La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/03/2000 | FRANCE | N°2000-426

France | France, Conseil constitutionnel, 30 mars 2000, 2000-426


Le Conseil constitutionnel a été saisi, d'une part, le 9 mars 2000, par MM. Philippe DOUSTE-BLAZY, Jean-Louis DEBRÉ, José ROSSI, Pierre ALBERTINI, Pierre-Christophe BAGUET, Jacques BARROT, Dominique BAUDIS, Jean-Louis BERNARD, Claude BIRRAUX, Emile BLESSIG, Mme Marie-Thérèse BOISSEAU, MM. Jean-Louis BORLOO, Bernard BOSSON, Mme Christine BOUTIN, MM. Loïc BOUVARD, Jean BRIANE, Dominique CAILLAUD, Jean-François CHOSSY, René COUANAU, Charles de COURSON, Yves COUSSAIN, Marc-Philippe DAUBRESSE, Jean-Claude DECAGNY, Léonce DEPREZ, Renaud DONNEDIEU de VABRES, Renaud DUTREIL, Alain FERRY, Jea

n-Pierre FOUCHER, Claude GAILLARD, Germain GENGENWIN, Gér...

Le Conseil constitutionnel a été saisi, d'une part, le 9 mars 2000, par MM. Philippe DOUSTE-BLAZY, Jean-Louis DEBRÉ, José ROSSI, Pierre ALBERTINI, Pierre-Christophe BAGUET, Jacques BARROT, Dominique BAUDIS, Jean-Louis BERNARD, Claude BIRRAUX, Emile BLESSIG, Mme Marie-Thérèse BOISSEAU, MM. Jean-Louis BORLOO, Bernard BOSSON, Mme Christine BOUTIN, MM. Loïc BOUVARD, Jean BRIANE, Dominique CAILLAUD, Jean-François CHOSSY, René COUANAU, Charles de COURSON, Yves COUSSAIN, Marc-Philippe DAUBRESSE, Jean-Claude DECAGNY, Léonce DEPREZ, Renaud DONNEDIEU de VABRES, Renaud DUTREIL, Alain FERRY, Jean-Pierre FOUCHER, Claude GAILLARD, Germain GENGENWIN, Gérard GRIGNON, Hubert GRIMAULT, Pierre HÉRIAUD, Patrick HERR, Mmes Anne-Marie IDRAC, Bernadette ISAAC-SIBILLE, MM. Henry JEAN-BAPTISTE, Jean-Jacques JEGOU, Christian KERT, Edouard LANDRAIN, Jean LÉONETTI, Maurice LEROY, Roger LESTAS, Maurice LIGOT, François LOOS, Christian MARTIN, Pierre MÉHAIGNERIE, Pierre MICAUX, Jean-Marie MORISSET, Arthur PAECHT, Dominique PAILLÉ, Henri PLAGNOL, Jean-Luc PRÉEL, Marc REYMANN, Gilles de ROBIEN, François ROCHEBLOINE, Rudy SALLES, André SANTINI, François SAUVADET, Michel VOISIN, Jean-Jacques WEBER, Pierre-André WILTZER, Jean-Claude ABRIOUX, René ANDRÉ, André ANGOT, Jean BARDET, Jean-Yves BESSELAT, Philippe BRIAND, Christian CABAL, Jean-Paul CHARIÉ, Jean-Marc CHAVANNE, Olivier de CHAZEAUX, Alain COUSIN, Jean-Michel COUVE, Arthur DEHAINE, Patrick DELNATTE, Yves DENIAUD, Eric DOLIGÉ, Jean-Michel FERRAND, Henri de GASTINES, Michel GIRAUD, Jacques GODFRAIN, Louis GUÉDON, Jean-Claude GUIBAL, Michel HUNAULT, Christian JACOB, Didier JULIA, Pierre LASBORDES, Thierry LAZARO, Jean-Claude LEMOINE, Alain MARLEIX, Philippe MARTIN, Jacques MASDEU-ARUS, Gilbert MEYER, Pierre MORANGE, Jean-Marc NUDANT, Jean-Bernard RAIMOND, Bernard SCHREINER, Michel TERROT, Léon VACHET, François VANNSON, Pascal CLÉMENT, Franck DHERSIN, Laurent DOMINATI, Gilbert GANTIER, Claude GATIGNOL, François GOULARD, Aimé KERGUERIS, Pierre LEQUILLER, Michel MEYLAN, Jean PRORIOL et Gérard VOISIN, députés, et d'autre part, le 14 mars 2000, par MM. Jean ARTHUIS, Nicolas ABOUT, Louis ALTHAPÉ, Jean-Paul AMOUDRY, Pierre ANDRÉ, Philippe ARNAUD, Denis BADRÉ, Jacques BAUDOT, Michel BÉCOT, Roger BESSE, Jean BIZET, Paul BLANC, Mme Annick BOCANDÉ, MM. André BOHL, Christian BONNET, James BORDAS, Didier BOROTRA, Jean BOYER, Louis BOYER, Jean-Guy BRANGER, Gérard BRAUN, Dominique BRAYE, Mme Paulette BRISEPIERRE, MM. Louis de BROSSIA, Michel CALDAGUÈS, Robert CALMÉJANE, Jean-Claude CARLE, Gérard CÉSAR, Jean CHÉRIOUX, Marcel-Pierre CLÉACH, Jean CLOUET, Gérard CORNU, Charles-Henri de COSSÉ-BRISSAC, Jean-Patrick COURTOIS, Jean DELANEAU, Jean-Paul DELEVOYE, Jacques DELONG, Fernand DEMILLY, Marcel DENEUX, Gérard DÉRIOT, Charles DESCOURS, André DILIGENT, Michel DOUBLET, Alain DUFAUT, Ambroise DUPONT, Jean-Léonce DUPONT, Daniel ECKENSPIELLER, Jean-Paul ÉMORINE, Michel ESNEU, Hubert FALCO, Jean FAURE, André FERRAND, Hilaire FLANDRE, Gaston FLOSSE, Jean-Pierre FOURCADE, Bernard FOURNIER, Serge FRANCHIS, Philippe FRANÇOIS, Yves FRÉVILLE, Patrice GÉLARD, François GERBAUD, Charles GINÉSY, Francis GIRAUD, Paul GIROD, Daniel GOULET, Alain GOURNAC, Adrien GOUTEYRON, Francis GRIGNON, Louis GRILLOT, Mme Anne HEINIS, MM. Marcel HENRY, Pierre HÉRISSON, Rémi HERMENT, Jean HUCHON, Jean-Paul HUGOT, Jean-François HUMBERT, Claude HURIET, Roger HUSSON, Jean-Jacques HYEST, Charles JOLIBOIS, Roger KAROUTCHI, Alain LAMBERT, Lucien LANIER, Jacques LARCHÉ, Gérard LARCHER, Robert LAUFOAULU, Edmond LAURET, Henri LE BRETON, Dominique LECLERC, Guy LEMAIRE, Serge LEPELTIER, Jean-Louis LORRAIN, Simon LOUECKHOTE, Roland du LUART, Jacques MACHET, Kléber MALÉCOT, René MARQUÈS, Paul MASSON, Michel MERCIER, Louis MOINARD, Bernard MURAT, Philippe NACHBAR, Paul NATALI, Lucien NEUWIRTH, Philippe NOGRIX, Mme Nelly OLIN, MM. Paul d'ORNANO, Joseph OSTERMANN, Jacques OUDIN, Michel PELCHAT, Jean PÉPIN, Xavier PINTAT, Bernard PLASAIT, Guy POIRIEUX, André POURNY, Jean PUECH, Jean-Pierre RAFFARIN, Henri de RAINCOURT, Charles REVET, Henri REVOL, Henri de RICHEMONT, Philippe RICHERT, Jean-Jacques ROBERT, Josselin de ROHAN, Michel RUFIN, Jean-Pierre SCHOSTECK, Raymond SOUCARET, Martial TAUGOURDEAU, René TRÉGOUËT, François TRUCY, Jacques VALADE, André VALLET, Alain VASSELLE, Jean-Pierre VIAL, Xavier de VILLEPIN, Serge VINÇON et Guy VISSAC, sénateurs, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi relative à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d'exercice ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;

Vu la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie ;

Vu la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 modifiée relative à l'élection des représentants au Parlement européen ;

Vu le code électoral ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu les observations du Gouvernement enregistrées le 17 mars 2000 ;

Vu les observations en réplique présentées par les députés auteurs de la première saisine, enregistrées le 24 mars 2000 ;

Vu les observations en réplique présentées par les sénateurs auteurs de la seconde saisine, enregistrées le 28 mars 2000 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que les auteurs des deux saisines défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d'exercice ; que les députés requérants mettent en cause la conformité à la Constitution, en tout ou en partie, de ses articles 2, 3, 7, 14, 16, 20, 22 et 25 à 31 ; que, pour leur part, les sénateurs requérants contestent les articles 3, 7, 14, 16, 22 et 25 à 31 ;

-SUR L'INTERDICTION DU CUMUL DE FONCTIONS EXÉCUTIVES LOCALES :

2. Considérant que les sénateurs requérants contestent à plusieurs titres l'interdiction de cumuler des fonctions exécutives locales qui figure aux articles 7, 14 et 16 de la loi déférée ; que ces articles modifient respectivement les articles L. 2122-4, L. 3122-3 et L. 4133-3 du code général des collectivités territoriales afin de rendre incompatibles entre elles les fonctions de maire, de président d'un conseil général et de président d'un conseil régional ;

3. Considérant, en premier lieu, qu'il est soutenu que l'interdiction critiquée méconnaîtrait le principe selon lequel " tout membre d'une assemblée territoriale doit pouvoir être élu aux fonctions exécutives de cette assemblée ", que les requérants tiennent pour un principe fondamental reconnu par les lois de la République ; qu'en tout état de cause, le grief manque en fait ; qu'en effet, les dispositions critiquées, qui ont pour conséquence de faire cesser l'exercice de la fonction exécutive antérieure, n'ont ni pour objet ni pour effet d'instaurer des règles d'inéligibilité ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que les autres griefs tirés de la violation de règles et principes de valeur constitutionnelle relatifs aux inéligibilités doivent être rejetés pour le même motif ;

