La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/12/1991 | FRANCE | N°91-302

France | France, Conseil constitutionnel, 30 décembre 1991, 91-302


Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 20 décembre 1991, par MM Pierre Mazeaud, Georges Gorse, Jean-Louis Debré, Philippe Séguin, Guy Drut, Jean-Paul Charié, Gérard Léonard, Claude Dhinnin, Michel Giraud, Patrick Devedjian, Michel Barnier, Etienne Pinte, René André, Alain Peyrefitte, Patrick Ollier, Nicolas Sarkozy, Louis de Broissia, Olivier Dassault, Philippe Legras, Didier Julia, Eric Raoult, Jean-Michel Ferrand, Jean-Paul de Rocca-Serra, Jean Tiberi, René Couveinhes, Jean-Marie Demange, Pierre-Rémy Houssin, Régis Perbet, Christian Cabal, Pierre Pasquini, Pierre Mauger, Geo

rges Tranchant, Mmes Christiane Papon, Nicole Catala, MM Jea...

Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 20 décembre 1991, par MM Pierre Mazeaud, Georges Gorse, Jean-Louis Debré, Philippe Séguin, Guy Drut, Jean-Paul Charié, Gérard Léonard, Claude Dhinnin, Michel Giraud, Patrick Devedjian, Michel Barnier, Etienne Pinte, René André, Alain Peyrefitte, Patrick Ollier, Nicolas Sarkozy, Louis de Broissia, Olivier Dassault, Philippe Legras, Didier Julia, Eric Raoult, Jean-Michel Ferrand, Jean-Paul de Rocca-Serra, Jean Tiberi, René Couveinhes, Jean-Marie Demange, Pierre-Rémy Houssin, Régis Perbet, Christian Cabal, Pierre Pasquini, Pierre Mauger, Georges Tranchant, Mmes Christiane Papon, Nicole Catala, MM Jean-Yves Chamard, Robert Galley, Arthur Dehaine, René Galy-Dejean, Robert-André Vivien, Jean-Louis Goasduff, Arnaud Lepercq, Bernard Pons, Claude Wolff, Jean Proriol, Denis Jacquat, José Rossi, Jean-François Mattei, Gérard Longuet, Hubert Falco, Ladislas Poniatowski, Daniel Colin, Gilles de Robien, Willy Dimeglio, Jean-François Deniau, Jean-Pierre Philibert, Francis Saint-Ellier, René Garrec, Jean Bégault, Pascal Clément, Léonce Deprez, André Santini, Pierre-André Wiltzer, Marc Laffineur, François d'Aubert, Jean Rigaud, André Rossi, Paul Chollet, Michel Pelchat, Francis Delattre, Arthur Paecht, Philippe Vasseur, Charles Millon, Jean-Yves Haby, André Rossinot, Mme Louise Moreau, MM Georges Mesmin, Jean-Luc Préel, Jean Brocard, Francisque Perrut, Pierre Micaux, Gilbert Mathieu, Roger Lestas, Albert Brochard, Gilbert Gantier, Charles Fèvre, Francis Geng, Michel Voisin, Hubert Grimault, Edouard Landrain, Jean-Pierre Foucher, Jean-Jacques Hyest, François Rochebloine, Bernard Stasi, Claude Birreaux, Dominique Baudis, députés, et, le 23 décembre 1991, par MM Bernard Pons, Georges Gorse, Pierre Mazeaud, Jean-Louis Debré, Philippe Séguin, Guy Drut, Jean-Paul Charié, Gérard Léonard, Claude Dhinnin, Michel Giraud, Patrick Devedjian, Michel Barnier, Etienne Pinte, Jean Kiffer, Gautier Audinot, Jean-Claude Mignon, Richard Cazenave, Jean Ueberschlag, Mme Roselyne Bachelot, MM Charles Paccou, Dominique Perben, Roland Vuillaume, Jacques Toubon, Mme Françoise de Panafieu, MM Bernard Debré, Jean-Luc Reitzer, Christian Estrosi, Gabriel Kaspereit, René André, Alain Peyrefitte, Patrick Ollier, Nicolas Sarkozy, Olivier Dassault, Louis de Broissia, Philippe Legras, Didier Julia, Eric Raoult, Jean-Michel Ferrand, Jean-Paul de Rocca-Serra, Jean Tiberi, René Couveinhes, Jean-Marie Demange, Pierre-Rémy Houssin, Régis Perbet, Christian Cabal, Pierre Pasquini, Pierre Mauger, Georges Tranchant, Mmes Christiane Papon, Nicole Catala, MM Jean-Yves Chamard, Robert Galley, Arthur Dehaine, René Galy-Dejean, Robert-André Vivien, Jean-Louis Goasduff, Arnaud Lepercq, Jean-Pierre Philibert, Pascal Clément, Georges Durand, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi de finances pour 1992 ;

Le Conseil constitutionnel,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;

Vu l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 modifiée portant loi organique relative aux lois de finances ;

Vu le code civil, notamment ses articles 931 et 1328 ;

Vu le code rural, notamment ses articles 1003-4 à 1003-6 ;

Vu la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, notamment ses articles 62, 94, 96 et 110 ;

Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication, notamment ses articles 53 et 84 ;

Vu le décret n° 82-971 du 17 novembre 1982 relatif à l'assiette et au recouvrement de la redevance pour droit d'usage des appareils récepteurs de télévision et des appareils d'enregistrement et de reproduction des images et du son en télévision ;

Vu le décret n° 90-1171 du 21 décembre 1990 relatif à la fixation des taux de base applicables, à compter du 1er janvier 1991, de la redevance pour droit d'usage des appareils récepteurs de télévision ;

Vu le mémoire ampliatif présenté par les députés auteurs de la première saisine, enregistré au secrétariat général du Conseil constitutionnel le 20 décembre 1991 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que les auteurs de la première saisine contestent la conformité à la Constitution des articles 52, 53 et 106 de la loi de finances pour 1992 ainsi que de l'état A annexé à la loi en tant qu'il prévoit un prélèvement sur le "fonds de roulement" du budget annexe des prestations sociales agricoles ; que les auteurs de la seconde saisine critiquent l'article 15 de la loi ;

- SUR L'ARTICLE 15 PORTANT MODIFICATION DU REGIME FISCAL DES DONATIONS OU SUCCESSIONS EN CAS DE DONATIONS ANTERIEURES :

2. Considérant que l'article 15 de la loi comporte trois paragraphes ; que le paragraphe I, qui modifie l'article 784 du code général des impôts, tend à alléger, sous certaines conditions, le régime fiscal applicable aux donations ou successions ; que, pour la perception des droits de mutation à titre gratuit, est maintenu, en règle générale, le principe suivant lequel l'imposition est établie en prenant en compte les donations antérieures successives consenties à une même personne par le même donateur ou le défunt ; que les aménagements apportés à l'article 784 du code précité par l'article 15 de la loi ont pour objet de faire échapper au rappel des donations antérieures celles d'entre elles qui, à la date de la déclaration de succession ou de la donation en cause, remontent à plus de dix ans, à la condition qu'elles aient été "passées devant notaire" ;

3. Considérant que le paragraphe II de l'article 15, qui ajoute à cette fin un second alinéa à l'article 757 du code général des impôts, assujettit au droit de donation tout don manuel révélé par le donataire à l'administration fiscale ;

4. Considérant que le paragraphe III de l'article 15, qui insère dans le code général des impôts un article 635 A, fait obligation au donataire ou à ses représentants de déclarer ou d'enregistrer un don manuel dans le délai d'un mois qui suit la date à laquelle le donataire a révélé ce don à l'administration fiscale ;

5. Considérant que les auteurs de la seconde saisine limitent leurs critiques au paragraphe I de l'article 15 ; qu'ils soutiennent que la différence établie par ce paragraphe entre les donations passées devant notaire et les autres donations méconnaît le principe d'égalité ;

6. Considérant que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit ;

7. Considérant que l'article 15-I de la loi a pour objet de favoriser la transmission des patrimoines du vivant de leur détenteur en exceptant du rappel des donations antérieures celles qui ont été effectuées depuis plus de dix ans, dès lors qu'il s'agit de donations ayant elles-mêmes donné lieu au paiement de droits de mutation à titre gratuit ; que les donations qui satisfont à ces conditions ne présentent pas, eu égard à l'objet de l'article 15-I de la loi, une différence par rapport aux donations passées devant notaire qui serait susceptible de justifier, pour l'application des aménagements apportés au régime des droits de mutation à titre gratuit, la discrimination pratiquée ; que, par ailleurs, la discrimination ainsi opérée n'est pas justifiée par des motifs d'intérêt général qui soient en rapport avec l'objet, d'ordre purement fiscal, des dispositions en cause ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, dans le texte de l'article 15-I de la loi, doivent, en l'état, être déclarés contraires au principe d'égalité, les mots "devant notaire" ;

9. Considérant que les autres dispositions du paragraphe I de l'article 15 ne sont pas inséparables de celles qui sont contraires à la Constitution ;

- SUR L'ARTICLE 52 RELATIF A LA REPARTITION DU PRODUIT DE LA "CONTRIBUTION SOCIALE DE SOLIDARITE" SUR LES SOCIETES ET DE LA "COTISATION DE SOLIDARITE" :

