ;
78. Considérant, d'autre part, que dans la mesure où la procédure prévue par les articles 19 et 20 tend à l'instruction préalable d'un dossier par la voie administrative, elle ne saurait être regardée comme contraire à la Constitution ;
79. Considérant en revanche, et sans qu'il soit besoin de statuer sur d'autres moyens, que l'alinéa 2 de l'article 19 permet à la commission, sans pour autant l'autoriser à rechercher si le pluralisme est effectivement menacé, d'adresser aux personnes intéressées des mises en demeure et de prescrire les mesures nécessaires ; que, selon les termes mêmes employés par le législateur, il ne s'agit pas de simples invitations à se conformer à la loi, mais de décisions exécutoires émanant d'une autorité administrative qui trouvent d'ailleurs une sanction dans les deux derniers alinéas de l'article 20 ;
80. Considérant qu'en effet ces deux derniers alinéas, lorsque la décision de la commission n'a pas été exécutée dans le délai que celle-ci a fixé, sanctionnent la résistance des intéressés par la privation pour les publications en cause d'avantages fiscaux et postaux ; que cette privation, dont les conséquences peuvent être très graves, suit immédiatement et automatiquement la constatation par la commission que sa décision n'a pas été exécutée et produit effet avant même que le ministère public ait pu commencer l'instruction du dossier qui lui est transmis ;
81. Considérant que l'ensemble de ces dispositions, dont les autres dispositions des articles 19 et 20 ne sont pas séparables, produit des effets équivalant à ceux d'un régime d'autorisation préalable ; qu'elles sont, de ce chef, contraires à l'article 11 de la Déclaration de 1789 ; qu'à supposer même qu'elles aient pour objet de réprimer des "abus" au sens dudit article 11, cette répression ne saurait être confiée à une autorité administrative ;
82. Considérant, dès lors, que les articles 19 et 20 doivent être déclarés non conformes à la Constitution ;
En ce qui concerne l'article 21 :
83. Considérant que l'article 21 est relatif aux renseignements que, pour l'accomplissement de ses missions, la commission peut recueillir ou exiger ; que les auteurs des saisines soutiennent que cet article est contraire aux dispositions de l'article 4 de la Constitution garantissant la libre formation des partis politiques et le libre exercice de leur activité ; que ce grief a déjà été examiné et écarté à propos de l'article 2 de la loi ;
84. Considérant que les députés auteurs de l'une des saisines font en outre valoir qu'il "ressort des travaux préparatoires que le législateur n'a pas entendu interdire à ladite commission d'exploiter des renseignements qui auraient été obtenus par l'administration au moyen des procédures prévues par les ordonnances du 30 juin 1945 relatives aux prix dont l'inconstitutionnalité a été reconnue dans la décision (du Conseil constitutionnel) du 29 décembre 1983" ;
85. Considérant que, ni dans sa décision du 29 décembre 1983, ni dans toute autre décision, le Conseil constitutionnel n'a eu à connaître de la conformité à la Constitution des ordonnances du 30 juin 1945 ; qu'ainsi le moyen manque en fait ;
86. Considérant cependant que la mention, à la fin de la dernière phrase de l'alinéa 1er de l'article 21, des articles 19 et 20 est sans objet, compte tenu de la non-conformité à la Constitution de ces articles ; que, par suite, il y a lieu de retrancher les mots "19 et 20" de l'article 21 ;
En ce qui concerne l'article 22 :
87. Considérant que l'article 22 de la loi est ainsi conçu : "La commission fait appel pour les vérifications qu'elle requiert à ses rapporteurs et aux inspecteurs de la direction générale de la concurrence et de la consommation qui sont mis à sa disposition à sa demande et qu'elle mandate à cet effet. Ils sont astreints au secret professionnel. - Ces agents peuvent demander aux entreprises et personnes concernées communication de tout document utile à l'accomplissement de leur mission. - Sur la demande de la commission, ils peuvent procéder à des visites d'entreprises qui doivent être commencées après six heures et avant vingt et une heures et se dérouler en présence d'un responsable de l'entreprise ou, à défaut, de deux témoins requis à cet effet. Un procès-verbal des opérations réalisées est établi sur-le-champ. - Une visite d'entreprise ne peut avoir lieu que sous le contrôle de l'autorité judiciaire. Elle doit être autorisée spécialement par ordonnance du président du tribunal de grande instance ou d'un magistrat qu'il a désigné pour le suppléer. Le magistrat procède à cette autorisation après avoir entendu l'agent intéressé et après avoir contrôlé la nature des vérifications requises par la commission et leur adaptation aux objectifs de transparence et de pluralisme de la presse au sens de la présente loi. Un officier de police judiciaire assiste à la visite et le magistrat ayant accordé l'autorisation peut, à tout moment, mettre fin à la visite en cours." ;
88. Considérant que les sénateurs auteurs de l'une des saisines font valoir que, par les atteintes qu'il porte à la liberté individuelle, l'article 22 précité méconnaît les exigences de l'article 66 de la Constitution, notamment en ce que, si l'intervention de l'autorité judiciaire pour autoriser les visites d'entreprises est requise, les conditions de cette autorisation sont définies en termes trop généraux pour satisfaire aux exigences de l'article 66 ;
89. Considérant que le magistrat qui, aux termes de l'article 22 présentement examiné, peut donner l'autorisation de procéder à la visite d'entreprise ne peut le faire que par une ordonnance spécialement rendue, doit contrôler la nature des vérifications requises et leur adaptation aux objectifs de transparence et de pluralisme de la presse ; que la visite se déroule en présence d'un officier de police judiciaire ; que le magistrat peut à tout moment mettre fin à la visite d'entreprise, ce qui implique qu'il en garde le contrôle ; qu'ainsi il est satisfait aux exigences de l'article 66 de la Constitution ;
90. Considérant, dès lors, que l'article 22 de la loi n'est pas contraire à la Constitution ;
En ce qui concerne l'article 23 :
91. Considérant que l'alinéa 2 de l'article 23 dispose : "Les décisions prises par la commission en application des articles 19 et 20 sont motivées et publiées au Journal officiel de la République française ainsi que dans la ou les publications concernées." ;
92. Considérant que les articles 19 et 20 ayant été déclarés non conformes à la Constitution, l'alinéa 2 précité de l'article 23 de la loi qui est inséparable de ces articles doit être également déclaré non conforme à la Constitution ;
Sur le titre IV de la loi relatif aux sanctions pénales :
93. Considérant que, lors de l'examen ci-dessus opéré des dispositions relatives à la transparence et aux sanctions pénales destinées à en assurer le respect, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution les articles 26, 27 et 30 de la loi et a déclaré l'article 28 non conforme à la Constitution ;
94. Considérant que les articles 29 et 31 ne font pas l'objet de la part des auteurs des saisines de griefs propres et que leurs dispositions sont conformes à la Constitution ;
En ce qui concerne l'article 32 :
95. Considérant que l'article 32 dispose : "Quiconque, pour son compte ou le compte d'autrui, aura acquis la propriété ou le contrôle d'une publication nationale, régionale, départementale ou locale, en violation des dispositions des articles 10, 11 ou 12, sera puni d'une amende de 100000 F à 1000000 F." ;
96. Considérant que les députés auteurs de l'une des saisines soutiennent que ces dispositions, en raison de l'imprécision des termes "départementale" et "locale", méconnaissent le principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines ;
97. Considérant que les articles 10 et 11 de la loi distinguent deux catégories de quotidiens d'information politique et générale, d'une part l'ensemble des quotidiens nationaux dont la définition est donnée par l'alinéa 2 de l'article 10, d'autre part l'ensemble des autres quotidiens soit régionaux, soit départementaux, soit locaux ; que la division entre ces deux catégories est opérée de façon suffisamment nette par lesdits articles ; qu'en revanche au regard de l'infraction visée par l'article 32, la sous-distinction entre presse régionale, presse départementale et presse locale est sans portée ; que dès lors l'article 32 n'est pas contraire au principe de la légalité des délits et des peines ;
98. Mais Considérant que l'application de l'article 32 ne peut se faire que compte tenu de l'interprétation donnée plus haut des articles 10, 11 et 12 de la loi ainsi que de l'article 13 tel qu'il subsiste après la déclaration de non-conformité à la Constitution de son alinéa 2 ; qu'ainsi l'article 32 ne saurait sanctionner ni les dépassements de plafonds résultant de situations acquises avant la publication de la loi ni, après la publication de la loi, de dépassements de plafonds résultant d'autres causes que l'acquisition ou la prise de contrôle d'une ou plusieurs publications ; que toute autre interprétation de l'article 32 serait contraire à la Constitution ;
Sur les dispositions diverses du titre V de la loi :
En ce qui concerne l'article 39 :
99. Considérant que l'article 39 dispose : "Le délai fixé par la commission, en application de l'article 20, ne peut, en ce qui concerne les situations existant à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, expirer avant le premier jour du vingt-cinquième mois suivant cette date" ;
100. Considérant que l'article 13, alinéa 2, qui tendait à faire application des articles 10, 11 et 12 aux situations existantes à la date d'entrée en vigueur de la loi étant déclaré non conforme à la Constitution, ainsi que l'article 20, l'article 39 relatif à la mise en œuvre de ces textes et qui ne peut en être dissocié doit également être déclaré non conforme à la Constitution ;
En ce qui concerne l'article 40 :
101. Considérant que l'article 40 est ainsi conçu : "Les articles 1er, 3, 4, 5, 6, 9, 11, 16, 17, 18, 19, 20 (alinéas 2, 3 et 4) et 21 de l'ordonnance du 26 août 1944 sur l'organisation de la presse française sont abrogés. - Dans le premier alinéa de l'article 20 de cette ordonnance, les références aux articles abrogés sont supprimées." ;
102. Considérant qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de déterminer dans quelle mesure le législateur aurait entendu prononcer de telles abrogations au vu des déclarations de non-conformité à la Constitution de certaines dispositions de la loi présentement examinée ; qu'ainsi les dispositions de l'article 40 doivent être regardées comme inséparables des dispositions déclarées contraires à la Constitution ;
Sur les autres dispositions de la loi :
103. Considérant qu'en l'espèce il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen,

