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03/08/1993 | FRANCE | N°93-324

France | France, Conseil constitutionnel, 03 août 1993, 93-324


Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 13 juillet 1993, par MM Claude Estier, Robert Laucournet, William Chervy, Paul Raoult, Jean-Pierre Masseret, Jean-Louis Carrère, Marcel Bony, Mmes Françoise Seligmann, Marie-Madeleine Dieulangard, Josette Durrieu, MM Jacques Bellanger, Jacques Bialski, Aubert Garcia, Roland Bernard, Guy Penne, Michel Dreyfus-Schmidt, Gérard Miquel, Fernand Tardy, Robert Castaing, Gérard Delfau, Pierre Biarnès, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM André Vezinhet, Louis Philibert, Mme Monique ben Guiga, MM Michel Sergent, Germain Authié, Jean Besson, Jean-Pierre Demer

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Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 13 juillet 1993, par MM Claude Estier, Robert Laucournet, William Chervy, Paul Raoult, Jean-Pierre Masseret, Jean-Louis Carrère, Marcel Bony, Mmes Françoise Seligmann, Marie-Madeleine Dieulangard, Josette Durrieu, MM Jacques Bellanger, Jacques Bialski, Aubert Garcia, Roland Bernard, Guy Penne, Michel Dreyfus-Schmidt, Gérard Miquel, Fernand Tardy, Robert Castaing, Gérard Delfau, Pierre Biarnès, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM André Vezinhet, Louis Philibert, Mme Monique ben Guiga, MM Michel Sergent, Germain Authié, Jean Besson, Jean-Pierre Demerliat, Paul Loridant, Guy Allouche, Léon Fatous, Claude Fuzier, Claude Cornac, Gérard Roujas, François Louisy, Marc B uf, Francis Cavalier-Bénezet, Jacques Carat, Jean Peyrafitte, René-Pierre Signé, Marcel Charmant, Claude Pradille, André Rouvière, Michel Perrein, Marcel Vidal, Franck Sérusclat, Jean-Luc Mélenchon, Charles Metzinger, René Régnault, François Autain, Michel Moreigne, Michel Charasse, Gérard Gaud, Pierre Mauroy, Roland Courteau, Claude Saunier, Bernard Dussaut, Albert Pen, Rodolphe Désiré, sénateurs, et, le 15 juillet 1993, par MM Martin Malvy, Jean-Marc Ayrault, Jean-Pierre Balligand, Claude Bartolone, Christian Bataille, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Michel Berson, Jean-Claude Bois, Augustin Bonrepaux, Jean-Michel Boucheron, Jean-Pierre Braine, Laurent Cathala, Jean-Pierre Chevènement, Henri d'Attilio, Mme Martine David, MM Bernard Davoine, Bernard Derosier, Michel Destot, Julien Dray, Pierre Ducout, Dominique Dupilet, Jean-Paul Durieux, Laurent Fabius, Jacques Floch, Pierre Garmendia, Jean Glavany, Jacques Guyard, Jean-Louis Idiart, Frédéric Jalton, Serge Janquin, Charles Josselin, Jean-Pierre Kucheida, André Labarrère, Jack Lang, Jean-Yves Le Déault, Louis Le Pensec, Alain Le Vern, Marius Masse, Didier Mathus, Jacques Mellick, Louis Mexandeau, Jean-Pierre Michel, Didier Migaud, Mme Véronique Neiertz, MM Paul Quilès, Alain Rodet, Mme Ségolène Royal, MM Georges Sarre, Henri Sicre, Camille Darsières, Jean-Pierre Defontaine, Gilbert Annette, Kamilo Gata, Roger-Gérard Schwartzenberg, Didier Boulaud, Bernard Charles, François Asensi, Rémy Auchedé, Gilbert Biessy, Alain Bocquet, Patrick Braouezec, Jean-Pierre Brard, Jacques Brunhes, René Carpentier, Daniel Colliard, Jean-Claude Gayssot, André Gérin, Michel Grandpierre, Maxime Gremetz, Mme Janine Jambu, MM Georges Hage, Guy Hermier, Mme Muguette Jacquaint, MM Jean-Claude Lefort, Georges Marchais, Paul Mercieca, Louis Pierna, Jean Tardito et Ernest Moutoussamy, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi relative au statut de la Banque de France et à l'activité et au contrôle des établissements de crédit ;

Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu le Traité sur l'Union européenne, signé à Maastricht le 7 février 1992 ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que les sénateurs, auteurs de la première saisine, défèrent au Conseil constitutionnel les articles 1er, 3, 7, 8, 9, 10 et 35 de la loi relative au statut de la Banque de France et à l'activité et au contrôle des établissements de crédit ; qu'ils font valoir à titre principal que la constitutionnalité de cette loi ne saurait être appréciée au regard de l'article 88-2 de la Constitution dès lors que le Traité sur l'Union européenne en vue duquel cet article a été introduit dans la Constitution n'est pas entré en vigueur ; que dès lors les articles 1, 3, 7, 8, 9, et 10 de la loi méconnaissent les pouvoirs que le Gouvernement, d'une part, tient des articles 20 et 21 de la Constitution, que le Parlement, d'autre part, doit exercer en vertu de l'article III de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et des articles 2, 3 et 34 de la Constitution ; qu'ils soutiennent néanmoins qu'en tant qu'elles mettraient en oeuvre le Traité sur l'Union européenne les dispositions contestées méconnaîtraient l'article 55 de la Constitution, la condition de réciprocité posée par cet article n'étant pas respectée du fait des positions prises par certains pays signataires de ce Traité, et que la date d'entrée en vigueur de la loi, prévue par l'article 35 de cette dernière, serait contraire à l'article 88-2 de la Constitution en tant qu'elle ne respecterait pas les modalités de mise en oeuvre prévues par les stipulations du Traité ;
2. Considérant que les députés, auteurs de la seconde saisine, soutiennent que dès lors que les conditions mises à l'application de l'article 88-2 de la Constitution ne sont pas réunies, le législateur ne pouvait ni instituer ni organiser l'indépendance de la Banque de France par rapport aux pouvoirs publics constitutionnels ;
- SUR LES NORMES DE REFERENCE APPLICABLES AU CONTRÔLE DE CONSTITUTIONNALITE DE LA LOI DEFEREE :
3. Considérant que l'article 88-2 de la Constitution, issu de la loi constitutionnelle du 25 juin 1992, dispose que : "Sous réserve de réciprocité, et selon les modalités prévues par le Traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992, la France consent aux transferts de compétences nécessaires à l'établissement de l'union économique et monétaire européenne..." ; qu'aux termes de l'article R du Traité : "Le présent traité entrera en vigueur le 1er janvier 1993, à condition que tous les instruments de ratification aient été déposés..." ;
4. Considérant qu'à la date de la présente décision, il est constant que tous les instruments de ratification n'ont pas été déposés par les pays signataires ; que, par suite, le Traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992 n'étant pas entré en vigueur, il n'y a pas lieu de contrôler la constitutionnalité de la loi déférée au regard des dispositions de l'article 88-2 de la Constitution ; que, dès lors, la constitutionnalité de la loi déférée doit être appréciée au seul regard des autres dispositions de la Constitution ; qu'ainsi, il n'y a pas lieu pour le Conseil constitutionnel de s'assurer de la conformité de la date d'entrée en vigueur de la loi prévue par son article 35 aux stipulations du Traité ; qu'il n'y a pas lieu non plus d'apprécier la conformité de l'ensemble des dispositions de la loi à l'article 55 de la Constitution ;
- SUR LES GRIEFS TIRES DE LA MECONNAISSANCE DES COMPETENCES DU GOUVERNEMENT ET DU PREMIER MINISTRE :
5. Considérant d'une part que les sénateurs, auteurs de la première saisine, font valoir que la loi déférée dispose à son article 1er que la Banque de France définit la politique monétaire, dans le cadre de la politique économique générale du Gouvernement, sans pouvoir, dans l'exercice de ses attributions, "ni solliciter ni accepter d'instructions du Gouvernement..." ; qu'elle prévoit à son article 7 de confier à un Conseil de la politique monétaire la responsabilité de définir la politique monétaire de la France et de surveiller l'évolution de la masse monétaire et de ses contreparties ; que les articles 8 et 10 de la loi relatifs aux conditions de nomination et à l'exercice des mandats des membres du Conseil de la politique monétaire organisent leur indépendance à l'égard du Gouvernement, notamment en tant que leur nomination est prononcée pour une durée de neuf années non renouvelable et que leurs fonctions ne peuvent prendre fin avant ce terme que pour incapacité ou pour faute grave sur demande motivée du Conseil lui-même statuant à la majorité des membres autres que l'intéressé ; que si, en vertu de l'article 9, le Premier ministre et le ministre chargé de l'économie et des finances peuvent participer aux séances du Conseil, ils sont dépourvus de voix délibérative et peuvent seulement soumettre des propositions de délibération à ce Conseil ;
6. Considérant que les députés, auteurs de la seconde saisine, mettent également en cause ces dispositions eu égard à l'argumentation générale qu'ils développent ;
7. Considérant qu'aux termes de l'article 20 de la Constitution "Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation..." et que l'article 21 dispose que "Le Premier ministre dirige l'action du Gouvernement"...;
8. Considérant que la définition de la politique monétaire est un élément essentiel et indissociable de la politique économique générale dont la détermination et la conduite incombent au Gouvernement, sous la direction du Premier ministre, en vertu des dispositions constitutionnelles précitées ;
9. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 1er de la loi déférée, "la Banque de France définit et met en oeuvre la politique monétaire dans le but d'assurer la stabilité des prix. Elle accomplit sa mission dans le cadre de la politique économique générale du Gouvernement" ; que selon le second alinéa du même article, "dans l'exercice de ses attributions, la Banque de France... ne peut ni solliciter ni accepter d'instructions du Gouvernement ou de toute personne" ; qu'aux termes de l'article 7, alinéa 1er, "le Conseil de la politique monétaire est chargé de définir la politique monétaire" ;
10. Considérant qu'il ressort des dispositions précitées que la Banque de France est chargée, par l'organe du Conseil de la politique monétaire, de définir et de mettre en oeuvre la politique monétaire de la France ; que le premier alinéa de l'article 1er de la loi déférée énonce que la Banque de France accomplit sa mission de définition et de mise en oeuvre de la politique monétaire "dans le cadre de la politique économique générale du Gouvernement" ; que toutefois cette disposition peut être rendue ineffective par les prescriptions du deuxième alinéa de ce même article ; que les dispositions de la loi, en tant qu'elles concernent la définition de la politique monétaire et de son but et qu'elles proscrivent toute instruction du Gouvernement, méconnaissent la compétence de celui-ci pour déterminer et conduire la politique de la Nation et celle du Premier ministre pour diriger son action, dès lors qu'elles ne peuvent être regardées comme résultant de l'application du Traité visé par l'article 88-2 de la Constitution ; que, par suite, doivent être déclarés non conformes à la Constitution d'une part les mots "... définit et... dans le but d'assurer la stabilité des prix" au premier alinéa de l'article 1er de la loi et le second alinéa de cet article et d'autre part, les mots : "... est chargé de définir la politique monétaire. Il...", aux premier et deuxième alinéas de l'article 7 ;
11. Considérant en revanche que les dispositions invoquées de la Constitution n'interdisent pas que soit confiée à la Banque de France la mise en oeuvre de la politique monétaire définie par le Gouvernement ; qu'à cette fin, elle peut être chargée de surveiller l'évolution de la masse monétaire et de ses contreparties ; que peuvent être assurées aux membres du Conseil de la politique monétaire des garanties d'indépendance dans l'exercice de leurs fonctions ; que les compétences reconnues au Gouvernement et au Premier ministre par les dispositions précitées de la Constitution n'impliquent pas non plus que le Premier ministre et le ministre de l'économie et des finances participent avec voix délibérative aux séances du Conseil de la politique monétaire ni qu'il leur soit interdit de soumettre pour examen à la délibération du Conseil toute proposition de décision à la condition que ces propositions relèvent de la compétence de ce Conseil ; que sous cette dernière réserve d'interprétation, les dispositions ci-dessus analysées de la loi ne méconnaissent pas les articles 20 et 21 de la Constitution ;
12. Considérant d'autre part que les auteurs des saisines font valoir également que la loi déférée méconnaît les dispositions de l'article 21 de la Constitution selon lesquelles, sous réserve des dispositions de l'article 13, le Premier ministre exerce le pouvoir réglementaire ; qu'en outre les députés, auteurs de la seconde saisine, font grief au législateur de n'avoir pas prévu de manière générale l'exercice de recours juridictionnels ;
13. Considérant qu'aux termes du quatrième alinéa de l'article 7 de la loi, le Conseil de la politique monétaire définit "les obligations que la politique monétaire peut conduire à imposer aux établissements de crédit et notamment l'assiette et les taux des réserves obligatoires qui, le cas échéant, s'appliquent dans le cadre comptable de la réglementation bancaire" ;
14. Considérant que les dispositions précitées de la Constitution confèrent au Premier ministre, sous réserve des pouvoirs reconnus au Président de la République, l'exercice du pouvoir réglementaire à l'échelon national ; que si elles ne font pas obstacle à ce que le législateur confie à une autorité de l'État autre que le Premier ministre le soin de fixer des normes permettant de mettre en oeuvre une loi, c'est à la condition que cette habilitation ne concerne que des mesures de portée limitée tant par leur champ d'application que par leur contenu ;
15. Considérant que dans la mesure où elle permet d'assurer la mise en oeuvre de la politique monétaire, l'habilitation donnée, en vertu du quatrième alinéa de l'article 7 de la loi, à la Banque de France, institution de l'État, de fixer par délibération du Conseil de la politique monétaire certaines normes destinées à concourir au contrôle de l'évolution de la masse monétaire, ne concerne que des mesures circonscrites tant par leur champ d'application que par leur contenu ; que le législateur n'a pas entendu soustraire la détermination de ces normes, comme l'ensemble des décisions prises dans le cadre de l'exercice de ses missions par la Banque de France, à l'exercice éventuel de recours juridictionnels ; que dès lors le grief invoqué doit être écarté ;
- SUR LE GRIEF TIRE DE LA MECONNAISSANCE DU POUVOIR DU PARLEMENT :
16. Considérant que les sénateurs auteurs de la première saisine soutiennent que les dispositions des articles 1, 3, 7, 8, 9 et 10 de la loi ne respectent pas le principe de souveraineté nationale en dessaisissant le Parlement d'une compétence qui lui est propre ; que les députés auteurs de la seconde saisine font valoir un grief de même nature ;
17. Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution : "... La loi fixe les règles concernant :.... le régime d'émission de la monnaie..."
18. Considérant que dans l'exercice de cette compétence, il était loisible au législateur de décider par l'article 1er de la loi de confier à la Banque de France la mise en oeuvre de la politique monétaire ; par l'article 3 de la loi d'interdire à cette institution de consentir des découverts ou d'accorder des crédits au Trésor public ou à tout autre organisme ou entreprise publics ainsi que d'acquérir directement des titres de leur dette, de prévoir des conventions entre l'État et la Banque de France destinées à préciser les conditions de remboursement des avances précédemment consenties par celle-ci ; par l'article 7 de la loi de définir les moyens d'action de la Banque pour la mise en oeuvre de la politique monétaire ; par l'article 9 de la loi de déterminer l'organisation et le fonctionnement du Conseil de la politique monétaire, par les articles 8 et 10 de la loi de préciser le statut des membres de ce Conseil et en particulier les garanties d'indépendance dont il entendait assortir celui-ci ; que, dès lors, le grief invoqué doit être écarté ;
19. Considérant qu'il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever aucune question de conformité à la Constitution s'agissant des autres dispositions de la loi qui lui est déférée ;

