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13/01/1994 | FRANCE | N°93-329

France | France, Conseil constitutionnel, 13 janvier 1994, 93-329


Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 16 décembre 1993, par MM Claude Estier, Aubert Garcia, Guy Allouche, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM Paul Raoult, Jean Besson, André Vezinhet, Louis Perrein, Gérard Delfau, Rodolphe Désiré, Roland Courteau, Robert Castaing, François Louisy, Jacques Bellanger, Jean-Pierre Masseret, Michel Charasse, Jean-Louis Carrère, Paul Loridant, Jean-Luc Mélenchon, William Chervy, Michel Moreigne, Bernard Dussaut, Claude Saunier, André Rouvière, Raymond Courrière, Robert Laucournet, Jacques Bialski, Gérard Gaud, Marcel Vidal, Mme Maryse Bergé-Lav

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Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 16 décembre 1993, par MM Claude Estier, Aubert Garcia, Guy Allouche, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM Paul Raoult, Jean Besson, André Vezinhet, Louis Perrein, Gérard Delfau, Rodolphe Désiré, Roland Courteau, Robert Castaing, François Louisy, Jacques Bellanger, Jean-Pierre Masseret, Michel Charasse, Jean-Louis Carrère, Paul Loridant, Jean-Luc Mélenchon, William Chervy, Michel Moreigne, Bernard Dussaut, Claude Saunier, André Rouvière, Raymond Courrière, Robert Laucournet, Jacques Bialski, Gérard Gaud, Marcel Vidal, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM François Autain, Charles Metzinger, Roland Huguet, Michel Sergent, René-Pierre Signé, Franck Sérusclat, Francis Cavalier-Benezet, Claude Fuzier, Philippe Madrelle, René Régnault, Mme Monique ben Guiga, MM Jacques Carat, Mme Josette Durieu, MM Léon Fatous, Marcel Bony, Jean Peyrafitte, Germain Autié, Claude Cornac, Gérard Miquel, Jean-Pierre Demerliat, Michel Dreyfus-Schmidt, Louis Philibert, Fernand Tardy, Marcel Charmant, Roger Quilliot, Guy Penne, Philippe Labeyrie, Michel Manet, Albert Pen, Pierre Biarnes, Gérard Roujas, sénateurs, et, le 17 décembre 1993 par MM Martin Malvy, Jean-Marc Ayrault, Jean-Pierre Balligand, Claude Bartolone, Christian Bataille, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Michel Berson, Jean-Claude Bois, Augustin Bonrepaux, Jean-Michel Boucheron, Jean-Pierre Braine, Laurent Cathala, Jean-Pierre Chevènement, Henri d'Attilio, Mme Martine David, MM Bernard Davoine, Bernard Derosier, Michel Destot, Julien Dray, Pierre Ducout, Dominique Dupilet, Jean-Paul Durieux, Henri Emmanuelli, Laurent Fabius, Jacques Floch, Pierre Garmendia, Jean Glavany, Jacques Guyard, Jean-Louis Idiart, Frédéric Jalton, Serge Janquin, Charles Josselin, Jean-Pierre Kucheida, André Labarrère, Jean-Yves Le Déaut, Louis Le Pensec, Alain Le Vern, Marius Masse, Didier Mathus, Jacques Mellick, Louis Mexandeau, Jean-Pierre Michel, Didier Migaud, Mme Véronique Neiertz, MM Paul Quilès, Alain Rodet, Mme Ségolène Royal, MM Georges Sarre, Henri Sicre, Camille Darsières, Jean-Pierre Defontaine, Gilbert Annette, Kamilo Gata, Roger-Gérard Schwartzenberg, Didier Boulaud, Bernard Charles, Régis Fauchoit, Emile Zuccarelli, Gérard Saumade, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi relative aux conditions de l'aide aux investissements des établissements d'enseignement privés par les collectivités territoriales;

Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'article 69 de la loi du 15 mars 1850 modifiée ;
Vu l'article 2 de la loi du 30 octobre 1886 sur l'organisation de l'enseignement primaire ;
Vu la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 modifiée complétant la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Le rapporteur ayant été entendu,