Décide :
Article premier - Sont déclarées non conformes à la Constitution les dispositions suivantes de la loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse :
Le deuxième alinéa de l'article 13 ;
La dernière phrase de l'article 15 ainsi conçue : "Si cette opération est néanmoins réalisée, il est fait application des articles 19 et 20" ;
Les articles 18, 19 et 20 ;
Dans l'article 21, premier alinéa, in fine, les mots "19 et 20" ;
Le deuxième alinéa de l'article 23 ;
L'article 28 ;
L'article 39 ;
L'article 40.
Article 2 :
Sous les strictes réserves d'interprétation énoncées plus haut, les autres articles de la loi ne sont pas contraires à la Constitution.
Article 3 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.


Synthèse
Numéro de décision : 84-181
Date de la décision : 11/10/1984
Loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse
Sens de l'arrêt : Non conformité partielle
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Saisine

II : SAISINE DEPUTES

Monsieur le président, Messieurs les conseillers,

Les députés soussignés, conformément à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, défèrent au Conseil constitutionnel la loi tendant à garantir la liberté de la presse et son pluralisme, à assurer la transparence financière des entreprises de presse et à favoriser leur développement, définitivement votée par l'Assemblée nationale le 12 septembre 1984.

Ils concluent qu'il plaise au Conseil constitutionnel de dire non conforme à la Constitution l'ensemble de la loi en raison des moyens ci-dessous développés.

1 Sur la violation des règles de la procédure législative.

Le Conseil constitutionnel est compétent pour examiner la conformité de la procédure d'élaboration de la loi aux règles constitutionnelles (Conseil constitutionnel, 30 décembre 1982, n° 82-155 DC).

En l'espèce, la procédure adoptée méconnaît l'ensemble des dispositions relatives à la rédaction et au dépôt du rapport de la commission saisie au fond.

1° Violation des articles 43 et 44 de la Constitution.

L'article 43 dispose que les projets de loi pour lesquels une demande de désignation de commission spéciale n'a pas été faite sont envoyés à l'une des commissions permanentes.

L'article 44, alinéa 2, prévoit qu'après l'ouverture du débat le Gouvernement peut s'opposer à l'examen de tout amendement qui n'a pas été antérieurement soumis à la commission.

La combinaison de ces deux dispositions implique nécessairement que soit présenté à l'Assemblée avant l'ouverture du débat un rapport complet qui exprime l'état définitif de la position de la commission et les amendements qu'elle a retenus.

Or il ressort du rapport présenté au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale par M Queyranne (Journal officiel, Doc Ass nat n° 1885, p 3 et suivantes) qu'en première lecture devant l'Assemblée nationale, avant l'ouverture du débat de séance publique, la commission n'était pas en mesure de présenter ses conclusions lors de l'examen du projet en première lecture.

La même carence s'est produite lorsque l'Assemblée nationale a examiné en séance publique le projet modifié par le Sénat (Journal officiel, Doc Ass nat n° 2194).

La violation des articles précités est donc patente ;

2° Violation des articles 86, 90 et 91 du règlement de l'Assemblée nationale pris pour l'application des articles 43 et 44 de la Constitution.

Pour assurer la mise en oeuvre des articles 43 et 44 de la Constitution, l'article 90 du règlement de l'Assemblée nationale précise qu'aucun texte ne peut être mis en discussion sans qu'il ait fait au préalable l'objet d'un rapport de la commission compétente.

Aussi l'article 91 dudit règlement prévoit-il que la discussion des projets s'engage par la présentation du rapport de la commission saisie au fond tandis que l'article 86, alinéa 2, impose que les rapports faits sur des textes transmis par le Sénat concluent à l'adoption au rejet ou à des amendements.

Il ressort des documents précités qu'aucune de ces obligations n'a été respectée.

La loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel a donc été votée selon une procédure non conforme aux règles constitutionnelles.

2 Sur l'inconstitutionnalité de l'ensemble de la loi pour violation de la liberté de la presse.

Dès l'origine de nos constitutions écrites, la liberté de la presse fut rattachée à la liberté d'opinion au nombre des droits naturels et imprescriptibles de l'homme.

A cet égard, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 lie indissolublement liberté d'opinion et de discussion et liberté de la presse.

"Art 10 : Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi.

Art 11 : La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire et imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi." La signification de ce principe est éclairée par le titre Ier (par 2) de la Constitution du 3 septembre 1791 : "La Constitution garantit pareillement, comme droits naturels et civils la liberté à tout homme de parler, d'écrire, d'imprimer et publier ses pensées sans que les écrits puissent être soumis à aucune censure ni inspection avant leur publication." Ainsi se trouvent dégagés les deux éléments fondamentaux de la liberté de la presse : liberté d'imprimer et liberté de publier et de diffuser les écrits imprimés, qui impliquent que l'Etat ne puisse intervenir par voie d'autorisation préalable et par toute autre mesure préventive. Seule est admise la voie législative répressive dans les conditions générales prévues par les articles 4, 5, 6, 7, 8 et 9 de la Déclaration.

Si la liberté de la presse n'a jamais été théoriquement contestée depuis 1789, de nombreuses dispositions législatives et réglementaires viendront la remettre en cause.

C'est la loi du 29 juillet 1881 qui mettra définitivement en harmonie le régime de la presse et les principes constitutionnels.

Cette véritable charte de la presse libre procède très directement de l'article 11 de la Déclaration de 1789 : "Art 1er : L'imprimerie et la librairie sont libres." "Art 5 : Tout journal ou écrit périodique peut être publié sans autorisation préalable et sans dépôt de cautionnement." En France, depuis 1881, aucune disposition de valeur constitutionnelle n'a remis en cause ces principes.

C'est pourquoi, dans le droit constitutionnel positif français, la liberté de la presse se traduit par un certain nombre de règles qui s'imposent au législateur.

Il s'agit d'abord de l'article 11 précité de la Déclaration de 1789 ; le Conseil constitutionnel en a déjà reconnu la valeur normative (CC n° 82-141 DC du 27 juillet 1982 sur la loi sur la communication audiovisuelle, Journal officiel du 29 juillet 1982, p 2422).

La loi du 29 juillet 1881, qui a traduit définitivement les dispositions de l'article 11 précité dans un ensemble législatif est unanimement reconnue comme l'une des grandes lois de la IIIe République et tous les commentateurs de la jurisprudence constitutionnelle s'accordent pour ranger la liberté de la presse proclamée par la loi de 1881 comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République (J Rivero, Les Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République : une nouvelle catégorie constitutionnelle, D 1972, ch p 265 ; F Luchaire, Le Conseil constitutionnel et la protection des droits et libertés du citoyen, Mélanges Waline, 1974, tome II, p 563 et s).

Dans ce principe fondamental sont incluses un certain nombre de règles dont celles exprimées dans les articles 1er et 5 de la loi du 29 juillet 1881.

Mais il faut ajouter une autre règle qui est le corollaire de celles qui précèdent. Toute liberté, ainsi la liberté d'association (CC 16 juillet 1971), implique que ses conditions d'exercice ne peuvent être soumises pour leur validité à l'intervention préalable de l'autorité administrative ou même de l'autorité judiciaire.