Décide :
Article premier :
Sont déclarés contraires à la Constitution :
au premier alinéa de l'article 1er, les mots : " ... définit et .... dans le but d'assurer la stabilité des prix " ;
le second alinéa de l'article 1er ;
aux premier et deuxième alinéas de l'article 7, les mots : " ... est chargé de définir la politique monétaire. Il ... ".
Article 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.


Loi relative au statut de la Banque de France et à l'activité et au contrôle des établissements de crédit
Sens de l'arrêt : Non conformité partielle
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Saisine

Les députés soussignés à Monsieur le président, Madame et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, 2, rue Montpensier, 75001 Paris

Monsieur le président, Madame et Messieurs les conseillers,

Nous avons l'honneur, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de soumettre à votre examen la loi relative au statut de la Banque de France et à l'activité et au contrôle des établissements de crédit, telle qu'elle a été définitivement adoptée par le Parlement.

Cette loi décide et organise l'indépendance de la Banque de France, qui désormais, selon l'article 1er, " définit et met en uvre la politique monétaire ". Le pouvoir ainsi confié à la Banque de France se voit assigner un but : " assurer la stabilité des prix " - et imposer une limite : accomplir " sa mission dans le cadre de la politique générale du Gouvernement ". En contrepartie, l'indépendance totale de la banque et de ceux qui la dirigent est mise en uvre par un ensemble de dispositions qui la garantissent.

Cette législation nouvelle s'inscrit, ainsi que l'attestent les travaux préparatoires de la loi, dans la perspective ouverte par le traité sur l'Union européenne, signé le 7 février 1992, qui prévoit notamment la création d'une monnaie unique, gérée par un système européen de banques centrales, composé d'une banque centrale européenne et de banques centrales nationales.

Pour mener à bien ce processus, le traité a prévu qu'une seconde phase, ouverte le 1er janvier 1994, devrait voir converger les politiques économiques nationales et préparer les instruments de la monnaie unique future, tandis que la troisième phase doit pouvoir commencer au 31 décembre 1996 et être parachevée, au plus tard, le 1er janvier 1999, par l'union économique et monétaire réalisée.

C'est de ces perspectives que le Conseil constitutionnel a dû apprécier la compatibilité avec la Constitution, antérieurement à la ratification du traité par la France. Et c'est à cette occasion que, le 9 avril 1992, le Conseil a considéré que les compétences en cause dans le domaine monétaire relevaient des " conditions essentielles d'exercice de la souveraineté ".

Une révision constitutionnelle a donc été nécessaire, préalablement à la ratification du traité. Elle a été opérée par la loi constitutionnelle du 25 juin 1992 tandis que la ratification était décidée par référendum le 20 septembre 1992.

De ce bref rappel d'éléments connus de tous, trois conséquences se déduisent, dont la conjugaison forme les termes d'un syllogisme : l'indépendance de la Banque de France est intrinsèquement contraire à la Constitution, cette contrariété ne disparaît que si et dans la mesure où la Constitution l'a expréssement prévu, l'hypothèse et la mesure n'étant pas présentes l'indépendance de la Banque de France est contraire à la Constitution.

1 L'indépendance de la Banque de France

est intrinsèquement contraire à la Constitution

En application du principe posé au premier alinéa de l'article 3 de la Constitution, seuls les pouvoirs publics constitutionnels ont vocation, dans le cadre et les limites fixés par la Constitution elle-même, à participer à l'exercice de la souveraineté. Pouvoirs exécutif et législatif et autorité judiciaire sont, à des titres divers, les seuls dépositaires d'attributions susceptibles d'être liées à l'exercice de la souveraineté.

Aucun des dépositaires de cette autorité ne peut en faire un usage sans limite. Exécutif et législatif sont responsables devant le suffrage universel, et si l'autorité judiciaire est totalement indépendante, ce n'est que pour l'application de règles qu'elle ne fixe pas elle-même et que les autres pouvoirs ont la capacité de changer.

