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09/01/1990 | FRANCE | N°89-266

France | France, Conseil constitutionnel, 09 janvier 1990, 89-266


Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 21 décembre 1989, par MM Charles Millon, Pierre Micaux, Georges Colombier, François-Michel Gonnot, Daniel Colin, Michel Meylan, Francis Saint-Ellier, Jean-Pierre de Peretti della Rocca, Philippe de Villiers, Jean-Pierre Philibert, Paul Chollet, Robert Cazalet, Jean Brocard, Jacques Farran, Pascal Clément, Georges Durand, André Rossinot, Jean-Guy Branger, François Léotard, Jean-Marc Nesme, Alain Moyne-Bressand, Emile Koehl, Charles Ehrmann, Roger Lestas, Charles Fèvre, Philippe Mestre, José Rossi, Jean-François Mattei, Philippe Vasseur, Will

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Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 21 décembre 1989, par MM Charles Millon, Pierre Micaux, Georges Colombier, François-Michel Gonnot, Daniel Colin, Michel Meylan, Francis Saint-Ellier, Jean-Pierre de Peretti della Rocca, Philippe de Villiers, Jean-Pierre Philibert, Paul Chollet, Robert Cazalet, Jean Brocard, Jacques Farran, Pascal Clément, Georges Durand, André Rossinot, Jean-Guy Branger, François Léotard, Jean-Marc Nesme, Alain Moyne-Bressand, Emile Koehl, Charles Ehrmann, Roger Lestas, Charles Fèvre, Philippe Mestre, José Rossi, Jean-François Mattei, Philippe Vasseur, Willy Diméglio, Marc Reymann, Arthur Paecht, Mme Yann Piat, MM Paul-Louis Tenaillon, Pierre Lequiller, René Beaumont, Marc Laffineur, René Garrec, Michel d'Ornano, André Santini, Gérard Longuet, Jean-Luc Preel, Henri Bayard, Georges Mesmin, Nicolas Sarkozy, Jean-Michel Couve, Mme Roselyne Bachelot, MM Patrick Balkany, Jacques Toubon, Pierre Mazeaud, Mmes Elisabeth Hubert, Suzanne Sauvaigo, Nicole Catala, MM Dominique Perben, Pierre Mauger, Jean-Luc Reitzer, Bernard Schreiner, Louis de Broissia, Michel Giraud, Christian Cabal, Michel Inchauspé, Philippe Auberger, Jean-Claude Thomas, Robert-André Vivien, Emmanuel Aubert, Guy Drut, Jean Kiffer, Christian Bergelin, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi modifiant l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France ;

Le Conseil constitutionnel,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;

Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945, ensemble les textes qui l'ont modifiée et complétée, et notamment la loi n° 89-548 du 2 août 1989 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que les auteurs de la saisine contestent la conformité à la Constitution de l'article 1er de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel ;

2. Considérant que l'article 1er de cette loi a pour objet d'insérer dans le texte de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 un article 22 bis qui comporte quatre paragraphes ; que selon le paragraphe I l'étranger qui fait l'objet d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière peut, dans les vingt-quatre heures suivant sa notification, demander l'annulation de cet arrêté au président du tribunal administratif ; qu'en cas de recours, le président ou son délégué statue dans un délai de quarante-huit heures à compter de sa saisine ; que le paragraphe II dispose, dans un premier alinéa, que les mesures de surveillance énoncées à l'article 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 " peuvent être appliquées dès l'intervention de l'arrêté de reconduite à la frontière " et prescrit, dans son second alinéa, que " cet arrêté ne peut être exécuté avant l'expiration d'un délai de vingt-quatre heures suivant sa notification ou, si le président du tribunal administratif ou son délégué est saisi, avant qu'il n'ait statué " ; qu'il est précisé au paragraphe III que si l'arrêté de reconduite à la frontière est annulé, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues à l'article 35 bis et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que le préfet ait à nouveau statué sur son cas ; qu'en vertu du paragraphe IV, le jugement du président du tribunal administratif ou de son délégué est susceptible d'un appel dépourvu de caractère suspensif devant le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat ou un conseiller d'Etat délégué par lui ;

3. Considérant que ces dispositions sont critiquées en tant qu'elles prévoient que le recours présenté par un étranger contre un arrêté de reconduite à la frontière comporte un effet suspensif ; qu'il est soutenu de ce fait qu'elles portent atteinte au principe d'égalité devant la loi et devant la justice car elles créent une discrimination entre les nationaux et les étrangers ; qu'en effet, les nationaux désireux de franchir la frontière et empêchés de le faire par les administrations compétentes ne bénéficient pas de la garantie d'un recours suspensif ;

4. Considérant qu'en vertu de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse " ; que selon l'article 2 de la Constitution, la République " assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion " ;

