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20/01/1994 | FRANCE | N°93-334

France | France, Conseil constitutionnel, 20 janvier 1994, 93-334


Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 23 décembre 1993, par MM Claude Estier, Aubert Garcia, Roger Quilliot, Guy Allouche, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM Paul Raoult, Jean Besson, André Vezinhet, Louis Perrein, Gérard Delfau, Rodolphe Désiré, Roland Courteau, Robert Castaing, François Louisy, Jacques Bellanger, André Rouvière, Jean-Pierre Masseret, Michel Charasse, Jean-Louis Carrère, Jean-Luc Mélenchon, Paul Loridant, William Chervy, René Régnault, Mme Monique ben Guiga, M Jacques Carat, Mme Josette Durrieu, MM Léon Fatous, Marcel Bony, Jean Peyrafitte, Germain AuthiÃ

©, Claude Cornac, Gérard Miquel, Jean-Pierre Demerliat, Michel ...

Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 23 décembre 1993, par MM Claude Estier, Aubert Garcia, Roger Quilliot, Guy Allouche, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM Paul Raoult, Jean Besson, André Vezinhet, Louis Perrein, Gérard Delfau, Rodolphe Désiré, Roland Courteau, Robert Castaing, François Louisy, Jacques Bellanger, André Rouvière, Jean-Pierre Masseret, Michel Charasse, Jean-Louis Carrère, Jean-Luc Mélenchon, Paul Loridant, William Chervy, René Régnault, Mme Monique ben Guiga, M Jacques Carat, Mme Josette Durrieu, MM Léon Fatous, Marcel Bony, Jean Peyrafitte, Germain Authié, Claude Cornac, Gérard Miquel, Jean-Pierre Demerliat, Michel Dreyfus-Schmidt, Louis Philibert, Fernand Tardy, Marcel Charmant, Guy Penne, Philippe Labeyrie, Michel Manet, Francis Cavalier-Benezet, Albert Pen, Pierre Biarnes, Philippe Madrelle, Michel Moreigne, Bernard Dussaut, Claude Saunier, Raymond Courrière, Robert Laucournet, Jacques Bialski, Gérard Gaud, Marcel Vidal, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM François Autain, Charles Metzinger, Roland Huguet, Michel Sergent, René-Pierre Signe, Franck Sérusclat, Claude Fuzier, sénateurs, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi instituant une peine incompressible et relative au nouveau code pénal et à certaines dispositions de procédure pénale ;

Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code pénal ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu l'ordonnance n° 45-174 du 2 novembre 1945 modifiée relative à l'enfance délinquante ;
Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 93-326 DC du 11 août 1993 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que les sénateurs auteurs de la saisine soutiennent que la procédure d'adoption de la loi déférée aurait méconnu le droit d'amendement garanti par la Constitution ; qu'en outre, ils mettent en cause la conformité à celle-ci des articles 6, 18 et 20 de ladite loi ;
- SUR LA PROCEDURE :
2. Considérant que les sénateurs auteurs de la saisine font valoir qu'au cours de la séance du 20 novembre 1993, une seule motion d'irrecevabilité a été adoptée à l'encontre de 46 amendements au motif que ceux-ci étaient "dépourvus de tout lien avec le texte en discussion" ; qu'ils font valoir que cette motion globale n'a pas permis aux auteurs des amendements de défendre leur recevabilité en méconnaissance des dispositions de l'article 48, § 4, du règlement du Sénat ; qu'en outre, ils contestent l'absence de lien entre ces amendements et le texte en discussion et ils soutiennent que leurs auteurs ont ainsi été privés du droit d'amendement, reconnu à tout parlementaire en vertu de l'article 44 de la Constitution ;
3. Considérant que les règlements des assemblées parlementaires n'ayant pas par eux-mêmes une valeur constitutionnelle, la méconnaissance des seules dispositions du règlement du Sénat ne saurait en tout état de cause avoir pour effet de rendre la procédure contraire à la Constitution dès lors qu'elle n'a pas méconnu les dispositions de celle-ci en empêchant une contestation des décisions d'irrecevabilité ;
4. Considérant que le projet déposé, relatif au nouveau code pénal et à certaines dispositions de procédure pénale comportait cinq titres ; que son titre premier concernait l'organisation des moyens de la police judiciaire ; que son titre II portait sur la poursuite, l'instruction et le jugement des infractions en matière économique et financière ; que son titre III comportait des dispositions relatives aux crimes commis contre les mineurs de quinze ans ; que son titre IV prévoyait des dispositions nécessitées par l'entrée en vigueur du nouveau code pénal ; qu'enfin son titre V, intitulé "Dispositions diverses de procédure pénale", regroupait notamment des articles relatifs à la garde à vue ;
5. Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles 39, 44 et 45 de la Constitution que le droit d'amendement qui est le corollaire de l'initiative législative peut, sous réserve des limitations posées aux troisième et quatrième alinéas de l'article 45, s'exercer à chaque stade de la procédure législative ; que, toutefois, les adjonctions ou modifications ainsi apportées au texte en cours de discussion ne sauraient, sans méconnaître les articles 39, alinéa 1, et 44, alinéa 1, de la Constitution, ni être sans lien avec ce dernier, ni dépasser par leur objet et leur portée les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement qui relève d'une procédure spécifique ;
6. Considérant que le Sénat a écarté du débat en première lecture par l'adoption d'une motion d'irrecevabilité 46 amendements, lesquels visaient à insérer des articles additionnels aux titres IV et V du texte soumis à discussion ; que ces amendements n'étaient pas sans lien avec les matières dont traitait le projet de loi ; que toutefois cette méconnaissance du droit d'amendement doit être appréciée au regard du contenu des amendements dont s'agit et des conditions générales du débat ; qu'en l'espèce, compte tenu de l'objet de ces amendements et des questions en débat elle n'a pas revêtu un caractère substantiel de nature à entacher de nullité la procédure législative ;
- SUR LE FOND :
. En ce qui concerne l'article 6 :
7. Considérant que l'article 6 prévoit que lorsque la victime est un mineur de quinze ans et que l'assassinat est précédé ou accompagné d'un viol, de tortures ou d'actes de barbarie dans les conditions visées aux articles 221-3 et 221-4 du code pénal, la Cour d'assises peut, par décision spéciale, soit porter la période de sûreté jusqu'à trente ans soit, si elle prononce la réclusion criminelle à perpétuité, décider qu'aucune des mesures énumérées à l'article 132-23 du même code ne pourra être accordée au condamné ; qu'il précise toutefois que dans cette dernière hypothèse, le juge de l'application des peines peut, à l'expiration d'une période de sûreté de trente ans suivant la condamnation, saisir un collège de trois experts médicaux ; qu'au vu de l'avis de ce collège, une commission composée de cinq magistrats de la Cour de cassation détermine s'il y a lieu de mettre fin à l'application de la décision de la Cour d'assises ;
8. Considérant que les sénateurs, auteurs de la saisine, font valoir que, prévoyant une peine incompressible, cet article n'a pas respecté le principe de nécessité des peines en soumettant, après le terme de la période de sûreté de trente ans, l'application du droit commun en matière d'exécution des peines à la procédure ci-dessus analysée, diligentée par le juge de l'application des peines, sans qu'aucun recours soit prévu contre l'éventuel refus de celui-ci de donner suite à une demande de l'intéressé ;
9. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen "la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée" ;
10. Considérant que les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives mais s'étendent au régime des mesures de sûreté qui les assortissent ; qu'en l'absence de disproportion manifeste avec l'infraction commise, il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer sa propre appréciation à celle du législateur ;