5. Considérant, en troisième lieu, que les incompatibilités critiquées ne sont contraires ni à l'article 5 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 aux termes duquel : " La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. ", ni à son article 6 en vertu duquel : " Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. " ; qu'il était en effet loisible au législateur de renforcer les incompatibilités entre fonctions électives, dès lors qu'il estimait que le cumul de fonctions exécutives locales ne permettait pas à leur titulaire de les exercer de façon satisfaisante ;

6. Considérant, en quatrième lieu, qu'en vertu de l'article 72 de la Constitution, le principe de libre administration des collectivités territoriales s'exerce " dans les conditions prévues par la loi " ; qu'il ne fait pas obstacle à ce que le législateur édicte une règle d'incompatibilité entre fonctions exécutives locales dans le but de favoriser leur plein exercice ;

7. Considérant, en cinquième lieu, que sont dénoncées des " discriminations inacceptables " tenant aux " incohérences entre la loi organique et la loi ordinaire " ; que les requérants font ainsi valoir que " le maire d'une commune de moins de 3 500 habitants ne pourra pas être président de conseil régional ou départemental sauf s'il est parlementaire " ; qu'ils ajoutent que " ces incohérences ne peuvent pas être levées en combinant les dispositions des deux lois car, en application de l'article 25 de la Constitution, le régime des incompatibilités des parlementaires relève de la seule loi organique, supérieure à la loi ordinaire " ;

8. Considérant que si, en vertu du premier alinéa de l'article 25 de la Constitution, le régime des incompatibilités des membres du Parlement ressortit au domaine d'intervention de la loi organique, les règles d'incompatibilité entre fonctions exécutives locales relèvent, quant à elles, de la loi ordinaire conformément à l'article 34 de la Constitution ; qu'il appartenait dès lors au législateur ordinaire, comme il l'a fait aux articles 7, 14 et 16 de la loi déférée, de définir des règles limitant le cumul de fonctions exécutives locales ; que, dans le silence de la loi organique, ces règles s'appliqueront aux détenteurs desdites fonctions, qu'ils soient ou non parlementaires ; que la discrimination dénoncée n'existe donc pas ; que, par suite, le grief doit être rejeté ;

9. Considérant, enfin, qu'il ne résulte ni de l'article 88-3 de la Constitution ni d'aucune autre règle constitutionnelle que le régime des incompatibilités applicables aux membres des organes délibérants des collectivités territoriales relèverait d'une loi constitutionnelle ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que doivent être rejetés les griefs dirigés contre les dispositions prohibant le cumul de fonctions exécutives locales ;

-SUR LES RÈGLES D'INCOMPATIBILITÉ APPLICABLES AUX REPRÉSENTANTS AU PARLEMENT EUROPÉEN :

11. Considérant que les députés auteurs de la première saisine dénoncent la rupture d'égalité résultant d'un " régime plus sévère pour les parlementaires européens que pour les députés et les sénateurs " ; qu'ils font valoir à cet égard que les représentants au Parlement européen, à la différence des députés et des sénateurs, ne pourront exercer une fonction exécutive locale ; qu'en outre, les représentants au Parlement européen placés en cours de mandat dans un cas d'incompatibilité par l'acquisition d'un mandat électoral devront démissionner d'un des mandats antérieurs, alors que les députés et sénateurs pourront librement choisir entre mandats incompatibles ; qu'ils ajoutent que les parlementaires nationaux et les représentants au Parlement européen exercent la même mission de représentation ; que les sénateurs auteurs de la seconde saisine critiquent également l'" atteinte à la liberté des citoyens et à la liberté de l'élu " née de l'incompatibilité entre mandat de représentant au Parlement européen et fonction exécutive locale ;

12. Considérant que les compétences spécifiques exercées par le Parlement européen sont différentes de celles de l'Assemblée nationale et du Sénat de la République, qui participent à l'exercice de la souveraineté nationale en vertu de l'article 3 de la Constitution ; qu'eu égard à la spécificité du mandat des représentants au Parlement européen et des contraintes inhérentes à son exercice, il était en particulier loisible à la loi ordinaire, dont relève leur situation, de décider que le cumul dudit mandat et d'une fonction exécutive locale ne permettrait pas à leur titulaire d'exercer l'un et l'autre de manière satisfaisante ; que doivent être par suite rejetés les moyens tirés d'une rupture d'égalité entre représentants au Parlement européen et parlementaires nationaux ;

-SUR LES INCOMPATIBILITÉS AVEC DES FONCTIONS PROFESSIONNELLES :

13. Considérant que l'article 3 de la loi déférée rend la fonction de président d'une chambre consulaire incompatible avec les mandats locaux énumérés par son article 2 ; que ses articles 7, 14 et 16 édictent une incompatibilité entre les fonctions de juge des tribunaux de commerce et les fonctions de maire, de président d'un conseil général et de président d'un conseil régional ; qu'au titre des dispositions d'adaptation relatives à l'outre-mer, l'incompatibilité des fonctions de juge des tribunaux de commerce ou des tribunaux mixtes de commerce est prévue par les articles 25, 27 et 31 avec les fonctions de maire en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et à Mayotte, ainsi que par l'article 28 avec les fonctions de président du conseil général et de maire à Saint-Pierre et Miquelon ;

14. Considérant que les auteurs des saisines critiquent ces dispositions au motif qu' " édicter une incompatibilité sur l'ensemble du territoire national, et non pas limitée au ressort où sont exercées les fonctions... apparaît disproportionné au regard de l'objectif poursuivi " ;

15. Considérant que, si le législateur peut prévoir des incompatibilités entre mandats électoraux ou fonctions électives et activités ou fonctions professionnelles, la restriction ainsi apportée à l'exercice de fonctions publiques doit être justifiée, au regard des exigences découlant de l'article 6 de la Déclaration de 1789, par la nécessité de protéger la liberté de choix de l'électeur, l'indépendance de l'élu ou l'indépendance des juridictions contre les risques de confusion ou de conflits d'intérêts ;

16. Considérant que cette justification fait défaut dès lors que les incompatibilités critiquées ne sont pas, en l'espèce, limitées aux cas où le ressort géographique de la collectivité territoriale coïncide, en tout ou partie, avec celui de la chambre consulaire ou du tribunal de commerce ;

17. Considérant qu'il y a lieu en conséquence de déclarer contraires à la Constitution l'article 3, ainsi que les dispositions relatives aux incompatibilités applicables aux fonctions de juge des tribunaux de commerce et des tribunaux mixtes de commerce prévues par les articles 7, 14, 16, 25, 27, 28 et 31 de la loi déférée ;

-SUR L'ÂGE D'ÉLIGIBILITÉ DES REPRÉSENTANTS AU PARLEMENT EUROPÉEN :

18. Considérant que les députés requérants mettent en cause l'atteinte à l'égalité résultant, selon eux, de l'article 20 de la loi déférée, relatif à l'élection des représentants au Parlement européen ;

19. Considérant que l'article critiqué réduit à dix-huit ans l'âge d'éligibilité des ressortissants d'un Etat de l'Union européenne autre que la France, alors que, pour les citoyens français, s'applique l'âge d'éligibilité à l'Assemblée nationale, soit vingt-trois ans conformément à l'article L.O. 127 du code électoral, dans sa rédaction issue de l'article 1er de la loi organique relative aux incompatibilités entre mandats électoraux soumise par ailleurs à l'examen du Conseil constitutionnel ; que, s'il était loisible au législateur de fixer à dix-huit ans l'âge d'éligibilité au Parlement européen, il ne pouvait le faire qu'en traitant également tous les candidats ; que, dès lors, la discrimination critiquée méconnaît le principe d'égalité ; qu'il y a lieu, par suite, de déclarer contraire à la Constitution l'article 20 de la loi déférée ;

-SUR LES DISPOSITIONS RELATIVES À L'OUTRE-MER :

20. Considérant que les sénateurs requérants soutiennent que les dispositions du titre IV de la loi déférée, qui prévoit les mesures d'adaptation relatives à l'outre-mer, empiéteraient sur le domaine réservé aux lois organiques par les articles 74 et 77 de la Constitution ; qu'ils dénoncent en outre le " caractère discriminatoire " des dispositions des articles 25 et 27 qui excluent l'exercice des fonctions de maire par le président et les membres des gouvernements de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie ;

21. Considérant que, pour leur part, les députés requérants soutiennent que les dispositions du sixième alinéa de l'article 25 de la loi déférée, en ce qu'elles rendent incompatibles les fonctions de maire et de membre du gouvernement de la Polynésie française, contredisent l'article 12 de la loi organique soumise par ailleurs à l'examen du Conseil constitutionnel ;

. En ce qui concerne la Polynésie française :

22. Considérant que les dispositions du sixième alinéa de l'article 25 de la loi déférée et du cinquième alinéa de son article 27 rendent les fonctions de président et de membre du gouvernement de la Polynésie française incompatibles avec celles de maire d'une commune de Polynésie française et de Nouvelle-Calédonie ;

23. Considérant qu'en vertu du deuxième alinéa de l'article 74 de la Constitution : " Les statuts des territoires d'outre-mer sont fixés par des lois organiques qui définissent, notamment, les compétences de leurs institutions propres... " ; que, dès lors, ressortissent au domaine de la loi organique les règles d'incompatibilité applicables aux titulaires des fonctions de président et de membre du gouvernement de la Polynésie française ; que, toutefois, le rappel ou la simple application par la loi ordinaire d'une règle fixée par la loi organique ne constitue pas une violation de la Constitution ;