10. Considérant que l'article 52 de la loi est composé de trois paragraphes distincts ; que le paragraphe I modifie les dispositions de l'article L. 651-1 du code de la sécurité sociale à l'effet d'étendre la liste des régimes de protection sociale bénéficiaires du produit de la "contribution sociale de solidarité" instituée par la loi n° 70-13 du 3 janvier 1970 et qui fait l'objet des articles L. 651-1 à L. 651-9 du code précité ; que parmi les nouveaux bénéficiaires figure le régime d'assurance vieillesse des exploitants agricoles ; que le paragraphe II de l'article 52 abroge les dispositions du 9° de l'article L. 651-2 du code de la sécurité sociale qui exonèrent de la "contribution sociale de solidarité" les sociétés tenues au versement d'une cotisation d'assurance vieillesse au régime des personnes non salariées des professions agricoles ; que le paragraphe III de l'article 52 abroge les dispositions de l'article 1126 du code rural, qui sont relatives à la détermination des personnes assujetties au paiement d'une "cotisation de solidarité" au profit de l'assurance vieillesse agricole des personnes non salariées, dans les conditions prévues à l'article L. 651-3 et aux premier, troisième et quatrième alinéas de l'article L. 651-5 du code de la sécurité sociale ;

11. Considérant que les auteurs de la première saisine font valoir que les dispositions de l'article 52 n'ont pas leur place dans une loi de finances ; qu'il est soutenu également que la compensation entre régimes de protection sociale opérée par cet article constitue une atteinte au droit de propriété constitutionnellement garanti par l'article 17 de la Déclaration de 1789 ;

. En ce qui concerne le moyen tiré de la violation de l'article 1er de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 :

12. Considérant qu'il résulte des textes législatifs la régissant que la contribution sociale de solidarité mise à la charge des sociétés par les articles L. 651-1 et suivants du code de la sécurité sociale est un prélèvement obligatoire qui ne présente ni le caractère d'une cotisation sociale ni celui d'une taxe parafiscale ; qu'elle constitue une "imposition" au sens de l'article 34 de la Constitution ; qu'en conséquence, les dispositions déterminant ses bénéficiaires comme celles supprimant un cas d'exonération sont au nombre de celles qui peuvent figurer dans un texte de loi de finances en application de l'article 1er, alinéa 3, de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 ;

13. Considérant que la "cotisation de solidarité" instituée par l'article 1126 du code rural, qui est soumise à des règles voisines de celles applicables à la "contribution sociale de solidarité", présente elle aussi le caractère d'une imposition ; que pour les motifs précédemment indiqués, une disposition procédant à son abrogation est au nombre de celles pouvant être comprises dans un texte de loi de finances ;

. En ce qui concerne le moyen tiré de l'atteinte au droit de propriété :

14. Considérant que si le dispositif résultant de l'article 52 de la loi aboutit à accroître les recettes du budget annexe des prestations sociales agricoles grâce aux ressources provenant de la "contribution sociale de solidarité", ce mode de financement n'entraîne pas d'atteinte au droit de propriété des sociétés assujetties à l'imposition précitée ; que, par ailleurs, les régimes de protection sociale qui étaient antérieurement seuls attributaires du produit de cette imposition ne bénéficient pas d'un droit acquis au maintien de cette ressource fiscale ;

- SUR L'ARTICLE 53 PORTANT AJUSTEMENT DU MONTANT DE LA TAXE SUR LA VALEUR AJOUTEE AFFECTE AU BUDGET ANNEXE DES PRESTATIONS SOCIALES AGRICOLES :

15. Considérant que l'article 53 de la loi fait passer de 0,60 p. 100 à 0,40 p. 100 le taux de la cotisation, perçue au profit du budget annexe des prestations sociales agricoles, incluse dans les taux de la taxe sur la valeur ajoutée ; que cette mesure est une conséquence tirée par le législateur des modifications apportées par l'article 52 à la répartition du produit de la "contribution sociale de solidarité" mise à la charge des sociétés ;

16. Considérant que, comme il a été dit ci-dessus, l'article 52 de la loi n'est pas contraire à la Constitution ; qu'ainsi, il ne saurait être valablement soutenu que l'article 53 devrait être déclaré non conforme à la Constitution par voie de conséquence de l'inconstitutionnalité de l'article 52 ; qu'au surplus, aucun moyen propre n'est invoqué par les auteurs de la première saisine à l'encontre de l'article 53 de la loi ;

- SUR L'ARTICLE 106 RELATIF AUX POUVOIRS DE CONTROLE DES AGENTS DU SERVICE DE LA REDEVANCE DE L'AUDIOVISUEL :

17. Considérant que l'article 106 de la loi de finances pour 1992 a pour objet de conférer à l'article 95 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982, tel qu'il résulte de l'article 84 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986, une rédaction nouvelle qui comprend deux paragraphes ;

18. Considérant qu'aux termes du paragraphe I de l'article 95 nouveau de la loi modifiée du 29 juillet 1982, "les agents assermentés du service de la redevance de l'audiovisuel chargés du contrôle de la redevance pour droit d'usage des appareils récepteurs de télévision se font communiquer : 1° Par les constructeurs, importateurs, réparateurs, bailleurs et personnes faisant commerce d'appareils de télévision, les livres dont la tenue est prescrite par le titre II du livre premier du code de commerce ainsi que tous les livres de comptabilité, documents annexes, pièces de recettes et de dépenses ; 2° Par les officiers ministériels, les documents comptables et les pièces justificatives y afférentes, tenus à l'occasion des ventes publiques" ;

19. Considérant que suivant le paragraphe II de l'article 95 nouveau de la loi n° 82-652, "pour des recherches non exhaustives relatives à des personnes détenant ou susceptibles de détenir un appareil récepteur de télévision, et n'ayant pas souscrit la déclaration prévue par l'article 94 ou ayant souscrit une déclaration inexacte ou incomplète, les agents assermentés du service de la redevance chargés du contrôle de la redevance pour droit d'usage des appareils récepteurs de télévision se font communiquer : 1° Par les diffuseurs ou distributeurs de services de télévision, les informations nominatives relatives à leurs abonnés ; 2° Par les gestionnaires publics ou privés d'immeubles à usage d'habitation, les documents de service relatifs aux raccordements aux antennes collectives de télévision ou aux réseaux câblés, ainsi que toute information liée à ces documents et permettant d'identifier les détenteurs de récepteurs de télévision ; 3° Sans qu'il puisse être fait obstacle au secret statistique défini par la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 sur l'obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques, par l'Etat, les collectivités locales et les établissements publics, tous documents contenant les informations permettant à ces agents assermentés d'accomplir leurs missions" ;

20. Considérant que les auteurs de la première saisine soutiennent que le renforcement des pouvoirs des agents du service de contrôle de la redevance de l'audiovisuel porte atteinte à la liberté de communication, aux libertés individuelles ainsi qu'au principe de stricte confidentialité des données nominatives informatisées qui doit être rangé, selon eux, parmi les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ; qu'il est soutenu en outre que l'article 106 est contraire au principe d'égalité et qu'il méconnaît, par ses modalités, "le principe de proportionnalité qui doit exister entre le but poursuivi et les moyens mis en oeuvre" ;

21. Considérant qu'aux termes du cinquième alinéa de l'article 34 de la Constitution, "les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'Etat dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique" ; que l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances définit les dispositions qui relèvent du domaine exclusif d'intervention des lois de finances ainsi que celles qui peuvent figurer dans un texte présentant ce caractère ;

22. Considérant qu'ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus, l'article 106 de la loi déférée modifie les dispositions de l'article 95 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle en étendant les pouvoirs des agents du service de la redevance audiovisuelle ;

23. Considérant que l'article 106 ne concerne pas directement la détermination des ressources et des charges de l'Etat ; qu'il n'a pas pour but d'organiser l'information et le contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques ou d'imposer aux agents des services publics des responsabilités pécuniaires ; qu'il n'entre pas davantage dans le champ des prévisions du troisième alinéa de l'article 1er de l'ordonnance n° 59-2 aux termes desquelles "les lois de finances peuvent également contenir toutes dispositions relatives à l'assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature" ; qu'en effet, la redevance pour droit d'usage des appareils récepteurs de télévision a, en raison de son mode d'établissement, de l'objet en vue duquel elle a été instituée et du statut juridique des organismes auxquels son produit est attribué, le caractère d'une taxe parafiscale et non celui d'une imposition ; que, s'agissant d'une taxe parafiscale, il revient seulement à la loi de finances d'en autoriser annuellement la perception au-delà du 31 décembre de l'année de son établissement ainsi qu'il ressort des termes mêmes de l'article 4, alinéa 3, de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 ;

24. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'article 106 est étranger à l'objet des lois de finances ; qu'il suit de là que cet article a été adopté selon une procédure irrégulière ; que, dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens invoqués à son encontre, l'article 106 doit être déclaré non conforme à la Constitution ;

- SUR LA LIGNE 70-28 DE L'ETAT A :

25. Considérant que l'état A annexé à la loi de finances comporte au sein du budget annexe des prestations sociales agricoles une ligne 70-28 intitulée "Prélèvement sur le fonds de roulement" d'un montant de 260 millions de francs ;

26. Considérant que les auteurs de la première saisine soutiennent que le prélèvement ainsi opéré méconnaît les prescriptions de l'article 21 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 relatives à la détermination des recettes et des dépenses des budgets annexes ;

27. Considérant que les règles applicables à l'ensemble des budgets annexes découlent des articles 20, 21 et 22 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances ;

28. Considérant qu'aux termes de l'article 20 "les opérations financières des services de l'Etat que la loi n'a pas dotés de la personnalité morale et dont l'activité tend essentiellement à produire des biens ou à rendre des services donnant lieu au paiement de prix peuvent faire l'objet de budgets annexes. Les créations ou suppressions de budgets annexes sont décidées par les lois de finances" ; qu'en vertu de l'article 21 "les budgets annexes comprennent d'une part, les recettes et les dépenses d'exploitation, d'autre part, les dépenses d'investissement et les ressources spéciales affectées à ces dépenses" ; que, d'après l'article 22, "les services dotés d'un budget annexe peuvent gérer des fonds d'approvisionnement, d'amortissement, de réserve et de provision" ;