Il ressort de la combinaison des articles 1er et 5 précités de la loi du 29 juillet 1881 que chacun a la liberté d'imprimer autant de publications qu'il le veut et de publier autant de journaux ou périodiques qu'il le souhaite. L'absence d'autorisation préalable implique nécessairement la possibilité pour une personne, une entreprise, de publier un seul journal, mais aussi de créer un nombre illimité de titres.

La liberté a ici une signification aussi bien qualitative que quantitative.

Or la loi votée apporte à ces principes des restrictions très importantes qui en constituent la négation puisque l'article 10 prévoit qu'une personne peut posséder ou contrôler plusieurs quotidiens nationaux d'information politique et générale si le total de leur diffusion n'excède pas 15 p 100 de la diffusion de tous les quotidiens nationaux de même nature ; l'article 11 dispose qu'une personne peut posséder ou contrôler plusieurs quotidiens régionaux, départementaux ou locaux d'information politique et générale si le total de leur diffusion n'excède pas 15 p 100 de la diffusion de tous les quotidiens régionaux, départementaux ou locaux de même nature.

Enfin, l'article 12 limite la possession ou le contrôle de plusieurs quotidiens régionaux, départementaux ou locaux d'information politique et générale et de plusieurs quotidiens nationaux de même nature : "Une personne peut posséder ou contrôler un ou plusieurs quotidiens régionaux, départementaux ou locaux d'information politique et générale et un ou plusieurs quotidiens nationaux de même nature, si la ou les diffusions de ces quotidiens n'excèdent pas : 1° Pour les quotidiens nationaux, 10 p 100 du total de la diffusion de tous les quotidiens nationaux de même nature ;

2° Pour les quotidiens régionaux, départementaux ou locaux, 10 p 100 du total de la diffusion de tous les quotidiens régionaux, départementaux ou locaux de même nature." L'effet de ces dispositions est simple : au-delà des seuils posés par la loi, la personne considérée ne pourra plus créer de nouveaux titres ou devra se séparer de ceux qu'elle détenait hors quotas.

Il y a donc limitation directe de la liberté de créer ou de conserver un journal garantie par les articles 1er et 5 de la loi du 29 juillet 1881.

De ce chef, les articles 10, 11 et 12 de la loi sont entachés d'inconstitutionnalité.

Mais il y a plus. Comme cela a été démontré précédemment, la liberté de la presse exige que son exercice ne soit troublé par aucune intervention judiciaire ou administrative de nature préventive tendant à contrôler la validité des opérations accomplies. Or, la procédure d'intervention de la commission pour la transparence et le pluralisme dans la presse prévue à l'article 14 est en contradiction très directe avec cette obligation constitutionnelle d'abstention des pouvoirs publics.

Il est en effet prévu que toute personne qui cède ou acquiert la propriété ou le contrôle d'une entreprise de presse existante doit, avant l'opération, en faire la déclaration à la commission.

On rappellera qu'un tel transfert n'est pas un simple transfert d'entreprise, mais aussi un transfert de publications puisqu'aux termes de l'article 2 l'entreprise de presse se définit par l'édition ou l'exploitation d'une ou de plusieurs publications.

Il s'agit donc bien de la mise en jeu pour une personne de la liberté de publier garantie par l'article 5 de la loi de 1881.

La procédure se déroule alors selon le schéma suivant : la commission disposant d'un délai de trois mois pour statuer sur la déclaration apprécie si l'opération envisagée est contraire aux dispositions des articles 10 à 13. Si les personnes intéressées réalisent une opération prohibée, la commission engage la procédure au terme de laquelle celles-ci sont mises en demeure de respecter les articles 10 à 13 et prescrit les "mesures nécessaires" qui, en cas de non-exécution, donneront lieu à la transmission du dossier au ministère public.

La publication d'un journal à la suite d'un rachat ou d'un transfert de contrôle d'une entreprise de presse est donc bien soumise à autorisation préalable en violation des termes mêmes de l'article 5 de la loi du 29 juillet 1881. Car il ne s'agit pas d'une simple déclaration conçue comme une mesure de publicité, mais d'une procédure déclenchant un contrôle préalable de la validité de l'opération au regard des prescriptions des articles 10 à 13.

Il y a reproduction exacte du dispositif procédural qui, appliqué aux associations afin de faire constater l'illicéité de leur objet, a été reconnu inconstitutionnel par la décision du 16 juillet 1971 précitée.

La liberté de la presse doit être traitée comme la liberté d'association. L'édition d'une publication, comme la constitution d'une association, "ne peut être soumise pour sa validité à l'intervention préalable de l'autorité administrative ou même de l'autorité judiciaire".

Ainsi, tant par ses dispositions de fonds relatives au pluralisme et par la procédure qu'elle organise pour en contrôler l'application, la loi se trouve conçue en contradiction radicale avec les principes qui définissent la liberté de la presse.

Les dispositions dont l'inconstitutionnalité a été démontrée formant l'essentiel du dispositif législatif, la loi ne pourra qu'être déclarée inconstitutionnelle dans son ensemble.

3 Sur la violation de la liberté d'écrire et d'imprimer.

L'article 11 de la Déclaration de 1789 reconnaît à tout citoyen sans aucune condition de capacité ou de qualification la liberté d'écrire et d'imprimer.

Or, il ressort des dispositions de l'article 13 de la loi que toute publication quotidienne d'information politique et générale est tenue de comporter sa propre équipe rédactionnelle permanente composée de journalistes professionnels au sens de l'article L 761-2 du code du travail.

Cela revient à interdire à des citoyens qui ne sont pas des journalistes professionnels de publier un quotidien et d'en assurer la rédaction en violation directe de l'article 11 précité.

L'article 13 de la loi n'est pas conforme à la Constitution.

4 Sur la violation du principe de la séparation des pouvoirs.

Les libertés n'ont de limites que celles fixées par la loi et la violation de ces limites est sanctionnée pénalement par le juge.

Telles sont les garanties judiciaires accordées aux citoyens par la Déclaration de 1789 dans ses articles 4, 5, 7 et 8.

Ces mêmes principes ont présidé à la rédaction de la Constitution du 4 octobre 1958 puisque la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 imposait au Gouvernement de la République d'établir un projet de loi constitutionnelle mettant en oeuvre les principes parmi lesquels : "L'autorité judiciaire doit demeurer indépendante pour être à même d'assurer le respect des libertés essentielles telles qu'elles sont définies par le préambule de la Constitution de 1946 et par la Déclaration des droits de l'homme à laquelle il se réfère." L'article 66 de la Constitution a effectivement appliqué ce principe en prescrivant que "l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi." Le Conseil constitutionnel en a rappelé les exigences dans une décision récente rendue à propos des contrôles fiscaux (CC 29 décembre 1983, n° 83-164, DC JCP 1984, II, 20160, note R Drago et A Decoc) en affirmant que le juge judiciaire doit avoir toute la responsabilité et le contrôle des opérations portant atteinte à la liberté individuelle, ce qui implique la compétence d'autoriser les interventions des autorités administratives, de vérifier leur bien-fondé et le droit de surveiller leur déroulement.

La liberté de la presse étant comme la liberté individuelle un principe fondamental reconnu par les lois de la République, son exercice doit être entouré des mêmes garanties.

Il peut être démontré qu'indépendamment des griefs exposés précédemment, l'institution de la commission pour la transparence et le pluralisme de la presse est entachée d'inconstitutionnalité parce que contraire au principe de la séparation des pouvoirs qui place les libertés fondamentales sous la protection totale et exclusive du juge judiciaire.

Cette commission dispose en effet de pouvoirs exorbitants.

L'article 18 de la loi donne compétence pour constater les violations des articles 10 à 13 pour prescrire à cette fin les mesures nécessaires. Malgré l'imprécision du terme, les travaux préparatoires permettent de savoir qu'il peut s'agir de la séparation des entreprises et de la cessation du contrôle commun (rapport Queyranne, p 236) ; d'ordonner la cession d'une part des entreprises (Assemblée nationale, 3e séance, du 7 février 1984, CA, p 20).

La commission doit ainsi pouvoir procéder à toutes les opérations qu'implique la mise en oeuvre des quotas définis aux articles 10, 11 et 12, soit, selon les cas : ordonner la séparation des actifs, procéder à la vente forcée d'un titre, répartir les équipements et les personnels et, même si les titres hors quotas n'ont pas fait l'objet d'une reprise, interdire leur parution, ce qui s'accompagnera nécessairement d'une restructuration de l'entreprise.