Quant à la situation particulière qu'occupe votre conseil, d'une part, elle a été expressément prévue par la Constitution, d'autre part, elle est limitée à la garantie de cette dernière.

S'agissant enfin des multiples autorités indépendantes qui ont vu récemment le jour, si importantes que soient leurs attributions, toutes connaissent des limites strictes, toutes sont soumises à un contrôle juridictionnel, toutes, enfin, concourent plus ou moins directement à la réalisation d'un objectif de valeur constitutionnelle et à la garantie des libertés publiques. Les lois qui leur ont donné naissance ont soustrait leurs domaines de compétence à une emprise politique directe, celle du Gouvernement, mais ne leur ont naturellement confié aucune part dans l'exercice de la souveraineté.

Tout différent est le cas de la Banque de France.

L'émission de la monnaie est en effet directement liée à la souveraineté. Historiquement, c'est à la conquête progressive du privilège exclusif de battre monnaie que s'est mesurée la progression de la souveraineté royale face aux féodalités qui la contestaient.

Politiquement, l'histoire monétaire de notre pays est ponctuée de dates qui, pour être moins connues que celles des grands événements, ont produit des effets au moins aussi importants et souvent plus durables. Economiquement enfin, nul ne doute plus désormais que les choix monétaires ont un impact considérable et direct, interne et international, sur la vie même de la nation et de chacun de ses membres.

C'est pour l'ensemble de ces raisons que, dans une saine logique démocratique, la Constitution de 1958 n'a donné compétence en matière monétaire qu'au Parlement, en application de l'article 34, et au Gouvernement, en application de l'article 20, dans le cadre de son pouvoir général de détermination et de conduite de la politique de la nation.

Dès lors, dépouiller les pouvoirs publics constitutionnels de leurs compétences sur l'une des conditions essentielles d'exercice de la souveraineté, sans qu'aucun d'entre eux ne puisse, si peu que ce soit, contrôler l'usage qui en est fait et se voie même interdire de tenter de l'influencer, est contraire aux articles 3, 20 et 34 de la Constitution.

Certes, pour tenter de sauvegarder une apparence, l'article 1er de la loi prévoit que la Banque de France " accomplit sa mission dans le cadre de la politique générale du Gouvernement ".

Il s'agit là simplement d'atténuer une rédaction initiale qui violait maladroitement l'article 20 de la Constitution. Mais l'atténuation de la maladresse ne supprime pas la violation.

En premier lieu, la réalité économique et les exemples étrangers, notamment allemand, montrent qu'il serait plus juste de dire que c'est le Gouvernement qui conduit sa politique économique dans le cadre général imposé par la politique monétaire, bien davantage que l'inverse. En attestent les déclarations constantes, variées dans leurs origines mais unanimement désolées, sur les taux d'intérêt que la Bundesbank impose à l'ensemble des pouvoirs européens.

En second lieu, aucun contrôle, d'aucun type, ne permet de garantir que la Banque de France sera effectivement soumise à la prétendue limite législative même en la supposant pertinente. Certes, on pourrait objecter que les décisions de la Banque de France, en application des principes généraux du droit, pourraient relever du contrôle de la juridiction administrative par la voie du recours pour excès de pouvoir. Mais, outre l'ambiguïté de l'article 19 sexies de la loi à ce sujet, le Conseil d'Etat est conduit à faire échapper à son contrôle les actes de souveraineté qu'il range traditionnellement dans la catégorie des actes de gouvernement. Et à supposer même qu'il se déclare compétent pour connaître des décisions de la Banque de France, on voit mal ce que pourrait être l'effectivité du contrôle exercé sur celles-ci.

En conséquence, ce sont donc bien les pouvoirs publics constitutionnels qui se trouveraient en situation quasi subordonnée par rapport à la Banque de France dans le domaine monétaire, tandis que cette dernière accomplirait des tâches essentielles de souveraineté dans une liberté totale, c'est-à-dire sans aucune espèce de limite, ni de responsabilité politique, ni de contrôle juridictionnel.

Par cette irresponsabilité totale, politique et juridique, elle se trouverait donc dans une situation unique en droit français, alors même qu'elle participerait directement à l'exercice de la souveraineté nationale.

A ce double titre, l'indépendance de la Banque de France serait intrinséquement contraire à la Constitution.

2 Cette contrariété ne disparaît que si

et dans la mesure où la Constitution l'a expréssement prévu

Ce n'est que dans le cadre des articles 88-1 et 88-2 de la Constitution que l'indépendance de la Banque de France peut devenir non seulement possible mais impérative.

En effet, selon l'article 88-2 la France consent aux transferts de compétence nécessaires à l'établissement de l'Union économique et monétaire européenne. Elle le fait selon les modalités prévues par le traité. Au nombre de ces modalités figure l'existence de banques centrales nationales indépendantes.

Ce processus est accompagné d'un calendrier et d'une réserve. La réserve est celle de la réciprocité, le calendrier celui des deuxième et troisième phases.

Dès lors que l'article 88-2 a, par dérogation aux autres dispositions constitutionnelles, implicitement mais nécessairement prévu l'indépendance de la Banque de France, celle-ci devient naturellement possible. Mais elle ne le devient que dans cette seule hypothèse qui l'a explicitement prévue.

Nonobstant tout ce qui a été dit précédemment sur les caractéristiques et l'importance de la politique monétaire, le pouvoir souverain constituant pouvait en effet considérer que les avantages attendus de l'existence d'une monnaie unique pouvaient compenser et justifier les sacrifices de souveraineté qu'elle impose.

Au contraire, le fait même que la révision constitutionnelle ait été nécessaire montre bien que, hors ce cadre strictement défini par la Constitution elle-même, la subdélégation d'un pouvoir lié aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté n'est pas possible.

Cela ne signifie nullement que l'indépendance de la Banque de France soit impossible à concevoir en droit français. Cela signifie seulement que seule la Constitution a le pouvoir de la décider, dans la mesure où il s'agit bien d'attribuer un élément de la souveraineté.

Il est clair, de ce point de vue, que tous les pays membres de l'union ne se trouvent pas dans la même situation. Les engagements pris par chacun d'eux peuvent exiger ou non des révisions constitutionnelles préalables, en fonction des dispositions actuelles de leur norme suprême.

Les situations sont éminemment variables entre ces deux extrémités que sont la Grande-Bretagne d'un côté : où la banque centrale n'a juridiquement que le pouvoir de mettre en uvre la politique monétaire que le Gouvernement définit librement : et l'Allemagne de l'autre : dont la banque centrale est la seule à avoir une existence constitutionnelle prévue par l'article 88 de sa loi fondamentale.