SUR LA PROCEDURE :
. En ce qui concerne la procédure suivie à l'Assemblée nationale :
- Quant à la méconnaissance des dispositions de l'article 40 de la Constitution par l'initiative parlementaire :
1. Considérant que les députés, auteurs de la seconde saisine, font valoir que le texte définitivement adopté trouve son origine dans une proposition de loi reprenant pour l'essentiel les termes des conclusions d'un rapport fait au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales sur quatre autres propositions de loi ; qu'ils soutiennent que l'irrecevabilité de ces quatre propositions au regard de l'article 40 de la Constitution est évidente en ce qu'elles ouvrent aux collectivités locales concernées la possibilité d'aggraver une charge publique ; qu'ils estiment que ces quatre propositions dont la proposition inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale est solidaire, auraient dû être déclarées irrecevables, dès leur dépôt, en application de l'article 81 alinéa 3 du règlement de l'Assemblée nationale ; que, faute d'avoir respecté les principes de recevabilité financière applicables aux propositions de loi, l'initiative parlementaire dont le texte adopté est issu comporte un vice de procédure ;
2. Considérant que l'article 40 de la Constitution dispose que : "Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique" ; qu'en vertu du troisième alinéa de l'article 81 du règlement de l'Assemblée nationale lorsque l'irrecevabilité d'une proposition de loi au sens de l'article 40 de la Constitution est évidente, le dépôt en est refusé par le Bureau de l'Assemblée ou certains de ses membres délégués par lui à cet effet ; que le premier alinéa de l'article 92 de ce règlement prévoit que "les dispositions de l'article 40 de la Constitution peuvent être opposées à tout moment aux propositions, rapports et amendements par le Gouvernement ou par tout député" ; que le second alinéa de ce texte dispose : "Pour les propositions ou rapports, l'irrecevabilité est appréciée par le bureau de la Commission des finances, de l'économie générale et du plan..." ;
3. Considérant que ces dispositions, comme celles des articles 86 et 98 du règlement, ont notamment pour objet d'organiser, dans le cadre des prérogatives propres aux assemblées parlementaires, un contrôle de la recevabilité des propositions de loi et des amendements formulés par un parlementaire ; que le Conseil constitutionnel ne peut être saisi de la conformité de la procédure aux prescriptions de l'article 40 de la Constitution que si la question de la recevabilité de la proposition ou de l'amendement dont il s'agit a été soulevée devant l'assemblée parlementaire concernée ;
4. Considérant qu'en application de l'article 92 du règlement, le bureau de la commission des finances, de l'économie générale et du plan s'est prononcé, le 26 juin 1993, sur la recevabilité, au regard de l'article 40 de la Constitution, du texte des conclusions du rapport n 394 arrêtées par la commission saisie au fond, lequel, conformément à l'article 91, alinéa 8 du règlement, était seul inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale ainsi que du texte de la proposition de loi n 367 qui a donné lieu à ce rapport afin, aux termes de sa décision, "de lever tout doute sur la procédure suivie... fût-ce à titre superfétatoire" ; que le bureau de la commission des finances a considéré que l'article 40 n'était applicable ni aux articles des conclusions du rapport de la commission saisie au fond, ni au texte initial de la proposition de loi ;
5. Considérant que cette décision a été contestée, durant le débat, par plusieurs députés qui ont estimé que les dispositions de l'article 40 de la Constitution étaient applicables à l'un et l'autre de ces textes ainsi qu'aux quatre propositions antérieurement déposées ; qu'ainsi la question de la recevabilité de la proposition de loi a été soulevée ;
6. Considérant que les règlements des assemblées parlementaires n'ayant pas par eux-mêmes une valeur constitutionnelle, la seule méconnaissance des dispositions de l'article 81, alinéa 3 du règlement de l'Assemblée nationale en ce qui concerne les quatre propositions antérieures ne saurait avoir pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution ;
7. Considérant qu'il appartient au Conseil constitutionnel de se prononcer sur la régularité de la procédure suivie en examinant si le texte des conclusions du rapport de la commission saisie au fond inscrit à l'ordre du jour, dont la discussion a donné lieu au texte définitivement adopté, est ou non contraire aux dispositions de l'article 40 de la Constitution ; qu'en revanche, il ne peut être saisi du texte de propositions de loi non débattu dont l'examen au titre de l'irrecevabilité relève des seules instances parlementaires compétentes, conformément aux règlements de ces assemblées ;
8. Considérant que le texte soumis à l'examen de l'Assemblée nationale a été, conformément à l'article 91, alinéa 8 du règlement de l'Assemblée nationale, celui de la commission saisie au fond ; qu'il comportait cinq articles ; que son article premier disposait que toutes les collectivités territoriales concourent à la liberté de l'enseignement ; que son article 2 précisait que doit être assurée au moment de l'attribution de subventions d'investissement la compatibilité des formations offertes par l'établissement concerné avec le schéma prévisionnel des formations d'ores et déjà exigée au moment de la passation du contrat prévu par la loi du 22 juillet 1983 susvisée ; que son article 3 prévoyait la signature de conventions lorsque l'aide est allouée et comportait certaines précisions relatives au contenu de ces conventions ; que ses articles 4 et 5 se bornaient à rappeler la législation en vigueur ; qu'aucun de ces articles n'a méconnu les dispositions de l'article 40 de la Constitution ;
- Quant à l'amendement du Gouvernement portant sur l'aide aux investissements susceptible d'être allouée aux établissements d'enseignement privés :
9. Considérant toutefois que les députés, auteurs de la seconde saisine, soutiennent que le débat sur le texte issu du rapport n 394 était exclusivement destiné à permettre l'introduction de l'amendement gouvernemental portant sur l'aide aux investissements des établissements d'enseignement privés ; qu'une telle procédure aurait méconnu le second alinéa de l'article 39 de la Constitution ; qu'en outre, ils font valoir qu'un tel amendement excède les limites inhérentes au droit d'amendement ;
10. Considérant que les adjonctions ou modifications apportées au texte en cours de discussion ne sauraient, sans méconnaître les articles 39, alinéa 1 et 44, alinéa 1 de la Constitution, ni être sans lien avec ce dernier, ni dépasser par leur objet ou leur portée les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement qui relève d'une procédure spécifique ;
11. Considérant que sous réserve du respect des conditions ci-dessus énoncées l'initiative législative du Gouvernement peut prendre à son choix la forme soit du dépôt d'un projet soit d'un amendement à un texte discuté par une assemblée ; qu'en particulier, sous réserve du respect des règles spécifiques à la présentation et au vote des lois de finances, aucune disposition ne contraint le Premier ministre à présenter un projet de loi ; que, dès lors, les dispositions du 2ème alinéa de l'article 39 de la Constitution, lesquelles n'imposent l'avis du Conseil d'État et la délibération en Conseil des ministres que pour les projets de loi et non pour les amendements n'ont pas été méconnues du seul fait de l'introduction d'une disposition par voie d'amendement gouvernemental ;
12. Considérant que la proposition de loi portait par son titre et son contenu sur l'aide aux investissements des établissements d'enseignement privés par les collectivités territoriales ; que l'amendement du Gouvernement avait pour objet d'élargir pour les collectivités locales la possibilité de consentir des aides aux investissements réalisés par les établissements privés sous contrat ; qu'il concernait la même matière que la proposition et ne saurait, dès lors, être considéré comme sans lien avec les dispositions de celle-ci ; que par ailleurs, en dépit de la portée normative réduite de la proposition initiale, l'amendement dont il s'agit n'a pas méconnu les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement ;
- Quant aux conditions générales du débat à l'Assemblée nationale :
13. Considérant que si les députés, auteurs de la seconde saisine font valoir qu'ils ont été privés de certaines informations dont le Sénat a pu disposer, une telle considération est sans portée sur la régularité de la procédure législative ; qu'en outre, s'ils allèguent de manière générale que le caractère contradictoire de la procédure n'a pas été respecté, le déroulement et la durée des débats, ainsi que le nombre d'amendements débattus n'apportent en tout état de cause aucun élément permettant d'étayer cette affirmation ;
. En ce qui concerne la procédure au Sénat :
- Quant au vote de motions d'irrecevabilité portant sur plusieurs amendements à la fois :
14. Considérant que les sénateurs, auteurs de la première saisine soulignent que de nombreux amendements ont été écartés à la suite de l'adoption de motions d'irrecevabilité portant sur plusieurs amendements à la fois ; qu'ils soutiennent que cette procédure, contraire au règlement du Sénat, rend impossible le contrôle du bien-fondé des irrecevabilités opposées ;
15. Considérant qu'ainsi qu'il est dit ci-dessus, les règlements des assemblées parlementaires n'ayant pas par eux-mêmes une valeur constitutionnelle, la méconnaissance des seules dispositions du règlement du Sénat ne saurait avoir pour effet de rendre la procédure contraire à la Constitution dès lors qu'elle n'a pas méconnu les dispositions de celle-ci en empêchant une contestation des décisions d'irrecevabilité ;
- Quant à la méconnaissance du droit d'amendement :
16. Considérant que les sénateurs, auteurs de la première saisine, contestent, en premier lieu l'irrecevabilité opposée à 2 870 amendements qui tendaient à exclure du champ d'application du texte certaines collectivités nommément désignées, en deuxième lieu l'irrecevabilité opposée à 34 amendements en application de l'article 40 de la Constitution, en troisième lieu l'irrecevabilité opposée à 50 amendements en vertu de l'article 41 de la Constitution et en quatrième lieu l'irrecevabilité prononcée à l'encontre de 69 autres amendements en application de l'article 44, alinéa 2 du règlement du Sénat, au regard des dispositions des articles 72 de la Constitution, 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et 48, alinéa 3 du règlement du Sénat ;
17. Considérant que les saisissants contestent ainsi le sens des décisions ayant conduit à éliminer du débat les amendements dont s'agit, en soulignant qu'a été méconnu le droit d'amendement reconnu aux parlementaires en vertu de l'article 44 de la Constitution ;
18. Considérant que les dispositions opposées en l'espèce ont notamment pour objet d'organiser, dans le cadre de prérogatives propres aux assemblées parlementaires, un contrôle de la recevabilité des amendements ; que le Conseil constitutionnel ne peut être saisi de la conformité de la procédure aux dispositions restreignant le droit d'amendement d'une part en application de l'article 40 de la Constitution, d'autre part en application de l'article 41 de la Constitution, que si la question de la recevabilité de l'amendement dont il s'agit a été soulevée devant l'assemblée parlementaire concernée ;
19. Considérant que si au cours de la séance du 29 juin 1993, à la demande du Gouvernement, les dispositions de l'article 41 de la Constitution ont été opposées par le Président du Sénat à certains amendements et que celles de l'article 40 de la Constitution ont été jugées applicables à l'encontre d'autres amendements, ces décisions, même si elles ont été discutées, n'ont pas été contestées quant à leur contenu ; qu'ainsi la question de la recevabilité desdits amendements n'a pas été soulevée au cours du débat ;
20. Considérant qu'au cours de la même séance le Sénat a adopté, conformément à l'article 44, alinéa 2 de son règlement, une motion tendant à déclarer irrecevables 2 870 amendements au motif que ceux-ci, qui visaient à exclure des aides aux investissements des établissements du seul fait qu'ils étaient situés sur le territoire de certaines communes ou départements, méconnaissaient le principe d'égalité ; qu'il appartient au Conseil constitutionnel, saisi de cette question, d'examiner si l'irrecevabilité des amendements en cause constitue une méconnaissance du droit d'amendement reconnu à tout parlementaire en application de l'article 44 de la Constitution ;
21. Considérant que ces amendements visaient à exclure, sans justification appropriée, du champ d'application de la loi le territoire de certaines collectivités territoriales et ont méconnu les principes d'égalité devant la loi et d'indivisibilité de la République ; que c'est à bon droit que lesdits amendements ont été écartés du débat ;
22. Considérant enfin qu'au cours de sa séance du 14 décembre 1993 le Sénat a opposé, en vertu de l'article 44, alinéa 2 de son règlement une irrecevabilité à 69 autres amendements ; que même si certains de ces amendements ont pu être écartés sans justification appropriée, cette restriction au droit d'amendement qui doit être appréciée au regard du contenu des amendements dont s'agit et des conditions générales du débat n'a pas revêtu en l'espèce un caractère substantiel et n'est donc pas susceptible d'entacher de nullité la procédure législative ;
- SUR LE FOND :
23. Considérant que les sénateurs, auteurs de la première saisine, font valoir que la loi déférée ne garantit pas le respect de la disposition constitutionnelle selon laquelle "l'organisation de l'enseignement public, gratuit et laïque à tous les degrés, est un devoir de l'État" faute d'assurer par des conditions précises la conciliation entre le principe de la liberté de l'enseignement et les devoirs de l'État à l'égard de l'enseignement public ; qu'elle ne fait pas non plus une juste application du principe de la liberté d'enseignement dès lors que les conditions essentielles d'application de cette dernière dépendent de décisions des collectivités locales ; qu'elle ne répond pas aux exigences de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui justifie la nécessité d'une contribution commune pour "l'entretien de la force publique et les dépenses administratives" dans la mesure où elle ne prévoit pas de garanties suffisantes pour prévenir l'accroissement de patrimoines privés ; qu'enfin en n'excluant pas que des subventions puissent bénéficier à des associations cultuelles, elle méconnaît le principe de laïcité de la République consacré par l'article 2 de la Constitution ;
24. Considérant que pour leur part les députés, auteurs de la seconde saisine, font valoir que le législateur a méconnu l'article 34 de la Constitution faute d'avoir exercé assez précisément sa compétence pour définir les conditions des concours financiers en cause ; que la loi viole le principe d'égalité en permettant à parité entre établissements publics et établissements privés des concours financiers alors que les charges et contraintes des uns sont supérieures à celles des autres et en ne limitant les facultés d'aide aux investissements de chaque catégorie de collectivités territoriales que lorsqu'il s'agit du financement de l'enseignement public ; qu'elle contrevient au principe de la laïcité de la République posé par l'article 2 de la Constitution et méconnaît le devoir de l'État concernant l'organisation de l'enseignement public, gratuit et laïque à tous les degrés imposé par le Préambule de la Constitution de 1946 ; qu'en effet elle tendrait nécessairement d'une part compte tenu du caractère limité des ressources publiques à provoquer le transfert de crédits d'investissement de l'enseignement public au bénéfice d'établissements privés, d'autre part à organiser l'enrichissement de personnes privées qui ne sont pas soumises aux exigences de la laïcité ; qu'en outre elle enfreint le principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales dès lors qu'elle fait peser sur ces dernières des charges financières nouvelles sans prévoir de transferts de ressources en contrepartie ;
25. Considérant qu'aux termes de l'article 72 de la Constitution "Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les territoires d'outre-mer. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi. Ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi..." ;
26. Considérant toutefois d'une part qu'aux termes de l'article 2 de la Constitution : "La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion..." ; qu'aux termes du treizième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958 "L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'État" ; d'autre part que la liberté de l'enseignement constitue l'un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, réaffirmés par le Préambule de la Constitution de 1946 auquel se réfère le Préambule de la Constitution de 1958 ;
27. Considérant qu'il résulte des dispositions et principes à valeur constitutionnelle ci-dessus rappelés que le législateur peut prévoir l'octroi d'une aide des collectivités publiques aux établissements d'enseignement privés selon la nature et l'importance de leur contribution à l'accomplissement de missions d'enseignement ; que si le principe de libre administration des collectivités locales a valeur constitutionnelle, les dispositions que le législateur édicte ne sauraient conduire à ce que les conditions essentielles d'application d'une loi relative à l'exercice de la liberté de l'enseignement dépendent de décisions des collectivités territoriales et, ainsi, puissent ne pas être les mêmes sur l'ensemble du territoire ; que les aides allouées doivent, pour être conformes aux principes d'égalité et de liberté, obéir à des critères objectifs ; qu'il incombe au législateur, en vertu de l'article 34 de la Constitution, de définir les conditions de mise en oeuvre de ces dispositions et principes à valeur constitutionnelle ; qu'il doit notamment prévoir les garanties nécessaires pour prémunir les établissements d'enseignement public contre des ruptures d'égalité à leur détriment au regard des obligations particulières que ces établissements assument ;
. En ce qui concerne l'article 2 :
28. Considérant que l'article 2 de la loi pose le principe selon lequel les collectivités territoriales peuvent décider d'attribuer des subventions d'investissement aux établissements d'enseignement privés sous contrat de leur choix, selon des modalités qu'elles fixent librement, quel que soit le niveau d'enseignement scolaire concerné ; que cet article ouvre aux collectivités territoriales les mêmes possibilités qu'il s'agisse d'établissements sous contrat simple ou sous contrat d'association ; qu'il ne prévoit qu'un plafonnement global des aides susceptibles d'être allouées ; que ces aides peuvent aller dans certains cas jusqu'à une prise en charge totale des investissements concernés ;
29. Considérant que s'agissant des conditions requises pour l'octroi des aides des différentes collectivités territoriales et la fixation de leur montant, l'article 2 ne comporte pas les garanties nécessaires pour assurer le respect du principe d'égalité entre les établissements d'enseignement privés sous contrat se trouvant dans des situations comparables ; que ces différences de traitement ne sont pas justifiées par l'objet de la loi ;
30. Considérant par ailleurs que les dispositions de l'article 2 ne comportent pas non plus de garanties suffisantes pour éviter que des établissements d'enseignement privés puissent se trouver placés dans une situation plus favorable que celle des établissements d'enseignement public, compte tenu des charges et des obligations de ces derniers ;
31. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'article 2 de la loi déférée doit être déclaré contraire à la Constitution ;
. En ce qui concerne les autres dispositions contestées :
32. Considérant que le premier alinéa de l'article 3 de la loi prescrit que les formations offertes par les établissements d'enseignement secondaire sous contrat subventionnés doivent être compatibles avec les orientations définies par le schéma prévisionnel des formations, en réitérant une condition déjà prévue par l'article 27-3 de la loi susvisée du 22 juillet 1983 pour la conclusion des contrats ; que cette disposition ne méconnaît aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle ;
33. Considérant que l'article 4 prescrit l'établissement d'une convention précisant l'affectation de l'aide et les conditions de remboursement des sommes non amorties en cas de cessation de l'activité d'éducation ou de résiliation du contrat ; que les stipulations de la convention doivent être déterminées de façon à éviter que l'organisme bénéficiaire puisse profiter d'un avantage injustifié ou conduisant à méconnaître les règles constitutionnelles ci-dessus rappelées ; que sous ces réserves d'interprétation, l'article 4 de la loi n'est pas contraire à la Constitution ;