L'article 19 de la loi complète la distribution de ces pouvoirs en assortissant la constatation des infractions et de l'inexécution par les intéressés de la décision qu'elle a prise et, avant toute saisine du juge pénal, de la privation des avantages fiscaux et postaux attribués aux publications. Ainsi, les appréciations de cette commission sont assorties de la mise en jeu d'un pouvoir de sanction automatique indépendant de la répression pénale.

L'ensemble de ces pouvoirs constitue donc des atteintes profondes à la liberté de la presse, à la liberté d'entreprendre, au droit de propriété.

De la jurisprudence précitée acquise en matière de liberté individuelle on doit tirer les conséquences suivantes : : l'institution de la commission est inconstitutionnelle en ce qu'elle est une autorité administrative dont les interventions dans le domaine des libertés fondamentales ne sont subordonnées à aucune autorisation, à aucun contrôle du juge judiciaire ;

: ses pouvoirs d'ordonner toute mesure nécessaire, dont la nature n'est pas définie et dont la portée est imprécise, sont incompatibles avec la protection des libertés fondamentales.

En conséquence, en attribuant exclusivement à une autorité administrative des pouvoirs qui relèvent normalement de l'autorité judiciaire, la loi porte atteinte au principe de la séparation des pouvoirs qui attribue au juge judiciaire la mission d'assurer le respect des libertés essentielles.

Plus précisément encore, les dispositions de l'article 20 ont été adoptées en violation directe des principes dégagés par la décision précitée du Conseil constitutionnel du 29 décembre 1983.

Ce texte prévoit en effet que pour l'accomplissement de sa mission la commission peut recueillir tous les renseignements nécessaires auprès des administrations. Or il ressort des travaux préparatoires que le législateur n'a pas entendu interdire à ladite commission d'exploiter des renseignements qui auraient été obtenus par l'administration au moyen des procédures prévues par les ordonnances du 30 juin 1945 relatives aux prix, procédures dont l'inconstitutionnalité a été reconnue dans la décision du 29 décembre 1983.

Les articles 17, 18, 19, 20 définissant les pouvoirs de la commission et la procédure qu'elle doit observer ne sont donc pas conformes à la Constitution.

5 Sur la violation du principe de la présomption d'innocence.

Le respect de la présomption d'innocence imposé par l'article 9 de la Déclaration de 1789 et dont la valeur constitutionnelle a été reconnue (CC n° 80-127 des 19 et 20 janvier 1981, Affaire sécurité et liberté, rec, p 15) implique qu'une autorité administrative ne puisse, par ses décisions, préjuger de la décision du juge pénal.

Cette règle élémentaire est pourtant méconnue.

L'article 19 de la loi en prévoyant la privation des avantages postaux et fiscaux des publications accusées par la commission d'infraction à la loi, avant même que cette infraction puisse être constatée par une juridiction pénale compétente à propos des mêmes faits, est bien une violation caractérisée de cette présomption.

Il ne s'agit pas là, en effet, d'une quelconque mesure conservatoire mais d'une véritable sanction préventive puisque la suppression de ces avantages entraîne dans les faits l'impossibilité de paraître pour la publication frappée.

Par voie de conséquence, les dispositions de l'article 21 sont entachées de la même inconstitutionnalité puisque les perquisitions dont il organise la procédure sont décidées alors qu'il n'y ni infraction ni présomption d'infraction. Or, le Conseil constitutionnel dans sa décision précitée du 29 décembre 1983, a considéré que de telles investigations ne devraient être justifiées que par la recherche d'infractions nettement définies.

Enfin, aucune disposition de la loi ne prévoyant que le "judiciaire tient l'administratif en l'état", la présomption d'innocence est dépourvue de toute garantie, les mesures prises par la commission pouvant continuer à s'appliquer alors même que le juge pénal a reconnu le défaut d'infraction.

Les articles 19 et 21 de ce chef devront être déclarés inconstitutionnels.

6 Sur la violation des droits de la défense.

La violation de ce principe fondamental reconnu par les lois de la République (CC n° 77-92 du DC du 18 janvier 1978, rec, p 21, et n° 80-117 du 22 juillet 1980, Journal officiel du 24 juillet 1980, p 1867) est patente dans la rédaction des dispositions de l'article 17, alinéa 3, qui prévoient que la commission est saisie de demandes tendant à l'application des articles 18 et 19 qui, pendant un délai de 15 jours, sont examinées sans que les parties intéressées soient appelées à présenter leurs observations.

Selon les travaux préparatoires, ce délai est mis à profit pour que la commission puisse apprécier sa propre compétence et si la demande est recevable.

Or, aucun principe juridique ne permet d'exclure du champ des droits de la défense les questions de recevabilité et de compétence d'autant que la loi précise ensuite que pendant ce délai la commission doit estimer s'il y a lieu de donner suite à la demande.

Cela implique nécessairement le déroulement d'une phase de pré-instruction de la demande pendant laquelle le principe du contradictoire trouve naturellement sa justification.

Les dispositions de l'article 17 sont donc inconstitutionnelles.

7 Sur la violation du principe de la légalité des délits et des peines.

Il résulte des termes de l'article 8 de la Déclaration de 1789 que "nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée", ce qui implique la nécessité pour le législateur de définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire (CC n° 80-127 des 19 et 20 janvier 1981, Affaire sécurité et liberté, AJDA 1981, p 275, note J Rivero).

Or, le législateur, dans un souci d'extension maximale du champ des règles relatives à la transparence et au pluralisme, a été conduit à définir de la manière la plus incertaine les faits pouvant donner lieu à répression pénale.

1° Il en est d'abord ainsi des définitions posées dans l'article 2 de la loi.

Le mot "personne" désigne une personne physique ou morale ou un groupement de droit ou de fait de personnes physiques ou morales.

Selon M Queyranne (rapport précité p 30) : "La notion de personne est entendue au sens le plus large la définition donnée tend à englober, sous la dénomination de groupement de fait, toutes les situations dans lesquelles plusieurs individus s'associent pour mener une activité commune en l'absence de tout lien juridique entre eux." A ce titre, les partis politiques aussi bien que les membres d'une même famille poursuivant des intérêts communs peuvent relever de cette qualification.

Aucun critère stable ne pouvant être tiré de ce texte, il laisse un entier pouvoir discrétionnaire d'appréciation à la commission et au juge pénal.

De même, en ce qui concerne la notion de contrôle.

Le contrôle peut d'abord s'exercer "sous quelque forme que ce soit", ce qui constitue le degré maximum de l'indétermination, et par tous moyens d'ordre matériel et financier.

Ici encore règne la plus large imprécision ainsi qu'en témoigne ce passage du rapport n° 1963 de M Queyranne (p 34) : "La commission pourra conclure à l'existence d'un contrôle même si la participation du capital est inférieure à 20 p 100 ou inversement estimer que le contrôle n'est pas réalisé même en cas de participation au capital égale ou supérieure à 20 p 100. Quant à "l'influence déterminante sur la gestion ou le fonctionnement d'une entreprise de presse" engendrée par ce contrôle, le rejet de tout amendement cherchant à introduire des précisions, notamment par référence à la loi du 19 juillet 1977 sur la concentration économique, lui conserve toute son incertitude." Or chacune de ces qualifications commande la répression pénale de l'opération de prête-nom (art 25) du non-respect des seuils prévus aux articles 10, 11 ou 12 (art 31), de l'omission de déclaration prévue à l'article 14 (art 33).

L'imprécision de l'ensemble de l'article 2 entraîne donc l'imprécision des incriminations pénales.

2° L'interdiction de prêter son nom, de quelque manière que ce soit, à toute personne qui possède, commandite ou contrôle une entreprise de presse posée par l'article 3 appelle les mêmes remarques sur la notion de contrôle.

Mais il existe une incertitude plus fondamentale sur la nature et la portée de l'opération de prête-nom. L'article 3 définit en effet une interdiction générale de prêter son nom à une personne qui possède, commandite ou contrôle une entreprise de presse sans définir l'objet recherché dans cette opération. Faute d'avoir explicité le lien qui peut exister entre le prête-nom et les exigences de la transparence des entreprises de presse, la loi ouvre la possibilité d'incriminations qui n'ont plus aucun lien avec le régime de la presse.

La notion de prête-nom échappe elle-même à toute définition rigoureuse. Normalement, le prête-nom s'analyse en un contrat de mandat. Or ici l'indication que le prête-nom peut être obtenu "de quelque manière que ce soit" conduit à conclure que la commission et le juge retiendront tout élément de preuve susceptible de l'établir.

Autant dire que la loi ne définit aucun des éléments constitutifs de l'incrimination.

