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29/07/1986 | FRANCE | N°86-210

France | France, Conseil constitutionnel, 29 juillet 1986, 86-210


Le Conseil constitutionnel a été saisi, d'une part, le 30 juin 1986, par MM Pierre Joxe, Roland Dumas, Edmond Hervé, Jean-Pierre Michel, Gérard Collomb, Jean Auroux, Dominique Saint-Pierre, Gilbert Bonnemaison, Michel Berson, Jean Peuziat, Louis Mexandeau, Jean-Michel Belorgey, Jacques Roger-Machart, Gérard Bapt, Mme Jacqueline Osselin, MM Jean Le Garrec, Dominique Strauss-Kahn, Jean Anciant, Bernard Derosier, René Souchon, Michel Margnes, Mmes Gisèle Stiévenard, Marie-France Lecuir, M Claude Bartolone, Mmes Georgina Dufoix, Edwige Avice, MM Jean-Pierre Sueur, Michel Rocard, Jean-Pierr

e Chevènement, Pierre Mauroy, Christian Pierret, Claude...

Le Conseil constitutionnel a été saisi, d'une part, le 30 juin 1986, par MM Pierre Joxe, Roland Dumas, Edmond Hervé, Jean-Pierre Michel, Gérard Collomb, Jean Auroux, Dominique Saint-Pierre, Gilbert Bonnemaison, Michel Berson, Jean Peuziat, Louis Mexandeau, Jean-Michel Belorgey, Jacques Roger-Machart, Gérard Bapt, Mme Jacqueline Osselin, MM Jean Le Garrec, Dominique Strauss-Kahn, Jean Anciant, Bernard Derosier, René Souchon, Michel Margnes, Mmes Gisèle Stiévenard, Marie-France Lecuir, M Claude Bartolone, Mmes Georgina Dufoix, Edwige Avice, MM Jean-Pierre Sueur, Michel Rocard, Jean-Pierre Chevènement, Pierre Mauroy, Christian Pierret, Claude Germon, Michel Sapin, Lionel Jospin, Michel Delebarre, Jean-Marie Bockel, Jean-Jack Queyranne, Alain Barrau, Georges Sarre, Henri Nallet, Philippe Puaud, Guy Vadepied, Martin Malvy, Raymond Douyère, Michel Coffineau, Mme Yvette Roudy, MM Gérard Fuchs, Robert Chapuis, Charles Josselin, Mme Catherine Lalumière, MM Pierre Garmendia, Christian Laurissergues, Alain Richard, Nicolas Alfonsi, Philippe Bassinet, Joseph Menga, Mmes Renée Soum, Martine Frachon, MM François Loncle, Alex Raymond, Roger-Gérard Schwartzenberg, Alain Chénard, Christian Goux, Jean-Pierre Worms, Mme Véronique Neiertz, MM Philippe Marchand, Alain Vivien, Pierre Métais, Charles Metzinger, Philippe Sanmarco, députés,

et, d'autre part, le 10 juillet 1986, par MM Robert Schwint, Noël Berrier, Germain Authié, Albert Ramassamy, André Méric, Mme Cécile Goldet, MM Louis Perrein, Gérard Delfau, Bernard Desbrière, Bernard Parmantier, Charles Bonifay, Michel Dreyfus-Schmidt, Jacques Bialski, René Régnault, Jules Faigt, Jean-Pierre Masseret, Jean Peyrefitte, Léon Eeckhoutte, Marcel Costes, Pierre Bastié, Philippe Madrelle, Michel Darras, Jean Geoffroy, Franck Sérusclat, Mme Geneviève Le Bellegou-Béguin, MM Jean-Pierre Bayle, Guy Allouche, Tony Larue, Pierre Matraja, Michel Charasse, Mme Irma Rapuzzi, MM Jacques Carat, André Delelis, Gérard Roujas, Roland Grimaldi, Maurice Pic, Gérard Gaud, Félix Ciccolini, Louis Longequeue, Marc Boeuf, Claude Fuzier, Edouard Soldani, Marcel Bony, Robert Pontillon, Henri Duffaut, Pierre Noé, Bastien Leccia, Roger Rinchet, William Chervy, Roland Courteau, Marcel Vidal, Lucien Delmas, André Rouvière, Michel Moreigne, Robert Guillaume, François Autain, Robert Lacournet, Georges Dagonia, Marc Plantegenest, Michel Manet, Marcel Debarge, Georges Benedetti, sénateurs, dans les conditions prévues à l'article 61 (alinéa 2) de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi portant réforme du régime juridique de la presse.