Décide :
Article premier :
L'article 2 de la loi relative aux conditions de l'aide aux investissements des établissements d'enseignement privés par les collectivités territoriales est contraire à la Constitution.
Article 2 :
Les dispositions du premier alinéa de l'article 3 et l'article 4 de cette même loi ne sont pas contraires à la Constitution.
Article 3 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.


Loi relative aux conditions de l'aide aux investissements des établissements d'enseignement privés par les collectivités territoriales
Sens de l'arrêt : Non conformité partielle
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Saisine

Les députés soussignés à Monsieur le président, Madame et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, 2, rue de Montpensier, 75001 Paris Monsieur le président,

Madame et Messieurs les conseillers,

Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi relative aux conditions de l'aide aux investissements des établissements d'enseignement privés par les collectivités territoriales telle qu'elle a été adoptée par le Parlement.

La loi déférée a été adoptée par le Parlement au terme d'une procédure marquée par des incidents et des irrégularités si graves et si nombreux que cette seule circonstance suffirait à imposer sa censure (I). En outre, sur le fond, le contenu de ses dispositions méconnaît radicalement d'une part les dispositions de l'article 34 de la Constitution, d'autre part les principes constitutionnels d'égalité, de laïcité et de libre administration des collectivités territoriales qui caractérisent la tradition républicaine et l'ordre juridique français (II).

I Sur la procédure législative

Les conditions dans lesquelles s'est exercée en l'espèce l'initiative législative, puis celles du déroulement des débats parlementaires ont bien peu de précédents dans l'histoire constitutionnelle française. A la vérité, par une ironie qui n'a échappé à aucun observateur attentif des travaux des assemblées, c'est précisément en matière de distribution de fonds publics aux établissements d'enseignement privés que l'on peut trouver, qu'il s'agisse de la " loi Debré " en 1959 ou de la " loi Guermeur " en 1977, quelques cas similaires de mépris des droits de l'opposition et de méconnaissance des règles élémentaires régissant un débat parlementaire digne de ce nom.

A La complexité de la genèse des dispositions déférées est telle qu'un rappel historique s'impose.

Le 20 avril 1993, trois propositions de loi tendant à élargir la faculté de financement des établissements privés d'enseignement que reconnaît aux collectivités territoriales la " loi Falloux " du 15 mars 1850 (laquelle limite les concours annuels des collectivités locales aux établissements privés n'ayant pas conclu de contrat avec l'Etat ainsi que les concours annuels en investissement de ces mêmes collectivités aux établissements privés sous contrat à un dixième des dépenses correspondantes) ont été déposées par des députés de l'actuelle majorité l'une par M Couanau (enregistrée sous le numéro 58), la deuxième par M Pons et d'autres députés RPR (enregistrée sous le numéro 79) et la troisième par M Millon et d'autres députés UDFC (enregistrée sous le numéro 81).