29. Considérant que le budget annexe des prestations sociales agricoles a été institué par l'article 58.I de la loi de finances pour 1960 n° 59-1454 du 26 décembre 1959 ; que la loi de finances pour 1960, en insérant à cette fin un article 1003-4 au code rural, a déterminé la nature des recettes et des dépenses que comporte ce budget annexe ; qu'au nombre des dépenses figurent les versements au fonds de réserve régi par l'article 1003-5 du code rural ; que l'article 1003-6 du même code fixe les conditions de règlement, en fin d'année, des excédents de recettes ou de dépenses ; qu'il est précisé que les excédents de dépenses sont couverts par des prélèvements sur le fonds de réserve ou, à défaut, par des avances du Trésor ;

30. Considérant que la référence faite par la ligne 70-28 de l'état A annexé à la loi au "fonds de roulement" du budget annexe des prestations sociales agricoles ne saurait viser que le "fonds de réserve" dont l'institution a été prévue par l'article 58.I de la loi de finances pour 1960 ; qu'il suit de là que la mention à la ligne 70-28 de l'état A d'une recette d'exploitation ne constitue qu'une simple évaluation ; qu'en effet, eu égard aux prescriptions de l'article 1003-6 du code rural, le montant éventuel du prélèvement sur le fonds de réserve ne pourra être fixé qu'en fin d'année ;

31. Considérant que sous ces réserves d'interprétation les dispositions contestées de l'état A annexé à la loi de finances ne sont pas contraires à la Constitution ;

D E C I D E :

Article premier.- Dans le texte de la loi de finances pour 1992, sont déclarés contraires à la Constitution :
-à l'article 15-I, les mots "devant notaire" ;
- l'article 106.

Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 30 décembre 1991.


Synthèse
Numéro de décision : 91-302
Date de la décision : 30/12/1991
Loi de finances pour 1992
Sens de l'arrêt : Non conformité partielle
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Saisine

DEUXIEME SAISINE DEPUTES L'article 11 de la loi de finances opère une rupture de principe d'égalité qui entraîne son inconstitutionnalité.

La question posée, comme cela ressort des travaux des parlementaires, met en cause le principe d'égalité devant l'impôt ainsi que la lutte contre la fraude fiscale.

Il n'est pas nécessaire de rappeler que le principe d'égalité devant l'impôt et les charges publiques a valeur constitutionnelle, comme le Conseil constitutionnel l'a souvent souligné, en censurant les dispositions qui le méconnaissent (en particulier CC. n° 7351 DC, Rec. 25 ; AJDA 1974273, note P-M Gaudemet ; JCP 1974II, 17691, note Nguyen Quoc Vinh ; RDP 1974531 et 1099, note L Philip ; 85 200 DC, 16 janvier 1986, Cons. 7 et 18, Rec. 9 ; 86209 DC, 3 juillet 1986, Cons. 25, Rec. 86).

Il n'est pas nécessaire non plus de rappeler que le principe d'égalité n'impose pas de manière absolue l'identité de traitement de tous les intéressés et particulièrement de tous les contribuables.

De manière générale, " le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit " (CC n° 87232 DC, 7 janvier 1988, Cons. 10 Rec. 17).

En particulier, le principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce que le législateur édicte des dispositions fiscales différentes pour des personnes placées dans des situations différentes (CC 84-184 DC, 29 décembre 1984, Cons. 16 à 18, Rec. 94 ; dans le même sens 79-DC, 9 janvier 1980, Rec. 32 ; 82-140 DC, 28 juin 1982, Cons. 1°, Rec. 45 84-186 DC, 29 décembre 1984, Cons. 5 et 6, Rec. 107 ; 89-270 DC, 29 décembre 1989, Cons. 5, Rec. 129 ; 90-285 DC, 28 décembre 1990, Cons. 27 à 31).

Les différences de situations peuvent être elles-mêmes liées aux risques de fraude fiscale ou même seulement d'évasion fiscale.

Ainsi, lorsque des dispositions ont pour objet de lutter contre la fraude fiscale, il n'est pas arbitraire d'établir une distinction entre des personnes qui sont soumises à des régimes fiscaux ne comportant pas des modes de déclaration et de contrôle semblables. En particulier, ne méconnaît pas le principe d'égalité une distinction entre personnes ayant leur domicile fiscal en France et celles qui ont leur domicile fiscal hors de France (CC 83-164 DC, 29 décembre 1983, Cons. 33, Rec. 67).

Il résulte nécessairement de l'article 13 de la déclaration de 1789 que l'exercice des libertés et droits individuels ne peut en rien excuser la fraude fiscale, ni entraver sa légitime répression.

Il appartient au législateur de choisir les moyens propres à réprimer la fraude fiscale (CC 86-209 DC, 3 juillet 1986, Cons. 33, Rec. 86).

Et, si l'exonération fiscale des primes de remboursement distribuées ou réparties par un organisme collectif de placement en valeurs mobilières n'est supprimée que lorsque ces primes représentent plus de 10 p 100 du montant des revenus distribués, une telle différenciation, qui tend précisément à faire échec à un risque d'évasion fiscale qui s'est manifesté dans cette hypothèse, ne porte pas atteinte au principe constitutionnel d'égalité (CC 89-268 DC, 29 décembre 1989, Cons. 42, Rec. 110).

Cependant, quelles que soient les possibilités de différenciations tenant compte des différences de situations, en fonction notamment des risques de fraude fiscale, voire d'évasion fiscale, ces possibilités ne sont pas indéfinies : il est nécessaire, comme le souligne notamment la décision précitée du 7 janvier 1988, que la différence de traitement soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit.

Tel n'était pas le cas du dispositif censuré par le Conseil constitutionnel dans sa décision précitée du 27 décembre 1973, à propos de la taxation d'office des contribuables :

" Les dispositions de l'article 62 de la loi de finances pour 1974 tendent à ajouter à l'article 180 du code général des impôts des dispositions qui ont pour objet de permettre au contribuable, taxé d'office à l'impôt sur le revenu dans les conditions prévues audit article, d'obtenir la décharge de la cotisation qui lui est assignée à ce titre s'il établit, sous le contrôle du juge de l'impôt, que les circonstances ne peuvent laisser présumer "l'existence de ressources illégales ou occultes ou de comportement tendant à éluder le paiement normal de l'impôt" ;

" toutefois la dernière disposition de l'alinéa ajouté à l'article 180 du code général des impôts par l'article 62 de la loi de finances pour 1974 tend à instituer une discrimination entre les citoyens au regard de la possibilité d'apporter une preuve contraire à une décision de taxation d'office de l'administration les concernant ; ainsi ladite disposition porte atteinte au principe de l'égalité devant l'impôt contenu dans la Déclaration des droits de l'homme de 1789 et solennellement réaffirmé par le préambule de la Constitution ;

" dès lors il y a lieu de déclarer non conforme à la Constitution la dernière disposition de l'alinéa ajouté à l'article 180 du code général des impôts par l'article 62 de la loi de finances pour 1974 ".

De même, dans sa décision précitée n° 86-209 DC du 3 juillet 1986, le Conseil constitutionnel a considéré (Cons. 26) :

" que le délai de reprise de deux ans prévu au bénéfice des titulaires de revenus composés exclusivement de salaires, traitements et pensions, est justifié, dans l'intention du législateur, par le fait que ces rémunérations sont généralement déclarées par les tiers, ce qui a pour conséquences de limiter les risques de sous-déclaration et de faciliter les contrôles ; que, toutefois, le bénéfice de ce régime est écarté dès lors qu'au cours d'une des deux années en cause le contribuable a disposé, même dans une proportion infime, de revenus d'une autre catégorie que les salaires, traitements et pensions ; qu'ainsi le paragraphe II de l'article 18 aboutit à traiter différemment au regard de l'exercice par l'administration fiscale de son droit de reprise des contribuables qui peuvent être placés dans des conditions quasiment identiques ; que cette différence de traitement porte atteinte au principe d'égalité des citoyens devant la loi ; qu'il suit de là que le paragraphe II de l'article 18 n'est pas conforme à la Constitution. "

C'est au regard de cette jurisprudence qu'il faut déterminer si la différence établie par l'article 11 de la loi de finances pour 1992 entre les donations passées devant notaire et les autres est contraire ou non au principe d'égalité devant l'impôt.

Il faut considérer à ce sujet l'objectif du législateur, tel qu'il ressort des travaux préparatoires.

Cet objectif est double :

: d'une part, le législateur a voulu favoriser la transmission des patrimoines en exceptant du rappel des donations antérieures celles qui ont été effectuées depuis plus de dix ans ;

: d'autre part, il n'a voulu faire bénéficier de cette exception que les donations véritables ayant donné lieu aux droits de mutation à titre gratuit auxquels le code général des impôts les assujettit.

En revanche, les dons occultes, parce que, par définition, ils ne sont pas connus et n'ont pas donné lieu au paiement des droits de mutation, ne peuvent, lorsqu'ils sont révélés, donner lieu au bénéfice de l'exception.

Cette exclusion va de soi. Il ne saurait être question de faire bénéficier de la disposition nouvelle des dons que les contribuables ont effectués dans des conditions de fraude.