11. Considérant qu'il est loisible au législateur de fixer les modalités d'exécution de la peine et notamment de prévoir les mesures énumérées à l'article 132-23 du code pénal ainsi que de déterminer des périodes de sûreté interdisant au condamné de bénéficier de ces mesures ;
12. Considérant que l'exécution des peines privatives de liberté en matière correctionnelle et criminelle a été conçue, non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l'amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion ;
13. Considérant que la disposition mise en cause prévoit que dans l'hypothèse où la Cour d'assises décide que les mesures énumérées à l'article 132-23 du code pénal ne seront pas accordées au condamné, le juge de l'application des peines, après la période de sûreté de trente ans, peut déclencher la procédure pouvant conduire à mettre fin à ce régime particulier, au regard du comportement du condamné et de l'évolution de sa personnalité ; que cette disposition doit être entendue comme ouvrant au ministère public et au condamné le droit de saisir le juge de l'application des peines ; qu'une telle procédure peut être renouvelée le cas échéant ; qu'au regard de ces prescriptions, les dispositions susmentionnées ne sont pas manifestement contraires au principe de nécessité des peines, énoncé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme ;
14. Considérant en outre qu'en fixant au 1er mars 1994, date relative aux faits pénalement sanctionnés, l'entrée en vigueur de cette disposition, le législateur a respecté le principe de non rétroactivité de la loi pénale plus sévère ;
15. Considérant qu'ainsi les dispositions de l'article 6 ne sont pas contraires à la Constitution ;
- SUR L'ARTICLE 18 :
16. Considérant que cet article a pour objet de différer à la 72ème heure l'intervention de l'avocat lorsque la garde à vue est soumise à des règles particulières de prolongation, ce qui est le cas pour des infractions en matière de stupéfiants et de terrorisme ; que les sénateurs, auteurs de la saisine, font grief à cet article de méconnaître le principe d'égalité ;
17. Considérant qu'il est loisible au législateur, compétent pour fixer les règles de la procédure pénale en vertu de l'article 34 de la Constitution, de prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquels elles s'appliquent, mais à la condition que ces différences de procédures ne procèdent pas de discriminations injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense ;
18. Considérant que le droit de la personne a s'entretenir avec un avocat au cours de la garde à vue, constitue un droit de la défense qui s'exerce durant la phase d'enquête de la procédure pénale ;
19. Considérant que la différence de traitement prévue par l'article 18 de la loi, s'agissant du délai d'intervention de l'avocat au regard des infractions dont s'agit, correspond à des différences de situation liées à la nature de ces infractions ; que la différence de traitement mise en cause ne procède donc pas d'une discrimination injustifiée ; que dès lors l'article 18 n'est pas contraire à la Constitution ;
- SUR L'ARTICLE 20 :
20. Considérant que cet article permet de placer en rétention, pour les nécessités de l'enquête et à titre exceptionnel, le mineur de 10 à 13 ans à l'encontre duquel il existe des indices laissant présumer qu'il a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d'au moins sept ans d'emprisonnement ; qu'il prévoit que cette rétention est subordonnée à l'accord préalable d'un magistrat du ministère public ou d'un juge d'instruction spécialisés dans la protection de l'enfance ou d'un juge des enfants et que la retenue pourra être d'une période de 10 heures renouvelable une seule fois dans cette limite ;
21. Considérant que les sénateurs, auteurs de la saisine, allèguent à l'encontre de cet article une méconnaissance de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme ;
22. Considérant qu'aux termes de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : "Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi." ;
23. Considérant que si le législateur peut prévoir une procédure appropriée permettant de retenir au-dessus d'un âge minimum les enfants de moins de treize ans pour les nécessités d'une enquête, il ne peut être recouru à une telle mesure que dans des cas exceptionnels et s'agissant d'infractions graves ; que la mise en oeuvre de cette procédure, qui doit être subordonnée à la décision et soumise au contrôle d'un magistrat spécialisé dans la protection de l'enfance, nécessite des garanties particulières ;
24. Considérant que l'article 20 interdit le placement en garde à vue du mineur de 13 ans et qu'il organise, à titre exceptionnel, une procédure de rétention pour le mineur de 10 à 13 ans ; que la mise en oeuvre de cette procédure est liée à la gravité des infractions concernées susceptibles d'être commises par les mineurs de cet âge ; que ce texte subordonne cette mise en oeuvre à l'accord préalable et au contrôle d'un magistrat ; qu'il énumère les magistrats compétents à ce titre en disposant qu'ils doivent être spécialisés dans la protection de l'enfance ;
25. Considérant en outre qu'en prévoyant une durée maximale de rétention de 10 heures, qui ne peut qu'exceptionnellement être prolongée pour la même durée, et des garanties relatives à son déroulement, notamment l'assistance d'un avocat dès le début de la retenue, cet article n'a pas méconnu les exigences ci-dessus rappelées ;
26. Considérant dès lors que l'article 20 de la loi déférée n'est pas contraire à la Constitution ;
27. Considérant qu'en l'espèce il n'y a pas lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office des questions de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen ;