Le 8 juin 1993, une quatrième proposition tendant au même objet a été déposée par MM Lequiller, Barrot, Couanau et par d'autres députés de l'actuelle majorité (et enregistrée sour le numéro 312).

Ces quatre propositions de loi permettaient aux collectivités territoriales de financer les dépenses d'investissement des établissements privés sous contrat à hauteur des concours de même nature qu'elles consentaient aux établissements publics d'enseignement. Il convient de noter que si deux d'entre elles (les propositions n°s 79 et 312) limitaient cette faculté en rappelant les attributions conférées respectivement aux communes, aux départements et aux régions par les lois de 1983 dites de " transfert des compétences ", tel n'était pas le cas des deux autres (les propositions n°s 58 et 81), qui permettaient ainsi à chaque catégorie de collectivité territoriale d'aider financièrement n'importe quel type d'établissement privé d'enseignement.

Le dépôt de ces quatre propositions de loi ne donna lieu à aucune opposition ni même à aucune observation de la part de la délégation du bureau de l'Assemblée nationale compétente, en application de l'alinéa 3 de l'article 81 du règlement de l'Assemblée, pour apprécier leur recevabilité au regard des dispositions de l'article 40 de la Constitution.

Un rapport portant conjointement sur ces quatre propositions de loi fut rédigé par M Bourg-Broc au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée (et enregistré sous le numéro 370 le 22 juin 1993).

Ce rapport, qui fut examiné et adopté ce même 22 juin par la commission, aboutit à une complète réécriture des propositions de loi, le texte adopté par la commission ne prévoyant aucune modification du régime des concours financiers en cause mais se bornant à des affirmations générales qui ne modifiaient en rien le droit positif. Le contenu du rapport et les débats en commission laissaient entendre, d'une manière allusive mais claire, que la majorité, consciente de l'irrecevabilité des quatre propositions de loi au regard des dispositions de l'article 40 de la Constitution, attendait du Gouvernement qu'il réintroduise par voie d'amendement la disposition qui était la seule raison d'être de ces initiatives parlementaires mais qui créait, ainsi qu'on le verra plus loin, une dépense nouvelle à la charge des collectivités territoriales.

Les juristes des services de l'Assemblée nationale parvinrent cependant à convaincre les députés de la majorité que, même après ce " lissage " qui ne trompait personne, la constitutionnalité de l'édifice restait rien moins qu'assurée.

C'est pourquoi on vit apparaître in extremis une cinquième proposition de loi, déposée par M Bourg-Broc toujours le 22 juin et enregistrée sous le numéro 367, laquelle reprenait mot pour mot le contenu du texte adopté quelques heures, voire quelques minutes, plus tôt par la commission.

L'ordre du jour des travaux de la commission et plus précisément celui de sa séance du 25 juin à 15 heures, fut modifié dans la nuit du 24 au 25 juin par son président afin de substituer un premier examen de la nouvelle proposition au deuxième examen (au titre de l'article 88 du règlement) des quatre précédentes. La commission adopta alors les conclusions du rapport (enregistré sous le numéro 394) présenté sur sa propre proposition par M Bourg-Broc qui regrettait " d'être contraint à une gymnastique procédurale " imposée selon lui par la jurisprudence du Conseil constitutionnel et renvoyant de manière très générale au rapport numéro 370 afin de bien marquer que la substitution d'un nouveau texte au produit des précédents travaux de la commission n'était qu'" un épisode purement procédural " sans incidence sur le fond des dispositions ni sur la démarche politique qu'elles reflétaient.

La nouvelle proposition de loi (n° 367) fut inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée le 25 juin à 1 heure du matin, examinée en commission ce même 25 juin à 15 heures, alors que M Glavany, député socialiste, avait demandé le même jour au président de l'Assemblée de saisir le bureau de la commission des finances de l'irrecevabilité des quatre premières propositions de loi et du rapport établi conjointement sur ces dernières. De son côté, M Couanau, député UDFC, avait adressé au président de l'Assemblée une demande identique concernant la proposition de loi n° 367 et le rapport n° 394.

Le 26 juin à 11 heures, le bureau de la commission des finances décidait que ni le texte initial de la proposition n° 367 examiné " à titre superfétatoire " (sic) ni celui qu'avait adopté la commission en approuvant le rapport n° 394 n'étaient contraires aux dispositions de l'article 40 de la Constitution.

Ce n'est en revanche que le 30 juin à 16 heures que ce même bureau de la commission des finances statuait sur la demande de M Glavany concernant les quatre premières propositions et le rapport y afférent et décidait, d'une part, que, compte tenu de la " réécriture " des propositions par la commission, il n'y avait plus lieu de statuer (même " à titre superfétatoire ", semble-t-il) sur le texte initial de celles-ci, d'autre part, que le texte adopté par la commission n'était pas contraire aux dispositions de l'article 40 de la Constitution.

Cependant, la discussion en séance publique de la proposition de loi n° 367 s'était ouverte dans l'après-midi du samedi 26 juin et se poursuivit sans désemparer jusqu'à son adoption le lundi 28 juin à 8 h 30. Bien entendu, un amendement (n° 1) du Gouvernement avait inséré après l'article 1er un article 1er bis qui rétablissait la disposition contenue dans les premières propositions de loi en autorisant l'aide aux investissements des établissements privés sous contrat par les collectivités territoriales dans la limite du montant des investissements qu'elles réalisent dans l'enseignement public, sans toutefois assigner à chaque catégorie de collectivité une catégorie d'établissements (par degré ou cycle d'enseignement) susceptibles de bénéficier de ladite aide.

Le texte ainsi adopté fut transmis dès le 27 juin au Sénat (sous le numéro 36 des " textes adoptés ") mais ne put être examiné par la seconde chambre ni avant la fin de la session ordinaire de printemps ni au cours de la session extraordinaire de juillet 1993.

Il ne fut pas davantage inscrit à l'ordre du jour de la session d'automne, le Gouvernement et de nombreux parlementaires de la majorité ayant pris conscience des risques de conflits qu'il était susceptible d'engendrer et des conséquences financières de son entrée en vigueur.

En revanche, le Gouvernement demanda à une mission d'information sur l'aide des collectivités locales en matière immobilière aux établissements d'enseignement privés sous contrat, présidée par le doyen Vedel, de rechercher l'état du droit et d'enquêter sur la pratique et sur l'état de fait en la matière.

Cette mission acheva la rédaction de son rapport le 12 décembre 1993. Le rapport fut transmis le 14 décembre au ministre qui, le même jour, alors qu'il venait d'affirmer publiquement quelques jours plus tôt qu'il convenait de laisser sur ce dossier du temps à la réflexion, obtint du Premier ministre une modification inopinée de l'ordre du jour de séances du Sénat tendant à faire aussitôt examiner le texte de la proposition de loi adoptée le 28 juin par l'Assemblée nationale.

C'est donc ce même 14 décembre au soir et dans la nuit que le Sénat examina, dans des conditions de désordre et de précipitation que tous les observateurs, quelles que soient leurs convictions politiques, ont soulignées, et adopta dans des termes conformes à ceux qu'avait approuvés l'Assemblée la proposition de loi, laquelle devint ainsi la loi déférée.

B Le rappel précis des étapes de cette procédure législative pour le moins insolite permet de caractériser un ensemble d'irrégularités aussi graves qu'incontestables.

En premier lieu, l'irrecevabilité au regard des dispositions de l'article 40 de la Constitution des quatre premières propositions de loi déposées les 20 avril et 8 juin 1993 par divers députés de l'actuelle majorité est absolument certaine.

Il est en effet bien établi qu'une initiative parlementaire qui ouvre ne serait-ce qu'une faculté de dépense crée du même coup " une autorisation, indirecte mais certaine, de créer ou d'aggraver la charge publique " (Conseil constitutionnel n° 81-134 DC du 5 janvier 1982, Rec. page 15 à propos d'une loi d'habilitation), la notion de charge publique englobant les dépenses des collectivités territoriales (voir Conseil constitutionnel n° 60-11 DC du 20 janvier 1961, Rec. page 29).

Dans ces conditions, en application de l'article 81, alinéa 3 du règlement de l'Assemblée, la délégation du bureau de l'Assemblée aurait dû refuser le dépôt de l'ensemble de ces propositions qui méconnaissaient l'article 40 de la Constitution.