3° L'article 6 impose la publicité des cessions et des promesses de cession d'actions ayant pour effet d'assurer la détention directe ou indirecte de 20 p 100 du capital social ou des biens d'une entreprise de presse ou des droits de vote dans cette entreprise à peine d'amendes définies à l'article 27.

Là encore, le parti pris d'imprécision des termes : cession "ayant pour effet", "détention directe ou indirecte" est contraire aux exigences de l'article 8 de la Déclaration de 1789.

4° Doit également être relevé le refus de définir la notion d'équipe rédactionnelle dont toute publication quotidienne doit se doter aux termes de l'article 13 et sous les sanctions édictées à l'article 32.

Les travaux préparatoires sont à cet égard très clairs. Le rejet de tous les amendements qui cherchaient à la définir (Journal officiel Débats AN, 3e séance du 6 février 1984, p 651 et s) est significatif ainsi que l'aveu de M Queyranne : "il n'a donc pas paru souhaitable à la majorité de la commission d'aller plus loin et de définir la structure juridique de l'équipe rédactionnelle" (Journal officiel Débats AN, 2e séance du 6 février 1984, p 638 et s).

5° Les dispositions relatives aux peines sont affectées par voie de conséquence de l'imprécision des règles d'incriminations et parfois ne font que l'amplifier.

C'est ainsi que l'article 26 reprend la notion de "dirigeant de fait" dont on a déjà relevé l'incertitude à propos des dispositions de l'article 4 et punit celui qui n'aura pas fait "toute diligence" pour faire mettre ses actions sous la forme nominative.

Cette appréciation toute subjective d'un comportement ne peut trouver sa place dans une condamnation pénale.

Le défaut d'insertion dans la publication des cessions prévues à l'article 6 et sanctionné par l'article 27 est un délit, quant à lui, incomplètement défini, puisque l'on ignore à qui incombe l'obligation légale, au cédant ou au cessionnaire.

Encourt les mêmes reproches, la rédaction de l'article 31, qui sanctionne l'achat ou la prise de contrôle d'une publication nationale, régionale, départementale ou locale, en violation des articles 10, 11 ou 12, alors qu'il ne ressort ni du texte ni des travaux préparatoires une définition de la publication départementale ou locale.

Par les motifs ci-dessus exposés, devront être déclarés contraires à la Constitution, les dispositions contenues dans les articles 2, 3, 6, 10, 11, 12, 13, 25, 26, 27, 28, 29, 31 et 32 de la loi.

8 Sur la violation du secret de la vie privée.

Le droit au respect de la vie privée (CC n° 82-148 DC du 14 décembre 1982, Rec, p 73) s'impose au législateur qui ne peut en dénaturer les garanties.

Plusieurs dispositions de la loi l'ignorent complètement.

L'article 5 prévoit ainsi un droit de consulter le compte des valeurs nominatives des sociétés de presse à tous les actionnaires, porteurs de parts et membres de l'équipe rédactionnelle, ce qui, par l'extension du champ de la communication, n'offre plus aucune assurance d'un minimum de secret entourant le patrimoine des actionnaires.

L'article 8, au nom de la transparence, impose aux actionnaires d'une entreprise de presse l'obligation de répondre aux demandes de renseignements sur la propriété, le contrôle et le financement de la publication qui lui sont adressées par la commission.

Or, il est de principe que le secret du patrimoine est l'un des éléments constitutifs du secret de la vie privée.

Parallèlement, le secret des affaires, corrélat du secret de la vie privée, n'autorise un droit de regard sur la constitution des patrimoines qu'au profit de ceux qui ont eux-mêmes des droits sur les biens de l'entreprise.

L'imprécision des termes de la loi ouvre un pouvoir illimité d'investigation sur le patrimoine des actionnaires et sur la gestion de l'entreprise incompatible avec la règle du secret de la vie privée et du secret des affaires impliquant une stricte proportionnalité de l'étendue des moyens d'information aux buts poursuivis.

L'article 8 de la loi est donc contraire à la Constitution.

9 Sur la violation du droit de propriété et la liberté d'entreprendre.

Le fonctionnement de l'entreprise de presse ne relève pas exclusivement de la liberté de la presse. En tant que patrimoine et en tant qu'entreprise lui sont appliquées les garanties constitutionnelles accordées au droit de propriété et à la liberté d'entreprendre.

En l'espèce, les atteintes à ces principes sont de plusieurs sortes.

1 Le droit de propriété, comme la liberté d'entreprendre, ont été définis comme des droits fondamentaux (CC du 16 janvier 1982, n° 82-132 DC) qui, en raison de leur nature, doivent bénéficier de la même protection que toutes les autres libertés essentielles.

C'est ainsi que l'autorité judiciaire doit en assurer le respect dans les conditions prévues par la loi.

C'est pourquoi les dispositions de la loi contraires au principe de la séparation des pouvoirs (cf paragraphe IV) constituent par là-même autant de violations des garanties accordées au droit de propriété et à la liberté d'entreprendre.

2 L'atteinte au droit de propriété et à la liberté d'entreprendre consiste, comme il a déjà été démontré par la limitation du développement des entreprises de presse, par l'instauration d'un système de quotas (art 10, 11 et 12) et par la séparation des patrimoines des entreprises existantes dont la taille excède ces mêmes limites. Dans ce dernier cas, le propriétaire sera contraint de céder un ou plusieurs titres ou à défaut d'acheteur, de renoncer à les publier.

Dans sa décision du 16 janvier 1982 relative aux nationalisations, le Conseil constitutionnel a réaffirmé la valeur constitutionnelle du droit de propriété et de la liberté d'entreprendre, tout en admettant qu'ils puissent être limités pour des motifs d'intérêt public dont l'appréciation par le législateur ne doit pas être entachée d'erreur manifeste.

Certes, une limitation imposée dans l'intérêt général de la sauvegarde de la liberté de la presse justifierait certainement de telles mesures. Mais il a déjà été exposé (cf paragraphe II) que les dispositions de la loi sont directement contraires à la liberté de la presse et à son corollaire la libre constitution des entreprises de presse.

Dès lors, les mesures litigieuses ne pouvant se justifier par le respect d'aucune autre liberté sont nécessairement abusives.

De ce nouveau chef, les dispositions de la loi relatives au pluralisme sont inconstitutionnelles.

3 Mais, à supposer même qu'elles puissent être reconnues comme justifiées, le législateur aurait dû prévoir l'indemnisation des entreprises qu'elles frappent.

Les dispositions de l'article 17 de la Déclaration de 1789 ont à cet égard valeur générale : la privation de la propriété, lorsqu'elle est justifiée par la nécessité publique, n'est constitutionnelle que si elle est assortie d'une juste et préalable indemnité. Le Conseil constitutionnel l'a reconnu indépendamment de toute opération de nationalisation dans une récente décision (CC, 19 et 20 juillet 1983 sur la loi relative à la démocratisation du secteur public, AJDA 1983, 615).

L'application des articles 10, 11 et 12 et la décision de la commission de prescrire à cette fin les mesures nécessaires (art 18) entraîneront nécessairement privation et séparation de certains éléments du patrimoine de l'entreprise.

Là encore, devra s'imposer une règle dégagée par le Conseil constitutionnel dans l'affaire des nationalisations : L'indemnité, pour être juste, devra compenser le préjudice subi évalué au jour de la privation de propriété.

Faute d'avoir prévu ce droit à l'indemnité et les conditions de sa détermination, le législateur a méconnu les garanties attachées au droit de propriété et à la liberté d'entreprendre, ce qui ne pourra que faire déclarer inconstitutionnelle la loi déférée.

En conséquence, devront être déclarées inconstitutionnelles pour violation du droit de propriété et de liberté d'entreprendre les dispositions contenues dans les articles 10, 11, 12, 17, 18 et 20 de la loi, et la loi en son entier en ce qu'elle ne prévoit aucune indemnité et aucune règle de détermination de l'indemnité qui doit constitutionnellement assortir toute privation d'un droit de propriété et de liberté d'entreprendre.

10 Sur la violation du principe d'égalité.

Dans sa décision précitée du 16 janvier 1982, le Conseil constitutionnel en a donné une définition essentielle : "Le principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce qu'une loi établisse des règles non identiques à l'égard des catégories de personnes se trouvant dans des situations différentes, mais il ne peut en être ainsi que lorsque cette non-identité est justifiée par la différence de situation et n'est pas incompatible avec la finalité de la loi." Malgré la souplesse de cette formulation, la présente loi contient de nombreuses violations de ce principe qui revêtent des aspects différents.

1 Depuis la loi du 19 juillet 1977, les entreprises de presse sont soumises au contrôle des ententes et des positions dominantes. La loi nouvelle les soumet en outre à un régime plus restrictif.