Dès lors, si chacun des Etats s'est engagé à remplir les conditions arrêtées en commun, à une date arrêtée en commun, dans l'intervalle, c'est à chacun qu'il revient de faire ce que sa constitution nationale lui permet de faire.

Tantôt l'indépendance de la banque centrale n'est pas intrinsèquement contraire au dispositif constitutionnel, et de ce fait, comme en Espagne ou en Belgique, sont également indifférentes, en droit, et la date à laquelle cette indépendance est donnée et sa liaison avec l'union économique et monétaire. Tantôt, comme aux Pays-Bas, il n'existe de toute façon pas de contrôle formel de constitutionnalité des lois.

A ce titre, le cas de la France est tout à fait particulier puisqu'il est le seul où, simultanément, d'une part l'indépendance de la banque centrale n'est constitutionnelle que sous conditions, dont, d'autre part, le juge constitutionnel peut et doit vérifier la présence.

Or, au regard de l'article 88-2 de la Constitution, pour que l'indépendance de la Banque de France soit constitutionnelle dans son principe, trois conditions doivent être cumulativement présentes :

: qu'il y ait réciprocité ;

: que les modalités soient celles prévues par le traité ;

: que les transferts de compétences soient nécessaires.

Ce n'est qu'au moment où les trois conditions sont remplies, si elles le sont, que l'article 88-2 peut autoriser le législateur à décider de l'indépendance de la Banque de France et à l'organiser.

3 L'hypothèse et la mesure n'étant pas présentes,

l'indépendance de la Banque de France est contraire à la Constitution

S'agissant en premier lieu de la réciprocité, le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion de limiter son propre contrôle au titre de l'article 55 in fine de la Constitution. Il n'en demeure pas moins qu'en l'espèce il ne s'agit nullement de se livrer à une appréciation, quelle qu'elle soit, mais simplement de faire le constat objectif selon lequel, à la date à laquelle la loi a été adoptée, le traité qui la rendrait constitutionnelle n'est pas encore entré en application, faute d'avoir été ratifié par tous ses signataires.

Compte tenu des probabilités politiques, on est en droit d'espérer que cette ratification définitive interviendra avant le 1er janvier 1994, date d'entrée en application effective de la loi. Mais si plausible que soit cette hypothèse, elle n'est à ce jour qu'une hypothèse, tandis que non seulement la loi sera irréversible, comme nombre d'orateurs l'ont souligné dans la discussion, mais surtout que la décision du Conseil constitutionnel sera, elle, de valeur absolue et définitive.

Et il n'est pas indifférent de relever également que la décision que sera prochainement amené à prendre le tribunal constitutionnel de Karlsruhe, saisi sur la conformité du traité à la loi fondamentale allemande, pourra elle aussi faire obstacle à la mise en uvre des dispositions adoptées le 7 février 1992.

Aussi le législateur eût-il dû situer le changement de régime juridique de la Banque de France non à la date du 1er janvier 1994, mais, à tout le moins, à la date d'entrée en application du traité sur l'Union européenne. Faute de l'avoir fait, la loi encourt la censure à ce premier titre.

S'agissant en second lieu de la conformité aux modalités prévues par le traité, celles-ci n'exigent nullement des Etats membres qu'ils réunissent dès l'ouverture de la seconde phase les conditions qui seront vérifiées à l'approche de la troisième.

Certes, l'article 109 E, paragraphe 5, du traité invite ceux des Etats membres pour lesquels c'est nécessaire à entamer, dès la seconde phase, le processus conduisant à l'indépendance de leur banque centrale. Mais cette disposition ne saurait faire obstacle au respect, par chacun des pays concernés, de son ordre constitutionnel interne.

Or en France, et contrairement à d'autres systèmes qui laissent au législateur une liberté moins encadrée par la Constitution, on ne peut apprécier la présence de cette seconde condition qu'en évoquant la troisième : que le transfert de compétence soit " nécessaire " à l'établissement de l'union économique et monétaire.

Ici, le transfert de compétences se fait en deux mouvements. Dans un premier mouvement, il y a transfert de compétences législatives et gouvernementales à la Banque de France, puis, dans un second mouvement, transfert de compétences de la Banque de France au système européen de banques centrales et à la Banque centrale européenne.

Mais il se trouve qu'en droit constitutionnel français, comme on l'a démontré, le premier mouvement n'est possible que dans sa liaison intime, nécessaire et certaine avec le second.

C'est, à tout le moins, la nécessité qui fait ici défaut. Comme l'ont d'ailleurs affirmé à plusieurs reprises tant le Gouvernement que les rapporteurs devant les deux assemblées, la loi a pour objet " d'anticiper " sur les nécessités futures de la construction européenne. Et M Jean Arthuis, rapporteur au Sénat, insiste encore en soulignant que " le Gouvernement n'était donc pas tenu de présenter dès cette année un projet de loi sur l'indépendance de la Banque de France. S'il a voulu le faire, c'est en réalité pour conforter la crédibilité de sa politique économique et la stabilité du franc " (Rapport n° 388, p 23).

Mais il se trouve justement que le Gouvernement, comme le Parlement, tenus par les termes de l'article 88-2, n'avaient pas la possibilité de faire ce qui n'est pas absolument nécessaire.

Retirer aux organes constitutionnellement compétents la définition et la mise en uvre de la politique monétaire n'est pas un choix que le législateur peut faire librement, à tout moment, en fonction de commodités supposées ou d'avantages espérés, si dignes que puissent éventuellement être les objectifs poursuivis.

Il s'agit au contraire d'une décision d'autant plus importante qu'elle est irréversible, et d'autant plus conditionnée qu'elle n'est constitutionnelle que dans le cadre que trace strictement l'article 88-2.

De deux choses l'une, en effet : ou les exigences du traité, reprises par l'article 88-2, sont réunies et l'indépendance de la banque centrale est indispensable ; ou elle ne sont pas remplies et l'indépendance de la banque centrale est impossible.

Il en va différemment dans les autres pays, mais c'est ainsi que le problème se résume en France, pour les raisons qui ont été dites, qui font en l'occurrence que ce qui n'est pas nécessaire est interdit.

C'est pourquoi la violation de la Constitution, en l'espèce, ne concerne nullement les principes posés par la loi, ni même, pour l'essentiel, leurs modalités d'organisation, dès lors qu'ils s'inscriraient dans le cadre de l'article 88-2 L'inconstitutionnalité, en revanche, affecte la date d'entrée en application qui, en vertu de ce même article, doit être indissolublement liée à celle du passage à la troisième phase prévue par le traité, au moins en ceux des éléments du statut de la Banque de France liés aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

Le pouvoir constituant, secondé ensuite par le pouvoir législatif référendaire, a choisi de faire le sacrifice d'un élément de sa souveraineté au profit de l'union économique et monétaire. Ce sacrifice est compensé et légitimé par ce profit.