S'ensuit-il qu'il faille limiter le bénéfice de l'exception aux seules donations passées devant notaire, et l'exclure pour les dons qui, sans avoir donné lieu à un acte authentique, n'en ont pas moins été effectués à la fois avec une date certaine (ce qui est important pour l'application du délai de dix ans) et avec la déclaration de leur montant, en vue du paiement des droits de mutation à titre gratuit, c'est-à-dire par acte sous seing privé soumis à enregistrement ?

Il existe une différence juridique entre l'acte authentique et l'acte sous seing privé faisant l'objet d'un enregistrement.

L'acte authentique est régi par les articles 1317 et suivants du code civil.

Selon l'article 1317, " l'acte authentique est celui qui a été reçu par officiers publics ayant le droit d'instrumenter dans le lieu où l'acte a été rédigé, et avec les solennités requises ".

Parmi les officiers publics figurent les notaires.

Selon l'article 1319, " l'acte authentique fait pleine foi de la convention qu'il renferme entre les parties contractantes et leurs héritiers ou ayants cause.

" Néanmoins, en cas de plaintes en faux principal, l'exécution de l'acte argué de faux sera suspendue par la mise en accusation ; et, en cas d'inscription de faux faite incidemment, les tribunaux pourront, suivant les circonstances, suspendre provisoirement l'exécution de l'acte ".

L'inscription de faux est régie par les articles 303 et suivants du nouveau code de procédure civile.

L'acte sous seing privé est régi par les articles 1322 et suivants du code civil.

Selon l'article 1322, " l'acte sous seing privé, reconnu par celui auquel on l'oppose, ou légalement tenu pour reconnu, a, entre ceux qui l'ont souscrit et entre leurs héritiers et ayants cause, la même foi que l'acte authentique ".

Les articles 1323 et 1324 permettent de désavouer un acte sous seing privé. En particulier (art 1324) " dans le cas où la partie désavoue son écriture ou sa signature et dans le cas où ses héritiers ou ayants cause déclarent ne les point connaître, la vérification en est ordonnée en justice ".

L'article 1326 précise : " L'acte juridique par lequel une seule partie s'engage envers une autre à lui payer une somme d'argent ou à lui livrer un bien fongible doit être constaté dans un titre qui comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite de sa main, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres. En cas de différence, l'acte sous seing privé vaut pour la somme écrite en toutes lettres. "

Enfin, selon l'article 1328, " les actes sous seing privé n'ont de date contre les tiers que du jour où ils ont été enregistrés, du jour de la mort de celui ou de l'un de ceux qui les ont soucrits, ou du jour où leur substance est constatée dans les actes dressés par des officiers publics, tels que procès-verbaux de scellé ou d'inventaire ".

Ainsi l'acte sous seing privé est doté d'une force probante inférieure à l'acte authentique : c'est là la différence importante.

Il n'en reste pas moins des rapprochements :

: l'enregistrement de l'acte sous seing privé lui donne une date aussi certaine que celle de l'acte authentique ;

: l'acte sous seing privé reconnu par son auteur ou les héritiers de celui-ci a la même foi que l'acte authentique ;

: le désaveu de l'acte sous seing privé donne lieu à une vérification en justice de même que l'inscription de faux contre l'acte authentique donne lieu à une action en justice ;

: l'engagement de payer une somme d'argent ou de livrer une chose fongible peut être établi aussi bien dans un acte sous seing privé que dans un acte authentique.

Bien plus, l'article 1341 du code civil met à égalité l'acte authentique établi par notaire et l'acte sous seing privé :

" Il doit être passé acte devant notaires ou sous signatures privées de toutes choses excédant une somme ou une valeur fixée par décret, même pour dépôts volontaires, et il n'est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes, ni sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes, encore qu'il s'agisse d'une somme ou valeur moindre. "

Cette disposition, comme celle de l'article 1326, peut s'appliquer particulièrement aux donations entre vifs.

Il est vrai que l'article 931 du code civil dispose :

" Tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaires, dans la forme ordinaire des contrats ; et il en restera minute, sous peine de nullité. "

Ce libellé, pris au sens strict, paraît rendre sans objet le problème de la distinction entre les donations par devant notaire et la donation par acte sous seing privé, puisque les donations par actes sous seing privé seraient impossibles.

Or, comme le souligne le rapport de M Alain Richard, la jurisprudence civile admet la validité des dons manuels (et y assimile des donations indirectes) : dont la caractéristique est, nonobstant l'article 931 du code civil, de ne pas être passés devant notaire : il en est ainsi en particulier des remises de chèques, des virements, des transferts de titre au porteur, de la transmission d'actions nominatives au moyen d'un bordereau de transfert : autant d'opérations qui concernent notamment les transmissions d'entreprises.

Selon le même rapport, le code général des impôts appréhende les dons manuels, spécialement lorsqu'ils sont présentés spontanément à l'enregistrement.

L'article 757 disposait à ce sujet expressément avant même la nouvelle loi de finances :

" Les actes renfermant soit la déclaration par le donataire ou ses représentants soit la reconnaissance judiciaire d'un don manuel sont sujets au droit de donation. "

Le nouvel alinéa ajouté à l'article 757 par l'article 11-II de la loi de finances pour 1992 confirme la solution dans les termes suivants :

" La même règle s'applique lorsque le donataire révèle un don manuel à l'administration fiscale. "

Le nouvel article 635 A introduit dans le code général des impôts par l'article 11-III détermine le régime de déclaration ou d'enregistrement des dons manuels révélés par le donataire à l'administration fiscale.

Les dons manuels, loin d'être exclus par l'article 931 du code civil, sont reconnus à la fois par la jurisprudence civile et par le législateur fiscal.

Ils doivent, selon l'article 1341 du code civil, au-dessus d'une certaine somme, être passés par un écrit qui peut être aussi bien un acte sous seing privé qu'un acte devant notaire.

Lorsqu'ils sont ainsi établis, leur enregistrement leur donne date certaine.

Cet enregistrement a pour effet également d'entraîner le paiement des droits de donation.

Dès lors on peut comparer la donation effectuée devant notaire et la donation par acte sous seing privé faisant l'objet d'un enregistrement :

: dans les deux cas, la donation a date certaine ;

: dans les deux cas, le montant de la donation est connu par l'administration fiscale ;

: dans les deux cas, la donation donne lieu au paiement des mêmes droits à concurrence du montant qui y est assujetti.

La différence de valeur probante qui sépare l'acte authentique de l'acte sous seing privé est sans rapport avec la loi fiscale, et plus particulièrement avec l'objet de l'article 11 de la nouvelle loi de finances :

: la loi fiscale veut atteindre la matière imposable : elle y parvient aussi bien grâce à l'acte sous seing privé enregistré que par l'acte notarié ;

: la nouvelle loi de finances veut excepter du rappel des donations antérieures celles qui ont été effectuées plus de dix ans avant une nouvelle donation ou une succession : par rapport à cet objet, l'acte sous seing privé enregistré ne présente pas de différence par rapport à l'acte notarié, puisque, comme lui, il a date certaine et a donné lieu au paiement des droits de mutation (à concurrence du montant qui y est assujetti).

Les travaux préparatoires font apparaître que la différence instituée au profit des actes notariés est justifiée par la volonté de lutter contre la fraude fiscale : objectif qui, selon la jurisprudence précitée du Conseil constitutionnel, justifie des différences de traitement.

Trois considérations peuvent jouer :

La première tient à la meilleure information des parties à une donation lorsque celle-ci est passée devant notaire que lorsqu'elle ne l'est pas. L'intervention d'un notaire est certainement une garantie pour les intéressés : en particulier le devoir de conseil du notaire leur permet de connaître leurs droits et obligations. C'est pour eux une sécurité juridique. Mais, pour importante qu'elle soit, cette considération n'est pas déterminante au regard de la disposition ici examinée.

D'une part, les parties peuvent être éclairées par d'autres professionnels du droit. L'opposition à cet égard est non pas entre donations devant notaire et donations hors notaire mais entre donations avec le concours de professionnels du droit et donations sans ce concours.

D'autre part, et surtout, le problème des garanties offertes par l'intervention d'un notaire concerne les parties à la donation, non l'administration fiscale. Il porte sur la sécurité juridique de l'opération, non sa sécurité fiscale.

Au regard de la loi fiscale, la question est de savoir non si la donation est bien conçue et bien rédigée mais sur quel montant elle porte. Sous ce rapport, l'intervention d'un notaire est secondaire.

Ce qui est important pour la loi fiscale, c'est de connaître le montant de la donation, non la forme dans laquelle elle a été réalisée.

Or, comme on l'a relevé plus haut, la connaissance de la donation peut résulter non seulement d'un acte notarié, mais encore d'un acte sous seing privé enregistré.

En second lieu, le législateur a voulu éviter les dons manuels occultes, réalisés dans des conditions les faisant échapper à l'impôt.

Cet objectif de lutte contre la fraude fiscale n'est pas atteint par la limitation du bénéfice des dispositions relatives aux donations de plus de dix ans à celles qui ont donné lieu à un acte notarié.

Les personnes qui voudront échapper aux droits sur les donations ne recourront pas plus à un notaire qu'à un autre intermédiaire : elles procéderont purement et simplement de manière occulte, sans recourir à quiconque.

Même si elles recourent à un notaire, elles pourront ne lui révéler qu'une partie de la donation et garder l'autre secrète.

N'y aurait-il pas même des hypothèses où l'obligation de recourir à un notaire peut prêter à une hésitation et faire préférer le don occulte ?

L'essentiel pour la loi fiscale est d'appréhender les dons manuels et de les soumettre aux règles sur les droits de donation.