Le Conseil constitutionnel,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment les articles figurant au chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que les députés et les sénateurs, respectivement auteurs de la première et de la seconde saisines, font principalement valoir que la loi déférée à l'examen du Conseil constitutionnel, qui abroge l'ordonnance du 26 août 1944 sur l'organisation de la presse française et la loi n° 84-937 du 23 octobre 1984 visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse, substitue aux textes ainsi abrogés des dispositions dont le champ d'application est indûment restreint et qui n'assurent pas la réalisation des objectifs de transparence financière et de pluralisme de la presse, qui ont valeur constitutionnelle ;

2. Considérant qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine qui lui est réservé par l'article 34 de la Constitution, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; qu'il ne lui est pas moins loisible d'adopter, pour la réalisation ou la conciliation d'objectifs de nature constitutionnelle, des modalités nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité et qui peuvent comporter la modification ou la suppression de dispositions qu'il estime excessives ou inutiles ; que, cependant, l'exercice de ce pouvoir ne saurait aboutir à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ;

- SUR LE CHAMP D'APPLICATION DE LA LOI :

3. Considérant que l'article 2 de la loi déférée à l'examen du Conseil constitutionnel est ainsi conçu : "Les dispositions de la présente loi s'appliquent aux entreprises éditrices.- Au sens de la présente loi, l'expression "entreprise éditrice" désigne toute personne physique ou morale ou groupement de droit éditant, en tant que propriétaire ou locataire-gérant, une publication de presse." ;

4. Considérant que les sénateurs auteurs de la seconde saisine font valoir qu'en restreignant aux "entreprises éditrices" ainsi définies le champ d'application de la loi, le législateur s'est interdit, tant en ce qui concerne la recherche de l'objectif de transparence que celle de l'objectif de pluralisme, de poser des règles s'appliquant de façon concrète aux entreprises de presse qui peuvent revêtir des formes de droit ou de fait bien différentes de celles exclusivement retenues par l'article 2 ;

5. Considérant que la détermination du champ d'application d'une loi est, dans le respect de la Constitution, librement opérée par le législateur lui-même ;

6. Considérant que le grief d'inconstitutionnalité formulé par les auteurs de la seconde saisine à l'encontre de l'article 2 de la loi concerne en réalité non le texte même de cet article mais les règles posées par les autres dispositions de la loi présentement examinée qui sont relatives à la transparence financière et au pluralisme ; que la conformité de ces règles à la Constitution sera examinée plus loin ; que l'article 2 de la loi n'est pas en lui-même contraire à la Constitution ;

- SUR LA TRANSPARENCE FINANCIERE :

7. Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la loi présentement examinée, "Il est interdit de prêter son nom à toute entreprise éditrice, en simulant la souscription d'actions ou de parts, l'acquisition ou la location-gérance d'un fonds de commerce ou d'un titre." ;

8. Considérant que l'article 4, dans le cas de sociétés par actions, impose la forme nominative et soumet toute cession à l'agrément du conseil d'administration ou de surveillance ;

9. Considérant que l'article 5 impose que, dans toute publication de presse soient, dans chaque numéro, portées à la connaissance du lecteur les informations suivantes : "- 1° Si l'entreprise éditrice n'est pas dotée de la personnalité morale, les nom et prénom du propriétaire ou du principal copropriétaire ; - 2° Si l'entreprise éditrice est une personne morale, sa dénomination ou sa raison sociale, son siège social, sa forme et le nom de son représentant légal et de ses trois principaux associés ; - 3° Le nom du directeur de la publication et celui du responsable de la rédaction." ;

10. Considérant que l'article 6 est ainsi conçu : "Toute entreprise éditrice doit porter à la connaissance des lecteurs de la publication, dans le délai d'un mois à compter de la date à laquelle elle en acquiert elle-même la connaissance, ou lors de la prochaine parution de la publication : - 1° Toute cession ou promesse de cession de droits sociaux ayant pour effet de donner à un cessionnaire au moins un tiers du capital social ou des droits de vote ; - 2° Tout transfert ou promesse de transfert de la propriété ou de l'exploitation d'un titre de publication de presse.- Cette obligation incombe à l'entreprise cédante." ;

11. Considérant que les alinéas 1er et 2 de l'article 9 de la loi, modifiant l'article 6 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, disposent : "Toute publication de presse doit avoir un directeur de la publication.- Lorsqu'une personne physique est propriétaire ou locataire-gérant d'une entreprise éditrice... ou en détient la majorité du capital ou des droits de vote, cette personne est directeur de la publication. Dans les autres cas, le directeur de la publication est le représentant légal de l'entreprise éditrice. Toutefois, dans les sociétés anonymes régies par les articles 118 à 150 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, le directeur de la publication est le président du directoire ou le directeur général unique." ; que les autres dispositions de l'article 9 concernent la nomination d'un codirecteur de la publication au cas où le directeur de celle-ci jouirait d'une immunité attachée à sa qualité de membre du Parlement de la République ou de membre de l'Assemblée des communautés européennes ;

12. Considérant que les manquements aux obligations qui résultent des dispositions susmentionnées sont, aux termes des articles 12, 1°, 13 et 15, 1° et 2°, de la loi, punis de peines correctionnelles, sans préjudice de la peine complémentaire prévue à l'article 16 ;

13. Considérant que les auteurs de la première saisine relèvent qu'il appartient au Conseil constitutionnel d'apprécier si des dispositions comme, par exemple, la suppression d'un certain nombre d'obligations destinées à assurer la transparence "ne réglementent pas la liberté de communication de manière telle que l'exercice en soit rendu moins effectif, ou les garanties anciennes supprimées sans être remplacées comme il convient." ;

14. Considérant que les sénateurs auteurs de la seconde saisine reprochent de façon générale aux dispositions de la loi "le recul imposé au regard de la mise en oeuvre de l'objectif de transparence visé par la loi du 23 octobre 1984" ;

