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07/08/2014 | FRANCE | N°2014-696

France | France, Conseil constitutionnel, 07 août 2014, 2014-696


Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à l'article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de la loi relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales, le 18 juillet 2014, par MM. Christian JACOB, Damien ABAD, Élie ABOUD, Yves ALBARELLO, Mme Laurence ARRIBAGÉ, MM. Olivier AUDIBERT-TROIN, Étienne BLANC, Xavier BRETON, Jérôme CHARTIER, Guillaume CHEVROLLIER, Alain CHRÉTIEN, Éric CIOTTI, Philippe COCHET, Jean-Louis COSTES, Mme Marie-Christine DALLOZ, MM. Lucien DEGAUCHY, Rémy DELATTE, Patrick DEVEDJIAN, Nicol

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Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à l'article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de la loi relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales, le 18 juillet 2014, par MM. Christian JACOB, Damien ABAD, Élie ABOUD, Yves ALBARELLO, Mme Laurence ARRIBAGÉ, MM. Olivier AUDIBERT-TROIN, Étienne BLANC, Xavier BRETON, Jérôme CHARTIER, Guillaume CHEVROLLIER, Alain CHRÉTIEN, Éric CIOTTI, Philippe COCHET, Jean-Louis COSTES, Mme Marie-Christine DALLOZ, MM. Lucien DEGAUCHY, Rémy DELATTE, Patrick DEVEDJIAN, Nicolas DHUICQ, Jean-Pierre DOOR, David DOUILLET, Mme Virginie DUBY-MULLER, M. Georges FENECH, Mme Marie-Louise FORT, MM. Yves FOULON, Marc FRANCINA, Hervé GAYMARD, Guy GEOFFROY, Daniel GIBBES, Franck GILARD, Georges GINESTA, Charles-Ange GINESY, Philippe GOSSELIN, Mmes Claude GREFF, Arlette GROSSKOST, MM. Michel HEINRICH, Patrick HETZEL, Denis JACQUAT, Jacques KOSSOWSKI, Mme Valérie LACROUTE, MM. Guillaume LARRIVÉ, Charles de LA VERPILLIÈRE, Marc LE FUR, Pierre LELLOUCHE, Pierre LEQUILLER, Philippe LE RAY, Mmes Geneviève LEVY, Véronique LOUWAGIE, MM. Gilles LURTON, Thierry MARIANI, Alain MARSAUD, Jean-Claude MATHIS, Philippe MEUNIER, Jean-Claude MIGNON, Yannick MOREAU, Pierre MOREL-A-L'HUISSIER, Mme Dominique NACHURY, MM. Edouard PHILIPPE, Jean-Frédéric POISSON, Frédéric REISS, Camille de ROCCA-SERRA, Mme Sophie ROHFRITSCH, MM. Paul SALEN, François SCELLIER, Mme Claudine SCHMID, MM. Jean-Charles TAUGOURDEAU, Jean-Marie TETART, François VANNSON, Patrice VERCHÈRE, Jean-Pierre VIGIER, Philippe VITEL et Michel VOISIN, députés.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code pénal ;

Vu le code de commerce ;

Vu le code des douanes ;

Vu le code monétaire et financier ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne ;

Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 29 juillet 2014 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que les députés requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales ; qu'ils mettent en cause la conformité à la Constitution de ses articles 19 et 22 ;

- SUR LES ARTICLES 19 ET 22 :

2. Considérant que le paragraphe I de l'article 19 de la loi insère notamment dans le code pénal un article 131-4-1 qui prévoit que l'auteur d'un délit puni d'une peine d'emprisonnement d'une durée inférieure ou égale à cinq ans peut être condamné à la peine de contrainte pénale lorsque sa personnalité et sa situation matérielle, familiale et sociale et les faits de l'espèce justifient « un accompagnement socio-éducatif individualisé et soutenu » ; que son paragraphe II étend la contrainte pénale à tous les délits à compter du 1er janvier 2017 ;