L'essentiel est donc de les connaître. Or cette connaissance peut résulter aussi bien d'un acte sous seing privé enregistré que d'un acte notarié.

Dans l'objectif de lutte contre la fraude fiscale, la différence est entre les dons occultes et les dons officiellement déclarés, non entre les actes sous seing privé et les actes notariés. Dès lors que, par l'enregistrement, les actes sous seing privé sont connus par le fisc aussi bien que les actes notariés, ils doivent être traités de la même manière.

Enfin, le législateur voudrait éviter le " blanchiment " de l'argent d'origine illicite ou simplement douteuse. Les dons manuels seraient dans certains cas une manière de justifier l'existence d'une somme d'argent. En limitant le bénéfice de la nouvelle disposition aux donations devant notaire, le législateur éviterait ce genre " d'apurement " de l'argent " sale ".

Cet objectif est évidemment important. Il a déjà justifié l'adoption de dispositions rigoureuses, notamment en ce qui concerne l'obligation de déclarer des sommes d'origine douteuse pesant sur certaines personnes et les pouvoirs d'investigations de différentes autorités (loi du 12 juillet 1990 et décret du 13 février 1991). Les notaires ne font pas l'objet à ce sujet d'obligations qui leur soient propres.

Contrairement aux actes portant sur des immeubles, pour lesquels les notaires doivent établir l'origine de propriété, les actes portant sur des sommes d'argent ne donnent pas lieu de leur part à une recherche d'origine. Les dispositions relatives à la découverte d'argent d'origine douteuse ne pèsent pas plus sur les notaires que sur d'autres personnes. Ils ne sont pas soumis à cet égard à un régime analogue à celui qui pèse sur les organismes financiers. Ils sont dans la même situation que n'importe quel professionnel (art 2 de la loi du 12 juillet 1990).

Lorsque l'administration fiscale a connaissance de sommes d'argent sur l'origine desquelles elle peut avoir un doute, il importe peu que cette connaissance provienne d'une déclaration notariée ou d'une autre déclaration. Ses moyens d'investigation sont les mêmes dans les deux cas. Dès lors qu'elle a un doute, elle peut exercer, aussi bien sur le donneur que sur le donataire, les pouvoirs d'investigation et de vérification qu'elle tient du code général des impôts.

La situation ne change pas selon que la donation a été faite par acte devant notaire ou par acte sous seing privé enregistré.

La donation devant notaire et la donation par acte sous seing privé enregistré ne présentent pas de différences au regard de la lutte contre les trafics illicites, pas plus qu'au regard de la lutte contre la fraude fiscale.

Dès lors, les justifications permettant d'établir des discriminations entre contribuables n'existent pas en l'espèce : le principe d'égalité est donc violé : comme il l'a été notamment dans les affaires jugées par le Conseil constitutionnel le 27 décembre 1973 et le 3 juillet 1986.

PREMIERE SAISINE DEPUTES

En application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, les parlementaires soussignés défèrent au Conseil constitutionnel le texte de la loi de finances pour 1992, tel qu'il est considéré comme adopté par l'Assemblée nationale dans sa séance du 19 décembre 1991, afin qu'il plaise au conseil de déclarer certaines de ses dispositions non conformes à la Constitution.

Sur le renforcement des pouvoirs du service de la redevance de l'audiovisuel :

L'article 82 de la loi modifie en profondeur le dispositif prévu par l'article 95 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle qui instituait pour les agents assermentés du service de la redevance de l'audiovisuel un droit de communication sur les livres des commerçants, constructeurs, importateurs, réparateurs et bailleurs de postes de télévision, ainsi que sur les documents comptables et les pièces justificatives des officiers ministériels dans les cas de ventes publiques.

La disposition contestée de la loi de finances pour 1992 élargit considérablement le champ du mécanisme actuel en autorisant les agents assermentés du service de la redevance à se faire communiquer, outre les informations actuellement livrables, par les diffuseurs ou distributeurs de services de télévision " les informations nominatives relatives à leur abonnés ", et par les gestionnaires publics ou privés d'immeubles à usage d'habitation, les " documents de service relatifs aux raccordements aux antennes collectives de télévision ou aux réseaux câblés, ainsi que toute information liée à ces documents et permettant d'identifier les détenteurs de récepteurs de télévision ". Par ailleurs, " sans qu'il puisse être fait obstacle au secret statistique défini par la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 ", l'Etat, les collectivités locales et les établissements publics devront communiquer au service de la redevance " tous documents contenant les informations permettant à ces agents assermentés d'accomplie leurs missions ".

Sur plusieurs points, ces dispositions encourent l'inconstitutionnalité.

1° Atteinte aux libertés A : Liberté de communication

L'article 82 apparaît contraire au principe de liberté de communication. Ce principe qui a été défendu à plusieurs reprises dans vos décisions n° 84-173 DC du 26 juillet 1984 et n° 86-210 DC du 29 juillet 1986 impose au législateur de veiller à sauvegarder le pluralisme et éviter que les moyens de communication, presse écrite ou presse audiovisuelle, puissent être soumis à l'influence du pouvoir politique.

La liberté de communication et son corollaire obligé qu'est le pluralisme ne peuvent être réellement garantis qu'à deux conditions : d'une part il faut que les organes de communication puissent exercer leur activité en toute indépendance à l'égard du pouvoir, mais d'autre part il faut que le lecteur, l'auditeur ou le téléspectateur puisse choisir librement son média sans qu'aucun contrôle puisse être exercé sur ce choix.

Or, en permettant à des agents de l'Etat de prendre connaissance des listes nominatives des abonnés à un réseau câblé ou, a fortiori, à une chaîne de télévision payante, l'article incriminé porte gravement atteinte à ce principe de libre choix. Le fait de laisser à un service de l'Etat la possibilité de contrôler quels sont les citoyens qui ont choisi tel ou tel type de média pour s'informer apparaît fondamentalement dangereux pour notre démocratie.

B : Libertés individuelles

Le principe de la protection de la vie privée prend place parmi les principes généraux du droit et figure à l'article 9 du code civil dans les termes suivants : " chacun a droit au respect de sa vie privée ". De même faut-il citer l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui énonce pour sa part : " toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ".

Ces stipulations désignent bien les " documents de service " relatifs aux raccordements qui pourraient être exigés auprès des gestionnaires d'immeubles, car ils contiennent justement non seulement l'ordre passé à l'installateur, mais aussi la demande formulée par la personne qui désire être raccordée.

S'agissant de la fourniture d'informations par les personnes publiques mentionnées dans le dernier alinéa de l'article en cause, la généralité des termes définissant le champ du contrôle laisse une marge d'appréciation considérable aux agents chargés de le mettre en uvre, puisqu'il est fait allusion à l'accomplissement de missions dont le contenu est fixé par le service de la redevance lui-même.

Outre que cette rédaction fait échec à la sauvegarde de la liberté individuelle, elle est de nature à affaiblir le secret statistique rappelé au même paragraphe de l'article (voir en ce sens votre décision n° 82-148 DC du 14 décembre 1982 sur la composition des conseils d'administration des organismes de sécurité sociale, à propos de la conciliation entre la publicité des listes électorales et le secret de la vie privée).

2° Rupture du principe d'égalité

L'article 82 apparaît aussi contraire au principe d'égalité.

L'abondante jurisprudence dans ce domaine a permis de définir les cas où le législateur pouvait méconnaître ce principe : la rupture du principe d'égalité ne se justifie que si l'inégalité de traitement correspond à une inégalité de situation ou si elle est conforme au but poursuivi par le législateur. Or aucune des deux conditions n'est remplie en l'espèce.

Le contrôle prévu ne s'appliquera qu'à l'égard des seules sociétés de télévision qui ont choisi l'abonnement comme mode de financement ou le câble comme mode de diffusion. De plus, le but poursuivi par le législateur est de lutter contre le non-paiement de la redevance télévisée dont le produit est affecté aux seules chaînes publiques.

Il apparaît donc incohérent avec le but poursuivi d'imposer à des opérateurs privés des contraintes particulières visant à améliorer le financement des chaînes publiques.

L'inégalité opérée par la disposition incriminée entre les différentes sociétés de télévision apparaît donc injustifiée.

En premier lieu, l'extension du champ d'investigation des agents assermentés du service de la redevance ne s'étend pas de manière égale à tous les agents économiques qui peuvent détenir les informations intéressant ce service.

Les diffuseurs ou distributeurs de télévision sont seuls visés, alors que les éditeurs de revues de programmes de télévision, de catalogues de cassettes vidéo par exemple, détiennent des fichiers d'abonnés qui sont tout aussi révélateurs de la détention d'un poste récepteur de télévision. De même, les vendeurs, loueurs ou clubs de cassette vidéo sont en réalité dans la même situation, au regard de la détention de postes récepteurs de télévision, que les diffuseurs de service.

Or il résulte clairement des débats parlementaires que le Gouvernement a entendu à titre principal atteindre les abonnés aux réseaux câblés et à la chaîne à péage Canal Plus ; le ministre délégué au budget déclara en effet à l'Assemblée nationale, au cours des débats de la première lecture du texte (cf 3e séance du 15 novembre 1991, JO AN, p 6163, première colonne in fine) : " le système que j'ai trouvé consiste à utiliser les fichiers d'abonnement à des réseaux de télévision particuliers : câbles, chaînes à péage, par exemple ", et il ajoute pour illustrer son propos : " il y en a même qui déboursent 160 F par mois pour une chaîne à péage, mais qui refusent de payer 500 et quelques francs par an au titre de la redevance. On marche cul par-dessus tête (sic) ".