15. Considérant que, comme il a été dit, ils font grief à l'article 2 précité de restreindre le champ d'application de la loi aux entreprises éditrices définies comme "éditant, en tant que propriétaire ou locataire-gérant, une publication de presse", sans permettre la recherche des personnes ou des groupements ayant le contrôle direct ou indirect de celle-ci ; que cette lacune est aggravée, selon eux, par la définition restrictive que l'article 3 précité donne de l'opération de prête-nom ; que l'article 4, en n'imposant le caractère nominatif que pour les actions de l'entreprise éditrice empêche la connaissance des dirigeants réels de celle-ci ; qu'enfin, les articles 5 et 6 "fixent eux aussi des obligations considérablement en retrait par rapport aux exigences de la loi de 1984, interdisant ainsi dans bien des cas que le lecteur puisse appréhender la réalité de l'exercice du pouvoir de décision dans l'entreprise éditrice du journal de son choix et, par là-même, qu'il puisse exercer ce choix de façon vraiment libre." ; que, dès lors, les articles 3, 4, 5 et 6 de la loi doivent, selon les sénateurs auteurs de la seconde saisine, être déclarés non conformes à la Constitution ;

16. Considérant que, loin de s'opposer à la liberté de la presse ou de la limiter, la mise en oeuvre de l'objectif de transparence financière tend à renforcer un exercice effectif de cette liberté en mettant les lecteurs à même d'exercer leur choix de façon vraiment libre et l'opinion à même de porter un jugement éclairé sur les moyens d'information qui lui sont offerts par la presse écrite ;

17. Considérant, cependant, qu'il était loisible au législateur, comme il a été dit plus haut, d'adopter, dans la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel, des modalités de réalisation de l'objectif de transparence financière différentes de celles figurant dans les textes antérieurs abrogés par ladite loi ; qu'ainsi, le fait que les dispositions nouvelles soient moins rigoureuses que les dispositions présentement en vigueur ne saurait par lui-même être constitutif d'un grief d'inconstitutionnalité ;

18. Considérant que, si les dispositions combinées des articles 3, 4, 5 et 6 de la loi ne permettent pas dans tous les cas au public ou aux catégories de personnes intéressées de connaître de façon immédiate l'identité de toutes les personnes susceptibles d'exercer un contrôle sur une publication de presse déterminée, leur application est cependant propre à fournir des renseignements essentiels, sans dissimuler le fait que les personnes morales détenant des actions ou des parts de l'entreprise éditrice et y exerçant une influence peuvent elles-mêmes dépendre de personnes physiques ou de groupements extérieurs à l'entreprise éditrice ; qu'ainsi, l'appréciation portée par le législateur sur les modalités de réalisation de l'objectif de transparence n'est pas entachée d'une erreur manifeste ;

- SUR LE PLURALISME :

19. Considérant que les dispositions de la loi destinées à limiter la concentration et à sauvegarder le pluralisme figurent dans l'article 11 ainsi conçu : "Est interdite, à peine de nullité, l'acquisition d'une publication quotidienne d'information politique et générale ou de la majorité du capital social ou des droits de vote d'une entreprise éditant une publication de cette nature, lorsque cette acquisition aurait pour effet de permettre à l'acquéreur de détenir plus de 30 % de la diffusion totale sur l'ensemble du territoire national des quotidiens d'information politique et générale, appréciée sur les douze derniers mois connus précédant la date d'acquisition." ; que le manquement à cette interdiction est, en vertu de l'article 12, 5°, puni de peines correctionnelles ; que ces dispositions doivent, dans l'intention du législateur, se substituer aux règles posées tant par les articles demeurés en vigueur de l'ordonnance du 26 août 1944 que par la loi n° 84-937 du 23 octobre 1984, dont l'abrogation est prononcée par l'article 21 de la loi présentement examinée ;

. Sans qu'il soit besoin de statuer sur d'autres moyens :

20. Considérant que le pluralisme des quotidiens d'information politique et générale est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ; qu'en effet, la libre communication des pensées et des opinions, garantie par l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, ne serait pas effective si le public auquel s'adressent ces quotidiens n'était pas à même de disposer d'un nombre suffisant de publications de tendances et de caractères différents ; que l'objectif à réaliser est que les lecteurs qui sont au nombre des destinataires essentiels de la liberté proclamée par l'article 11 de la Déclaration de 1789 soient à même d'exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions ni qu'on puisse en faire les objets d'un marché ;

21. Considérant que les dispositions de l'article 11 de la loi ne prohibent le dépassement du seuil de 30 %, et a fortiori l'acquisition d'un quotidien existant par une entreprise qui édite des publications de cette nature dont la diffusion excède d'ores et déjà ce seuil, que pour autant que le dépassement profiterait à l'acquéreur lui-même ; que le texte ne prévoit pas que cette prohibition s'applique à une personne morale ou physique juridiquement distincte de l'acquéreur quand bien même ce dernier serait sous son autorité ou sa dépendance ; qu'au surplus, une telle interprétation découle du rapprochement des termes de l'article 11 précité avec ceux de l'article 7 de la loi qui, pour limiter l'influence des capitaux étrangers, prend en considération, ce que ne fait pas l'article 11, l'effet qui peut s'attacher "directement ou indirectement" à certaines acquisitions ; qu'enfin, cette interprétation est corroborée par les travaux préparatoires ;