3. Considérant que le deuxième alinéa de l'article 131-4-1 dispose : « La contrainte pénale emporte pour le condamné l'obligation de se soumettre, sous le contrôle du juge de l'application des peines, pendant une durée comprise entre six mois et cinq ans et qui est fixée par la juridiction, à des mesures de contrôle et d'assistance ainsi qu'à des obligations et interdictions particulières destinées à prévenir la récidive en favorisant son insertion ou sa réinsertion au sein de la société » ; que les troisième à septième alinéas de l'article 131-4-1 prévoient les mesures de contrôle auxquelles le condamné à la contrainte pénale est soumis de plein droit et les obligations et interdictions particulières auxquelles il peut être soumis par décision de la juridiction de jugement, si elle dispose d'éléments d'information suffisants sur la personnalité du condamné et sur sa situation matérielle, familiale et sociale ou, à défaut, par le juge de l'application des peines ; que ce juge peut également modifier, supprimer ou compléter les obligations et interdictions décidées par la juridiction de jugement ; qu'en outre, le condamné peut bénéficier des aides qui peuvent être accordées, en vue de leur reclassement social, aux personnes soumises au régime du sursis avec mise à l'épreuve ;

4. Considérant que l'article 131-4-1 prévoit également que, lorsqu'elle prononce la contrainte pénale, la juridiction de jugement fixe la durée maximale de l'emprisonnement encouru par le condamné en cas d'inobservation des obligations et interdictions auxquelles il est astreint ; que cet emprisonnement ne peut excéder deux ans ni le maximum de la peine d'emprisonnement encourue ; que le dernier alinéa de cet article dispose que la condamnation à la contrainte pénale est exécutoire par provision ;

5. Considérant que l'article 22 insère dans le code de procédure pénale les articles 713-42 à 713-48 relatifs à la contrainte pénale ; que les articles 713-42 à 713-44 fixent les modalités selon lesquelles, d'une part, le service pénitentiaire d'insertion et de probation évalue périodiquement la situation matérielle, familiale et sociale de la personne condamnée et, d'autre part, le juge de l'application des peines peut déterminer, modifier, supprimer ou compléter les obligations et interdictions auxquelles le condamné est soumis ou fixer les aides dont il bénéficie ; que l'article 713-45 permet au juge de l'application des peines, sur réquisitions conformes du procureur de la République, de mettre fin de façon anticipée à la contrainte pénale si le condamné a satisfait aux mesures, obligations et interdictions qui lui étaient imposées pendant au moins un an, que son reclassement paraît acquis et qu'aucun suivi ne paraît plus nécessaire ;

6. Considérant qu'aux termes de l'article 713-47 : « En cas d'inobservation par la personne condamnée des mesures de contrôle et d'assistance, des obligations ou des interdictions mentionnées à l'article 131-4-1 du code pénal qui lui sont imposées, le juge de l'application des peines peut, d'office ou sur réquisitions du procureur de la République, selon les modalités prévues à l'article 712-8 du présent code, modifier ou compléter les obligations ou interdictions auxquelles le condamné est astreint. Le juge de l'application des peines peut également procéder à un rappel des mesures, obligations et interdictions auxquelles est astreinte la personne condamnée.
« Si la solution prévue au premier alinéa du présent article est insuffisante pour assurer l'effectivité de la peine, le juge saisit, d'office ou sur réquisitions du procureur de la République, par requête motivée, le président du tribunal de grande instance ou un juge par lui désigné afin que soit mis à exécution contre le condamné tout ou partie de l'emprisonnement fixé par la juridiction en application du dixième alinéa de l'article 131-4-1 du code pénal. Le président du tribunal ou le juge par lui désigné, qui statue à la suite d'un débat contradictoire public conformément aux dispositions de l'article 712-6 du présent code, fixe la durée de l'emprisonnement à exécuter, laquelle ne peut excéder celle fixée par la juridiction. La durée de cet emprisonnement est déterminée en fonction de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale du condamné, de la gravité de l'inobservation des mesures, obligations et interdictions, ainsi que du délai pendant lequel la contrainte pénale a été exécutée et des obligations qui ont déjà été respectées ou accomplies. Lorsque les conditions prévues à l'article 723-15 sont remplies, le président du tribunal ou le juge par lui désigné peut décider que cet emprisonnement s'exécutera sous le régime de la semi-liberté, du placement à l'extérieur ou de la surveillance électronique.
« Lorsqu'il fait application du deuxième alinéa du présent article, le juge de l'application des peines peut, s'il l'estime nécessaire, ordonner l'incarcération provisoire du condamné en application des deux premiers alinéas de l'article 712-19. À défaut de tenue du débat contradictoire devant le président ou le juge par lui désigné dans un délai de quinze jours suivant l'incarcération du condamné, celui-ci est remis en liberté s'il n'est pas détenu pour une autre cause.
« Au cours de l'exécution de la contrainte pénale, le juge de l'application des peines peut faire application à plusieurs reprises du deuxième alinéa du présent article, dès lors que la durée totale des emprisonnements ordonnés ne dépasse pas celle fixée par la juridiction en application du dixième alinéa de l'article 131-4-1 du code pénal. Si la durée de l'emprisonnement ordonné est égale à cette durée ou, compte tenu le cas échéant des précédents emprisonnements ordonnés, atteint cette durée, la décision du président ou du juge par lui désigné met fin à la contrainte pénale » ;