24. Considérant que l'article 11 de la loi organique examinée par ailleurs par le Conseil constitutionnel soumet le président du gouvernement de la Polynésie française aux règles d'incompatibilité applicables à un président de conseil général de département ; que les articles 7 et 14 de la loi déférée prévoient l'incompatibilité entre les fonctions de maire et celles de président de conseil général de département ; que, dès lors, les articles 25 et 27, en tant qu'ils interdisent l'exercice par le président du gouvernement de la Polynésie française des fonctions de maire, ne font qu'appliquer une règle fixée par la loi organique ;

25. Considérant, en revanche, que l'article 12 de la loi organique soumise au Conseil constitutionnel exclut expressément, pour l'application des règles d'incompatibilité avec les fonctions de maire, les membres du gouvernement de la Polynésie française de l'assimilation aux fonctions de président de conseil général prévue par l'article 11 de la même loi ; que, dès lors, les articles 25 et 27 de la loi déférée ne pouvaient prévoir une telle incompatibilité;

26. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de déclarer contraires à la Constitution, comme adoptées selon une procédure non conforme à celle-ci, les dispositions applicables aux membres du gouvernement de la Polynésie française figurant au sixième alinéa de l'article 25 de la loi déférée et au cinquième alinéa de son article 27 ;

. En ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie :

27. Considérant qu'en vertu du troisième alinéa de l'article 77 de la Constitution, il appartient au législateur organique de déterminer " les règles d'organisation et de fonctionnement de la Nouvelle-Calédonie " ; que ces règles comprennent notamment le régime des incompatibilités applicables au président et aux membres du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, ainsi qu'au président d'une assemblée de province ; que, dès lors, les dispositions du sixième alinéa de l'article 25 et du cinquième alinéa de l'article 27 de la loi déférée prévoyant l'incompatibilité de ces fonctions avec celles de maire ne seraient conformes à l'article 77 de la Constitution qu'à condition de se borner à rappeler ou à appliquer des règles fixées par une loi organique ;

28. Considérant que de telles règles ne figurent ni dans la loi organique soumise par ailleurs au Conseil constitutionnel, ni dans la loi organique du 19 mars 1999 susvisée ; que, si les articles 112 et 196 de cette dernière soumettent les membres du gouvernement de Nouvelle-Calédonie aux règles d'incompatibilité applicables aux conseillers généraux et assujettissent le président de ce gouvernement et le président d'une assemblée de province aux règles d'incompatibilité applicables aux présidents de conseil général, les assimilations ainsi prévues ne sauraient renvoyer à des dispositions de lois ordinaires postérieures, telles que les articles 7 et 14 de la loi déférée ;

29. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de déclarer contraires à la Constitution, comme adoptées selon une procédure non conforme à celle-ci, les dispositions applicables aux membres du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, au président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et aux présidents des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie figurant au sixième alinéa de l'article 25 de la loi déférée et au cinquième alinéa de son article 27 ;

30. Considérant qu'il n'y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, d'examiner d'office aucune question de constitutionnalité ;

Décide :

Article premier :

Sont déclarées contraires à la Constitution les dispositions suivantes de la loi relative à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d'exercice :

1° l'article 3 ;

2° le cinquième alinéa du I de l'article 7 ;

3° le quatrième alinéa de l'article 14 ;

4° le quatrième alinéa de l'article 16 ;

5° l'article 20 ;

6° au sixième alinéa de l'article 25 :

avant les mots : « du gouvernement de la Polynésie française », les mots : « ou membre » ;

les mots : « président ou membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, » ;

7° le huitième alinéa de l'article 25 ;

8° au cinquième alinéa de l'article 27 :

les mots : « président ou membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, » ;

avant les mots : « du gouvernement de la Polynésie française », les mots : « ou membre » ;

les mots : « président d'une assemblée de province, » ;

9° le septième alinéa de l'article 27 ;

10° le septième alinéa du II et le septième alinéa du III de l'article 28 ;

11° le cinquième alinéa du I de l'article 31.

Article 2 :

La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 30 mars 2000, où siégeaient : MM. Yves GUÉNA, Président, Georges ABADIE, Michel AMELLER, Jean-Claude COLLIARD, Alain LANCELOT, Mme Noëlle LENOIR, M. Pierre MAZEAUD et Mmes Monique PELLETIER et Simone VEIL.


Loi relative à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d'exercice
Sens de l'arrêt : Non conformité partielle
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Saisine

Le Conseil constitutionnel a été saisi, d'une part, par plus de soixante sénateurs, d'autre part, par plus de soixante députés de recours dirigés contre la loi relative à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions électives et à leurs conditions d'exercice, qui a été adoptée le 8 mars 2000.

Ces recours appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes :

I. - Sur le principe de l'interdiction du cumulde deux fonctions électives

A. - L'article 7 de la loi déférée, modifiant l'article L. 2122-4 du code général des collectivités territoriales, institue une incompatibilité entre la fonction de maire, d'une part, le mandat de représentant au Parlement européen et la fonction de président d'un conseil régional ou d'un conseil général, d'autre part. Corrélativement, les articles 14 et 16 modifient les articles L. 3122-3 et L. 4133-3 du même code, relatifs aux incompatibilités applicables aux présidents des conseils généraux et régionaux.

Pour contester ces dispositions, les sénateurs, auteurs de la seconde saisine, font valoir qu'elles sont contraires aux dispositions des articles 5 et 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dès lors que les électeurs ont toujours validé un tel cumul. Ils estiment que le législateur a, ce faisant, porté atteinte à un principe fondamental reconnu par les lois de la République qui, selon eux, postulerait que « tout élu d'une assemblée territoriale peut être élu aux fonctions exécutives de cette assemblée ». La limitation du cumul des fonctions serait également contraire à l'égalité devant la loi garantie par l'article 6 de la Déclaration, et à l'article 72 de la Constitution selon lequel les collectivités territoriales s'administrent librement.

Les sénateurs requérants considèrent en outre que la limitation du cumul des fonctions constitue une véritable inéligibilité, laquelle ne peut, selon eux, être instaurée qu'à titre de sanction ou à l'égard des personnes investies de fonctions d'autorité. Ils ajoutent que, combinée avec celle du 30 décembre 1985, la loi introduit des discriminations inacceptables en autorisant le cumul des fonctions de président de conseil général ou régional, d'adjoint au maire d'une commune de moins de 100 000 habitants, de président de structure intercommunale à fiscalité propre ou d'établissements publics intercommunaux. Ils relèvent des incohérences entre la loi organique et la loi ordinaire, dans la mesure où, selon leur interprétation, le maire d'une commune de moins de 3 500 habitants ne pourra pas être président du conseil régional ou général sauf s'il est parlementaire.

Enfin, le recours des sénateurs tire des termes de l'article 88-3 de la Constitution la conséquence que seule la Constitution peut interdire à l'élu d'une collectivité territoriale d'être élu à la tête de l'exécutif de l'assemblée dont il est membre.

B. - Ces critiques ne sont pas fondées.

1. En premier lieu, les requérants se méprennent sur l'objet exact des mesures qu'ils contestent. Elles ne mettent nul obstacle à ce que tout membre de l'organe délibérant d'une collectivité locale puisse être élu à la tête de l'exécutif de cette collectivité.

contrairement à ce qui est soutenu, la loi n'institue aucune inéligibilité.

S'insérant dans un dispositif plus global de modernisation de la vie politique, les dispositions contestées tendent seulement à faire en sorte que les élus investis d'une fonction exécutive puissent s'y consacrer pleinement. Il s'agit de mettre l'élu qui accède à une telle fonction en face de ses responsabilités : s'il occupe déjà une autre fonction exécutive, il doit choisir.

2. En second lieu, les principes constitutionnels invoqués n'ont pas la portée qui leur est prêtée.

Ainsi, c'est en vain qu'on chercherait dans les dispositions des articles 5, 6 et 8 de la Déclaration de 1789, ou dans la jurisprudence qui en a précisé la portée, un obstacle aux mesures que le législateur a estimé devoir prendre pour faire en sorte que les élus investis des mandats et fonctions les plus importants puissent, dans l'intérêt public, s'y consacrer à plein temps.

De même serait-on bien en peine de déceler, dans les lois de la République antérieures au préambule de la Constitution de 1946, un principe suffisamment constant, auquel le constituant aurait alors entendu se référer, et qui exigerait que tout élu d'une assemblée locale puisse occuper une fonction exécutive à la tête de cette assemblée. On se bornera, à cet égard, à relever que, s'agissant des conseillers municipaux, la loi a, de longue date, prévu que ceux d'entre eux qui ont la qualité d'agent des administrations financières ayant à connaître de la comptabilité communale ne peuvent être maires ou adjoints : il s'agit des dispositions figurant aujourd'hui à l'article L. 2122-5 du code général des collectivités territoriales, et qui remontent à l'article 80 de la loi municipale du 5 avril 1884.

Au demeurant, le Conseil constitutionnel a déjà déclaré conformes à la Constitution des dispositions ayant pour effet de limiter la possibilité, pour certains membres d'une assemblée délibérante, de détenir une fonction exécutive à la tête de cette assemblée (no 85-205 DC du 28 décembre 1985 ; no 99-410 DC du 15 mars 1999) ou ayant pour effet d'interdire la détention de deux fonctions exécutives locales ou d'une telle fonction et d'un mandat local (no 96-373 DC du 9 avril 1996 ; no 99-410 DC précité).

Quant au raisonnement fondé sur l'article 88-3 de la Constitution, il ne peut davantage être accueilli. Ce n'est évidemment pas parce que le constituant a adopté un article destiné à rendre possible la ratification des stipulations du Traité sur l'Union européenne prévoyant la participation des ressortissants européens à l'élection des conseillers municipaux, et spécifiant que ceux qui obtiendront ce mandat ne pourront être élus maire, que seule une loi constitutionnelle pourrait désormais régir la matière des inéligibilités et des incompatibilités.