La référence précise au montant de l'abonnement mensuel à la chaîne Canal Plus, rapprochée d'ailleurs de l'approximation concernant le montant de la redevance audiovisuelle elle-même (566 F par an en 1991) est révélatrice de ce que le but principal de la réforme vise en réalité à titre principal cette chaîne à péage, seule existante d'ailleurs à l'heure actuelle sur le marché français.

Il y a là une sélection sans fondement entre les différents agents économiques susceptibles de détenir des informations de même nature, aux dépens de Canal Plus.

En deuxième lieu il y a manifestement une rupture d'égalité entre les différents organismes soumis à ce droit de communication.

a) D'une part, en l'absence de toute taxe ou redevance attachée à l'abonnement aux réseaux câblés ou à la chaîne à péage, les informations nominatives sur leurs abonnés n'ont pas en principe à être communiquées aux services de la redevance. Il ne s'agit que d'investigations indirectes au regard de l'assujettissement à la redevance audiovisuelle. En effet, les informations susceptibles d'être recueillies ne concrétisent que l'existence d'abonnements expirés ou en cours, et non la possession d'un téléviseur. Or on peut parfaitement souscrire un abonnement au profit d'un tiers. C'est là une forme de " cadeau " qui se développe.

Tel n'est pas le cas pour les organismes (les vendeurs essentiellement) visés par l'article 95 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 dans sa rédaction applicable jusqu'ici. Ceux-ci sont tous impliqués directement dans la vente, la location ou la réparation d'appareils récepteurs de télévision : les documents comptables de ces agents économiques portent précisément sur la détention effective par leurs clients de tels appareils et donc sur le critère même d'assujettissement à la redevance.

Ainsi, la loi de finances étend le champ d'application du droit de communication des agents de la redevance à des éléments étrangers aux critères d'assujettissement à celle-ci et qui ne peuvent conduire qu'à de simples présomptions.

Il s'agit manifestement d'un détournement du droit de communication fiscal tel qu'institué par le livre des procédures fiscales et adapté à la redevance de l'audiovisuel qui place les diffuseurs ou distributeurs de service de télévision dans une situation inégalitaire par rapport aux autres agents économiques qui en font l'objet.

b) D'autre part, cette inégalité est encore aggravée par l'absence totale de définition des documents communicables en ce qui concerne les diffuseurs et distributeurs de service de télévision.

Pour les autres agents économiques (toujours les vendeurs), l'article 95 de la loi de 1982 précitée et le paragraphe 1 (

1) de la loi adoptée, par référence au livre des procédures fiscales en matière de droit de communication (article L 85), limite le droit de communication aux seuls documents comptables et annexes.

Pour la chaîne à péage et les réseaux de distribution de télévision par câbles le droit de communication est étendu à l'ensemble des " informations nominatives relatives à leurs abonnés " sans aucune distinction ou limitation.

Cette extension du droit de communication est contraire au respect du secret des correspondances et de la vie privée des clients de ces seuls organismes. Il y a également rupture d'égalité entre les différents organismes soumis à cette obligation de communication.

En troisième lieu, on constate dans la disposition critiquée une rupture d'égalité évidente entre les redevables de la redevance de l'audiovisuel.

a) D'une part, parmi les usagers, ceux qui ont été, sont ou seront abonnés à un réseau câblé ou à Canal Plus sont placés dans une situation plus défavorable que ceux qui ne le sont pas, puisque leur nom sera systématiquement communiqué au service de la redevance.

b) D'autre part, les usagers sont également placés dans une situation différente selon qu'ils sont propriétaires, copropriétaires ou locataires de leur habitation, principale ou secondaire.

En effet, les informations détenues par les gestionnaires d'immeuble ou les administrations seront différentes.

C'est ainsi que la fraude éventuelle de propriétaires de maisons individuelles ne pourra pas être décelée auprès de tels organismes.

Les copropriétaires ne le seront pas davantage en l'absence d'obligation d'obtenir du syndic une autorisation pour se brancher sur une antenne collective ou pour poser une antenne extérieure, ou pour se raccorder au réseau câblé, etc. La nécessité éventuelle d'en avertir le syndic (pour la pose d'une antenne privative extérieure notamment) n'est pas observée systématiquement et une information téléphonique ne laisse pas de trace écrite.

En réalité, seuls les locataires peuvent être ainsi contrôlés par les services de la redevance.

Entre les redevables est donc institué un traitement inégalitaire, lequel n'est pas justifié par une différence de situation qui soit en rapport avec l'objet de la législation.

En quatrième lieu, le dispositif mis en place, notamment en ce qui concerne la chaîne à péage, consacre une rupture d'égalité entre les différentes chaînes privées, qui est également étrangère au but poursuivi par cette législation, étant observé que Canal Plus ne bénéficie même pas du produit de la redevance.

En effet, seule Canal Plus est visée en qualité de diffuseur de service de télévision, aucune autre chaîne publique ou privée n'étant directement soumise à ce droit de communication, ni exposée à un contrôle direct de ses clients, ni d'ailleurs à une perte plus vraisemblable de clientèle acquise ou future.

Vainement objecterait-on que Canal Plus est dans une situation différente de celle des autres chaînes privées puisqu'elle est concessionnaire d'un service public en application de l'article 79 de la loi du 29 juillet 1982 (qui a été abrogé pour l'avenir par la loi du 30 septembre 1986, les autres concessions accordées sous l'empire de cette loi ayant été résiliées en 1986).

L'argument n'est pas opérant.

a) D'une part, l'article 41-3 de la loi de 1986 qui n'a pas été altéré par la loi du 17 janvier 1989 précise que : " le titulaire d'une concession ou d'une autorisation en vertu des dispositions de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 est regardé comme titulaire d'une autorisation ", notamment en ce qui concerne les dispositions limitant les possibilités de concentration et il y a donc une volonté d'assimilation de Canal Plus aux autres chaînes privées autorisées dans les limites possibles.

b) D'autre part, les dispositions spécifiques à Canal Plus (convention de concession et le cahier des charges approuvés par le décret du 14 mars 1986 modifié) ne comportent, bien entendu, aucune disposition spécifique au regard de la redevance audiovisuelle ou des services de contrôle.

La différence juridique de statut de Canal Plus ne peut justifier aucune inégalité de traitement au regard de la redevance ou du droit de communication par rapport aux autres chaînes privées autorisées, la qualité de concessionnaire de service public étant totalement indifférente au regard de la contrainte contestée.

Or, les spectateurs des autres chaînes privées ne sont pas identifiables, qu'elles soient diffusées par câble ou par voie hertzienne.

Canal Plus est donc, du fait de la disposition contestée, placée dans une situation d'inégalité par rapport aux autres chaînes privées. C'est d'ailleurs cette chaîne qui était spécialement visée par le Gouvernement comme le montre les déclarations précitées du ministre du budget à l'Assemblée nationale.

Or, c'est pour cette chaîne que le droit de communication apparaît le plus préjudiciable au niveau commercial et pour elle aussi que le risque de dérive du droit de communication vers un croisement de fichiers informatisés au niveau national est le plus grand.

Le législateur a donc, de manière flagrante, violé le principe d'égalité.

Sur la modification du mode de financement du budget annexe des prestations sociales agricoles (BAPSA)

Les articles 35 et 36 de la loi de finances pour 1992 modifient substantiellement le financement du BAPSA en diminuant le prélèvement opéré au profit du budget annexe sur les recettes de la TVA, en application de l'article 1614 du code général des impôts, et en compensant cette perte de ressources par un prélèvement opéré sur la trésorerie des régimes de protection sociale des professions artisanales, industrielles, commerciales et libérales.

Le transport ainsi opéré porte sur une somme supérieure à sept milliards de francs.

Trois questions au moins sont soulevées par la modification introduite par les articles en cause :

1° Le prélèvement réalisé sur les régimes sociaux des travailleurs indépendants a-t-il sa place dans une loi de finances ?

L'article L 651-1 du code de la sécurité sociale institue au profit des régimes de protection sociale des travailleurs non salariés des professions non agricoles une contribution sociale de solidarité à la charge des sociétés dont le chiffre d'affaires est supérieur à trois millions de francs. Le produit de cette contribution, créée par une loi du 3 janvier 1970, est reversé à la CANAM, au titre de la maladie, et au titre du régime vieillesse à l'ORGANIC, à la CANCAVA et à la CNREBTP qui est la caisse complémentaire du bâtiment et des travaux publics.

Pour l'agriculture, un dispositif similaire existe, au profit du BAPSA, à l'article 1126 du code rural tel qu'il résulte de la loi du 23 janvier 1990.

Ce sont ces deux dispositifs que l'article 35 de la loi de finances pour 1992 fusionne en un seul, en instituant un prélèvement unique dont la nature juridique prête à interrogation. En effet, d'après l'article 1er de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances, ces dernières peuvent contenir " toutes dispositions relatives à l'assiette, aux taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature ".

Le Conseil constitutionnel s'est prononcé à diverses reprises sur la portée de cette disposition.

Dans une décision du 14 janvier 1983, le conseil juge qu'une cotisation assise sur la publicité pharmaceutique et versée à la Caisse nationale d'assurance maladie constitue une imposition de toute nature.

De même, dans une décision du 28 décembre 1990, il range dans cette catégorie la contribution sociale généralisée et il se prononce dans le même sens le 16 janvier 1991 pour le versement transport en précisant que celui-ci " constitue une imposition et non un prélèvement social ".