Constitutionnellement, le premier ne peut être actuel et irréversible tandis que le second demeurerait futur et aléatoire.

Le législateur ne peut donc opérer ce démembrement de la souveraineté avant la date à laquelle seront réunies les conditions qui le rendent constitutionnel. Et il pourra et devra le faire, sans difficultés au demeurant, à ce moment-là mais à ce moment-là seulement.

Il vous appartiendra de déterminer si, et dans quelle mesure, le dernier article de la loi, relatif à son entrée en application, est séparable.

Nous vous prions d'agréer, Monsieur le président, Madame et Messieurs les conseillers, l'expression de notre haute considération.

PRÉAMBULE

Le 7 février 1992, la France signait le traité sur l'Union européenne.

Afin de rendre conforme ce traité à la Constitution française, le Président de la République saisissait le Conseil constitutionnel le 11 mars 1992 afin de savoir si, compte tenu des engagements souscrits par la France et des modalités de leur entrée en vigueur, l'autorisation de ratifier le traité devait être précédée d'une révision de la Constitution.

Par sa décision n° 92-308 DC du 9 avril 1992, le Conseil constitutionnel a considéré que l'autorisation de ratifier en vertu d'une loi le traité sur l'Union européenne ne pouvait intervenir qu'après révision de la Constitution compte tenu, notamment, des atteintes " aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale " nécessitées par la réalisation de la troisième phase de l'Union économique et monétaire dont l'entrée en vigueur est prévue, au plus tard, le 1er janvier 1999.

C'est ainsi que le Conseil constitutionnel a expressément reconnu la politique monétaire comme un principe essentiel d'exercice de la souveraineté nationale.

Le 25 juin 1992, le Parlement, réuni en congrès à Versailles, adoptait la révision constitutionnelle permettant le transfert de compétences nécessaires à l'établissement de l'Union économique et monétaire grâce au nouvel article 88-2 de la Constitution.

Enfin, le 20 septembre 1992, le peuple français ratifiait le traité sur l'Union européenne dont l'article R stipule qu'il entrera en vigueur à condition que tous les éléments de la ratification aient été déposés.

Le Royaume-Uni n'ayant toujours pas ratifié à ce jour, la loi relative au statut de la Banque de France ne peut être examinée, en conséquence, que sous le seul angle de la Constitution.

Au cours des débats au Parlement, ni le ministre de l'économie ni les rapporteurs ne se sont opposés à cette vision des choses allant même jusqu'à rappeler que ce projet de loi figurait déjà au programme de leurs mouvements politiques dès 1986 et ce, indépendamment de la construction européenne. M Etienne Dailly, répondant à l'exception d'irrecevabilité défendue par le groupe socialiste du Sénat, l'a clairement affirmé : " Vous vous êtes acharnés contre le traité de Maastricht, alors qu'il n'y a absolument aucun lien juridique entre ce traité et le projet de loi. Je vous rappelle que le projet figurait en 1986 dans la plate-forme UDF-RPR à la rédaction de laquelle j'ai participé. "

Les sénateurs soussignés défèrent au Conseil constitutionnel l'ensemble de la loi relative au statut de la Banque de France et à l'activité et au contrôle des établissements de crédit adopté définitivement par le Parlement, et notamment les articles 1er, 3, 7, 8, 9, 10 et 33.

Concernant ces articles, il convient de signaler que :

I : En confiant la politique monétaire de la France à une autorité administrative indépendante, cette loi méconnaît les articles 21 et 20 de la Constitution.

II. : Cette loi ne respecte pas le principe de souveraineté nationale en dessaisissant le pouvoir législatif d'une compétence qui lui est propre. Elle est donc contraire à l'article III de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et aux articles 34, 2 et 3 de la Constitution.

III. : L'article 33 de la loi déférée n'est pas conforme aux dispositions de l'article 88-2 de la Constitution.

IV. : Cette loi méconnaît les articles 55 et 88-2 de la Constitution.

I : En confiant la politique monétaire de la France à une autorité administrative indépendante, les articles 1er, 3, 7, 8, 9 et 10 de la loi relative au statut de la Banque de France méconnaissent les articles 21 et 20 de la Constitution

Cette loi relative au statut de la Banque de France et à l'activité et au contrôle des établissements de crédit prévoit de confier à un conseil de la politique monétaire le soin de définir la politique monétaire de la France (art 7). Ce conseil, composé de membres irrévocables et inamovibles (art 10), " ne peut ni solliciter ni accepter d'instructions du Gouvernement ou de toute personne " (art 1er, 2e alinéa) bien que la Banque de France définisse et mette en uvre la politique monétaire " dans le cadre de la politique économique générale du Gouvernement " (art 1er, 1er alinéa).

De fait, le Premier ministre ne pourra plus exercer de contrôle sur l'évolution de la masse monétaire, se trouvant ainsi privé d'un élément essentiel à la conduite de sa politique économique et sociale susceptible de peser sur la croissance et l'emploi, méconnaissant ainsi l'article 21 de la Constitution qui dispose que le " Premier ministre dirige l'action du Gouvernement et exerce le pouvoir réglementaire ", ainsi que l'article 20 de la Constitution qui dispose que " le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation ".

En effet, si le conseil de la politique monétaire ne peut ni solliciter ni accepter d'instructions du Gouvernement ou de toute personne, et que ses membres sont tout à la fois irrévocables et inamovibles, celui-ci se trouve ainsi placé dans une position de réelle indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif.

Or, si la décision n° 86-217 DC du 18 septembre 1986 a certes admis que les dispositions de l'article 21 de la Constitution " ne font pas obstacle à ce que le législateur confie à une autorité autre que le Premier ministre le soin de fixer des normes permettant de mettre en uvre une loi ", c'est à la condition que ce soit " dans un domaine déterminé et dans le cadre défini par les lois et les règlements ". La décision n° 89-248 DC du 17 janvier 1989 relative au Conseil supérieur de l'audiovisuel est venue confirmer cette jurisprudence en précisant que si l'article 21 n'exclut pas la compétence réglementaire des autorités indépendantes, c'est seulement après que le pouvoir réglementaire national aura défini les éléments essentiels permettant de mettre en uvre une loi et " à la condition que cette habilitation ne concerne que des mesures de portée limitée tant par leur champ d'application que par leur contenu ".