22. Considérant ainsi que les dispositions de l'article 11 ne font pas obstacle à ce que, sans même enfreindre l'interdiction de prête-nom formulée par l'article 3 de la loi ni aucune autre prescription législative ou réglementaire, une personne physique ou un groupement puisse, par des procédures parfaitement licites au regard du droit des sociétés, se rendre effectivement et pleinement maître de nombreux quotidiens existants, sans que le seuil de diffusion fixé par l'article 11 lui soit opposable ;

23. Considérant, dès lors, qu'en l'état de leur rédaction, les dispositions de l'article 11, loin d'aménager, comme pouvait le faire le législateur, les modalités de protection du pluralisme de la presse et, plus généralement, des moyens de communication dont la presse est une composante, ne permettent pas de lui assurer un caractère effectif ; qu'elles ont même pour effet, par leur combinaison avec l'abrogation de la législation antérieure, de priver de protection légale un principe de valeur constitutionnelle ;

24. Considérant qu'il suit de là, que l'article 11 doit être déclaré non conforme à la Constitution ; que la déclaration de non-conformité de cet article entraîne nécessairement celle du 5° de l'article 12 qui a pour objet de sanctionner pénalement l'interdiction qu'il édicte ;

- SUR LE PRINCIPE DE LA LEGALITE DES DELITS ET DES PEINES :

25. Considérant que les sénateurs auteurs de la seconde saisine font valoir que l'article 12 de la loi punit de peines correctionnelles la méconnaissance de diverses dispositions de la loi ; que l'article 2 définit l'entreprise éditrice comme "toute personne physique ou morale ou groupement de droit éditant, en tant que propriétaire ou locataire-gérant, une publication de presse" ; qu'il suit de là que, lorsque le propriétaire donne en location-gérance la publication, la loi laisse incertain, contrairement au principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines proclamé par l'article 8 de la Déclaration de 1789, le point de savoir qui doit être tenu pour responsable, du propriétaire ou du locataire-gérant, des infractions visées par l'article 12 ;

26. Considérant que chacune des dispositions de l'article 12 (1° à 4°) définit avec précision les infractions résultant de la méconnaissance des articles 3, 7, 8 et 10 de la loi et désigne de manière non équivoque l'auteur responsable de chacune de celles-ci ; qu'ainsi le moyen manque en fait ;

- SUR L'ABROGATION DE L'ORDONNANCE DU 26 AOÛT 1944 ET DE LA LOI DU 23 OCTOBRE 1984 :

27. Considérant que l'article 21 de la loi dispose : "L'ordonnance du 26 août 1944 précitée est abrogée.- La loi n° 84-937 du 23 octobre 1984 précitée est abrogée." ;

28. Considérant qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de déterminer dans quelle mesure le législateur aurait entendu prononcer de telles abrogations au vu de la déclaration de non-conformité à la Constitution de l'article 11 de la loi présentement examinée ; qu'ainsi, les dispositions de l'article 21 doivent être regardées comme inséparables des dispositions déclarées contraires à la Constitution ;

- SUR LES AUTRES DISPOSITIONS DE LA LOI :

29. Considérant qu'en l'espèce il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen ;

Décide :

Article premier :

Les dispositions de l'article 11, du 5° de l'article 12 et de l'article 21 de la loi portant réforme du régime juridique de la presse sont déclarées non conformes à la Constitution.

Article 2 :

Les autres dispositions de la loi portant réforme du régime juridique de la presse sont déclarées conformes à la Constitution.

Article 3 :

La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.


Synthèse
Numéro de décision : 86-210
Date de la décision : 29/07/1986
Loi portant réforme du régime juridique de la presse
Sens de l'arrêt : Non conformité partielle
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Saisine

Monsieur le président, Messieurs les conseillers,

Conformément à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, les sénateurs soussignés ont l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel le texte de la loi portant réforme du régime juridique de la presse tel qu'il a été définitivement adopté par le Parlement.

Ils concluent qu'il plaise au Conseil constitutionnel de dire non conforme à la Constitution l'ensemble de la loi en raison des moyens ci-dessous développés, et par tout autre que le Conseil jugera bon de soulever d'office.

La loi déférée abroge à la fois l'ordonnance du 26 août 1944 sur l'organisation de la presse française et la loi n° 84-937 du 23 octobre 1984 visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse, textes auxquels elle entend se substituer.

En agissant ainsi, le législateur a méconnu des principes qui s'imposaient à lui conformément à la Constitution, ainsi que l'ont déjà souligné les députés auteurs d'une saisine sur le même texte en date du 30 juin dernier.

Sans qu'il soit besoin d'exposer ici les moyens développés par les députés dans leur saisine, qui concernent principalement les articles 11 et 22 de la loi déférée et qui suffiraient à eux seuls pour conclure à sa non-constitutionnalité, il convient d'examiner la conformité d'autres dispositions importantes de la loi en regard de la Constitution.