En tout état de cause, et ainsi qu'il a été dit plus haut, les dispositions critiquées n'ont ni pour objet ni pour effet d'empêcher les intéressés d'accéder à de telles fonctions, mais font seulement obstacle à ce que plusieurs d'entre elles soient exercées simultanément.

3. Enfin c'est à tort que la saisine des sénateurs tente de faire prévaloir une lecture de la loi organique et de la loi ordinaire accréditant l'idée d'une compétence exclusive de la première pour régir de façon exhaustive l'ensemble des hypothèses d'incompatibilité pouvant concerner un député ou un sénateur. Suivant cette thèse, les cumuls de plusieurs fonctions exécutives locales entre elles devraient être traités par la loi organique pour pouvoir s'appliquer à des parlementaires : c'est ainsi que, selon les requérants, le maire d'une commune de moins de 3 500 habitants pourrait être simultanément président d'un conseil régional ou général, dès lors qu'il est en outre parlementaire.

Le Gouvernement ne partage pas cette analyse, qui méconnaît la portée respective des articles 25 et 34 de la Constitution. Il ressort de ce dernier texte qu'il n'appartient qu'au législateur ordinaire de définir les incompatibilités entre mandats locaux ou fonctions exécutives locales. Quant au premier, il charge seulement la loi organique de fixer le régime des incompatibilités applicable aux membres du Parlement ainsi que celui des inéligibilités. Il en résulte que le nouvel article LO 141, introduit dans le code électoral par l'article 3 de la loi organique soumise en même temps au Conseil constitutionnel, ne peut avoir d'autre portée que celle qu'implique l'article 25 de la Constitution : l'on peut être, d'une part parlementaire, d'autre part conseiller régional, conseiller à l'Assemblée de Corse, conseiller général ou conseiller municipal d'une commune d'au moins 3 500 habitants, mais sans pouvoir cumuler un mandat parlementaire avec plus d'un de ces mandats locaux.

Telle est la seule portée de la loi organique, qui ne préjuge en rien de la manière dont la loi ordinaire définit les cumuls entre fonctions ou mandats locaux. Pour reprendre l'exemple cité dans la saisine, mais contrairement à ce qui y est soutenu, la loi organique n'a ni pour objet ni pour effet de permettre à un parlementaire d'être à la fois maire d'une commune - quelle qu'en soit la population - et président d'un conseil régional ou général : le cumul de ces fonctions exécutives n'est traité, comme il doit l'être, que par la loi ordinaire, et celle-ci a entendu le proscrire, sans qu'il y ait lieu de réserver un sort particulier à ceux qui, se trouvant dans la situation que prohibe la loi, sont par ailleurs détenteurs d'un mandat parlementaire.

Si l'on devait suivre jusqu'au bout la logique des requérants, il faudrait en déduire que l'ensemble des dispositions législatives édictant des incompatibilités applicables à des mandats ou fonctions locales (par exemple les articles L. 238 et L. 239 du code électoral) ne pourraient s'appliquer à ceux des détenteurs de tels mandats qui sont parlementaires, sous prétexte qu'elles ne résultent pas d'une loi organique. Il devrait alors en aller de même pour les inéligibilités (par exemple celles visées à l'article L. 236). Une telle interprétation ne saurait prévaloir.

En d'autres termes, la loi organique détermine dans quelle mesure un parlementaire peut, en sus de son mandat, détenir tel ou tel mandat local. Ses dispositions sont édictées sans préjudice de celles de la loi ordinaire qui déterminent dans quelle mesure des mandats locaux peuvent être cumulés entre eux. La loi ordinaire trouve donc à s'appliquer à l'ensemble des titulaires de mandats locaux, y compris ceux qui sont par ailleurs parlementaires, dans toute la mesure où les limitations qu'elle édicte ne contredisent pas les règles de cumul fixées par la loi organique.

II. - Sur le régime applicable aux représentants au Parlement européen

A. - Le titre III de la loi contestée insère, dans la loi du 7 juillet 1977, des dispositions permettant de soumettre les représentants français au Parlement européen aux mêmes règles d'incompatibilité que celles que la loi définit pour les fonctions exécutives : on ne pourra cumuler ce mandat avec les fonctions de maire ou de président d'un conseil régional ou général.

Ce sont ces mêmes exigences qu'il était prévu de rendre applicables aux députés et sénateurs, à travers le projet de loi organique examiné en même temps que la loi ordinaire. Mais il se trouve que la majorité du Sénat s'est opposée à cette réforme et que, s'agissant d'une loi organique relevant du quatrième alinéa de l'article 46 de la Constitution, l'Assemblée nationale n'a pu qu'en prendre acte, de sorte que la loi organique finalement adoptée interdit seulement le cumul d'un mandat de député ou de sénateur avec plus d'un des mandats suivants : conseiller régional, conseiller à l'Assemblée de Corse, conseiller général, conseiller de Paris, conseiller municipal d'une commune d'au moins 3 500 habitants.

Les parlementaires requérants en tirent argument pour soutenir que le législateur ordinaire ne pouvait, dans ces conditions, édicter pour les représentants au Parlement européen des règles plus sévères que celles régissant les parlementaires nationaux.
Les députés, auteurs de la première saisine, soutiennent, en particulier, que le principe d'égalité s'oppose à une telle différence de traitement. Ils estiment que la loi ordinaire ne pouvait retenir de tels choix dès lors que le législateur organique les avait écartés pour les députés et les sénateurs. Ils critiquent, pour les mêmes raisons, le mécanisme de sortie des situations d'incompatibilité.

Les sénateurs, auteurs de la seconde saisine, soutiennent en outre que le dispositif contesté porte atteinte à la liberté des citoyens et à celle de l'élu. Ils relèvent que des solutions différentes auraient été retenues à cet égard dans d'autres pays européens. Ils estiment que cette incompatibilité ne repose sur aucune justification fondée sur l'intérêt général.

B. - Le Conseil constitutionnel ne saurait faire sienne cette argumentation.

On ne peut, en effet, invoquer utilement le principe d'égalité pour critiquer les dispositions applicables aux représentants au Parlement européen à la lumière de celles qui régissent les parlementaires nationaux. Trois séries de raisons y font obstacle.

1. En premier lieu, les mandats en cause sont de nature différente. Comme le Conseil constitutionnel l'a souligné dans sa décision no 92-308 DC du 9 avril 1992, le Parlement européen « ne constitue pas une assemblée souveraine dotée d'une compétence générale et qui aurait vocation à concourir à l'expression de la souveraineté nationale ». Les règles relatives à la compatibilité entre ce mandat et d'autres mandats électifs ou fonctions électives doivent donc être fixées en considération des nécessités propres aux différents mandats ou fonctions en cause, sans être en rien contraintes par les choix opérés, par ailleurs, en ce qui concerne les incompatibilités applicables aux députés et aux sénateurs.

Ce sont d'ailleurs des considérations analogues qui ont conduit le Conseil d'Etat à écarter des moyens tirés du principe d'égalité, qui tendaient à critiquer le sort différent que le décret relatif aux préséances réservait aux représentants au Parlement européen, par rapport aux députés et sénateurs (CE 20 mars 1992, Union syndicale des magistrats, p. 122).
Il est certes exact que, comme il a été souligné plus haut, le projet de loi organique présenté par le Gouvernement faisait le même choix pour les incompatibilités applicables aux mandats nationaux. Mais la circonstance que des dispositions différentes aient finalement été adoptées ne peut que rester sans incidence sur la conformité à la Constitution des règles définies par la loi déférée pour les représentants au Parlement européen.

2. En deuxième lieu, il est d'autant moins concevable de soumettre la définition des règles applicables à ces dernières à une obligation d'alignement sur celles régissant les parlementaires nationaux que la compétence pour édicter ces règles n'est pas la même. En poussant jusqu'au bout la logique des requérants, il faudrait considérer que, si le législateur organique intervenait, pour les incompatibilités applicables aux députés et aux sénateurs, après que le législateur aurait défini le régime des représentants au Parlement européen, il serait tenu, sauf à méconnaître le principe d'égalité, d'aligner les premiers sur les seconds. Or il est encore moins concevable que l'initiative du législateur organique soit ainsi bridée par les choix opérés par le législateur ordinaire.

En réalité, la thèse des requérants repose sur un postulat erroné, qui consiste à appréhender la question en termes de hiérarchie des normes. Or dans ces matières, la loi ordinaire n'a pas, par rapport à la loi organique, le caractère d'une mesure d'exécution subordonnée : chacune doit intervenir dans son domaine et, sous la seule réserve de ne pas empiéter sur le domaine réservé à la seconde par l'article 25 de la Constitution, la première est entièrement libre de retenir les options qui lui paraissent les plus appropriées, cette liberté n'étant encadrée que par les règles et principes constitutionnels dont le respect s'impose, en tout état de cause, au législateur.

3. En troisième lieu, il convient de souligner les inconvénients que comporterait une généralisation, à ce type d'hypothèse, des raisonnements fondés sur une conception trop absolue du principe d'égalité. Ce sont sans doute des considérations de ce type qui sont à l'origine de la jurisprudence par laquelle le Conseil constitutionnel écarte, en matière de fonction publique, des moyens tirés du principe d'égalité, lorsqu'ils sont invoqués pour comparer la situation faite à des agents relevant de corps différents (no 76-67 DC du 15 juillet 1976 ; no 84-179 DC du 12 septembre 1984).

Les mêmes considérations doivent donc conduire à écarter comme inopérante l'argumentation tendant à critiquer le régime applicable aux représentants au Parlement européen au regard de celui régissant les parlementaires nationaux.