Une " imposition de toute nature " est donc une contribution obligatoire des citoyens qui est recouvrée par la puissance publique, qui n'est pas une redevance pour service rendu et qui n'est pas nécessairement affectée à l'Etat (la CSG, par exemple, est perçue au profit de la Caisse nationale d'allocations familiales).

Les cotisations sociales sont différentes. Dans un arrêt du 8 juillet 1953, la Cour de cassation a précisé que les cotisations sont " acquises au fonds commun des assurances sociales, qui en devient propriétaire, et confondues avec les autres ressources dont dispose cet organisme, pour être ultérieurement () réparties indistinctement envers les divers bénéficiaires au fur et à mesure que s'ouvrent leurs droits ". C'est bien dans cette catégorie là que se trouve la contribution sociale de solidarité inscrite à l'article L 651-1 du code de la sécurité sociale.

Cette dissemblance est d'ailleurs confirmée par la nature des textes qui régissent les divers prélèvements.

Si l'article 34 de la Constitution prévoit que " la loi fixe les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités des impositions de toutes natures ", le régime des prélèvements sociaux est différent : or, dans le cas de la contribution sociale de solidarité, l'article L 651-3 du code de la sécurité sociale, qui résulte de l'article 11-I de la loi du 3 juillet 1972, précise que cette contribution est annuelle et que " son taux est fixé par décret ".

La contribution sociale de solidarité prévue par l'article L 651-1 du code de la sécurité sociale et dont le taux est fixé par voie réglementaire n'a donc pas le caractère d'une " imposition ". Il s'agit bien d'une cotisation sociale, ce qui a pour conséquence que l'article 35 n'a pas sa place dans une loi de finances.

2° La deuxième question posée sur ce moyen est celle de la nature du prélèvement opéré sur le fonds de roulement du BAPSA :

Ce prélèvement figure dans le chapitre 70-28 du budget annexe, pour un montant de 150 millions de francs.

L'article 21 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances énonce que " les budgets annexes comprennent, d'une part, les recettes et les dépenses d'exploitation, d'autre part, les dépenses d'investissements et les ressources spéciales affectées à ces budgets ".

En aucun cas n'est mentionné le fonds de roulement, qui n'est donc pas éligible au titre des recettes du budget annexe, sauf à la considérer comme une " ressource spéciale ".

3° La troisième question soulevée à l'occasion du BAPSA a trait au régime de la propriété des fonds détenus par les régimes de retraite des travailleurs indépendants :

Il y a lieu de constater qu'un prélèvement spécifique, organisé en dehors des règles qui régissent à titre habituel la compensation entre régimes de protection sociale, constitue une atteinte au droit de propriété constitutionnellement protégé par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.

Pour ces raisons, les parlementaires soussignés prient votre Haute Assemblée de bien vouloir déclarer non conformes à la Constitution les dispositions des articles 35, 36 et 82 de la loi de finances pour 1992 ainsi que le prélèvement sur le fonds de roulement du budget annexe des prestations sociales agricoles prévu par le chapitre 70-28 du BAPSA.

RECOURS COMPLÉMENTAIRE I : Atteinte aux libertés

A : En premier lieu, il apparaît que, malgré une modification substantielle du texte de l'article 82 de la loi de finances pour 1992 entre la première et la deuxième lecture des assemblées parlementaires, l'article 82-II ici critiqué comporte des atteintes caractérisées aux libertés publiques et aux droits des personnes privées.

En effet, le texte permet aux agents du service de la redevance d'accéder à toute information nominative, notamment de Canal Plus, " pour des recherches non exhaustives relatives à des personnes détenant ou susceptibles de détenir un appareil récepteur de télévision et n'ayant pas souscrit la déclaration ou ayant souscrit une déclaration inexacte ou incomplète "

Cette rédaction est gravement imprécise à deux points de vue.

D'autre part, les " recherches non exhaustives ", si elles excluent, en principe, la faculté pour les agents du service de la redevance et des sociétés gérant des réseaux câblés ou de Canal Plus, laissent à l'administration la possibilité d'une inquisition qui peut dériver vers une quasi-exhaustivité. Il est révélateur, à cet égard, de rappeler les déclarations faites par le représentant du Gouvernement à l'Assemblée nationale lors des débats en première lecture. Le ministre délégué au budget y déclarait, pour s'opposer à un amendement (amendement de M Alain Richard, rapporteur général) : " Il propose de préciser que c'est pour la recherche ponctuelle et motivée " de redevables que ce texte devra s'appliquer. Je ne peux pas accepter cet amendement qui reviendrait, dans les faits, à ôter toute portée pratique à la mesure proposée ".

Eu égard à l'intention très clairement exprimée par le Gouvernement, la définition négative du champ d'application du droit de communication ouvert aux services de la redevance (" recherches non exhaustives ") paraît tout à fait insuffisante pour parer le risque de croisement des fichiers.

Or ce risque est particulièrement net en ce qui concerne Canal Plus qui, à la différence des autres organismes, comme on l'a vu plus haut, dispose d'un fichier nationalement rapprochable du fichier du service de la redevance et est particulièrement visé par la réforme gouvernementale.

D'autre part, le risque apparaît d'autant plus grand que la définition des personnes recherchées est aussi extrêmement large. Le texte indique en effet que ces recherches nominatives seront relatives aux " personnes détenant ou susceptibles de détenir un appareil récepteur de télévision et n'ayant pas souscrit la déclaration prévue par l'article 94 ou ayant souscrit une déclaration inexacte ou incomplète ".

Pour ceux qui n'ont pas souscrit de déclaration de détention d'un appareil récepteur de télévision, leur individualisation ne peut pratiquement résulter que du rapprochement des fichiers du service de la redevance et des fichiers de Canal Plus pour " combler les vides " du fichier des services de la redevance. Son efficacité suppose en réalité un examen exhaustif des documents nominatifs de la chaîne cryptée.

Quant à ceux qui avaient souscrit une déclaration inexacte ou incomplète, le texte ne précise pas sur quels critères ou quels indices ils pourraient être sélectionnés par les services de contrôle de la redevance.

Dès lors ne peut être exclue une vérification systématique des déclarations que les services de la redevance qualifieraient aussi systématiquement de douteuses !

Ainsi, bien que modifiée entre les deux lectures, la rédaction du texte ne dément pas l'intention déterminante du Gouvernement exprimée devant l'Assemblée nationale lors de la première lecture, affirmant que le texte se suffit à lui-même " puisqu'il limite l'objet et donc le motif de cette recherche aux seules personnes détenant un appareil de télévision ", ce qui implique une quasi-exhaustivité du contrôle du droit de communication puisque le taux d'équipement des ménages en cette matière est estimé à 96 p 100.

L'efficacité même du système suppose une tendance vers l'exhaustivité, facilitée par l'imprécision du texte.

En deuxième lieu, et comme on l'a montré plus haut, l'étendue matérielle du droit de communication en ce qui concerne les réseaux câblés et Canal Plus est extrêmement vaste, puisque le texte ne définit pas les catégories de documents détenus qui peuvent faire l'objet du droit de communication, mais vise " les informations nominatives relatives à leurs abonnés ", ce qui implique non seulement leurs documents comptables mais toute nature de documents, et notamment la correspondance de leurs clients ou des bénéficiaires d'abonnements offerts par ceux-ci.

Cela constitue une extension maximum du droit de communication des services fiscaux, sans pour autant que le texte ait prévu une information préalable des personnes qui doivent faire l'objet de ces recherches. Or ces recherches sont de nature à porter directement atteinte à leur vie privée et à leur choix de programmes télévisuels.

On a démontré plus haut que le droit de communication institué dans le texte critiqué ne portait pas sur l'objet même du contrôle dont est investi le service de la redevance mais sur des éléments extrinsèques, étrangers à la détention même d'un appareil récepteur de télévision.

C'est d'ailleurs l'une des raisons qui ont poussé la commission des finances du Sénat à proposer la suppression de ce texte.

M Chinaud, rapporteur général, a notamment relevé que la prérogative attachée à la notion de " tiers autorisé " au sens des articles 29 et 43 de la loi du 6 janvier 1978 précitée n'avait jamais permis à ses bénéficiaires d'utiliser " en tant que fichiers de référence, c'est-à-dire comme sources permanentes d'informations, les fichiers dont ils ne sont pas "destinataires" au sens de la loi du 6 janvier 1978 " (cf rapport Chinaud devant la commission des finances du Sénat du 19 novembre 1991, p 182 in fine).

En troisième lieu, les organismes visés par ce droit de communication élargi des agents du service de contrôle de la redevance ne disposent d'aucun moyen pour contrôler le bien-fondé des demandes d'information qu'ils auront à satisfaire.

Ils ne peuvent donc satisfaire aux obligations de non-divulgation que leur impose la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, à l'égard des personnes concernées, telles qu'elles sont notamment définies aux articles 29 et 43 de la loi et assorties de sanctions pénales.

Ces organismes ne peuvent davantage faire sanctionner directement les abus dont ils pourraient faire l'objet. Seules les personnes assujetties ensuite à la redevance de l'audiovisuel pouvant éventuellement contester les conditions de leur assujettissement.

Enfin les organismes ainsi soumis à ce droit de communication nouveau ne peuvent s'y opposer efficacement en cas de dérive abusive des services de contrôle de la redevance. Seule leur est ouverte la faculté de saisir la CNIL, dans les conditions strictes prévues à l'alinéa 3 de l'article 35 de la loi du 6 janvier 1978 précitée, pour obtenir des délais de réponse ou l'autorisation de ne pas tenir compte de certaines demandes manifestement abusives.