Certes, la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée a cru pouvoir effacer cette tache originelle par la " réécriture " des quatre propositions de loi qui lui étaient soumises. Mais, comme l'ont bien compris les services de l'Assemblée, cette démarche était vouée à l'échec : l'irrecevabilité établie par l'article 40 de la Constitution ayant un " caractère absolu ", la procédure législative ne peut constitutionnellement s'engager, fût-ce par un simple examen en commission, dès lors qu'une proposition de loi en est entachée (Conseil constitutionnel n° 78-94 DC du 14 juin 1978, Rec. page 15, à propos du règlement du Sénat) ; le contrôle de recevabilité doit intervenir avant même que la proposition ne soit déposée, imprimée, distribuée et renvoyée en commission (Conseil constitutionnel n° 91-292 DC du 23 mai 1991, Rec. page 64, à propos du règlement de l'Assemblée nationale).

C'est bien pourquoi a été déposée la cinquième proposition de loi, dont l'auteur (qui en était en même temps le rapporteur) a reconnu expressément qu'elle ne constituait qu'un artifice de procédure destiné à contourner, avec la complicité du Gouvernement, les dispositions de l'article 40 de la Constitution.

Certes, ces dispositions n'interdisent pas au Gouvernement d'amender une proposition de loi en y introduisant des dispositions génératrices de charges publiques ; toutefois, il est parfaitement clair qu'en l'espèce a été organisé conjointement par le Gouvernement, par sa majorité parlementaire et par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales un véritable détournement de procédure visant à masquer l'irrecevabilité d'un ensemble d'initiatives parlementaires derrière un " tronçonnage " fallacieux de la procédure législative.

L'unité réelle de cette procédure commandait au contraire que la cinquième proposition de loi, qui est à la procédure législative ordinaire ce que sont les " amendements indicatifs " à la procédure budgétaire (et l'on sait que ces derniers sont irrecevables), soit déclarée irrecevable comme solidaire des précédentes, ce qui, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 92 du règlement de l'Assemblée, interdisait d'en accepter le dépôt et, en tout cas, de la soumettre à discussion en commission, et a fortiori en séance publique.

Cette solution s'imposait d'autant plus que l'inséparabilité de la cinquième proposition de loi et de ses devancières était explicitement (et imprudemment) revendiquée par l'auteur-rapporteur de cette proposition et que son rapport renvoyait purement et simplement au rapport sur les quatre premières propositions de loi.

Toute autre solution conduirait, d'une part, à ce que les dispositions de l'article 40 soient vidées de tout effet utile, du moins à l'égard des parlementaires de la majorité, et soient même en l'espèce véritablement tournées en dérision, d'autre part, à ce que le Gouvernement puisse faire l'économie du projet de loi qu'imposaient en la matière les dispositions de l'article 40 de la Constitution : autant on peut admettre qu'un amendement gouvernemental générateur de charge publique vienne enrichir le contenu d'une proposition de loi, autant en l'espèce la cinquième proposition de loi n'était qu'une coquille vide de tout sens normatif, une pierre d'attente pour la véritable réforme tout entière contenue dans l'amendement gouvernemental attendu, programmé et dicté par les auteurs des cinq propositions de loi.

C'est ainsi non seulement l'article 40 qui est l'objet d'une véritable fraude à la Constitution mais également le second alinéa de l'article 39 de la Constitution qui se trouve violé du même coup, le remplacement d'un projet de loi par un amendement gouvernemental à une " fausse proposition de loi " faisant irrégulièrement l'économie de la consultation du Conseil d'Etat.

Enfin, la méconnaissance des limites du droit d'amendement institué par l'article 44 de la Constitution n'est pas davantage contestable : l'amendement n° 1 du Gouvernement constitue à lui seul la quasi-totalité du dispositif normatif de la loi déférée si bien que sa portée ne peut être regardée que comme excédant à l'évidence les limites du droit d'amendement (voir, sur ce point, Conseil constitutionnel n° 86-221 DC du 29 décembre 1986, rec. page 179, et Conseil constitutionnel n° 86-225 DC du 23 janvier 1987, rec.

page 13). Au surplus, il s'agissait en l'espèce d'un article additionnel qui, en vertu de l'alinéa 5 de l'article 98 du règlement de l'assemblée, ne pouvait être proposé que " dans le cadre du projet ou de la proposition " ce qui était en l'espèce radicalement impossible puisqu'à la vérité la (cinquième) proposition de loi ne fixait aucun cadre précis mais se bornait à répéter le droit positif en vigueur.

Il est à peine besoin d'ajouter que ce jeu de bonneteau procédural a permis d'éviter toute concertation sérieuse, toute préparation réfléchie de la réforme projetée et a volontairement méconnu les droits les plus élémentaires de l'opposition, notamment le droit à l'information utile au travail législatif (ainsi l'Assemblée nationale, contrairement au Sénat, n'a-t-elle pu prendre connaissance des conclusions du " rapport Vedel " qui ont pourtant déterminé le Gouvernement à reprendre précipitamment et à faire conclure brutalement la discussion parlementaire de la loi déférée, si bien que la loi déférée a été adoptée dans des conditions gravement contraires à l'égalité d'information entre les deux assemblées) et le droit au caractère réellement contradictoire de la procédure législative qu'un principe de valeur constitutionnelle confère sur un pied d'égalité à tous les parlementaires sans considération de leur appartenance à la majorité ou à l'opposition.

Il importe dans ces conditions qu'une décision de principe sanctionne cette " gymnastique procédurale " (pour reprendre les termes de l'auteur-rapporteur de la fausse proposition de loi), cette mascarade qui met à néant les droits du Parlement au mépris des dispositions non seulement du règlement de l'Assemblée nationale mais encore notamment des articles 39, 40 et 44 de la Constitution.

II. Sur le contenu de la loi déférée

La loi déférée méconnaît à la fois les dispositions de l'article 34 de la Constitution (A) et les principes constitutionnels d'égalité devant la loi (B), de laïcité de la République (C) et de libre administration des collectivités territoriales (D).

A Sur la violation de l'article 34 de la Constitution

On sait que les dispositions de l'article 34 de la Constitution déterminant l'étendue du domaine de la loi s'imposent au législateur en ce que celui-ci ne peut ni décider de restreindre sa propre compétence ni se borner à n'exécuter celle-ci que partiellement, les lois méconnaissant cette règle étant entachées de ce qu'il est coutume d'appeler " incompétence négative " (voir, par exemple, Conseil constitutionnel n° 83-168 DC du 20 janvier 1984, rec.

page 38 ; Conseil constitutionnel n° 84-173 DC du 26 juillet 1984, rec. page 63 ; Conseil constitutionnel n° 85-191 DC du 10 juillet 1985, rec. page 46 ; Conseil constitutionnel n° 86-217 DC du 18 septembre 1986, rec. page 14 ; Conseil constitutionnel n° 86-223 DC du 29 décembre 1986, rec. page 184 ; Conseil constitutionnel n° 87-233 DC du 5 janvier 1988, rec. page 9 ; etc).

Or, tel est manifestement le cas de la loi déférée en ce qu'elle délègue aux collectivités territoriales un pouvoir d'octroyer les concours financiers en cause sinon totalement discrétionnaire, du moins très insuffisamment conditionné. L'article 1er bis de la loi dispose expressément que " les collectivités territoriales fixent librement les modalités de leur intervention " ; quant à la disposition de l'article 2 qui réserve le bénéfice des aides financières des collectivités territoriales aux établissements dispensant des formations " compatibles avec les orientations définies par le schéma prévisionnel des formations ", elle ne saurait faire illusion dès lors que ces schémas n'ont aucun caractère véritablement contraignant et que les collectivités territoriales ne sont pas contraintes par le législateur à borner leurs concours au financement d'opérations inscrites aux programmes prévisionnels d'investissement lesquels ont, quant à eux, une portée réellement contraignante.

La violation de l'article 34 de la Constitution tenant à cette excessive imprécision de la loi déférée est incontestablement établie.

B Sur la violation du principe d'égalité :

La limitation par l'article 69 de la " loi Falloux " des concours des collectivités territoriales à un dixième des dépenses d'investissement des établissements privés d'enseignement sous contrat n'était que la contrepartie de l'absence de soumission de ces établissements privés à toute une série de contraintes qui pèsent lourdement sur les établissements publics, notamment à la " sectorisation ", à l'obligation d'accueil de tout enfant domicilié dans la commune, à l'accueil d'enfants en difficulté impliquant des cursus lourds et coûteux, etc.