En conséquence, si les autorités indépendantes peuvent arrêter des mesures de détail, elles peuvent le faire uniquement après que le pouvoir réglementaire national a défini les éléments essentiels. Or la Banque de France, telle qu'elle ressort de la loi adoptée, méconnaît le principe de limitation des compétences réglementaires des autorités indépendantes, tel que défini dans les deux décisions précitées.

En effet, si des représentants du Gouvernement peuvent siéger aux séances du conseil de la politique monétaire, c'est sans voix délibérative (art 9-3). Par conséquent, le fait que ce conseil ne puisse ni solliciter ni accepter d'instructions du Gouvernement limite singulièrement le simple fait que les représentants du Gouvernement puissent y soumettre " toute proposition de décision ".

En revanche, un censeur (art 11 bis, alinéa 5), à qui il est reconnu un droit de veto (ibid, alinéa 6), siège au conseil général de la Banque de France qui, notamment, met en uvre la politique des changes, l'émission de la monnaie fiduciaire ainsi que la circulation territoriale de la monnaie légale.

La loi opère donc une claire distinction entre deux types de missions assignées à la Banque de France : la mission relative à la politique monétaire qu'elle confie à une autorité administrative indépendante, et les autres missions qui reviennent au conseil général dont les décisions sont soumises à l'autorité du censeur représentant le Gouvernement.

Ainsi, lorsque le premier alinéa de l'article 1er dispose que " la Banque de France définit et met en uvre la politique monétaire dans le cadre de la politique économique générale du Gouvernement ", il ne peut viser que la partie de la politique monétaire définie par le conseil général qui porte sur la quasi-totalité du projet de loi à l'exclusion de l'article 7 (et subséquemment 8, 9 et 10) qui précise le champ d'intervention du conseil de la politique monétaire.

Il ressort donc que la loi relative au statut de la Banque de France a clairement accordé à une autorité administrative, le conseil de la politique monétaire, une indépendance de fait dont les décisions ne peuvent être remises en cause, en aucune manière, par l'autorité administrative supérieure qu'est le Premier ministre conformément aux dispositions de l'article 21 de la Constitution.

Quant tous les économistes s'accordent à dire que c'est en influant sur la politique monétaire et singulièrement sur les taux d'intérêt que l'on fera repartir l'économie, d'aucuns notifient aux responsables de la nation et à l'opinion publique l'extrême importance de cette politique, tant par son champ d'attribution que par son contenu.

En effet, les objectifs de toute politique monétaire s'inscrivent dans la réalisation du " carré magique " :

: la stabilité des prix ;

: l'équilibre extérieur ;

: le plein emploi ;

: la croissance économique.

La politique monétaire se concrétise essentiellement à travers l'objectif de stabilité des prix. Pour atteindre cet objectif, il faut veiller au taux de change et au contrôle de la masse monétaire.

Tel qu'il ressort de la loi relative au statut de la Banque de France, il revient au conseil de la politique monétaire le soin, notamment, de " surveiller l'évolution de la masse monétaire et de ses contreparties " (art 7-2).

Le contrôle exercé sur la quantité de monnaie en circulation est un outil déterminant pour assurer la stabilité des prix. Depuis 1991, ce contrôle quantitatif s'exerce à travers l'agrégat monétaire M 3 qui se montait, au mois de mai 1993, à environ 5 400 milliards de francs, soit près de quatre fois le budget de la France. Il se fait par des interventions sur le marché monétaire par le biais, à la fois de son action sur la fixation des taux d'intérêt à court terme et en réglant éventuellement la quantité de monnaie disponible, par l'alimentation du marché interbancaire sous forme de pensions, bons du Trésor à des taux fixés par elle ; il se fait par la réglementation des réserves obligatoires qui influent également sur la demande et la quantité de monnaie.

Ainsi, au vu de ce que recouvre le domaine d'attribution de la politique monétaire, il n'est pas besoin de s'étendre longuement sur l'impact de toute politique monétaire dans l'économie générale d'un pays et sur ses conséquences sociales puisque la seule persistance de taux d'intérêt élevés, si elle a des effets sur la politique des changes, en a également sur la vie des entreprises qui, elles-mêmes, déterminent le plus souvent la croissance de la richesse nationale et donc le niveau d'emplois qui en découle.

C'est pourquoi, en confiant à une autorité administrative indépendante le soin de définir la politique monétaire de la France dont les décisions seront mises en uvre sans autre forme d'appel par la Banque de France, le législateur a dérogé au principe de limitation des compétences réglementaires des autorités administratives indépendantes, tant par son champ d'application que par son contenu.

Pour toutes ces raisons, les sénateurs soussignés ont l'honneur de vous demander l'annulation des articles 1er, 3, 7, 8, 9 et 10 en ce qu'ils méconnaissent les articles 20 et 21 de la Constitution.

II. : Les articles 1er, 3, 7, 8, 9 et 10 de cette loi ne respectent pas le principe de souveraineté nationale en dessaisissant le Parlement d'une compétence qui lui est propre. Elle est donc contraire à l'article III de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et aux articles 34, 2, 3 et 88-2 de la Constitution

En effet, dès lors que le sixième alinéa de l'article 34 de la Constitution attribue au Parlement le soin de fixer les règles concernant le régime d'émission de la monnaie, il ne peut confier à une autorité administrative indépendante la charge de déterminer à elle seule " une des conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale " sans contrevenir à l'article 3 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui proclame que " le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation.

Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément ".

Or, aux termes de l'article 2 de la Constitution : " la France est une République indivisible " et l'article 3 dispose que " la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ".

Par ailleurs, si la loi telle qu'elle a été adoptée par le Parlement prévoit un dispositif où le gouverneur de la Banque de France dépose un rapport annuel devant les assemblées parlementaires, et où celui-ci peut être entendu par les commissions des finances de ces deux assemblées, aucune disposition n'est en revanche prévue qui puisse sanctionner les orientations du conseil de la politique monétaire, élément clé du nouvel institut d'émission tel qu'il ressort de la loi.

En conséquence, il apparaît clairement aux yeux des sénateurs soussignés que le Parlement s'est privé de l'exercice de son pouvoir de direction et de contrôle de la politique monétaire en abandonnant celle-ci au profit d'une autorité dont nul ne pourra contester les décisions.

A cet égard, le Parlement a méconnu non seulement l'article 34 mais également la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, en matière de délégation de souveraineté, a rendu un certain nombre de décisions tendant, pour chacune d'entre elles, à définir la notion de compétence minimum du législateur.

Cette jurisprudence a été dégagée pour la première fois en matière de lois organiques (n° 67-31 du 26 janvier 1967) et elle a été appliquée à maintes reprises en matière de lois ordinaires.