Trois précédentes décisions du Conseil constitutionnel permettent cette appréciation : La première, n° 83-165 DC du 20 janvier 1984, prise à propos de la loi sur l'enseignement supérieur, dans laquelle le Conseil avait relevé que "l'abrogation totale de la loi d'orientation du 12 novembre 1968 dont certaines dispositions donnaient aux enseignants des garanties conformes aux exigences constitutionnelles qui n'ont pas été remplacées dans la présente loi par des garanties équivalentes n'est pas conforme à la Constitution" ;

La seconde, n° 84-185 DC du 18 janvier 1985, prise à propos de la loi portant dispositions diverses relatives aux rapports entre l'Etat et les collectivités territoriales, dans laquelle le Conseil affirme que "les lois ordinaires ayant toutes la même valeur juridique, aucune règle ou principe de valeur constitutionnelle ne s'oppose à ce qu'une loi abroge des dispositions législatives antérieures ; qu'il n'en serait autrement que si cette abrogation avait pour effet de porter atteinte à l'exercice d'un droit ou d'une liberté ayant valeur constitutionnelle" ;

La troisième, n° 84-181 DC des 10 et 11 octobre 1984, prise à propos de la loi sur la presse promulguée le 23 octobre 1984, dans laquelle le Conseil affirme : : en premier lieu que, "loin de s'opposer à la liberté de la presse ou de la limiter, la mise en oeuvre de l'objectif de transparence financière tend à renforcer un exercice effectif de cette liberté ; qu'en effet, en exigeant que soient connus du public les dirigeants réels des entreprises de presse, les conditions de financement des journaux, les transactions financières dont ceux-ci peuvent être l'objet, les intérêts de tous ordres qui peuvent s'y trouver engagés, le législateur met les lecteurs à même d'exercer leur choix de façon vraiment libre et l'opinion à même de porter un jugement éclairé sur les moyens d'information qui lui sont offerts par la presse écrite" ;

: en second lieu, que la liberté consacrée par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 "ne s'oppose point à ce que le législateur édicte des règles concernant l'exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, écrire et imprimer" et que, "s'agissant d'une liberté fondamentale, d'autant plus précieuse que son exercice est l'une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et de la souveraineté nationale, la loi ne peut en réglementer l'exercice qu'en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec celui d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle ; () que le pluralisme des quotidiens d'information politique et générale est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ; qu'en effet la libre communication des pensées et des opinions, garantie par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ne serait plus effective si le public auquel s'adressent ces quotidiens n'était pas à même de disposer d'un nombre suffisant de publications de tendances et de caractères différents ; qu'en définitive l'objectif à réaliser est que les lecteurs qui sont au nombre des destinataires essentiels de la liberté proclamée par l'article 11 de la Déclaration de 1789 soient à même d'exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions ni qu'on puisse en faire l'objet d'un marché".

C'est à la lumière de ces différents principes que la loi déférée doit être déclarée non conforme à la Constitution.

I : Sur le champ d'application

L'article 2 de la loi déférée est rédigé comme suit : "Les dispositions de la présente loi s'appliquent aux entreprises éditrices. Au sens de la présente loi, l'expression "entreprise éditrice" désigne toute personne physique ou morale ou groupement de droit éditant, en tant que propriétaire ou locataire-gérant, une publication de presse." Le champ d'application de la loi ainsi défini est singulièrement restreint par rapport aux dispositions de l'article 2 de la loi du 23 octobre 1984, qui, à travers les définitions des trois notions de "personne", "d'entreprise de presse" et de "contrôle", permettait, d'une part, d'appréhender la notion plus vaste de groupe de presse, et instaurait, d'autre part, une transparence dite "remontante" assurant la mise en oeuvre sans autres limites que celles découlant de l'article 4 de la Constitution de l'objectif de valeur constitutionnelle de transparence de la presse.

Au contraire, l'article 2 de la loi déférée limite très strictement aux seules notions de "possession" et de "location-gérance" et au seul niveau de l'entreprise qui "édite" le champ d'application de la nouvelle loi. Les nombreuses formes de contrôle des entreprises de presse : que les contraintes et les mécanismes de l'économie moderne tendent en toute légalité à développer : se trouvent dès lors placées hors de portée de toute législation sur la transparence et le pluralisme de la presse, et ce délibérément, ainsi que l'atteste la volonté exprimée durant les travaux parlementaires tant par les auteurs que par les rapporteurs et le Gouvernement.

La loi déférée méconnaît de ce fait le droit des lecteurs, "qui sont au nombre des destinataires essentiels de la liberté proclamée par l'article 11 de la Déclaration de 1789", de connaître dans tous les cas les "dirigeants réels des entreprises de presse, les conditions de financement des journaux, les transactions financières dont ceux-ci peuvent être l'objet, les intérêts de tous ordres qui peuvent s'y trouver engagés". A fortiori, la loi ne permet plus de "renforcer un exercice effectif de cette liberté".

La saisine des députés démontre par ailleurs ce en quoi la portée volontairement restreinte du champ d'application de la loi déférée ne permet plus la mise en oeuvre de l'objectif de valeur constitutionnelle de pluralisme des quotidiens d'information politique et générale.

De par son article 2, qui en conditionne l'application, la loi déférée n'apporte donc pas de garanties équivalentes à celles que comportait la loi qu'elle abroge, et a donc pour effet de porter atteinte à l'exercice d'un droit et d'une liberté ayant tous deux valeur constitutionnelle. La loi doit, en conséquence, être déclarée non conforme à la Constitution.