Décide :
Article premier :
Les articles 6, 18 et 20 de la loi instituant une peine incompressible et relative au nouveau code pénal et à certaines dispositions de procédure pénale ne sont pas contraires à la Constitution.
Article 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.


Loi instituant une peine incompressible et relative au nouveau code pénal et à certaines dispositions de procédure pénale
Sens de l'arrêt : Conformité
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Saisine

SAISINE SENATEURS

Les sénateurs soussignés ont l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi instituant une peine incompressible relative au code pénal et à certaines dispositions de procédure pénale adoptée définitivement le 23 décembre 1993.

Ils lui demandent de déclarer cette loi non conforme à la Constitution.

I Sur la procédure

Il apparaît que la loi déférée n'a pas été adoptée dans le respect des règles de valeur constitutionnelle relative à la procédure législative.

Certes, le Conseil constitutionnel a depuis longtemps jugé que les règlements des assemblées parlementaires n'ont " pas en eux-mêmes valeur constitutionnelle " et que leur "seule méconnaissance" ne saurait avoir pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution ". (Décision n° 78-97 DC du 27 juillet 1978 et décision n° 84-181 DC des 10 et 11 octobre 1984)

Aussi les auteurs de la saisine ne se fondent pas sur la méconnaissance du règlement du Sénat, mais sur la violation du droit d'amendement reconnu par la Constitution aux membres du Parlement et au Gouvernement. Or ce droit, respecté par le règlement de la Haute Assemblée, a été en pratique bafoué lors de l'examen en première lecture de cette loi : cela, alors même que la pratique ici dénoncée est fondée sur une " déclaration " du bureau du Sénat du 4 février 1986 prétendant interpréter, sur ce point, son règlement.

A Les textes concernés

L'article 44, paragraphe 1, de la Constitution dispose : " les membres du Parlement et le Gouvernement ont le droit d'amendement ".

L'article 48, paragraphe 3, du règlement du Sénat, indique n'être recevables que les amendements qui " s'appliquent effectivement au texte qu'ils visent ou, s'agissant d'articles additionnels, s'ils ne sont pas dépourvus de tout lien avec l'objet du texte en discussion ".

L'article 48, paragraphe 4, du règlement du Sénat, ajoute que " dans les cas litigieux " " la question de la recevabilité des amendements " " est soumise, avant leur discussion, à la décision du Sénat ; seul l'auteur de l'amendement, un orateur " contre la commission chacun d'eux disposant de cinq minutes et le Gouvernement peuvent intervenir. Aucune explication de vote n'est admise ".

Ainsi pour chaque amendement dont l'irrecevabilité est demandée, son auteur a la possibilité de s'efforcer de démontrer au Sénat, éclairé par ce court débat restreint, que l'amendement dont il s'agit, et dont chaque sénateur peut ainsi mesurer la portée, est recevable en vertu de l'article 48, paragraphe 3, du règlement du Sénat.