Cette discrimination ne peut se justifier par la situation particulière des entreprises de presse, car le fait d'exercer une liberté de nature constitutionnelle ne peut entraîner l'accroissement des sujétions légales, mais au contraire, doit conduire à leur allégement.

2 Le contrôle d'une entreprise de presse suppose que celui qui l'exerce ait acquis une influence déterminante sur sa gestion, son fonctionnement. Cette définition très générale implique que toutes les situations qui répondent à de telles conditions relèvent uniformément de l'application de la loi. Pourtant, des amendements tendant à inclure dans l'influence déterminante l'action du service d'information et de diffusion du Gouvernement d'une entreprise publique, d'un établissement bancaire ou financier : dans lequel l'Etat est majoritaire -, ont été rejetés introduisant ainsi des exclusions qu'aucune différence de situation ne justifie.

3 Plus généralement, la différence de traitement entre les entreprises de presse, d'une part, et les entreprises de communication audiovisuelles ou de publicité, d'autre part, ne trouve aucune justification au regard de l'application des règles sur la transparence et le pluralisme puisque le but avoué de ces mesures est de garantir une meilleure information du public tout aussi nécessaire dans le premier domaine que dans les autres.

4 Enfin, l'application du principe d'égalité emporte des conséquences indemnitaires.

Dans une récente décision (CC 22 octobre 1982, D 1983, J p 189) le Conseil constitutionnel a affirmé que le législateur ne pouvait dénier dans son principe aux victimes d'un dommage le droit à l'égalité devant la loi et devant les charges publiques.

Sont donc inconstitutionnelles comme contraires au principe d'égalité les dispositions contenues dans les articles 1er et 2 de la loi définissant le champ d'application de celle-ci et la loi dans son ensemble en tant qu'elle ne prévoit aucune indemnisation au profit des entreprises dont elle limite l'activité.

11 Sur la violation du principe de la libre activité des partis politiques.

L'article 4 de la Constitution dispose que les partis et groupements politiques se forment et exercent leur activité librement.

Les dispositions de la présente loi s'appliquant aux entreprises de presse dépendant d'un parti politique, l'article 20 a prévu que la commission peut recueillir tous les renseignements nécessaires auprès des administrations et des personnes sans que puissent être opposées d'autres limitations que celles résultant du libre exercice de l'activité des partis et groupements politiques.

Cette conciliation de la liberté d'activité des partis et des pouvoirs de la commission n'est pas conforme aux garanties de l'article 4 de la Constitution.

Il n'existe, en effet, aucun critère objectif défini par la loi qui fixe une limite précise aux pouvoirs de la commission. Au contraire, ce sera celle-ci, autorité administrative, qui déterminera en la matière l'étendue de ses pouvoirs d'investigation sans qu'elle soit soumise à un contrôle juridictionnel alors qu'est en jeu le respect d'une liberté constitutionnelle.

De ce chef, l'article 20 de la loi devra être déclaré inconstitutionnel.

12 Sur la rétroactivité de la loi.

Il est de principe que la loi pénale ne peut être rétroactive à l'exception des dispositions pénales plus douces (art 8 de la Déclaration de 1789).

Or, il ressort des articles 35 et 42 de la loi que les incriminations et les peines nouvelles qu'elle définit sont applicables aux entreprises de presse régulièrement constituées sous l'empire des dispositions anciennes.

La loi porte ainsi atteinte aux droits légalement acquis qui découlent de l'exercice du droit de propriété, ce qui est une forme de rétroactivité.

La loi est donc inconstitutionnelle en ce qu'elle viole le principe de non-rétroactivité des lois pénales.

13 Sur la violation des dispositions de la convention européenne des droits de l'homme.

L'article 10 de la convention européenne des droits de l'homme ratifiée par la France n'admet de restrictions à la liberté d'expression que pour des motifs limitativement énumérés et qui ne tiennent en aucun cas aux considérations qui ont déterminé l'adoption de la loi.

La loi n'est donc pas conforme aux dispositions de cette convention qui sont d'interprétation stricte et qui ont une autorité supérieure à celle des lois en vertu de l'article 55 de la Constitution.

14 Sur le détournement de pouvoir.

L'absence de fondement constitutionnel objectif de l'ensemble des dispositions de la loi exige que l'on mette en évidence les objectifs recherchés par le Gouvernement auteur du projet et sa majorité qui l'a voté.

Ces mobiles ne sont d'ailleurs pas difficiles à identifier ; ils sont connus des parlementaires, de la presse, de l'opinion publique.

Ils ont pour origine ce que l'on convient d'appeler "le phénomène Hersant" et pour seule justification la volonté de démanteler le plus important groupe de presse d'opposition.

Tous les documents parlementaires en témoignent comme le rapport n° 1885 de M Queyranne qui apprécie les nécessités du pluralisme en fonction de la situation de L'Aurore (p 86 et s) ou la transcription des débats parlementaires au cours desquels les représentants du Gouvernement ne prennent même plus la peine de démentir que Le Figaro et L'Aurore sont des cibles de premier rang de la réforme (Ass nat, 13 février 1984, Journal officiel, p 1030 et s).

On en prendra une confirmation supplémentaire dans le choix d'articles de journaux publiés en annexe du rapport de M Jean Cluzel, au nom de la commission spéciale du Sénat (n° 308). On retiendra les extraits du dossier n° 10 du Canard enchaîné (mars-avril 1984).

"Dirigé uniquement contre le groupe Hersant, le projet de loi gouvernemental souffre de ce défaut originel. Cette loi inopportune risque d'être inopérante La nouvelle loi présente des caractéristiques suspectes : c'est surtout une loi circonstancielle dirigée contre un seul groupe et un seul homme.

C'est une loi ad hominem. Les quotas sont calculés de telle manière que seul le groupe Hersant est touché alors que d'autres sont épargnés qui exercent aussi un monopole régional après concentration." De même, Serge July dans "Libération" du 15 décembre 1983 : "Ce projet, élaboré par des gens qui ne connaissent rien à la presse quotidienne, n'a pour seule préoccupation que de démanteler la chaîne nationale de quotidiens construite par le propriétaire du Figaro sans d'ailleurs y parvenir, ce qui finalement est un comble." On retrouve ici des comportements des autorités publiques bien connus du juge administratif : l'adoption de mesures exclusivement dirigées contre certaines personnes et qui sont étrangères à tout intérêt public.

En l'espèce, le défaut d'intérêt public a été suffisamment démontré puisque la loi, dans tous ses aspects, apparaît comme une violation répétée des principes constitutionnels les plus constants et le mobile politique vient d'être rappelé.

A l'exemple du juge administratif, le Conseil constitutionnel ne pourra que relever ce détournement de pouvoir, le caractère général de la loi n'étant pas un obstacle puisque le Conseil d'Etat a reconnu que les actes réglementaires pouvaient être entachés de ce vice (CE 8 avril 1938, Botton, S 1939, 3, 39 ; CE 13 juillet 1962, Bréart de Boisanger, D 1962, 664, conclusions Henry).

Par ces motifs et tous autres à soulever d'office par le Conseil constitutionnel, les soussignés demandent au Conseil de déclarer la loi susvisée contraire à la Constitution.

I : SAISINE SENATEURS

Monsieur le président, messieurs les conseillers,

Les sénateurs soussignés ont l'honneur de déférer à votre examen, conformément à l'article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, la loi adoptée par l'Assemblée nationale, dans sa séance du 12 septembre 1984, visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse.

Ils concluent qu'il plaise au Conseil que cette loi, notamment dans ses articles 10, 11, 12, 13, 14, 18, 19, 20 et 21, soit déclarée non conforme à la Constitution par les moyens ci-dessous développés et par tout autre que le Conseil constitutionnel jugera bon de soulever d'office.

1 La loi a été adoptée selon une procédure législative irrégulière.

Dans votre décision du 16 juillet 1971, vous avez tenu à préciser que la loi déférée à votre examen "a été soumise au vote des deux assemblées dans le respect d'une des procédures prévues par la Constitution".

C'est dire le prix que vous attachez à ce respect, à l'évidence en raison même de l'article 61, premier alinéa, de la Constitution qui prévoit que les règlements des assemblées vous sont soumis avant leur mise en application pour vous mettre en mesure de vous prononcer sur leur conformité à la Constitution.

L'article 90 du règlement de l'Assemblée nationale dispose qu'aucun texte ne peut être mis en discussion s'il n'a fait, au préalable, l'objet d'un rapport de la commission compétente dans les conditions réglementaires.