II : Sur la transparence

Subsidiairement aux moyens développés ci-dessus, l'examen des articles de la loi déférée met particulièrement en relief le recul imposé en regard de la mise en oeuvre de l'objectif de transparence visé par la loi du 23 octobre 1984, objectif qui tendait pourtant à renforcer au profit des lecteurs un exercice effectif de la liberté de la presse.

L'article 3 relatif à l'interdiction de recourir à la pratique du "prête-nom" limite, d'une part, cette interdiction aux seules opérations d'acquisition ou de location-gérance, excluant de facto les opérations de prise de contrôle qui étaient visées par la loi de 1984, et, d'autre part, au seul moyen de la simulation de souscription d'actions ou de parts, là où la loi de 1984 précisait par souci d'efficacité "par quelque moyen que ce soit".

L'article 4, relatif à la nominativité des actions, limite cette obligation à la seule "entreprise éditrice", empêchant ainsi la recherche des dirigeants réels de l'entreprise : ce qui revêt une importance capitale lorsqu'il s'agira d'appliquer le dispositif de limitation de la concentration : alors que la loi de 1984 étendait cette obligation aux entreprises détenant directement ou indirectement 20 p 100 au moins du capital social de l'entreprise de presse, appréhendant ainsi la notion de contrôle.

Les articles 5 et 6, relatifs aux informations, notamment financières, à porter à la connaissance des lecteurs, fixent eux aussi des obligations considérablement en retrait par rapport aux exigences de la loi de 1984, interdisant ainsi dans bien des cas que le lecteur puisse appréhender la réalité de l'exercice du pouvoir de décision dans l'entreprise éditrice du journal de son choix, et par là même qu'il puisse exercer ce choix de façon vraiment libre.

Les articles 3, 4, 5 et 6 doivent en conséquence être déclarés non conformes à la Constitution.

III : Sur le pluralisme

Subsidiairement aux moyens développés ci-dessus et à ceux exposés par les députés dans leur saisine du 30 juin, l'absence dans la loi déférée de dispositions garantissant réellement le pluralisme des quotidiens d'information politique et générale doit être rappelée en soulignant également : : que faute d'avoir élargi pour son application le champ d'application restreint défini à l'article 2 de la loi, l'article 11 ignore délibérément les multiples formes de contrôle à travers lesquelles peut s'exercer une influence déterminante sur la direction d'une entreprise de presse ; que ceci est particulièrement manifeste si l'on observe a contrario que les rapporteurs de la loi, le Gouvernement, et en définitive les deux assemblées parlementaires ont admis, à l'article 7 relatif aux participations étrangères, que l'expression "directement ou indirectement" était indispensable pour assurer l'efficacité réelle des limitations retenues ; que pour son application, l'article 11 ignore donc délibérément qui sont les dirigeants réels des entreprises de presse et qu'il est en conséquence inopérant ;

: qu'en outre, il est loisible à une même entreprise éditrice de procéder à de nouvelles acquisitions au-delà du seuil de 30 p 100, puisque l'article, tel qu'il est rédigé, n'interdit pas à une personne possédant déjà 30 p 100 de la diffusion nationale de procéder à de nouvelles acquisitions, ces nouvelles acquisitions n'ayant pas pour effet de lui permettre qu'il détienne plus de 30 p 100 car cette situation serait dans ce cas préexistante, situation qu'il est loisible à tout un chacun de créer puisque la création de titre demeure entièrement libre ; que l'on peut d'ailleurs s'interroger sur la pertinence même de la notion de "détention de la diffusion" par l'acquéreur, cette "détention" ne pouvant en fait être imputée qu'aux seules sociétés éditrices ;

: que par ailleurs, même s'il avait été applicable à toutes les situations rencontrées dans la presse, le seuil de 30 p 100 retenu à l'article 11 n'est pas à même de garantir le pluralisme des quotidiens d'information politique et générale, et, a fortiori, de le rendre plus effectif ; qu'en effet, compte tenu de la part respective de la presse nationale et de la presse de province dans la diffusion de ces quotidiens, il permet à une même personne de détenir soit la quasi-totalité des quotidiens nationaux, soit la moitié des quotidiens de province ;

: que ce seuil de 30 p 100 retenu à l'article 11 est lui-même en retrait par rapport à la loi de 1977 modifiée sur la concurrence : même s'il convient de souligner ici que ces deux textes n'ont pas la même finalité : puisque cette loi retient le seuil de 25 p 100, et permet en outre de l'apprécier en regard d'un marché spécifique, notamment régional, pour la mise en oeuvre des mécanismes protecteurs qu'elle institue ;

: que le dispositif de limitation de la concentration étant dans la loi déférée limitée à ce seul seuil de 30 p 100 fixé par l'article 11, et en l'absence de toute instance indépendante telle qu'instituée par la loi de 1984 sur la presse ou celle de 1977 sur la concurrence, l'acquéreur de bonne foi n'a aucune possibilité de vérifier la conformité de son acquisition avec la loi, sauf à s'adresser à un service directement dépendant du Premier ministre, ce qui constitue un recul considérable et inquiétant en regard de la liberté de la presse.