Or, la loi déférée autorise les concours financiers à ces établissements privés y compris à ceux qui n'auraient conclu qu'un contrat " simple " et sur lesquels ne pèsent donc que des obligations fort limitées à la même hauteur qu'aux établissements publics.

Ce faisant, elle place à égalité de financement des catégories d'établissements qui ne sont pas " à égalité de contraintes " : le traitement identique d'établissements placés dans des situations manifestement différentes ne pourra qu'être considéré comme discriminatoire d'autant plus que s'y ajoute une discrimination entre établissements privés, compte tenu de l'absence de toute définition législative de critères objectifs et précis de financement ainsi que de la dispense d'inscription des investissements privés aidés aux programmes prévisionnels d'investissement (alors que les investissements publics, quant à eux, doivent y être inscrits).

De plus, la loi déférée institutionnalise par son imprécision la généralisation de différences de traitement entre établissements aidés d'une collectivité à l'autre d'autant plus que, à l'instar de deux des quatre propositions de loi initiales (celles qui ont été enregistrées sous les numéros 58 et 81), elle autorise n'importe quel niveau (territorial) de collectivité à financer n'importe quel niveau (en termes de degrés et de cycles) d'établissement privé, alors que les facultés d'aide aux investissements de chaque niveau de collectivité sont limitées à un type d'établissement lorsqu'il s'agit du financement de l'enseignement public. Celui-ci se trouve ainsi placé une fois encore dans une situation d'infériorité manifestement discriminatoire.

Or, aucune considération d'intérêt général ne saurait justifier pareilles discriminations. Bien au contraire, la logique du " caractère propre " des établissements privés, au nom duquel ceux-ci sont libérés de bien des contraintes (au point qu'au cours des débats devant l'Assemblée nationale un député de la majorité a cru pouvoir affirmer qu'ils n'obéissaient pas au principe de laïcité mais à celui du pluralisme, ce qui revient à considérer que l'article 2 de la Constitution ne s'impose pas à ces participants privés au service public d'éducation), impose à l'évidence qu'une part au moins du financement reste à la charge des gestionnaires des établissements privés. Or, ceux-ci bénéficient déjà d'aides en fonctionnement considérables de la part de l'Etat et des collectivités territoriales ; dès lors, porter les concours en investissement au même niveau que pour les établissements publics d'enseignement reviendrait à nier le " caractère propre " dont le Gouvernement et sa majorité parlementaire se sont sans cesse réclamés lors de la discussion de la loi déférée.

Ainsi, aucune considération d'intérêt général ne peut-elle justifier la discrimination qu'opère la loi déférée au bénéfice des établissements privés d'enseignement et au détriment de l'enseignement public.

La violation du principe constitutionnel d'égalité est certaine.

C Sur la violation du préambule et de l'article 2 de la Constitution ainsi que du principe constitutionnel de laïcité :

Le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui fait partie intégrante de celui de la Constitution du 4 octobre 1958, dispose que " l'organisation de l'enseignement public, gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat ". Cette disposition serait privée de tout effet utile si elle n'impliquait pas que l'Etat prévoie un financement tant de sa part que de celle des autres personnes morales de droit public permettant à l'enseignement public de répondre convenablement aux besoins de la Nation en la matière.

L'article 2 de la Constitution rappelle quant à lui que " la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ", posant ainsi le principe constitutionnel de laïcité de la République, c'est-à-dire non seulement de l'Etat mais aussi de toutes les (autres) personnes morales de droit public, et notamment des collectivités territoriales.

Or la loi déférée encourage les collectivités territoriales, dont chacun sait que les ressources non seulement ne sont pas indéfiniment extensibles, mais sont actuellement particulièrement restreintes par la conjoncture économique, à transférer des crédits de concours en investissement de l'enseignement public vers les établissements privés d'enseignement, lesquels accueillent environ 20 p 100 des effectifs scolarisés dans les deux premiers degrés et auraient donc vocation à recevoir (au lieu et place des établissements publics, à fiscalité constante) un cinquième des crédits dégagés par les collectivités.

Pis encore, la loi déférée organise l'enrichissement de personnes privées (propriétaires des locaux et des équipements affectés aux établissements privés d'enseignement, c'est-à-dire distinctes des établissements d'enseignement eux-mêmes) sans leur imposer en contrepartie les obligations qui garantiraient l'application à leur fonctionnement du principe constitutionnel de laïcité au motif que leur " caractère propre " les dispenserait du respect de ce principe (intervention en ce sens de M Lequiller, député et auteur de l'une des propositions de loi initiales, au cours de la deuxième séance du 26 juin 1993 de l'Assemblée nationale).

Dans ces conditions, il est incontestable que la loi déférée porte atteinte audit principe constitutionnel de laïcité, notamment en en supprimant la garantie légale que constituait l'application de l'article 69 de la loi du 15 mars 1850 au financement des investissements des établissements privés d'enseignement sous contrat. En effet, la limitation des concours des collectivités territoriales en contrepartie de l'absence de soumission des établissements privés à maintes contraintes qui pèsent sur l'enseignement public assurait la conciliation entre le principe de laïcité, qui impose que l'argent public n'aille pour l'essentiel qu'au financement du service public c'est-à-dire au fonctionnement des seuls établissements qui ont conclu un contrat les associant audit service public , et la liberté de l'enseignement dont la valeur constitutionnelle n'est pas ici en discussion, à ceci près qu'en cas de conflit entre les deux principes celui de laïcité, affirmé explicitement par le texte de la Constitution et inséré dans un titre consacré à la souveraineté, devrait être considéré comme de valeur supérieure à celui de la liberté de l'enseignement dont les racines " textuelles ", en termes de tradition républicaine, se limitent à un cavalier budgétaire datant de 1931.

Les sénateurs soussignés ont l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi relative aux conditions de l'aide aux investissements des établissements d'enseignement privés par les collectivités territoriales.

Ils lui demandent de déclarer cette loi non conforme à la Constitution pour des motifs tenant à la fois à la procédure et au fond.

I Sur la procédure :

Il apparaît que la loi déférée n'a pas été adoptée dans le respect des règles de valeur constitutionnelle relatives à la procédure législative.

Le déroulement de la discussion au Sénat de la loi déférée a en effet été entaché d'atteintes nombreuses à l'exercice effectif du droit d'amendement reconnu aux membres du Parlement par l'article 44, alinéa premier, de la Constitution.

Ces atteintes, dont l'ampleur est démontrée par la faible proportion des amendements déposés qui ont pu être, sinon discutés, au moins présentés lors du débat, ont résulté du recours répété, par le Gouvernement, à la procédure des " irrecevabilités globales ".

Cette procédure, au demeurant contraire au règlement du Sénat, qui prévoit que l'irrecevabilité s'apprécie amendement par amendement, à l'usage qui veut qu'elle ne soit pas opposée à un amendement qui n'a pas été appelé et présenté, rend pratiquement impossible le contôle du bien-fondé des irrecevabilités proposées.

Elle a permis, au cas particulier, d'écarter de très nombreux amendements, et, pour nombre d'entre eux, sans motif réel.

Ont en effet été successivement invoquées par le Gouvernement :

L'irrecevabilité, fondée sur l'article 42-2 du règlement du Sénat, de 2 870 amendements, au motif que ces amendements qui tendaient à exclure du champ d'application de la loi en discussion certaines collectivités territoriales, portaient atteinte au principe d'égalité devant la loi. Bien que ce motif paraisse infondé, d'une part, parce que le texte en discussion n'avait lui-même pas vocation à s'appliquer à toutes les collectivités territoriales, ni à s'appliquer dans les mêmes conditions dans chaque collectivité territoriale, et, d'autre part, parce que le principe d'égalité n'exclut pas une différence de traitement justifiée par une différence de situation, cette motion a eu pour effet, après un débat restreint organisé dans les conditions prévues pour l'examen de la recevabilité d'un seul amendement, d'écarter les amendements n°s 3128 à 3143, 3325 à 3394 et 339 à 3122.

Une irrecevabilité fondée sur l'article 40 de la Constitution a ensuite été opposée simultanément à 34 amendements.