En revanche, c'est à bon droit que les députés requérants contestent l'article 20 de la loi qui fixe à 18 ans l'âge d'éligibilité de ces représentants, pour ce qui concerne les seuls ressortissants des autres pays de l'Union européenne, alors que, pour les nationaux, le renvoi fait par le texte aux conditions applicables à l'élection des députés a pour effet de fixer à l'âge de 23 ans l'âge d'éligibilité, compte tenu des dispositions arrêtées par le législateur organique. Il paraît en effet difficile de justifier le sort plus favorable réservé à ceux des candidats à cette élection qui n'ont pas la nationalité française.

Toutefois cette contradiction résultant du dernier vote du Sénat n'a pu, compte tenu des dispositions du dernier alinéa de l'article 45 de la Constitution, être rectifiée au stade de la dernière lecture devant l'Assemblée nationale.

III. - Sur les incompatibilités applicables aux présidents des chambres consulaires et des chambres d'agriculture et aux juges des tribunaux de commerce

A. - L'article 3 de la loi déférée insère, dans le code électoral, un article L. 46-2 qui rend les fonctions de présidents des chambres consulaires et des chambres d'agriculture incompatibles avec les mandats visés à l'article L. 46-1, c'est-à-dire ceux de conseiller régional, conseiller à l'Assemblée de Corse, conseiller général, conseiller de Paris, conseiller municipal. Par ailleurs, les articles 7, 14 et 16 disposent que les fonctions de maire, président de conseil général et président de conseil régional régies par ces articles sont incompatibles avec celle de juge des tribunaux de commerce.

Les requérants font valoir que ces dispositions édictent des incompatibilités qui ne sont pas limitées au ressort dans lequel les intéressés exercent leurs fonctions, tandis que d'autres responsables se trouvant dans une situation analogue, tels que les présidents des conseils des ordres professionnels ou d'autres juges élus, tels que ceux des conseils de prud'hommes, ne font pas l'objet des mêmes restrictions.

B. - Pour des raisons analogues à celles qui ont été exposées plus haut à propos du rapprochement entre parlementaires nationaux et représentants au Parlement européen, le raisonnement fondé sur une comparaison entre les élus consulaires et d'autres catégories de citoyens qui auraient pu faire l'objet de dispositions de ce type n'emporte pas l'adhésion.

En revanche, il est vrai que l'on peut s'interroger sur le caractère adéquat, en lui-même, de la règle d'incompatibilité édictée en l'espèce : même si les chambres consulaires (c'est-à-dire, compte tenu des travaux préparatoires, les chambres de commerce et les chambres des métiers) et les chambres d'agriculture sont, au sens de l'article LO 145 du code électoral, des établissements publics nationaux, parce qu'elles relèvent de l'Etat (cf. la décision no 98-17 I du 28 janvier 1999), leur ressort n'en est pas moins géographiquement limité. Il en va de même pour celui dans lequel les juges des tribunaux de commerce exercent leurs fonctions.

IV. - Sur les dispositions applicables à l'outre-mer

A. - Le titre IV de la loi insère, dans les textes applicables à chacune des collectivités d'outre-mer régie par des dispositions spécifiques, des dispositions permettant de tirer les conséquences des choix opérés, d'une part par les autres articles de la même loi, d'autre part par ceux de la loi organique prévoyant une assimilation entre le mandat de conseiller général et certains des mandats au sein des institutions propres de ces collectivités.

Pour contester ces dispositions, les sénateurs, auteurs de la seconde saisine, font valoir qu'elles empiètent, de manière générale, sur le domaine de la loi organique résultant des articles 74 et 77 de la Constitution. Les députés et sénateurs requérants relèvent en outre une contradiction entre l'article 25 de la loi ordinaire et l'article 12 de la loi organique, en ce qui concerne la compatibilité entre les fonctions de maire et celles de membre du gouvernement de la Polynésie française.

B. - Le premier moyen des sénateurs ne saurait être retenu, dès lors qu'il appartient a priori au législateur ordinaire d'édicter de telles dispositions, sans qu'il en résulte nécessairement un empiétement sur le domaine de la loi organique. En l'espèce, le législateur ordinaire a défini des incompatibilités applicables aux fonctions de maire, qui relèvent de sa compétence, et il a entendu tirer les conséquences des assimilations auxquelles la loi organique a procédé. Or une loi ordinaire qui se borne à appliquer une règle posée par une loi organique ne saurait être déclarée contraire à la Constitution (no 86-217 DC du 18 septembre 1986).

En revanche, il est exact que, ce faisant, la loi n'a pu, pour les raisons, déjà évoquées, tenant à la procédure parlementaire, prendre en compte la modification apportée à la loi organique par un amendement parlementaire devenu l'article 12, qui excepte les fonctions de maire de l'assimilation des fonctions de membre du gouvernement de la Polynésie française autre que son président, à celles de président de conseil général, à laquelle procède l'article 11. Il en résulte que l'article 25 de la loi ordinaire se trouve en contradiction avec ces dispositions, en tant qu'il rend les fonctions de maire d'une commune de ce territoire incompatibles avec celles de membre du gouvernement.

On se doit, enfin, de relever qu'une contradiction de même nature ressort du rapprochement de l'article 27, relatif aux incompatibilités affectant le mandat de maire d'une commune de Nouvelle-Calédonie, avec l'article 112 de la loi organique du 19 mars 1999, dont le dernier alinéa assimile les seules fonctions de président du gouvernement de cette collectivité, et non celles de membre, à celles de président de conseil général.LOI RELATIVE A LA LIMITATION DU CUMUL DES MANDATS ELECTORAUX ET DES FONCTIONS ELECTIVES ET A LEURS CONDITIONS D'EXERCICE

Les sénateurs soussignés demandent au Conseil constitutionnel de déclarer contraire à la Constitution la totalité des dispositions de la loi concernant les incompatibilités, à l'exception de celles qui limitent à deux mandats électifs les cumuls possibles, sur la base des arguments suivants :

A. - L'interdiction du cumul de deux fonctions électives est contraire à la Constitution

1o La loi susvisée est contraire aux dispositions des articles 5 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dans la mesure où elle interdit le cumul de deux fonctions électives. La loi du 30 septembre 1985 ne portait pas atteinte à ce principe du fait qu'il était possible de cumuler deux fonctions.

2o Si la loi peut limiter le cumul à deux mandats locaux, ce qui était déjà partiellement le cas depuis le 30 décembre 1985, bien que le mandat de conseiller municipal n'était pas pris en compte, elle ne peut pas limiter le cumul des fonctions électives sans porter atteinte à un principe fondamental reconnu par les lois de la République (code des communes de 1884, loi sur les conseils généraux de 1871) selon lequel tout élu d'une assemblée territoriale peut être élu aux fonctions exécutives de cette assemblée. Le principe a d'ailleurs été reconnu de fait par la loi du 30 décembre 1985 du fait que les fonctions d'adjoint au maire des communes de plus de 100 000 habitants peuvent être assimilées à celles de maire de communes moins peuplées.

3o La limitation du cumul des fonctions n'est pas conforme aux dispositions de l'article 5 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. En effet, le cumul des fonctions ne peut pas être considéré comme nuisible à la société puisque, élection après élection, les électeurs ont validé cette pratique et l'ont toujours considérée comme faisant partie de la tradition républicaine.

4o La limitation du cumul des fonctions est également contraire aux dispositions de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui prévoit que tous les citoyens étant égaux devant la loi, sont tous également admissibles à toute dignité, place et emploi public, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leur vertu et de leur talent.

5o La limitation du cumul de fonctions est aussi contraire à l'article 72 de la Constitution selon lequel les collectivités territoriales s'administrent librement, dans le cadre certes de la loi qui ne doit pas alors procéder à une atteinte de cette libre administration dont le choix de chef de l'exécutif par l'ensemble de l'assemblée fait partie intégrante, quel que soit le statut de ce dernier au sein de cette assemblée.

6o La limitation du cumul de fonctions constitue en fait une véritable inéligibilité. Or, l'inéligibilité ne s'applique qu'en cas de sanction (art. LO 128, 129, 130 et L. 230) ou qu'en cas d'exercice de fonctions d'autorité et de représentant de l'Etat (art. LO 130-1, 131, L. 230-1 et 231). En l'espèce, l'incompatibilité constitue une inéligibilité de fait qui ne trouve son fondement ni dans la sanction pénale ni dans l'exercice des fonctions d'autorité incompatible avec celles d'élu local.

7o L'incompatibilité de deux fonctions électives constitue en réalité une situation différente entre élus : ceux qui peuvent être à la tête de l'exécutif et ceux qui ne le peuvent pas en raison de leurs fonctions exécutives dans une autre assemblée, à moins de démissionner pour assurer leur nouvelle fonction et cela, indéfiniment s'ils sont constamment réélus dans l'une et l'autre.

8o L'incompatibilité pourrait être possible si l'exécutif d'une assemblée territoriale était élu au suffrage universel direct. Or, le chef de l'exécutif territorial est l'élu d'élus qui, détenant le mandat du peuple souverain, ne peuvent pas voir leur choix limité à telle ou telle catégorie de membre du conseil dont ils font partie.

9o Des discriminations inacceptables apparaissent dans le fait que certaines fonctions exécutives sont cumulables et d'autres pas : en conjuguant les dispositions de la loi de 1985 et celle de 2000, il est possible d'être président de conseil général ou régional et adjoint au maire d'une commune de moins de 100 000 habitants, président de structure intercommunale à fiscalité propre ou d'établissements publics intercommunaux ; de même, il est possible d'être maire d'une commune et premier vice-président de l'assemblée régionale ou départementale. A l'inverse, le maire d'une commune de moins de 3 500 habitants ne pourra pas être président du conseil régional ou départemental sauf s'il est parlementaire car celui-ci relève de la seule loi organique. Pour ce qui le concerne, ce sont donc les dispositions qu'elle contient qui lui sont applicables. Par nature, ces dispositions organiques sont supérieures à celles de la loi ordinaire.