Quant à l'article 86, alinéa 2, il dispose que les rapports sur des textes transmis par le Sénat concluent à l'adoption, au rejet ou à des amendements.

Or, M Queyranne a reconnu explicitement dans son rapport (AN n° 2194, p 3) : "Votre rapporteur n'est pas en mesure de présenter les conclusions de la commission (des affaires culturelles, familiales et sociales)".

L'article 86, alinéa 2, du règlement de l'Assemblée nationale, dispose : "En annexe doivent être insérés les amendements soumis à la commission, qu'ils aient été transmis par la présidence de l'assemblée ou directement présentés par leurs auteurs avant le dépôt du rapport".

Or, M Queyranne précise encore : "Tel est l'objet du présent rapport qui, volontairement, ne fait pas état des décisions intervenues sur les quelques amendements examinés avant l'article 1er car, faute d'un vote sur l'ensemble, ces décisions ne peuvent être considérées comme définitives". Effectivement, aucun amendement n'est annexé.

Le rapport de M Queyranne n'était donc pas conforme au règlement de l'Assemblée nationale.

Il en est de même (et pour des raisons identiques) du deuxième rapport (n° 2337) établi par M Queyranne à l'occasion de la nouvelle lecture devant l'Assemblée nationale.

La loi a donc été, à notre sens, adoptée dans des conditions de procédure législative imparfaite.

2 Les articles 10, 11 et 12 de la loi violent le principe constitutionnel de la liberté de la presse.

L'article XI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, confirmée par le préambule de la Constitution de 1958 - auquel vous avez constamment reconnu une valeur identique à celle de la Constitution elle-même : dispose : "La libre communication des pensées et des opinions est un droit des plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la loi".

La loi du 29 juillet 1881 a déterminé, de façon explicite, les garanties conformes aux exigences de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Il résulte des dispositions combinées des articles 1er et 5 de cette loi que chacun a la liberté d'imprimer autant de publications qu'il veut et de publier autant de journaux ou de périodiques qu'il souhaite.

Or, la loi déférée à votre examen apporte à ce régime des restrictions très importantes et définit un système de contrôle étatique qui abolit certains éléments essentiels du régime de liberté de la presse : L'article 10 prévoit en effet qu'une personne ne peut posséder ou contrôler plus d'un quotidien national d'information politique et générale que si le total de leur diffusion n'excède pas 15 p 100 de la diffusion de tous les quotidiens nationaux de même nature.

Quant à l'article 11, il dispose qu'une personne ne peut posséder ou contrôler plus d'un quotidien régional, départemental ou local d'information politique et générale que si le total de leur diffusion n'excède pas 15 p 100 de la diffusion de tous les quotidiens régionaux, départementaux ou locaux de même nature.

Enfin, l'article 12 limite la possession ou le contrôle de plusieurs quotidiens régionaux départementaux ou locaux d'information politique et générale et de plusieurs quotidiens nationaux de même nature : Il en résulte qu'au-delà des plafonds posés par la loi un patron de presse ne pourra plus créer de nouveaux titres ou devra se séparer de ceux qu'il détenait hors plafonds.

Il y a donc limitation directe de la liberté de créer ou de conserver un journal, liberté garantie par les articles 1er et 5 de la loi précitée du 29 juillet 1881. Ces dernières dispositions, qui donnaient à la presse des garanties conformes aux exigences constitutionnelles, ne sont pas remplacées, dans la présente loi, par des garanties équivalentes, alors que, dans votre décision du 20 janvier 1984, vous avez jugé nécessaire une telle équivalence.

De ce chef, les articles 10, 11 et 12 de la loi soumise à votre examen ne sont pas, à notre sens, conformes à la Constitution.

3 Les articles 10, 11 et 12 sont contraires au principe de l'égalité devant la loi.

Les articles 10, 11 et 12 déterminent les plafonds de diffusion qui sont différents suivant que les publications sont "nationales" ou "régionales". Aucune raison ne saurait justifier cette disparité et aucun argument n'a d'ailleurs été produit en sa faveur.

Faute d'une base objectivement déterminée, ces différences de traitement ont un caractère arbitraire à notre sens contraire au principe de l'égalité devant la loi.

4 Les articles 10, 11, 12 et 14 instituent une procédure déguisée d'autorisation préalable contraire au principe de la liberté de la presse.

Toute liberté : il en est ainsi de la liberté d'association, comme vous en avez d'ailleurs jugé dans votre décision du 16 juillet 1971 : implique que ses conditions d'exercice ne peuvent être soumises pour leur validité à l'intervention préalable de l'autorité administrative ou même de l'autorité judiciaire.

Or, un patron de presse qui voudrait, par exemple, lancer un troisième quotidien national devra faire vérifier, par la commission instituée à l'article 15, que le tirage de son nouveau titre ne risque pas de lui faire dépasser le plafond légal posé par l'article 10. La même situation résulte des articles 11 et 12.

Quant à l'article 14, il dispose très explicitement que toute opération relative à un titre doit faire l'objet d'une déclaration à la commission qui avertit la personne intéressée (le patron de presse par exemple), si elle estime que l'opération est contraire aux articles 10 à 13 de la loi.

Les dispositions des articles 10, 11, 12 et 14 (ce dernier assorti de surcroît des menaces de sanctions prévues aux articles 18 et 19) reconstituent un système d'autorisation préalable qu'en matière de presse la loi de 1881 précitée avait supprimé et que vous avez reconnu non conforme à la Constitution, s'agissant de la liberté d'association.

5 Les articles 10, 11 et 12 sont également contraires au droit de propriété.

L'article XVII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose que "nul ne peut être privé de sa propriété que sous la condition d'une juste et préalable indemnité".

Les articles 10, 11 et 12 précités contreviennent à ce principe.

Le propriétaire qui aura dépassé les plafonds et sera donc tenu de se dessaisir d'un ou de plusieurs titres se trouvera en effet à la merci des acquéreurs. Il vendra donc dans des conditions désavantageuses. Il risquera même de ne trouver aucun acquéreur : il sera alors contraint d'arrêter la parution du ou des titres en cause.

Tout se passe par conséquent comme si le propriétaire était frappé d'expropriation sans avoir reçu préalable, ni juste indemnité.

6 L'article 13 viole également le principe de la liberté de la presse.

L'article XI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 reconnaît à quiconque le droit d'accéder à la liberté de la presse.

Or, l'article 13 fait échec à cet accès sans condition, en disposant que toute publication est tenue de comporter une "équipe rédactionnelle" de journalistes titulaires de la carte professionnelle.

Par là même, cet article confère à une certaine catégorie professionnelle le monopole de contrôler, donc d'interdire, l'accès à la liberté de la presse : il suffira qu'une coalition de journalistes refuse toute collaboration pour qu'il soit impossible de fonder un journal, donc de s'exprimer directement par voie de presse, et "d'imprimer librement".

En subordonnant à l'existence de cette équipe rédactionnelle la mise en oeuvre du principe de la liberté de la presse, l'article 13 viole l'article XI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : il n'est donc pas conforme à la Constitution.

7 Les articles 18 et 19 de la loi violent le principe de la séparation des pouvoirs.

Vous avez confirmé la valeur constitutionnelle du principe de séparation des pouvoirs, par exemple dans votre décision des 17, 18 et 24 juin 1959 lorsque vous avez déclaré non conformes à la Constitution certains articles du règlement de l'Assemblée nationale au motif qu'ils pouvaient empêcher la formation d'un groupe politique "par une appréciation, laissée à la seule Assemblée nationale, de la conformité de la déclaration politique dudit groupe aux dispositions de l'article 4 de la Constitution".

Vous l'avez également confirmé dans votre décision du 29 décembre 1983 lorsque vous avez déclaré non conformes à la Constitution des dispositions qui conféraient à des agents de l'autorité administrative des pouvoirs qui empiétaient sur les prérogatives du pouvoir judiciaire.

A : Or, il est de notoriété publique que le projet de loi a été rédigé pour s'appliquer à un seul cas, celui d'un dirigeant de groupe de presse, que le juge n'avait pas sanctionné. Tout se passe dès lors comme si le législateur avait décidé de se comporter comme un juge de substitution.

S'il est certes admissible que le législateur puisse être appelé à valider un acte réglementaire après qu'il eut été annulé par le juge, lorsque la solution législative est la seule qui permette de résoudre des problèmes humains en réglant une situation inextricable, c'est que le législateur n'est alors substitué au juge que pour cause de force majeure. Ce n'est pas le cas pour la loi déférée à votre examen.

B : D'autre part, la loi déférée à votre examen confère à une autorité administrative des pouvoirs juridictionnels.

Les libertés n'ont de limites que celles fixées par la loi et la violation de ces limites est sanctionnée pénalement par le juge.