L'article 11 de la loi déférée n'apporte manifestement pas de garanties équivalentes à celles prévues par la loi abrogée en ce qui concerne la mise en oeuvre de l'objectif de valeur constitutionnelle de pluralisme des quotidiens d'information politique et générale, et en conséquence, il doit être déclaré non conforme à la Constitution.

IV : Sur le principe constitutionnel de la légalité des peines

L'article 12 de la loi déférée sanctionne les violations des dispositions aux articles 3, 7, 8, 10 et 11. Le champ d'application de ces articles est bien évidemment conditionné par l'article 2 de la loi.

Il s'ensuit une indétermination quant aux personnes sur lesquelles pèsent les obligations dont la violation est sanctionnée par l'article 12, puisque l'article 2 vise les personnes qui éditent une publication de presse "en tant que propriétaire ou locataire-gérant".

Si aucune difficulté n'apparaît lorsque le propriétaire exploite lui-même la publication, il n'en est pas de même lorsqu'il la donne en location-gérance, pour savoir lequel du propriétaire ou du locataire-gérant assume les obligations légales.

L'article 12 enfreint donc le principe constitutionnel de la légalité des peines, et doit en conséquence être déclarée non conforme à la Constitution.

C'est pour l'ensemble de ces raisons que les sénateurs soussignés ont l'honneur de vous demander, en application du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de déclarer non conforme à celle-ci la loi qui vous est déférée.

Nous vous prions d'agréer, monsieur le président, messieurs les conseillers, l'assurance de notre haute considération.

Monsieur le président, Messieurs les conseillers,

Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitutionnalité, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel le texte de la loi portant réforme du régime juridique de la presse tel qu'il a été définitivement adopté par le Parlement.

La loi déférée est issue d'une proposition de loi déposée au Sénat et adoptée par lui. Le Gouvernement a entendu la faire sienne comme l'attestent le fait qu'il l'ait inscrite à l'ordre du jour et surtout le fait que le conseil des ministres du 18 juin 1986 ait autorisé le Premier ministre à engager sa responsabilité sur l'adoption de cette proposition.

Celle-ci entend se substituer à la fois à l'ordonnance du 26 août 1944 sur l'organisation de la presse française et à la loi n° 84-937 du 23 octobre 1984 visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse. Ces deux textes sont abrogés par l'article 22.

En procédant ainsi, le législateur a méconnu des principes qui s'imposaient à lui, conformément à la Constitution et à l'interprétation qu'en a donnée le Conseil constitutionnel et dont deux décisions, particulièrement, doivent être rappelées.

Dans la première, n° 83-165 DC du 20 janvier 1984, prise à propos de la loi sur l'enseignement supérieur, le Conseil avait en effet relevé que "l'abrogation totale de la loi d'orientation du 12 novembre 1968 dont certaines dispositions donnaient aux enseignants des garanties conformes aux exigences constitutionnelles qui n'ont pas été remplacées dans la présente loi par des garanties équivalentes n'est pas conforme à la Constitution".

Dans la seconde, n° 84-181 DC des 10 et 11 octobre 1984, rendue à propos de la loi qui allait devenir celle du 23 octobre 1984, a tout d'abord considéré que la liberté consacrée par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 "ne s'oppose point à ce que le législateur édicte des règles concernant l'exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, écrire et imprimer".

Le Conseil considérait ensuite que "s'agissant d'une liberté fondamentale, d'autant plus précieuse que son exercice est l'une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et de la souveraineté nationale, la loi ne peut en réglementer l'exercice qu'en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec celui d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle".

La décision affirmait enfin que "le pluralisme des quotidiens d'information politique et générale est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ; qu'en effet la libre communication des pensées et des opinions ne serait pas effective si le public auquel s'adressent ces quotidiens n'était pas à même de disposer d'un nombre suffisant de publications de tendances et de caractères différents ; qu'en définitive, l'objectif à réaliser est que les lecteurs qui sont au nombre des destinataires essentiels de la liberté soient à même d'exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions ni qu'on puisse en faire l'objet d'un marché".

C'est à la lumière de ces différents principes que doit s'apprécier la conformité à la Constitution de la loi déférée. Et c'est à la lumière de ces principes qu'elle doit y être déclarée non conforme.

La principale disposition en cause est celle de l'article 11 de la loi (anciennement article 11 bis). Celui-ci interdit les acquisitions qui auraient "pour effet de permettre à l'acquéreur de détenir plus de 30 p 100 de la diffusion totale sur l'ensemble du territoire national des quotidiens d'information politique et générale ".

Cet article, qui est le seul dont l'objet est en principe d'assurer le pluralisme en luttant contre les concentrations excessives, encourt la critique en ce qu'il n'apporte à l'objectif constitutionnel de pluralisme qu'une garantie parfaitement illusoire.

De ce fait, c'est à un double titre qu'il n'est pas conforme à la Constitution puisque, d'une part, il est intrinsèquement défectueux, et que, d'autre part, il supprime, sans les remplacer de manière équivalente, les garanties actuellement existantes.

Ces griefs résultent de deux considérations portant l'une sur la notion d'acquéreur, l'autre sur la notion de diffusion.