10o Des incohérences entre la loi organique et la loi ordinaire apparaissent du fait qu'un parlementaire national pourra être président d'un conseil régional ou général et maire d'une commune de moins de 3 500 habitants ce qui sera impossible pour l'élu local. Ces incohérences ne peuvent pas être levées en combinant les dispositions des deux lois car, en application de l'article 25 de la Constitution, le régime des incompatibilités des parlementaires relève de la seule loi organique, supérieure à la loi ordinaire. La loi ordinaire ne peut donc édicter une incompatibilité applicable à un parlementaire.

11o Plus important encore est le fait que la limitation du cumul des fonctions est maintenant contraire aux dispositions de l'article 88-3 de la Constitution, qui précise que seuls les conseillers municipaux, ressortissants d'un autre Etat membre de l'Union européenne ne peuvent pas être élus maire ou adjoint. Par voie de conséquence, et a contrario, seule la Constitution peut dorénavant interdire à un élu d'une collectivité territoriale, quelles que soient ses fonctions ou son statut d'être élu à la tête de l'exécutif d'une assemblée territoriale dont il est membre.

12o En conséquence, les sénateurs soussignés demandent que soient déclarées contraires à la Constitution les dispositions des articles 7 à 23 de la loi qui interdisent le cumul des fonctions.

B. - Les incompatibilités concernant les députés européens

13o Les dispositions concernant les députés européens qui leur interdisent d'être maire, président de conseil général ou de conseil régional constituent un abus de restriction qui porte atteinte à la liberté des citoyens et à la liberté de l'élu.

14o Cette incompatibilité ne résulte pas d'une disposition constitutionnelle qui en l'espèce aurait dû s'imposer puisque toutes les autres catégories d'élus peuvent être élus à la tête d'un exécutif local. Or, les députés européens comme les autres élus émanent du suffrage universel et sont comme les autres élus des représentants du peuple souverain (décision du Conseil constitutionnel du 30 décembre 1976).

15o Des incohérences inadmissibles du point de vue de l'égalité apparaissent puisqu'un député européen italien élu en France pourrait être maire de sa commune en Italie, alors que son colistier français ne pourrait pas l'être (décision du Conseil constitutionnel du 29-30 décembre 1976, Assemblée européenne).
16o Cette incompatibilité n'est pas justifiée par le fait qu'elle concernerait des mandats ou des fonctions liés à la citoyenneté française.

17o Cette incompatibilité ne repose sur aucune considération d'intérêt général appelant des dispositions spécifiques (décision du Conseil constitutionnel du 30 août 1984, Polynésie française et 30 août 1984, Nouvelle-Calédonie).

18o Cette incompatibilité crée une inégalité par rapport aux autres catégories d'élus. Elle crée une atteinte intolérable à l'exercice du mandat électif et ne trouve aucune justification fondée sur l'intérêt général.
19o Cette incompatibilité crée une discrimination par rapport aux députés et aux sénateurs nationaux et par rapport au statut des députés européens ressortissant d'un autre Etat.

20o Pour toutes ces raisons les sénateurs soussignés demandent au Conseil constitutionnel que soient déclarées contraires à la Constitution les dispositions des articles 7 à 23 de la loi qui concernent les députés européens.

C. - Les nouvelles incompatibilités

21o L'incompatibilité qui frappe les présidents des chambres consulaires et des chambres d'agriculture porte atteinte au principe d'égalité, constitue une discrimination par rapport à des responsabilités analogues non visées par la loi et nie le principe de liberté de choix de l'électeur.

22o Cette incompatibilité est d'abord une incompatibilité générale puisqu'elle couvre l'ensemble du territoire et toutes les assemblées territoriales, ainsi que les élections européennes, ce qui signifie qu'un président de chambre de commerce ne peut être élu nulle part et ne peut donc pas être élu dans un conseil général ou régional ou dans une municipalité où il n'exerce pourtant pas ses fonctions. Il y a là une discrimination inacceptable.

23o Cette incompatibilité est discriminatoire, car elle ne vise pas des responsables qui se trouvent dans une situation analogue comme les présidents de conseil de l'ordre (médecins, avocats, architectes, experts-comptables) ou de chambre professionnelle (notaires et huissiers) ou responsables de fédérations sportives.

24o L'adhésion à ces chambres est obligatoire et touche non seulement les commerçants, artisans et agriculteurs mais aussi des entreprises. Dès lors, cette incompatibilité vise à exclure le monde des affaires et de l'agriculture de la représentation locale.

25o Cette discrimination est contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel et en particulier aux décisions du 27 décembre 1973 (taxation d'office) et du 16 janvier 1982 (nationalisation) car elle rompt avec le principe d'égalité et sépare professionnellement les citoyens en excluant de fait les représentants élus de certaines professions de la possibilité d'être élu local.

26o Les membres des chambres consulaires et d'agriculture sont élus et leur président est élu par eux. L'incompatibilité qui frappe les présidents oublie qu'ils exercent une fonction collégiale et porte atteinte à la liberté de choix des membres de ces chambres dans l'élection de leur président. Cette disqualification vise à exclure des organes locaux la représentation professionnelle alors que les syndicats de salariés et les organes représentants des professions libérales ne sont pas visés. Il y a là une erreur manifeste d'appréciation, une atteinte au principe de proportionnalité et au principe d'égalité.

27o En conséquence, les sénateurs soussignés demandent que l'article 3 soit déclaré contraire à la Constitution.

28o Une analyse analogue doit être faite en ce qui concerne les dispositions relatives à l'incompatibilité des juges des tribunaux de commerce qui entraîne la rupture du principe d'égalité.

29o L'incompatibilité porte sur tout le territoire national et pour toutes les élections (à l'exception des élections parlementaires du fait de la loi organique) alors que de telles incompatibilités ne devraient le cas échéant porter que sur les collectivités qui relèvent du ressort de leur juridiction.

30o L'incompatibilité est discriminatoire, car elle ne vise pas les juges qui se trouvent dans des situations analogues : prud'hommes, membres des tribunaux paritaires des baux ruraux ou des commissions de première instance de la sécurité sociale. Là encore, seul le monde des affaires est visé comme si ce monde était incompatible avec la politique locale !

31o En conséquence, les dispositions de l'article 3 qui établissent cette incompatibilité doivent être déclarées contraires à la Constitution pour les mêmes raisons que ci-dessus.

32o De façon plus générale, le régime des incompatibilités ne doit pas déroger aux principes qui guident les incompatibilités qui affectent les parlementaires : elles doivent être justifiées par la nécessité de garantir l'indépendance de l'élu vis-à-vis du Gouvernement ou des autorités politiques dont il pourrait dépendre hiérarchiquement ou vis-à-vis des intérêts privés lorsqu'il dépend d'eux, ce qui n'est le cas ni des présidents de chambre, ni des juges consulaires.
33o Les présidents de chambres consulaires et d'agriculture, les juges des tribunaux de commerce sont des élus professionnels. L'élection est d'une nature fondamentalement différente de la désignation ou de la nomination (de fonctionnaires d'autorité par exemple, ou de magistrats professionnels). Tout élu au sein d'une association, d'un syndicat, d'un groupement professionnel serait donc disqualifié pour exercer au sein d'une collectivité territoriale des fonctions représentatives. Il y a là une dérive manifestement contraire à la Constitution en ce que par le biais des incompatibilités (qui deviennent de véritables inéligibilités), ce corps électoral se trouve réduit et des responsables compétents ou représentatifs, exclus.

34o Notre Constitution est imparfaite en ce qui concerne les incompatibilités. Si l'article 25 impose une loi organique pour les incompatibilités parlementaires, alors que l'article 34 limite la compétence du législateur au régime électoral des assemblées, il est bien évident que le régime des incompatibilités locales ne relève pas du domaine réglementaire. Il appartient donc en l'espèce au Conseil constitutionnel de préciser les relations entre l'article 25 et l'article 34 de la Constitution, en ce qui concerne les incompatibilités locales et les élections européennes.

35o Le régime des incompatibilités dans la tradition républicaine a toujours été établi par référence à celui des parlementaires. Il est donc conforme aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République de ne pas déroger pour les élus locaux par une loi ordinaire, sauf adaptation locale justifiée, aux dispositions de la loi organique qui traitent des incompatibilités des parlementaires.

36o Pour toutes ces raisons, pour violation réitérée du principe d'égalité, il convient donc de déclarer contraire à la Constitution, les dispositions de l'article 7.

D. - Outre-mer

37o Tous les développements qui précèdent concernent naturellement l'outre-mer et par voie de conséquence les dispositions des articles 25 et suivants de la loi concernant le cumul des fonctions, les incompatibilités avec le mandat de député européen et les autres incompatibilités doivent être déclarées contraires à la Constitution.

38o Le caractère discriminatoire, sans motif tiré de l'intérêt public, des dispositions de l'article 25, alinéa 6, de la loi, encourt naturellement la censure du Conseil constitutionnel. Ces dispositions interdisent aux membres du Gouvernement de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie d'être maire alors que de telles dispositions ne sont pas applicables aux ministres de la République française en fonction, aux parlementaires nationaux (en application de l'article 11 de la loi organique) et aux membres des bureaux de conseils généraux ou des conseils régionaux auxquels ils doivent être assimilés (décision du Conseil constitutionnel du 30 avril 1984 précitée).

39o Les dispositions du titre IV de la loi sont contraires aux dispositions de l'article 74 de la Constitution et à la loi organique sur la Polynésie française et à l'article 77, alinéa 3, en ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie. Le régime des incompatibilités doit être considéré comme relevant de l'organisation particulière de ces territoires et doit être fixé par une loi organique et non par une loi ordinaire et conformément à l'article 77, alinéa 3, seule une loi organique peut fixer les règles d'organisation des institutions du territoire de Nouvelle-Calédonie.

Les sénateurs signataires demandent au Conseil constitutionnel de bien vouloir annuler les dispositions incriminées de la loi adoptée par l'Assemblée nationale le 8 mars 2000.