Telles sont les garanties judiciaires accordées aux citoyens par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, dans ses articles IV, V, VII et VIII.

L'article 66 de la Constitution dispose que "l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi".

Vous avez rappelé cette garantie fondamentale dans votre décision précitée du 29 décembre 1983 en affirmant que le juge judiciaire doit avoir toute la responsabilité et le contrôle des opérations portant atteinte à la liberté individuelle, ce qui implique la compétence d'autoriser les interventions des autorités administratives, de vérifier leur bien-fondé et le droit de surveiller leur déroulement.

Or, la commission instituée par l'article 15 de la loi dispose de pouvoirs exorbitants : L'article 18 de la loi lui donne compétence pour constater les violations des articles 10 à 13 et pour prescrire à cette fin les mesures nécessaires.

Malgré l'imprécision du terme, les travaux préparatoires permettent de savoir qu'il peut s'agir soit de la séparation des entreprises et de la cessation de leur contrôle commun (rapport Queyranne, p 236), soit d'ordonner la cession d'une partie des entreprises (Assemblée nationale, troisième séance du 8 février 1984 (JO, AN, p 806).

La commission sera en droit de procéder à toutes les opérations qu'implique la mise en oeuvre des plafonds définis aux articles 10, 11 et 12, soit, selon les cas : ordonner la séparation des actifs, procéder à la vente forcée d'un titre, répartir les équipements et les personnels et, même, si les titres hors plafonds n'ont pas fait l'objet d'une reprise, interdire leur parution, ce qui s'accompagnera nécessairement d'une restructuration de l'entreprise.

L'article 19 de la loi complète la distribution de ces pouvoirs en assortissant et avant toute saisine du juge pénal, de la privation des avantages fiscaux et postaux attribués aux publications, la constatation des infractions et de l'inexécution par les intéressés de la décision qu'elle a prise. Ainsi, les appréciations de cette commission sont-elles assorties de la mise en jeu d'un pouvoir de sanction automatique indépendant de la répression pénale.

Il résulte donc des articles 18 et 19 que la commission est une autorité administrative dont les interventions dans le domaine des libertés fondamentales ne sont subordonnées à aucune autorisation, à aucun contrôle du juge judiciaire.

Quant à ses pouvoirs d'ordonner "toute mesure nécessaire" (dont la nature n'est pas définie et dont la portée est imprécise), ils sont incompatibles avec la protection des libertés fondamentales.

En conséquence, en attribuant ainsi à une autorité administrative des pouvoirs qui relèvent normalement de l'autorité judiciaire, la loi, à notre sens, porte atteinte au principe de la séparation des pouvoirs.

8 L'article 21 n'est pas conforme à l'article 66 de la Constitution qui confie à l'autorité judiciaire la sauvegarde de la liberté individuelle.

En vue de procéder aux "vérifications requises" par la commission, l'article 21 prévoit des "visites d'entreprises", alors qu'il n'y a ni infraction, ni même présomption d'infraction.

Bien que l'Assemblée nationale ait prévu que ces visites ne peuvent avoir lieu que sous le contrôle de l'autorité judiciaire et ait précisé les modalités de l'intervention du juge, cet article 21 n'apporte aucune des garanties que vous avez estimé indispensables dans votre décision du 29 décembre 1983.

Par cette décision vous avez annulé l'article 89 de la loi de finances pour 1984, relatif aux visites domiciliaires à finalité fiscale au motif que "quelles que soient les garanties dont les dispositions de l'article 89 entourent les opérations qu'elles visent, ces dispositions ne précisent pas l'acception du terme infraction qui peut être entendu en plusieurs sens et ne limitent donc pas clairement le domaine ouvert aux investigations en question".

Or, l'article 21 du projet de loi, malgré les amendements adoptés par l'Assemblée nationale, demeure encore trop imprécis et ne limite pas clairement le champ des vérifications prévues. Tout au plus prévoit-il que "le magistrat procède à cette autorisation après avoir entendu l'agent intéressé et après avoir contrôlé la nature des vérifications requises par la commission et leur adaptation aux objectifs de transparence et de pluralisme de la presse au sens de la présente loi".

Cette formulation ne répond pas non plus à l'exigence de précision que vous aviez réclamée. Sa rédaction est en effet trop générale, notamment en ce qui concerne la définition des infractions poursuivies.

De ce chef, l'article 21 de la loi n'est pas, à notre sens, conforme à l'article 66 de la Constitution qui confie à l'autorité judiciaire la sauvegarde de la liberté individuelle.

9 L'article 20 est contraire à la libre activité des partis politiques.

La Constitution, en son article 4, dispose que "les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement ".

L'article 15 de la loi déférée à votre examen institue une commission dotée de pouvoirs d'investigation très importants. En effet, aux termes de l'article 20, cette commission "peut recueillir tous les renseignements nécessaires auprès des administrations et des personnes". Aux termes de l'article 21, "les agents de ces administrations peuvent demander aux entreprises et personnes concernées communication de tout document utile à l'accomplissement de leurs missions".

En outre, "sur la demande de la commission, ils peuvent procéder à des visites d'entreprises, qui doivent être commencées après six heures et avant vingt et une heures, et se dérouler en présence d'un responsable de l'entreprise ou, à défaut, de deux témoins requis à cet effet ".

Pourquoi cette commission ne serait-elle dès lors pas amenée à faire procéder à des perquisitions dans des entreprises de presse dépendant d'un parti politique ? L'Assemblée nationale a modifié l'article 20 du projet de loi (premier alinéa), afin de préciser que les pouvoirs de la commission instituée par l'article 15 rencontraient des limites : "celles résultant du libre exercice de l'activité des partis et groupements politiques visés à l'article 4 de la Constitution ".

Mais cette démarche ne fait que confirmer que la presse politique entre dans le champ d'application du projet. La formule employée laisse donc la question entière.

Le problème, en effet, est de déterminer où passe la frontière entre ce qui relève de la libre activité des partis et ce qui n'en relève pas.

M Fillioud, devant l'Assemblée nationale, affirmait qu'"en aucun cas les renseignements demandés par la commission au sujet des publications émanant des partis politiques ne peuvent entraîner des investigations susceptibles de porter atteinte au libre exercice des activités des partis et des groupements politiques tels que définis à l'article 4 de la Constitution". Le secrétaire d'Etat ajoutait : "Les pouvoirs de contrôle de la commission Transparence et pluralisme s'arrêtent à la société éditrice de la publication, lorsque celle-ci dépend d'un parti politique. (JO, AN, n° 15, première séance du vendredi 10 février 1984, p 892).

Devant la commission spéciale instituée par le Sénat, le garde des sceaux a précisé que les partis politiques étaient des personnes au sens de l'article 2 du projet de loi, et que l'édition d'une publication était une opération commerciale que l'on ne pouvait pas associer à la mission fondamentale d'un parti politique qui est, aux termes de l'article 4 de la Constitution, de concourir à l'expression du suffrage.

Le rapprochement de ces citations, quasi contradictoires, démontre qu'aucune règle, qu'aucun critère objectif ne permettent de déterminer le point exact où expireront les pouvoirs de contrôle de la commission instituée par l'article 15.

Aucune autorité d'ailleurs n'est désignée pour trancher sur ce point.

La commission sera en droit d'"ouvrir les portes" d'une société éditant un journal politique, puisque cette édition est une opération commerciale. Elle sera en droit également de se faire communiquer les comptes.

En revanche, il semble qu'elle n'est pas en droit de faire "remonter la transparence" vers le parti politique lui-même.

Or, certains documents ont une double nature : ils peuvent avoir une implication commerciale mais toucher en même temps à l'activité partisane : le fichier des abonnés, par exemple.

Pourra-t-il être contrôlé ? Ou non ? Il y a doute. Faudra-t-il distinguer entre le nombre des abonnements, que la commission pourra connaître, et l'identité de ces mêmes abonnés qui, elle, ne pourra lui être divulguée ? Pour ces motifs, l'article 20 n'est pas, à notre sens, conforme à la Constitution.

10 Conclusion.

Pour ces motifs, et pour tous autres que le Conseil constitutionnel voudra bien soulever d'office, considérant que lesdites dispositions sont inséparables de l'ensemble de la loi déférée à votre examen, les sénateurs soussignés vous demandent, monsieur le président, messieurs les conseillers, de vouloir bien déclarer ladite loi non conforme à la Constitution.


Références :

DC du 11 octobre 1984 sur le site internet du Conseil constitutionnel

Texte attaqué : Loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse (Nature : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°84-181 DC du 11 octobre 1984
Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:1984:84.181.DC
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