I : Sur la notion d'acquéreur

Aux termes de l'article 2, la loi ne s'applique qu'aux entreprises éditrices. De ce fait, l'acquéreur s'entend toujours, et exclusivement, de l'entreprise éditrice au sens du second alinéa de cet article 2, c'est-à-dire "toute personne physique ou morale ou groupement de droit éditant, en tant que propriétaire ou locataire-gérant, une publication de presse".

Ainsi, le seuil de 30 p 100 ne concerne que l'acquéreur direct là où il est loisible de faire acheter une partie importante du capital d'une publication par une société-écran.

Il est particulièrement important de noter que dans cette hypothèse, d'une part, on ne se trouverait pas forcément en présence d'un "groupement de droit", dont la constitution résulte de la seule volonté des détenteurs du capital et que, d'autre part, celui qui procéderait ainsi ne violerait nullement la loi.

Sans même qu'il soit besoin d'envisager les montages juridiques et financiers plus complexes qui permettraient avec certitude de se soustraire au respect du seuil de 30 p 100, il suffit de constater qu'il n'existe aucun moyen sérieux d'éviter que des concentrations excessives ne portent atteinte à l'objectif constitutionnel de pluralisme de la presse.

A l'inverse de l'article en cause, la législation existante assurait le respect du pluralisme, en toute hypothèse, par des garanties totalement abrogées sans que leur aient été substituées des protections équivalentes.

Cela est d'autant moins explicable, ou d'autant plus choquant, que dans sa décision précitée des 10 et 11 octobre 1984, le Conseil constitutionnel avait expressément déclaré conforme à la Constitution un article faisant référence à "la détention directe ou indirecte" du capital d'une entreprise de presse.

Aussi aurait-il suffit, par exemple, d'interdire l'acquisition ayant "pour effet de permettre à quiconque de détenir, directement ou indirectement, plus de 30 p 100 de la diffusion totale ".

Le fait que les auteurs de la loi n'aient pas cru devoir retenir une rédaction de ce type, claire et aisément applicable, ou bien relève du hasard et cela est désolant, ou bien n'en relève pas et cela est inquiétant. Mais dans les deux cas, la sanction est la même et l'article 11 de la loi ne pourra qu'être, pour ce premier grief, déclaré non conforme à la Constitution..

II : Sur la notion de diffusion

L'article 11 de la loi ne fait aucune distinction, au sein de la presse quotidienne, entre les publications de caractère national, régional, départemental ou local.

En conséquence, le seuil de diffusion de 30 p 100 n'étant calculé que par rapport à l'ensemble du territoire une même entreprise de presse, un même groupe, peut parfaitement détenir 100 p 100 de la diffusion dans un ou plusieurs départements, voire dans une ou plusieurs régions.

L'objectif constitutionnel de pluralisme est alors gravement en cause. Et il l'est d'autant plus gravement que le législateur de 1984, comme avant lui les rédacteurs de l'ordonnance de 1944, avaient pris des dispositions aboutissant à rendre impossible toute concentration excessive, y compris appréciée au niveau local.

Ainsi doit-on considérer, pour reprendre les termes de la décision du 20 janvier 1984 précitée, que l'abrogation totale de l'ordonnance de 1944 et de la loi de 1984, dont certaines dispositions donnaient au pluralisme de la presse des garanties conformes aux exigences constitutionnelles qui n'ont pas été remplacées dans la présente loi par des garanties équivalentes, n'est pas conforme à la Constitution.

L'article 11 de la loi déférée est donc manifestement contraire à la Constitution pour tous les motifs indiqués. Or la déclaration de non-conformité qui l'affectera entraînera celle de l'ensemble de la loi dans la mesure où cette disposition n'est pas séparable.

Dès lors, en effet, qu'elle constitue le seul article destiné à assurer le pluralisme, dès lors que sont par ailleurs abrogées toutes les dispositions existantes à ce sujet, dès lors, enfin, que le problème ne pourrait être réglé en se bornant à déclarer non conforme par voie de conséquence le seul article d'abrogation, tant il est certain que les législations de 1944 et 1984, d'une part, et de 1986, d'autre part, sont aussi strictement incompatibles dans la lettre qu'elles le sont dans l'esprit, la déclaration de non-conformité de l'article 11 doit aboutir à celle de la loi entière.

Subsidiairement, il appartiendra au Conseil constitutionnel d'apprécier si d'autres dispositions comme, par exemple, la suppression d'un certain nombre d'obligations destinées à assurer la transparence ou encore le relèvement du seuil en matière de concentration ne réglementent pas la liberté de communication de manière telle que l'exercice en soit rendu moins effectif ou les garanties anciennes supprimées sans être remplacées comme il convient.

C'est pour l'ensemble de ces raisons que les députés soussignés ont l'honneur de vous demander, en application du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de déclarer non conforme à celle-ci la loi qui vous est déférée.

Nous vous prions d'agréer, monsieur le président, messieurs les conseillers, l'assurance de ma haute considération.


Références :

DC du 29 juillet 1986 sur le site internet du Conseil constitutionnel

Texte attaqué : Loi portant réforme du régime juridique de la presse (Nature : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°86-210 DC du 29 juillet 1986
Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:1986:86.210.DC
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