Pour un nombre non négligeable d'entre eux, cette irrecevabilité financière était manifestement infondée. Furent en effet ainsi écartés, par exemple, des amendements : prévoyant que les aides des collectivités territoriales aux établissements privés ne pourraient être imputées sur la DRES et la DDEC (n° 242) ; disposant que le montant par élève des aides aux investissements des établissements privés ne pouvait excéder celui des dépenses en faveur des établissements publics, et précisant que la proposition de loi s'appliquait aux établissements d'enseignement technique et agricole lesquels bénéficient déjà de la loi Astier (n° 266) ; relatif aux modalités de répartition entre les collectivités territoriales débitrices des charges de fonctionnement des établissements d'enseignement privés sous contrat (n° 291) ; relatif aux modalités de la prise en charge facultative des dépenses liées à certaines activités organisées dans les établissements sous contrat (n° 297) ; relatif à l'application prioritaire de l'extension de la scolarisation à deux ans dans les écoles situées dans un environnement social défavorisé (n° 3237) ; tendant à l'établissement d'un plan à cinq ans de recrutement de personnels enseignants et non enseignants (n° 3288) ; tendant à la création d'un fonds de péréquation de la taxe d'apprentissage (n°s 3292 et 3302) ; prévoyant que l'application de la proposition de loi ne devrait pas se traduire par un accroissement de la pression fiscale locale (n° 258).

Il est d'ailleurs à noter que plusieurs amendements analogues, voire identiques, à certains des amendements déclarés financièrement irrecevables n'ont pas vu leur irrecevabilité invoquée et ont été présentés au cours du débat.

Une irrecevabilité globale fondée sur l'article 41 de la Constitution a été opposée à 50 amendements. Une forte proportion d'entre eux, portant sur les conditions d'octroi d'aides publiques aux établissements privés, sur le régime des contrats ou sur le respect de la liberté de conscience des élèves de l'enseignement confessionnel, ne pouvait cependant sérieusement être considérée comme étant de nature réglementaire.

Enfin, une ultime motion " d'irrecevabilité globale " portant sur 69 amendements a opposé : le principe de la liberté de conscience à un amendement (n° 276) ; le principe de libre administration des collectivités territoriales à 3 amendements ; une irrecevabilité fondée sur l'article 48, alinéa 3, du règlement du Sénat (absence de lien avec le texte en discussion) à 65 amendements.

Ces irrecevabilités étaient également très discutables, notamment celle opposant le principe de liberté de conscience à un amendement interdisant l'apposition d'emblèmes religieux dans les établissements d'enseignement, et celles invoquant l'absence de lien avec le texte d'amendements ayant trait aux obligations imposées aux établissements sous contrat ou à leurs relations avec les collectivités publiques.

Au total, sur quelque 3 215 amendements en discussion (déduction faite de 175 amendements retirés ou annulés), 3 023 ont été déclarés irrecevables sans que, pour aucun d'entre eux, cette irrecevabilité ait été examinée au fond. Une centaine d'amendements étant en outre tombée par suite de l'adoption " tactique " de deux amendements supprimés ensuite en seconde délibération ce sont moins de 100 amendements qui ont pu être présentés dans le cadre des procédures de vote unique successivement demandé sur l'article premier puis sur les articles premiers bis à 6 de la proposition de loi.

II. Sur le fond, la loi déférée : ne garantit pas le respect du principe, affirmé par le préambule de la Constitution de 1958, selon lequel " l'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat " (1) ; ne fait pas non plus une juste application du principe de la liberté de l'enseignement dont le Conseil constitutionnel a jugé, sur le fondement de l'article 91 de la loi de finances du 31 mars 1931, qu'il constituait " l'un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République " (2) ; ne garantit pas le respect des principes posés par l'article XIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ni celui du principe de laïcité de la République française consacré par l'article 2 de la Constitution (3).

1. Comme l'a relevé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 77-87 DC du 23 novembre 1977, le devoir d'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés qui incombe à l'Etat ne saurait exclure l'existence de l'enseignement privé non plus que " l'aide de l'Etat dans les conditions définies par la loi ".

C'est donc à la loi qu'il incombe d'assurer la conciliation du principe de la liberté d'enseignement et des devoirs de l'Etat à l'égard de l'enseignement public, en déterminant les conditions d'octroi à l'enseignement privé d'aides publiques qui, comme il ressort des termes de la décision précitée, ne sont ni automatiques ni obligatoires et qui, comme il ressort des dispositions des lois relatives à l'aide au fonctionnement des établissements privés, trouvent leur justification essentielle dans la participation des établissements aidés au service public.

Ainsi les lois susvisées loi du 31 décembre 1959 relative aux rapports entre l'Etat et les établissements d'enseignement privés, loi du 31 décembre 1984 relative aux relations entre l'Etat et les établissements d'enseignement agricole privés subordonnent l'octroi de l'aide à des obligations précises et contrôlées, en limitent le bénéfice à " l'enseignement public qui est donné au sein d'un enseignement privé " (exposé des motifs de la loi du 31 décembre 1959) et le montant à celui des dépenses correspondantes de l'enseignement public : encore ce " principe de parité " ne peut-il s'appliquer qu'aux établissements relevant de l'éducation nationale " qui répondent à un besoin scolaire reconnu " et aux établissements d'enseignement agricole fonctionnant dans les mêmes conditions que les établissements publics.

En ne subordonnant pratiquement à aucune condition l'aide que pourront apporter aux établissements privés les collectivités territoriales, la loi déférée n'assure en rien que l'octroi de cette aide pourra être conciliée avec le devoir de contribution à l'organisation de l'enseignement public qui incombe, en application des lois de décentralisation, à ces mêmes collectivités.

Alors même que les aides aux investissements permettent moins aisément que les aides au fonctionnement de faire le départ entre les enseignements " sous contrat " qui ont vocation à recevoir une aide publique et les enseignements hors contrat que " l'établissement privé reste libre d'organiser " et pour lesquels il peut " demander aux familles la rétribution correspondante " (exposé des motifs de la loi du 31 décembre 1959), la loi déférée : permet aux collectivités d'aider indifféremment tous les établissements sous contrat, même les établissements sous contrat simple qui ne répondent pas à un besoin scolaire reconnu ; n'impose aucune condition relative aux modalités de l'aide, à la nature des investissements qui pourront être aidés, à l'importance de l'aide accordée par rapport au montant de l'investissement aidé ;

ne soumet pas l'aide aux investissements des établissements privés aux règles de compétences applicables aux contributions des collectivités territoriales aussi bien à l'enseignement public qu'aux dépenses de fonctionnement des établissements privés sous contrat d'association ; permet aux collectivités territoriales d'accorder chaque année aux investissements des établissements privés une aide égale, par élève, aux investissements qu'elles auront réalisés dans les établissements publics pendant les six années précédentes ; permet même à toutes les collectivités de moins de 10 000 habitants qui n'auraient effectué aucun investissement, pendant les six années précédentes, dans aucun établissement public, et quel que soit le motif de cette abstention, d'accorder une aide aux établissements calculée " sur la base de la moyenne départementale ".

2. Les dispositions de la loi déférée laissent aux collectivités locales une entière liberté de décision quant à l'opportunité d'accorder une aide aux investissements des établissements privés et quant aux modalités de cette aide.

Or, comme l'a précisé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 84-185 DC du 18 janvier 1985 et " sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le point de savoir si ces dispositions portent ou non atteinte à la liberté de l'enseignement et à l'égalité " " si le principe de libre administration des collectivités territoriales a valeur constitutionnelle, il ne saurait conduire à ce que les conditions essentielles d'application d'une loi organisant l'exercice d'une liberté publique dépendent de décisions des collectivités territoriales et, ainsi, puissent ne pas être les mêmes sur l'ensemble du territoire ".

3. Enfin, la loi déférée, non plus qu'elle ne prévoit de conditions à l'octroi de l'aide, ne prévoit pas la dévolution à la collectivité publique dispensatrice de l'aide du bien aidé, quand bien même l'aide représenterait la totalité de l'investissement. Elle prévoit seulement, en son article 3, que l'aide donnera lieu à la conclusion d'une convention " précisant l'affectation de l'aide, la durée d'amortissement des investissements financés et, en cas de cessation de l'activité d'éducation ou de résiliation du contrat, les conditions de remboursement des sommes non amorties ainsi que les garanties correspondantes ".

Ces dispositions sont manifestement insuffisantes pour garantir que les aides publiques accordées qui, comme on l'a déjà souligné, peuvent bénéficier à des établissements ne répondant pas à un besoin scolaire reconnu ne contribueront pas davantage à l'accroissement d'un patrimoine privé qu'à la satisfaction de l'intérêt général et à l'accomplissement d'une mission de service public. Dès lors, on doit considérer que la loi déférée ne répond pas aux exigences de l'article XIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui justifie la nécessité de la contribution commune par " l'entretien de la force publique et les dépenses administratives ", excluant par là même que son produit puisse être affecté au patrimoine immobilier d'une personne privée.