(Liste des signataires : voir décision no 2000-426 DC.)LOI RELATIVE A LA LIMITATION DU CUMUL DES MANDATS ELECTORAUX ET DES FONCTIONS ELECTIVES ET A LEURS CONDITIONS D'EXERCICE

Les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d'exercice, afin qu'il lui plaise de déclarer la loi contraire à la Constitution, pour les motifs ci-après énoncés.

Les auteurs de la présente saisine sont conscients de l'utilité d'une définition stricte et précise du régime des incompatibilités, nécessaire au renouvellement de la vie politique. Attachés depuis toujours à la construction européenne et persuadés de l'importance des institutions communautaires et d'abord du Parlement européen, ils entendent également marquer leur adhésion à la règle, instaurée par la loi organique, de l'incompatibilité entre le mandat parlementaire national et celui de représentant au Parlement européen.

Mais en raison précisément de l'équivalence des missions des représentants de la nation au sein du Parlement français ou au sein du Parlement européen, ils contestent, pour violation du principe d'égalité, le régime différent qui leur est fait, en ce qui concerne les incompatibilités, en application de la loi sur le cumul des mandats.

Nul ne pourra être à la fois parlementaire européen et parlementaire national, l'obligation de choix illustrant assez la similarité des deux mandats. Pourtant, aux termes de la loi, le député européen se voit interdire d'exercer en même temps les fonctions de maire (quelle que soit la taille de la commune), de président d'un conseil général ou d'un conseil régional, alors qu'un parlementaire national conserve la possibilité d'être aussi chef de l'exécutif d'une collectivité territoriale. Le parlementaire européen conservera seulement la possibilité, dont dispose aussi le parlementaire national, d'exercer un seul mandat local, de conseiller municipal, conseiller général, conseiller de Paris, conseiller régional, ou conseiller à l'assemblée de Corse.

La loi consacrerait ainsi un régime d'incompatibilités plus sévère pour les parlementaires européens que pour les députés et les sénateurs. Cette contrainte pesant sur les parlementaires européens est de nature à dévaloriser le mandat et l'institution, en introduisant une discrimination avec les conditions d'exercice d'un mandat au sein du Parlement national, alors que les fonctions et les missions des représentants sont de même nature au Parlement européen et au Parlement national.
La présente saisine tend à contester ce régime défavorable et discriminatoire fait aux représentants au Parlement européen. Sont ainsi contestées les dispositions des articles 7 à 17 de la loi (figurant au titre II de la loi, dispositions modifiant le code général des collectivités territoriales), en tant qu'elles modifient les articles L. 2122-4, L. 3122-3 et L. 4133-3 CGCT pour interdire le cumul du mandat de maire, de président du conseil général ou de président du conseil régional avec celui de parlementaire européen.

Sont également contestées les dispositions de l'article 22 de la loi (figurant au titre III de la loi, dispositions modifiant la loi no 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants au Parlement européen), en tant qu'elles ajoutent à ladite loi du 7 juillet 1977 l'article 6-2, qui interdit à un parlementaire européen d'exercer la fonction de chef d'un exécutif local.

Sont de même contestées les dispositions des articles 25 à 31 figurant au titre IV de la loi, dispositions relatives à l'outre-mer, transposant les mêmes règles aux territoires d'outre-mer et aux collectivités à statut particulier d'outre-mer, en modifiant la loi no 77-1460 du 29 décembre 1977 modifiant le régime communal dans le territoire de la Polynésie française, le code des communes de la Nouvelle-Calédonie, le code des communes applicable à la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon et le code des communes applicable à Mayotte.
Les auteurs de la présente saisine contestent également une autre différenciation inscrite à l'article 22 de la loi déférée au Conseil constitutionnel, qui apparaît contraire au principe d'égalité. Contrairement au parlementaire national élu à un mandat incompatible, qui dispose d'une liberté de choix entre mandats, le parlementaire européen devrait renoncer à un mandat acquis antérieurement (sauf si l'incompatibilité provenait de son élection à un mandat de conseiller municipal d'une commune dont la population est inférieure au seuil déterminé par la loi, seul cas dans lequel sa liberté de choix est préservée, hypothèse prévue à l'article 2 de la loi).

Les auteurs de la présente saisine contestent par ailleurs, pour le même motif d'atteinte au principe d'égalité, les dispositions de la loi qui édictent, pour les titulaires de mandats locaux, une incompatibilité avec les fonctions de président d'une chambre consulaire ou d'agriculture (art. 3 de la loi) et avec les fonctions de juge des tribunaux de commerce (art. 7, 14 et 16 de la loi).

Enfin, les auteurs de la présente saisine contestent l'article 20 du projet de loi relatif à l'âge d'éligibilité des représentants français au Parlement européen, qui apparaît également contraire au principe d'égalité entre les ressortissants français et ceux des autres pays de l'Union européenne.

Les textes communautaires fixant le cadre général pour l'élection des représentants au Parlement européen mais laissant chaque Etat membre préciser les règles électorales pour cette consultation, c'est d'abord dans chaque Etat membre, entre mandats équivalents, que doit s'appliquer le principe d'égalité, pour garantir qu'il ne soit pas fait de discrimination excessive dans les conditions d'accès aux mandats et d'exercice des mandats, sans rapport avec leur objet.

L'Acte du 20 septembre 1976, annexé à la décision du même jour du Conseil des Communautés européennes, a fixé un cadre général en posant un certain nombre de règles pour l'élection au suffrage universel direct de l'Assemblée des Communautés européennes : le principe du vote unique (« nul ne peut voter plus d'une fois »), le calendrier général des opérations, le principe de la première réunion de plein droit et la succession des élections ultérieures. Si l'Acte du 20 septembre 1976 appelle, comme le font d'ailleurs les traités, à la définition, à terme, d'une procédure uniforme dans tous les Etats membres, il ne l'établit pas et renvoie, dans chaque Etat membre, à la législation nationale, pour la détermination des règles relatives à l'électorat, à l'éligibilité et au régime des incompatibilités, et enfin au mode de scrutin.

Les élections européennes suivent donc dans chaque pays des règles différentes, notamment pour ce qui est des modalités de scrutin (majoritaire ou proportionnel, collège unique ou circonscriptions...), comme pour les règles touchant aux incompatibilités. Le Parlement européen est chargé de la mise au point d'un texte définissant une procédure uniforme. Mais, dans l'attente de cette dernière, c'est d'abord dans le cadre national qu'il faut se placer pour apprécier si l'égalité est respectée entre mandats de même nature.

Les mandats parlementaires, national ou européen, sont substantiellement de même nature.

La fonction de représentation est foncièrement la même. Selon une longue tradition fondatrice de notre droit public, inscrite dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, l'élu, député ou sénateur, ne représente pas sa circonscription, mais la nation elle-même. Cette conception de son mandat, loin d'être une construction purement théorique, se traduit très pratiquement dans les conditions d'exercice de sa charge (liberté du mandat, interdiction du mandat impératif, etc.). Elle est au coeur de la conception républicaine et parlementaire de la démocratie.
Pour ce qui est du Parlement européen, l'élection au suffrage universel direct a amorcé une évolution institutionnelle fondamentale, celle du passage d'une représentation des peuples des Etats à la représentation du peuple des communautés. Aussi aujourd'hui le parlementaire européen ne représente-t-il pas le peuple de l'Union, mais, à l'instar du parlementaire national, son pays, et ceci dans les mêmes conditions de liberté du mandat. Cela est d'ailleurs conforme aux termes mêmes des traités, selon lesquels le Parlement européen est composé de représentants des peuples des Etats réunis dans les communautés.

C'est aussi précisément ce qu'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision no 76-71 DC du 30 décembre 1976 relative à la décision du Conseil des Communautés européennes du 20 septembre 1976. Dans cette affaire, le Conseil constitutionnel a tranché le point de savoir si la décision du Conseil du 20 septembre 1976, relative à l'élection au suffrage universel direct de l'Assemblée des Communautés européennes, comportait une clause contraire à la Constitution. La réponse négative qu'il a donnée repose sur l'idée que la décision soumise à son examen et l'acte y annexé ne soulèvent pas de problème de souveraineté mais s'analysent uniquement comme définissant un mode de désignation des représentants français à l'Assemblée des Communautés européennes, dont les attributions ne se trouvent pas élargies. C'est ce qui conduit le Conseil constitutionnel à conclure au quatrième considérant de sa décision que « l'élection au suffrage universel direct des représentants des peuples des Etats membres à l'Assemblée des Communautés européennes n'a pour effet de créer ni une souveraineté ni des institutions dont la nature serait incompatible avec le respect de la souveraineté nationale, non plus que de porter atteinte aux pouvoirs et aux attributions des institutions de la République ».

Au-delà de leur fonction de représentation, les missions des parlements nationaux et européens sont similaires. Les institutions communautaires ayant considérablement évolué, dans le sens même de l'intégration conforme au projet initial de construction de l'Europe, le Parlement européen, élu au suffrage universel direct depuis 1979, en application de l'Acte du 20 septembre 1976, prend sa place au premier rang des institutions communautaires, avec un rôle similaire à celui du parlement national d'un régime démocratique. Expression des différents courants politiques, vote du budget et élaboration de la loi, contrôle de l'exécutif, comme l'a illustré la récente démission de la Commission européenne, les missions des parlements nationaux et du Parlement européen sont largement équivalentes. Par ailleurs, en raison de la progression de la construction européenne, les mêmes questions intéressent les deux parlements. Comme le notait dès 1984 le rapport Lamassoure, la moitié des textes examinés par les parlementaires nationaux avaient été débattus dans les instances communautaires.

Pour toutes ces raisons, les mandats parlementaires, européen ou national, sont marqués par une profonde similarité, tandis qu'ils se distinguent des mandats locaux. Cette équivalence des missions des parlementaires nationaux et européens appelle un régime des incompatibilités qui soit similaire sinon unique.