Il en est de même en vertu de l'article 44, paragraphe 8, du règlement du Sénat lorsque l'irrecevabilité est soulevée en vertu du paragraphe 2 du même article, c'est-à-dire lorsqu'il est argué que le texte serait contraire à une disposition constitutionnelle : là aussi est organisé un débat restreint limité dans le temps et contradictoire sur chaque texte.

Ainsi se trouve respecté le droit d'amendement constitutionnel.

Une déclaration du bureau du Sénat du 4 février 1986 est souvent évoquée par la Haute Assemblée. Elle n'a jamais été publiée ni évidemment soumise à la censure du Conseil constitutionnel à la différence des règlements des assemblées et de leurs modifications.

Elle a cependant été lue par le président du Sénat le 4 février 1986 et figure au Journal officiel du même jour à la page 228. On y lit : " le bureau a confirmé la régularité, au regard du règlement, des décisions prises en ce qui concerne : la possibilité de déposer une exception globale d'irrecevabilité pour inconstitutionnalité portant sur une série d'amendements en arguant du même motif d'inconstitutionnalité ".

Un débat restreint sur la recevabilité de plus d'un amendement, et a fortiori de plusieurs amendements, ne permet ni d'entendre l'auteur de chaque amendement ni d'étudier aussi peu que ce soit et en tout cas sérieusement le caractère recevable ou non de chaque amendement puisqu'il n'est donné la parole qu'à un seul orateur hostile à l'exception globale d'irrecevabilité.

Le droit d'amendement se trouve de ce fait bafoué et la Constitution violée.

B L'application de ces textes à la loi déférée

A été opposée à quarante-six amendements (neuf émanant du groupe socialiste, trente-six émanant du groupe communiste et un émanant de la commission) une seule motion d'irrecevabilité, émanant du Gouvernement, fondée sur l'article 48, alinéa 3, du règlement qui, comme il est susmentionné, déclare seuls recevables les amendements qui " s'appliquent effectivement au texte qu'ils visent ou, s'agissant d'articles additionnels, ne sont pas dépourvus de tout lien avec l'objet du texte en discussion ".

Cette absence de lien n'est pas soutenable. Ces amendements étaient, à l'instar du dispositif du projet de loi, relatifs " au nouveau code pénal et à certaines dispositions de procédure pénale ".

L'Assemblée nationale a d'ailleurs cru opportun de modifier, afin de souligner la diversité des dispositions qu'il contenait et contient, l'intitulé du projet en substituant au mot " certaines " le mot " diverses ".

II. Sur le fond A Peine perpétuelle incompressible

La loi déférée prévoit une peine perpétuelle incompressible qui n'est, c'est le moins que l'on puisse dire, pas " strictement nécessaire ".

Il est au surplus contraire aux droits de l'homme et donc à la Constitution d'empêcher perpétuellement un condamné donné auquel un sort particulier est ainsi fait d'obtenir que sa situation soit examinée au regard de l'exécution de sa peine.

Or la loi prévoit seulement la possibilité, au bout de trente ans, pour le juge d'application des peines de saisir les experts de haut niveau, sans qu'aucun recours ne soit prévu contre l'éventuel refus du juge et sans que l'avis positif des experts déférés à cinq magistrats de la Cour de cassation n'ait d'autre conséquence que le retour au droit commun, c'est-à-dire le droit pour le garde des sceaux de mettre ou non un terme à l'enfermement, totalement ou partiellement.

B Présence de l'avocat dans les cas où la garde à vue est soumise à des règles particulières de prolongation

Dans son article 15 la loi prétendant tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 11 août 1993 porte à soixante-douze heures le délai à l'issue duquel les personnes soupçonnées de trafic de stupéfiants ou de terrorisme pourront s'entretenir avec un avocat.