5. Considérant que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit ;

6. Considérant que les conditions d'entrée et de séjour en France des étrangers sont soumises en vertu de l'ordonnance du 2 novembre 1945 à un régime juridique qui confère à l'autorité administrative des pouvoirs étendus ; que le refus de carte de séjour ou le refus de renouvellement de cette carte entraîne la reconduite à la frontière ; qu'en vertu de l'article 35 bis de l'ordonnance précitée l'étranger qui n'est pas en mesure de déférer immédiatement à une décision de reconduite à la frontière peut être maintenu, s'il y a nécessité absolue, par décision écrite et motivée du préfet dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire, pendant le temps strictement nécessaire à son départ ; qu'après vingt-quatre heures, le maintien de cette mesure de surveillance ne peut être décidé que par l'autorité judiciaire, pour une durée qui n'excède pas six jours, dans les conditions et suivant les modalités définies par la loi ;

7. Considérant que, dans ce cadre juridique où les étrangers se trouvent placés dans une situation différente de celle des nationaux, la loi déférée a, dans le dessein d'assurer l'exécution effective de l'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière tout en sauvegardant les droits des intéressés, organisé une procédure spécifique leur permettant de contester devant la juridiction administrative la légalité de la mesure d'éloignement qui les frappe ;

8. Considérant qu'eu égard tant à la situation particulière dans laquelle se trouvent les étrangers tombant sous le coup d'un arrêté de reconduite à la frontière qu'aux raisons d'intérêt général poursuivies par le législateur et qui sont en rapport avec l'objet de l'article 1er de la loi, les règles spécifiques instituées par ce texte ne portent pas atteinte au principe d'égalité ;

9. Considérant qu'en l'espèce il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen,

Décide :

Article premier :

La loi modifiant l'ordonnance n° 45-2648 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France n'est pas contraire à la Constitution.

Article 2 :

La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.


Synthèse
Numéro de décision : 89-266
Date de la décision : 09/01/1990
Loi modifiant l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France
Sens de l'arrêt : Conformité
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Saisine

SAISINE DEPUTES

Conformément à l'article 61 de la Constitution, les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel la loi modifiant l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée ou de séjour des étrangers en France, adoptée le 20 décembre 1989.

L'article 1er de la loi déférée n'est pas conforme à la Constitution car il méconnaît le principe d'égalité devant la loi et devant la justice et crée de ce fait une discrimination entre les nationaux et les étrangers.

Dans notre régime de libertés publiques, les citoyens français bénéficient du droit d'aller et de venir, tant sur le territoire de la République qu'à l'extérieur de celui-ci.

Toutefois, plusieurs procédures peuvent donner l'occasion à l'Etat de s'opposer à la liberté du mouvement des intéressés et de franchissement des frontières : ainsi en va-t-il des décisions portant refus de délivrance d'un passeport soumises au contrôle du juge de l'excès de pouvoir.

Ces décisions peuvent provoquer un préjudice de même nature, difficilement réparable, à celui que subirait un voyageur étranger de bonne foi faisant l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière.

Toutefois, en application de la nouvelle disposition contenue dans la loi déférée, les nationaux désireux de franchir la frontière et empêchés de le faire par les administrations compétentes ne bénéficieraient pas de la nouvelle garantie instaurée pour les ressortissants étrangers et comportant le bénéfice de l'effet suspensif de leur recours, disposition dérogatoire à un principe important de notre droit public.

Cette disparité des règles appliquées à des personnes se trouvant dans une situation très comparable et désireuses de franchir nos frontières, et ce en fonction du critère de la nationalité, est en opposition avec nos principes constitutionnels.

Car, si rien ne fait l'obstacle à ce que le régime juridique appliqué aux étrangers, comme par exemple en matière pénale, soit très proche, voire identique à celui appliqué aux nationaux, il n'en résulte pas que la Constitution ait autorisé le législateur à prévoir des dispositions plus favorables pour les étrangers que pour les nationaux, tout particulièrement pour les garanties qui entourent l'exercice des libertés publiques et du droit d'aller et venir.

Il est d'autant moins fondé à le faire que l'étranger, en vertu des règles du droit international public admises par la France, n'a pas de droit à l'admission sur le territoire français, alors que les nationaux disposent du droit de circuler librement et que les restrictions apportées à ce droit ne peuvent donc revêtir qu'un caractère très exceptionnel.

En l'absence de dispositions accordant des garanties similaires aux nationaux, sous la forme d'un recours à effet suspensif lorsque la puissance publique fait obstacle à leur droit de franchir les frontières, et notamment d'obtenir à cet effet les titres et documents nécessaires exigés par les autres Etats, l'article premier de la loi déférée doit donc être reconnu comme contraire à la Constitution.


Références :

DC du 09 janvier 1990 sur le site internet du Conseil constitutionnel
DC du 09 janvier 1990 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Loi modifiant l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France (Nature : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°89-266 DC du 09 janvier 1990
Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:1990:89.266.DC
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