En n'excluant pas que ces subventions d'investissements publiques puissent bénéficier à ces associations, la loi contrevient au principe posé par l'article 2 de la loi du 11 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat, qui dispose que " la République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte ", et méconnaît dès lors le principe de laïcité de la République consacré par l'article 2 de la Constitution.

Par ces moyens, et par tous autres à soulever d'office par le Conseil constitutionnel, les sénateurs soussignés demandent au conseil de déclarer la loi déférée non conforme à la Constitution.

En outre, les personnes propriétaires des locaux des établissements privés aidés, qui sont le plus souvent distinctes des personnes avec qui l'Etat a passé contrat, peuvent être des associations cultuelles.

Paris, le 16 décembre 1993. Monsieur le Président, Madame et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, 2, rue de Montpensier, 75002 Paris Monsieur le Président, Madame et Messieurs les conseillers,

Nous vous prions de bien vouloir trouver ci-joint un mémoire ampliatif au recours déposé ce jour et déférant au Conseil constitutionnel la loi relative aux conditions de l'aide aux investissements des établissements d'enseignement privés par les collectivités territoriales.

Nous vous prions de croire, Monsieur le président, Madame et Messieurs les conseillers, à l'expression de notre considération distinguée.

CLAUDE ESTIER

Les sénateurs soussignés, auteurs de la saisine en date du 16 décembre 1993 concernant la loi relative aux conditions de l'aide aux investissements des établissements d'enseignement privés par les collectivités territoriales, ont l'honneur d'adresser au Conseil constitutionnel le présent mémoire ampliatif en ce qui concerne le premier moyen de leur recours (I Sur la procédure) :

Le Conseil constitutionnel a depuis longtemps fait remarquer que les règlements des assemblées parlementaires n'ont " pas en eux-mêmes valeur constitutionnelle " et que leur " seule méconnaissance " ne saurait avoir pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution (D n° 78-97 DC du 27 juillet 1978 et D n° 84-181 DC des 10 et 11 octobre 1984).

Aussi bien les auteurs de la saisine ne se plaignent-ils pas en l'espèce de la méconnaissance du règlement du Sénat mais de la violation du droit constitutionnel d'amendement, droit respecté par le règlement du Sénat mais non par la pratique dénoncée ici bien que reconnue par une " déclaration " du bureau du Sénat du 4 février 1986 prétendant interpréter le règlement du Sénat.

Plus précisément :

1. L'article 44, paragraphe 1, de la Constitution dispose : " les membres du Parlement et le Gouvernement ont le droit d'amendement ".

2. L'article 48, paragraphe 3, du règlement du Sénat indique n'être recevables que les amendements qui " s'appliquent effectivement au texte qu'ils visent ou s'agissant d'articles additionnels, s'ils ne sont pas dépourvus de tout lien avec l'objet du texte en discussion ".

3. L'article 48, paragraphe 4, du règlement du Sénat ajoute que " dans les cas litigieux " " la question de la recevabilité des amendements " " est soumise, avant leur discussion à la décision du Sénat ; seul l'auteur de l'amendement, un orateur " contre, la commission chacun d'eux disposant de cinq minutes et le Gouvernement peuvent intervenir. Aucune explication de vote n'est admise ".

Ainsi pour chaque amendement dont l'irrecevabilité est demandée, son auteur a la possibilité de s'efforcer de démontrer au Sénat, éclairé par ce court débat restreint, que l'amendement dont il s'agit, et dont chaque sénateur peut ainsi mesurer la portée, est recevable en vertu de l'article 48, paragraphe 3, du règlement du Sénat.

Il en est de même en vertu de l'article 44, paragraphe 8, du règlement du Sénat lorsque l'irrecevabilité est soulevée en vertu du paragraphe 2 du même article, c'est-à-dire lorsqu'il est argué que le texte serait contraire à une disposition constitutionnelle : là aussi est organisé un débat restreint limité dans le temps et contradictoire sur chaque texte.

Ainsi se trouve respecté le droit d'amendement constitutionnel.

4. Une déclaration du bureau du Sénat du 4 février 1986 est souvent évoquée au Sénat. Elle n'a jamais été publiée ni, évidemment, soumise à la censure du Conseil constitutionnel à la différence des règlements des assemblées et de leurs modifications.

Elle a cependant été lue par le président du Sénat le 4 février 1986 et figure au Journal officiel du même jour (page 228). On y lit : " le bureau a confirmé la régularité, au regard du règlement, des décisions prises en ce qui concerne :

la possibilité de déposer une exception globale d'irrecevabilité pour inconstitutionnalité portant sur une série d'amendements en arguant du même motif d'irrecevabilité ".

5. Un débat restreint portant sur la recevabilité de plus d'un amendement et a fortiori de plusieurs dizaines d'amendements ne permet ni d'entendre l'auteur de chaque amendement ni d'étudier aussi peu que ce soit et, en tout cas, sérieusement le caractère recevable ou non de chaque amendement, puisqu'il n'est donné la parole qu'à un seul orateur hostile à l'exception globale d'irrecevabilité (en l'espèce, la dernière au moins arguait au surplus de plusieurs motifs d'irrecevabilité !).

Le droit constitutionnel d'amendement se trouve de ce fait bafoué et la Constitution violée.

6. Tout au plus pourrait-il être considéré comme ne portant pas atteinte au droit d'amendement l'examen global de la recevabilité d'amendements " répétitifs ", c'est-à-dire ayant le même fondement, la même cause, le même but et finalement le même objet, à la condition qu'il en soit au moins donné lecture et que leur texte en soit reproduit au Journal officiel de manière notamment à permettre au Conseil constitutionnel lorsqu'il est saisi d'exercer aisément son contrôle quant au respect du droit constitutionnel d'amendement.

Déclaration du bureau

M le président. Mes chers collègues, ainsi que vous le savez, le bureau s'est réuni ce matin, à la demande de Mme Luc, présidente du groupe communiste. Je vous donne lecture de sa déclaration :

" Les traditions de libéralisme dans le règlement du Sénat et sa mise en uvre ont fait leur preuve. Cette image de libéralisme de la Haute Assemblée, appréciée par le peuple français, ne doit pas être dénaturée.

L'utilisation abusive de cette tradition à des fins de blocage d'un débat important conduit à une situation grave et dangereuse.

De même, si un absentéisme se développait à la même occasion, il aboutirait à favoriser cet abus.

Dans ces conditions, chacun doit faire un effort pour préserver la démocratie parlementaire, aujourd'hui comme dans l'avenir, en participant normalement au présent débat, dans les conditions habituelles.

Le bureau du Sénat, réuni ce matin, a confirmé l'autorité des présidents de séance pour conduire les débats. Il rappelle qu'en vertu de l'article 33 du règlement le président dirige les délibérations, fait respecter le règlement et maintient l'ordre.

Le bureau a, par ailleurs, confirmé la régularité, au regard du règlement, des décisions prises en ce qui concerne :

: le principe adopté par le Sénat de l'applicabilité aux sous-amendements comme aux amendements de l'irrecevabilité fondée sur l'article 44, alinéa 2, de la Constitution ;

: le caractère de simple usage, à la discrétion du président de séance, des suspensions de séance ;

: l'irrecevabilité des demandes de renvoi en commission de tout ou partie du projet de loi en discussion, dans la mesure où un vote le refusant sur l'ensemble est déjà intervenu ;

: l'exigence, pour un rappel au règlement, de la référence à un article précis du règlement, faute de quoi la parole est retirée à l'orateur ;

: l'impossibilité, dans un débat restreint, de donner la parole pour un rappel au règlement ;

: la possibilité de déposer une exception globale d'irrecevabilité pour inconstitutionnalité portant sur une série d'amendements en arguant du même motif d'inconstitutionnalité.


Références :

DC du 13 janvier 1994 sur le site internet du Conseil constitutionnel
DC du 13 janvier 1994 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Loi relative aux conditions de l'aide aux investissements des établissements d'enseignement privés par les collectivités territoriales (Nature : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées)


Publications
Proposition de citation: Cons. Const., décision n°93-329 DC du 13 janvier 1994

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Origine de la décision
Date de la décision : 13/01/1994
Date de l'import : 14/04/2023

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro de décision : 93-329
Numéro NOR : CONSTEXT000047415930 ?
Numéro NOR : CSCX9400000S ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.constitutionnel;dc;1994-01-13;93.329 ?
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