Le dispositif critiqué porte ainsi des atteintes extrêmement graves aux libertés fondamentales en ce qui concerne tant la vie privée des personnes que la confidentialité des relations qu'entretiennent les entreprises ou les organismes gestionnaires d'immeubles avec leurs clients ou leurs locataires.

B : Cette atteinte entraîne l'inconstitutionnalité du texte.

On doit en effet considérer que certains des principes consacrés par la loi relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés constituent des " principes fondamentaux recensés par les lois de la République ", au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Certes le Gouvernement feint d'en ignorer la portée, puisque le ministre délégué au budget, devant l'Assemblée nationale lors des débats du 15 novembre 1991 déjà évoqués n'a pas hésité à affirmer : " Quant à la loi informatique et libertés, elle ne peut pas passer son temps à tout nous interdire. Il faut savoir qu'une partie de la fraude fiscale actuelle découle directement des contraintes que cette loi génère. "

Mais la réalité est tout autre, et le grand argentier le sait bien, même lorsqu'il chausse les bottes de grand inquisiteur.

Personne n'ignore en effet que les progrès techniques qu'entraîne le développement de l'outil informatique ont suscité très vite des inquiétudes sur les atteintes que la transcription, la conservation et la diffusion des informations recueillies, notamment les informations nominatives, en ce qui concerne les personnes privées, pouvaient entraîner pour l'exercice des libertés publiques et privées.

Les Etats développés se sont penchés sur cette question et ont tenté d'en limiter les risques en imposant des réglementations. Au niveau international, cette préoccupation apparaît concomitamment, notamment au niveau européen par les travaux de l'OCDE et ceux du Conseil de l'Europe qui, après avoir adopté en 1973 et en 1974 deux résolutions relatives à la protection de la vie privée des personnes physiques vis-à-vis des banques de données électroniques dans le secteur privé et dans le secteur public, a adopté une convention pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé de données à caractère personnel le 28 janvier 1981. La France a d'ailleurs ratifié cette convention (décret de publication n° 85-1203 du 15 novembre 1985).

On ne rappellera pas les nombreux débats et rapports qui, pendant près de dix ans, ont permis l'aboutissement que constitue la loi du 6 janvier 1978 à cet égard.

Il n'en demeure pas moins que, depuis l'étude non publiée du Conseil d'Etat sur les conséquences du développement de l'informatique sur les libertés publiques et privées et sur les décisions administratives, dans le cadre de son rapport annuel 1969-1970 et les rapports de M le président Braibant (cf colloque de l'Institut français des sciences administratives du 27 septembre 1970, " le secret des fichiers " et aussi " la protection des droits des individus au regard du développement de l'informatique ", Revue internationale du droit comparé, 1971, p 780 sq) et après l'échec du projet gouvernemental de système automatisé pour les fichiers administratifs et le répertoire des individus (dit projet Safari) en 1974, des études approfondies philosophiques, juridiques et techniques ont permis de définir les grands principes qui devaient gouverner la matière, concrétisés notamment par les travaux de la commission ad hoc dite " Informatique et libertés " et le rapport du 27 juin 1975 (dit rapport Tricot) qui a abouti au dépôt, le 9 août 1986, du projet de loi qui devait prendre sa forme définitive par la loi du 6 janvier 1978.

C'est de l'ensemble de ces réflexions que sont issus les principes fondamentaux de la loi du 6 janvier 1978 permettant le développement de l'informatisation dans le respect des libertés publiques et privées.

Les principes fondamentaux résultent notamment du chapitre Ier de la loi du 26 janvier 1978 qui pose le principe que " l'informatique doit être au service de chaque citoyen " (art 1er, première phrase), interdisant qu'elle porte atteinte à son identité, à sa vie privée ou aux libertés individuelles et publiques.

Ses corollaires immédiats, consacrés d'abord par l'article 2 (qualifié de principe d'humanité par André Hollaux, " La loi du 6 janvier 1978 sur l'informatique et les libertés ", Revue administrative 1978, p 31 et suivante), sont l'interdiction faite à la justice et à l'administration de prendre des décisions relatives au comportement du citoyen fondé sur les données informatisées et le droit d'accès et de contestation reconnus des intéressés en ce qui concerne les données les concernant (art 3).

C'est aussi à ce titre que l'ensemble de la loi institue une protection qui se veut générale et contrôlée par une autorité administrative indépendante, dont la composition doit garantir l'indépendance et l'autorité (art 8).

C'est en vertu de ce même principe que les détenteurs de données nominatives informatisées s'engagent de ce seul fait vis-à-vis des personnes concernées à un certain nombre d'obligations, dont celle de ne pas les communiquer à des tiers non autorisés (art 29), et sont passibles de sanctions pénales s'ils divulguent des informations nominatives susceptibles de porter atteinte à la réputation, à la considération de la personne ou à l'intimité de sa vie privée sans autorisation préalable de celle-ci (art 43).

La loi du 6 janvier 1978 pose donc un principe fondamental qui doit être rangé parmi les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, tenant à la stricte confidentialité des données nominatives informatisées, autre formulation du principe que l'informatique doit être au service de chaque citoyen, règle dont les dérogations ne peuvent être que très strictement entendues et, en toute hypothèse, ne peuvent permettre de porter atteinte notamment aux droits de l'homme, à la vie privée ou aux libertés individuelles et publiques.

Or les développements qui précèdent ont démontré que le dispositif critiqué viole à plusieurs titres ce principe fondamental :

: il permet, dans les faits, par l'absence de précision de ses termes, un croisement de fichiers nominatifs ;

: il habilite des tiers à recueillir des informations nominatives étrangères à l'objet de leur mission de contrôle de la détention d'appareils récepteurs de télévision ;

: il ne prévoit aucune information préalable des personnes concernées, ni de moyens pour les organismes qui y sont soumis d'en contrôler le bien-fondé ou de s'y opposer malgré les sanctions qu'ils pourraient encourir ;

: il institue un droit de communication général des informations nominatives détenues par les distributeurs des réseaux câblés et Canal Plus de nature à porter atteinte à la vie privée et au secret des correspondances des personnes visées ainsi qu'à la confidentialité des rapports commerciaux noués ou des rapports privés avec les gestionnaires des immeubles où ils résident, dans le but d'un redressement fiscal indirectement lié aux résultats de ces investigations.

II. : Non-respect du principe de proportionnalité

Il convient de souligner que, eu égard aux atteintes que porte le texte critiqué au principe d'égalité devant la loi et aux libertés publiques et individuelles, le dispositif mis en place ne peut trouver de fondement suffisant dans l'objectif de lutte contre la fraude fiscale.

Il n'est évidemment pas dans l'intention de Canal Plus, ni de quiconque, de contester le bien-fondé du but poursuivi par l'administration qui entend lutter, aussi efficacement que possible, contre la fraude qui résulte du système déclaratif sur lequel repose la redevance de l'audiovisuel.

Ce sont les modalités choisies et imposées par le Gouvernement qui paraissent mal adaptées et inutilement attentatoires aux libertés publiques et aux principes constitutionnels qui régissent la République qui sont seuls ici en cause.

Le système choisi repose sur la collecte d'informations indirectes qui ne peuvent être, à elles seules, déterminantes au regard du but recherché.

Or le droit fiscal français comporte des dispositions permettant aux services de contrôle de procéder à la constatation directe de l'infraction recherchée : c'est celui qui résulte du régime des perquisitions fiscales instituté par la loi de finances pour 1985 et dont la constitutionnalité a été admise par le Conseil constitutionnel, notamment au regard des précautions procédurales dont il est entouré.

Les visites domiciliaires, dans les formes légales, sont bien la seule méthode directe et dont les résultats sont incontestables pour établir l'existence de la faute présumée.

Le Gouvernement n'en a pas disconvenu devant l'Assemblée nationale au cours des débats précités. Il en a seulement écarté l'éventualité en indiquant : " Est-ce que vous vous figurez que je vais envoyer les agents du service de la redevance demander un million et demi d'autorisations aux présidents des TGI pour aller faire des visites domiciliaires, alors que nous savons bien, les uns et les autres, que tant en matière fiscale qu'en matière douanière les visites domiciliaires conservent un caractère exceptionnel et que l'on n'en fait pas des centaines et des milliers par an. "

Cette argumentation est totalement inopérante. Le contrôle à domicile de la détention effective d'un appareil récepteur de télévision est le seul dont les résultats soient fiables, voire même indiscutables. Certes, sa mise en uvre est lourde mais cela est aussi le gage de la sauvegarde des libertés individuelles et précisément le recours à une telle procédure serait incontestable au regard des libertés.

Son importance numérique n'est qu'à la mesure de la fraude présumée en matière de paiement de la redevance audiovisuelle.

En toute hypothèse, cette argumentation ne saurait permettre à l'administration d'imposer la mise en uvre d'un système gravement attentatoire au principe d'égalité et aux libertés publiques et privées qui sont la substance même du régime démocratique, d'autant plus inadapté qu'il ne donnera que des résultats partiels et insuffisants à eux seuls pour établir la fraude recherchée.

Manifestement le texte critiqué méconnaît par ses modalités le principe de proportionnalité qui doit exister entre le but poursuivi et les moyens mis en uvre.

De quelque manière qu'on l'envisage, le paragraphe II de l'article 82 du projet de loi de finances pour 1992 est contraire à la Constitution.


Références :

DC du 30 décembre 1991 sur le site internet du Conseil constitutionnel
DC du 30 décembre 1991 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Loi de finances pour 1992 (Nature : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°91-302 DC du 30 décembre 1991
Origine de la décision
Date de l'import : 02/11/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:1991:91.302.DC
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award