La différence de traitement faite par la loi contestée aux parlementaires européens, par rapport à la situation des parlementaires nationaux inscrite dans la loi organique, ne se justifie nullement au regard des principes rappelés par le Conseil constitutionnel en matière d'égalité devant la loi.

Selon la formule même employée depuis la décision no 87-232 DC du 7 janvier 1988, mutualisation du crédit agricole, par le Conseil constitutionnel, « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement soit en rapport avec l'objet de la loi ».

La différence de traitement doit répondre à une différence de situation objective et rationnelle, selon le critère premier de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et des autres juridictions compétentes, sur le principe d'égalité, illustré par de nombreuses décisions (CJCE, 19 octobre 1977, SA Moulins et huileries de Pont-à-Mousson, aff. 124176 ; CC décision no 83-164 DC du 29 décembre 1983, Perquisitions fiscales, p. 67 ; CE assemblée, 13 juillet 1962, Conseil national de l'ordre des médecins, p. 479). Or la similarité des missions et des fonctions de représentation du peuple français, qui sont celles des parlementaires nationaux et des représentants au Parlement européen, est au contraire marquée.

On objectera que les deux emplois ne sont cependant pas identiques, ce qui peut justifier une certaine différenciation des règles applicables en matière d'incompatibilités. Des différenciations pourraient certes être admises, en raison d'une différence de situation suffisamment nette pour justifier une différence de traitement, la différence de traitement devant être en rapport avec la différence de situation, et non pas disproportionnée. Mais ici le régime des incompatibilités est radicalement différent pour les parlementaires nationaux et européens, sans que cette différence de sévérité se justifie par la différence de leur mandat, pour ce qui concerne l'interdiction d'exercer simultanément les fonctions de chef de l'exécutif d'une collectivité territoriale.

Une différenciation ne pourrait d'ailleurs être justifiée qu'à la condition que la différence de traitement soit en rapport avec l'objectif d'intérêt général poursuivi par la loi (CC, décision précitée no 87-232 DC du 7 janvier 1988, mutualisation du Crédit agricole ; décision no 94-348 DC du 3 août 1994, institution de retraite complémentaire ; décision no 95-363 DC du 11 janvier 1995 censurant la distinction faite entre dépenses électorales faites avant ou après promulgation de la loi ; décision no 94-357 DC du 25 janvier 1995 validant l'extension des possibilités d'embauche ouvertes aux associations intermédiaires ; décision no 95-369 DC du 28 décembre 1995 censurant une réforme fiscale prévoyant un abattement de 50 % sur la valeur de biens professionnels transmis à titre gratuit entre vifs ou pour cause de décès, au motif que l'égalité entre contribuables était rompue sans que cela soit en relation avec l'objectif d'intérêt général poursuivi par la loi, à savoir la pérennité des PME, etc.).

Ainsi, par exemple, l'incompatibilité entre le mandat de parlementaire européen et les fonctions non électives au sein de la Commission européenne, prévue par la loi, se conçoit aisément, en raison même de la séparation des pouvoirs et pour préserver l'indépendance des parlementaires. Il ne serait pas anormal que l'exclusion d'occuper un poste à la Commission s'applique aux seuls parlementaires européens, tant cette séparation des pouvoirs s'impose d'elle-même. Rien de tel ne justifie en revanche l'exclusion, pour les seuls parlementaires européens, de l'exercice d'un mandat de maire (et ce quelle que soit la taille de la commune) ou d'un mandat de président de conseil général ou de conseil régional.

On ne perçoit pas davantage ce qui justifierait de priver le parlementaire européen de sa liberté de choix entre mandats incompatibles, que conserve le parlementaire national, en cas d'acquisition d'un mandat incompatible autre que celui de parlementaire européen.
A cet égard, il paraît tout aussi injustifiable au regard du principe d'égalité de ne pas laisser aux élus locaux le choix du mandat qu'ils abandonneront s'ils sont élus au Parlement européen ou à tout autre mandat local qui les placerait en situation d'incompatibilité, à la différence de ceux élus parlementaires nationaux.

Il faut noter d'ailleurs que, selon une jurisprudence constante tant du Conseil constitutionnel que du Conseil d'Etat, les incompatibilités sont d'interprétation stricte, reflétant en cela que la liberté électorale est la règle et que la limitation de cette liberté doit s'apprécier restrictivement (décision no 96-16 I du 19 décembre 1996, M. Gentien, et nombreuses autres décisions antérieures).
Cela va dans le sens d'une appréciation stricte des différences de situation qui seraient de nature à justifier un régime plus sévère d'incompatibilités pour les représentants au Parlement européen que pour les parlementaires nationaux.
Cela signifie aussi que l'incompatibilité ne saurait avoir pour effet d'interdire à la personne concernée de se présenter à un suffrage, ni de brider sa liberté de choix, qui doit rester entière.

Le législateur a jusqu'à présent veillé à traiter également, pour le cumul des mandats, parlementaires nationaux et parlementaires européens, alors même que leur régime relève, pour les premiers, de la loi organique, et, pour les seconds, de la loi ordinaire. Le législateur ne saurait aujourd'hui sans méconnaître à la fois le principe d'égalité et la hiérarchie des normes modifier radicalement le régime d'incompatibilité applicable aux seuls représentants au Parlement européen.

L'élection au suffrage universel direct des représentants au Parlement européen qui date de 1979, en application de l'Acte du 20 septembre 1976, n'était pas inscrite dans la Constitution du 4 octobre 1958. C'est à cette circonstance historique que l'on doit d'avoir deux régimes différents pour l'organisation des élections parlementaires, nationales et européennes, les premières relevant seules de la loi organique.
Pourtant le législateur, conscient de la similarité des mandats, a veillé à respecter le principe d'égalité en définissant les régimes applicables à ces mandats des représentants de la nation ; les débats parlementaires sont particulièrement éclairants sur ce point et montrent l'accord de tous, sur le principe d'une égalité de traitement. La circonstance que les régimes d'incompatibilité relèvent de deux textes différents ne suffit donc pas à permettre que ces régimes s'écartent durablement et de manière radicale .

Le respect de la hiérarchie des normes suppose alors nécessairement que l'on ne puisse refondre le régime des incompatibilités inscrit dans la loi ordinaire pour les parlementaires européens, sans avoir procédé préalablement à une réforme similaire de la loi organique intéressant députés et sénateurs.

Ainsi, pour les raisons exposées ci-dessus, il est nécessaire de définir des régimes similaires d'incompatibilités, traitant également parlementaires européens et parlementaires nationaux, quant à l'exercice simultané de mandats locaux, et leur laissant la liberté de choix entre mandats incompatibles. Cette recherche d'une égalité devant la loi apparaît aussi comme une condition de l'égalité du suffrage, dont la jurisprudence du Conseil constitutionnel a fait une application particulièrement féconde.

L'égalité du suffrage est affirmée à l'article 3, alinéa 3, de la Constitution du 4 octobre 1958, aux termes duquel : « le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret ». Ces dispositions s'appliquent d'abord aux élections par lesquelles s'exprime la souveraineté nationale, dont l'article 3 de la Constitution dit qu'elle appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. L'égalité du suffrage qui exclut le vote plural s'oppose aussi à toute division par catégorie des électeurs ou des éligibles (décision no 82-146 DC du 18 novembre 1982).

Les auteurs de la présente saisine contestent également, pour le même motif d'atteinte au principe d'égalité, les dispositions de la loi qui édictent, pour les titulaires de mandats locaux, une incompatibilité avec les fonctions de président des chambres consulaires et d'agriculture (art. 3 de la loi) et les fonctions de juge des tribunaux de commerce (art. 7, 14 et 16 de la loi). Edicter une incompatibilité sur l'ensemble du territoire national, et non pas limitée au ressort où sont exercées les fonctions mentionnées ci-dessus, apparaît disproportionné au regard de l'objectif poursuivi. De plus, il en résulterait une différence de traitement injustifié des présidents de chambres consulaires ou d'agriculture et des juges des tribunaux de commerce au regard des incompatibilités actuellement prévues par le code électoral concernant les mandats locaux, lesquelles sont limitées dans leur champ d'application géographique.
Par ailleurs, les auteurs de la présente saisine contestent l'article 20 du projet de loi relatif à l'âge d'éligibilité des représentants français au Parlement européen. En effet, l'âge d'éligibilité au mandat européen reste fixé à vingt-trois ans pour les ressortissants français, alors qu'il serait de dix-huit ans pour les ressortissants des autres pays de l'Union européenne, qui se sont vu accorder le droit de vote et d'éligibilité à ces élections par la loi no 77-729 du 7 juillet 1977. Cette différence de traitement apparaît injustifiable au regard du principe d'égalité.

Les auteurs de la présente saisine attirent enfin l'attention du Conseil constitutionnel sur les dispositions de l'article 25 de la loi, qui rend incompatibles les fonctions de maire avec celles de membre du gouvernement de la Polynésie française, en contrariété avec la disposition prévue à l'article 12 de la loi organique.

Pour ces motifs et pour tout autre que les auteurs de la présente saisine se réservent d'invoquer et de développer, il est demandé au Conseil constitutionnel de déclarer non conforme à la Constitution la loi relative à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d'exercice.

(Liste des signataires : voir décision no 2000-426 DC.)


Références :

DC du 30 mars 2000 sur le site internet du Conseil constitutionnel
DC du 30 mars 2000 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Loi relative à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d'exercice (Nature : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées)


Publications
Proposition de citation: Cons. Const., décision n°2000-426 DC du 30 mars 2000

RTFTélécharger au format RTF
Origine de la décision
Date de la décision : 30/03/2000
Date de l'import : 23/03/2016

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro de décision : 2000-426
Numéro NOR : CONSTEXT000017664400 ?
Numéro NOR : CSCL0004038S ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.constitutionnel;dc;2000-03-30;2000.426 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award