Or, si le Conseil constitutionnel a admis que le délai pouvant s'écouler avant l'entretien avec l'avocat lors d'une garde à vue peut être de vingt heures dans les cas ordinaires et de trente-six heures dans les cas d'association de malfaiteurs, de proxénétisme aggravé, d'extorsion de fonds ou de bandes organisées, c'est parce que " cette différence de traitement correspond à des différences de situations liées à la nature de ces infractions ".

En revanche, le Conseil constitutionnel a constaté que méconnaît l'égalité entre les justiciables " le fait de dénier à une personne tout droit à s'entretenir avec un avocat pendant une garde à vue à raison de certaines infractions, alors que ce droit est reconnu à d'autres personnes dans le cadre d'enquêtes sur des infractions différentes punies de peines aussi graves et dont les éléments de fait peuvent se révéler aussi complexes ", c'est-à-dire celles qui ne peuvent s'entretenir avec un avocat avant la trente-sixième heure.

Il y aurait inégalité de traitement en portant à plus de trente-six heures, et notamment à soixante-douze heures, le délai maximum s'écoulant avant qu'un gardé à vue ne puisse s'entretenir avec un avocat.

Au demeurant, il n'y a pas de relation mathématique à établir entre la durée d'une garde à vue et le délai s'écoulant avant l'entretien avec un avocat, la nature des deux mesures étant quelque peu différente.

C Retenue des mineurs de dix à treize ans

L'article 16 de la loi permet, pour les nécessités de l'enquête et à titre exceptionnel, la retenue d'un mineur de dix à treize ans contre lequel il existe des indices laissant présumer qu'il a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d'au moins sept ans d'emprisonnement. Cette rétention est subordonnée à l'accord préalable d'un magistrat du ministère public ou d'un juge d'instruction spécialisé dans la protection de l'enfance ou d'un juge des enfants. La retenue pourra être de dix heures renouvelables une fois.

Or, dans sa décision du 11 août 1993, le Conseil constitutionnel a considéré que " si le législateur peut prévoir une procédure appropriée permettant de retenir au-dessus d'un âge minimum les enfants de moins de treize ans pour les nécessités d'une enquête, il ne peut être recouru à une telle mesure que dans des cas exceptionnels et s'agissant d'infractions graves : que la mise en uvre de cette procédure, qui doit être subordonnée à la décision et soumise au contrôle d'un magistrat spécialisé dans la protection de l'enfance, nécessite des garanties particulières ".

La nouvelle loi n'en tient en vérité guère compte, car elle qualifie de " retenue " (sic) une véritable garde à vue faisant application au mineur des dispositions des paragraphes II, III et IV de l'article 4 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relatives à la garde à vue !

La " barre " de " sept ans " de la peine encourue ne correspond pas à une " gravité " suffisante pour qu'un enfant de dix ans soit " retenu " par des policiers.

Les " cas exceptionnels " ne sont en rien définis : à l'évidence l'adverbe " exceptionnellement " ne suffit pas à le faire.

La durée de dix heures, qui peut de surcroît être prolongée, dépasse de beaucoup celle nécessaire à recueillir la déposition d'un enfant.

On ne connaît pas de définition d'un magistrat du ministère public qui serait " spécialisé dans la protection de l'enfance ".

Les exigences de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme ne sont pas respectées.

Par ces moyens et tous autres à soulever d'office par le Conseil constitutionnel, les sénateurs soussignés demandent au Conseil de déclarer la loi déférée non conforme à la Constitution.


Références :

DC du 20 janvier 1994 sur le site internet du Conseil constitutionnel
DC du 20 janvier 1994 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Loi instituant une peine incompressible et relative au nouveau code pénal et à certaines dispositions de procédure pénale (Nature : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées)


Publications
Proposition de citation: Cons. Const., décision n°93-334 DC du 20 janvier 1994

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Origine de la décision
Date de la décision : 20/01/1994
Date de l'import : 02/11/2017

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro de décision : 93-334
Numéro NOR : CONSTEXT000017666503 ?
Numéro NOR : CSCZ9400002S ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.constitutionnel;dc;1994-01-20;93.334 ?
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