Ont été, pour ce motif, déclarées contraires à la Constitution :

: des dispositions des lois de nationalisation qui autorisaient les administrateurs généraux ou les conseils d'administration des sociétés nationalisées à procéder à des aliénations pouvant constituer des transferts de propriété du secteur public au secteur privé (n° 81-132 DC du 16 janvier 1982) ;

: le fait pour la loi de démocratisation du secteur public de renvoyer à un décret la fixation du nombre des représentants du personnel dans les conseils d'administration (n° 83-162 DC des 19 et 20 juillet 1983) ;

: les dispositions de la loi sur la fonction publique territoriale qui ne fixaient pas avec une précision suffisante les règles constitutives d'une catégorie d'établissement public créée par cette loi (n° 83-168 DC du 20 janvier 1984).

: l'attribution au pouvoir réglementaire du pouvoir de déterminer les limites maximales d'un réseau câblé dont l'exploitation devait être autorisée par la Haute Autorité de la communication audiovisuelle (n° 84-173 DC du 26 juillet 1984).

D'une façon générale, la jurisprudence a tendance, dans la période récente, à veiller à ce que le législateur exerce pleinement sa compétence, qu'il s'agisse de la définition des éléments constitutifs d'un délit (n° 84-183 DC du 18 janvier 1985), de la définition de l'assiette d'un impôt (n° 85-191 DC du 10 juillet 1985) ou de la détermination des garanties nécessaires à la sauvegarde des droits et libertés de valeur constitutionnelle.

En outre, l'intégration de la France au sein de l'Union économique et monétaire instituée par le traité, si elle implique un transfert de compétences dans les conditions prévues par l'article 88-2 de la Constitution, ne justifie ni l'ampleur ni les modalités du transfert de souveraineté opéré par la présente loi déférée.

Pour l'ensemble de ces raisons, les sénateurs soussignés ont l'honneur de vous demander l'annulation des articles 1er, 3, 7, 8, 9 et 10 de la loi relative au statut de la Banque de France et à l'activité et au contrôle des établissements de crédit.

III. : L'article 33 de la loi relative au statut de la Banque de France et à l'activité et au contrôle des établissements de crédit n'est pas conforme aux dispositions de l'article 88-2 de la Constitution

L'article 88-2 de la Constitution énonce que, " sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992, la France consent aux transferts de compétences nécessaires à l'établissement de l'Union économique et monétaire ".

L'article 33 de la présente loi ne respecte pas les prescriptions édictées à l'échelon de la Communauté européenne et ratifiées pour la mise en uvre de l'Union économique et monétaire selon notamment les modalités des articles 109 E et 108.

En effet, comme le Conseil constitutionnel l'a relevé dans sa décision n° 92-308 DC du 9 avril 1992, le traité prévoit dans son article 109 E, alinéa 1, que " la deuxième phase de la réalisation de l'Union économique et monétaire commence le 1er janvier 1994 " et dans sont alinéa 5 qu'" au cours de la deuxième phase, chaque Etat membre entame, le cas échéant, le processus conduisant à l'indépendance de sa banque centrale ".

Or le processus conduisant à l'indépendance de la banque centrale, conformément aux dispositions combinées des articles 109 E et 108, impose que celle-ci doit être simultanément mise en uvre " au plus tôt le 1er janvier 1994 " et non pas " au plus tard le 1er janvier 1994 " comme le prévoit l'article 33 de la loi déférée.

Les dispositions de l'article 33 de la loi déférée ne sont donc pas conformes à l'article 88-2 en ce qu'il fait référence " aux modalités prévues par le traité sur l'Union européenne ", les délais étant une de ces modalités.

Pour toutes ces raisons, les sénateurs soussignés ont l'honneur de vous demander l'annulation de l'article 33 de la loi qui à l'évidence n'est manifestement pas détachable de l'ensemble de la loi.

IV. : Les dispositions de la loi déférée mettant en oeuvre le traité sur l'Union européenne méconnaissent les articles 55 et 88-2 de la Constitution

En effet, si lors des travaux préparatoires le Gouvernement a pris soin de situer sa loi exclusivement dans le cadre de la Constitution, il apparaît néanmoins dans l'exposé des motifs du projet de loi initial (projet de loi n° 158 AN) qu'il fait explicitement référence au traité sur l'Union européenne à propos de l'article 1er, tout comme la plupart des parlementaires intervenant dans ce débat.

Or le nouvel article 88-2 de la Constitution dispose que, " sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992, la France consent aux transferts nécessaires à l'établissement de l'Union économique et monétaire européenne ".

L'article 55 de la Constitution dispose que " les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord et traité, de son application par l'autre partie ".

Or, bien que signataire du traité sur l'Union européenne, le Royaume-Uni n'a pas pris l'engagement de passer à la troisième étape de l'Union économique et monétaire et, par conséquent, il n'y sera pas tenu.

De même, le Danemark, également signataire du traité, bénéficie d'un protocole annexé à celui-ci, qui précise que " la Constitution du Danemark contient des dispositions susceptibles de rendre nécessaire l'organisation d'un référendum avant que ce pays ne s'engage dans la troisième phase de l'Union économique et monétaire ". Le sommet d'Edimbourg des 11 et 12 décembre 1992 a adopté un compromis qui, notamment, accorde au Danemark un statut spécial lui permettant de ne pas participer à l'élaboration de la future monnaie unique. C'est ce traité, modifié par les accords d'Edimbourg, qui a été ratifié par les Danois au cours du semestre écoulé.

Ainsi, les faits évoqués ci-dessus laissent entendre de façon assez précise que le traité ratifié par le peuple français le 20 septembre 1992 ne serait pas tout à fait le même que celui adopté par le peuple danois, pas plus que celui actuellement en discussion au Parlement britannique.

En conséquence de quoi, le sénateurs soussignés ont l'honneur de vous demander l'annulation de la présente loi en ce qu'elle méconnaît les articles 55 et 88-2 de la Constitution.

Nous vous prions d'agréer, Monsieur le président, Madame et Messieurs les conseillers, l'expression de notre haute considération.


Références :

DC du 03 août 1993 sur le site internet du Conseil constitutionnel
DC du 03 août 1993 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Loi relative au statut de la Banque de France et à l'activité et au contrôle des établissements de crédit (Nature : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées)


Publications
Proposition de citation: Cons. Const., décision n°93-324 DC du 03 août 1993

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Origine de la décision
Date de la décision : 03/08/1993
Date de l'import : 02/11/2017

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro de décision : 93-324
Numéro NOR : CONSTEXT000017666368 ?
Numéro NOR : CSCX9310109S ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.constitutionnel;dc;1993-08-03;93.324 ?
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