7. Considérant que l'article 713-48 fixe les modalités selon lesquelles, si le condamné commet pendant la durée d'exécution de la contrainte pénale, un crime ou un délit suivi d'une condamnation à une peine privative de liberté sans sursis, la juridiction de jugement peut ordonner la mise à exécution de tout ou partie de l'emprisonnement prévu dans le cadre de la contrainte ;

8. Considérant que, selon les requérants, ces dispositions méconnaissent les principes de légalité, de proportionnalité et de nécessité des peines, le principe d'égalité devant la loi, le droit à une procédure juste et équitable devant une juridiction indépendante et impartiale et le principe de la séparation des autorités de poursuite et de jugement ;

. En ce qui concerne les griefs tirés de la violation du principe de légalité des peines :

9. Considérant que les requérants soutiennent que, par sa complexité, la peine de contrainte pénale, qui ne se distingue pas de la peine de sursis avec mise à l'épreuve et de la peine d'emprisonnement, soumet le justiciable à l'arbitraire du juge ; que le régime de la contrainte pénale emprunterait, par ailleurs, à des obligations qui peuvent être prononcées dans le cadre du suivi socio-judiciaire ou du sursis avec mise à l'épreuve ; que l'objet et les conditions du prononcé de cette peine ne seraient pas définis ; qu'il en résulterait une atteinte au principe de légalité des peines ;

10. Considérant que l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires... » ; qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant. . . la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables » ; qu'il en résulte que le législateur doit fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire ;

11. Considérant qu'il ressort des termes mêmes de l'article 19 de la loi déférée que la contrainte pénale constitue une peine correctionnelle encourue par l'auteur d'un délit puni d'une peine d'emprisonnement ; que la peine de contrainte pénale est constituée par l'obligation, pour le condamné, de se soumettre à des mesures de contrôle et d'assistance ainsi qu'à des obligations ou interdictions particulières pendant une durée fixée par la juridiction de jugement ; que, si l'effectivité de la peine ne peut être assurée par ces obligations et interdictions et en cas de méconnaissance de ces dernières, l'exécution de la peine de contrainte peut conduire à l'emprisonnement du condamné pour une durée maximale fixée également par la juridiction de jugement ;

12. Considérant que, par les dispositions contestées, le législateur a déterminé les cas et conditions dans lesquels le tribunal correctionnel peut prononcer cette peine ; qu'il a fixé la durée maximale de la contrainte, la liste des mesures de contrôle auxquelles le condamné est soumis de plein droit et celle des obligations et interdictions particulières auxquelles il peut être soumis par la juridiction de jugement ou le juge de l'application des peines ; qu'il a fixé la durée maximale de l'emprisonnement qui peut être exécuté par le condamné ainsi que les conditions et les modalités selon lesquelles l'exécution de cet emprisonnement peut être ordonnée ; que ces dispositions ne sont ni ambigües ni imprécises ; que, par suite, le grief tiré de la violation du principe de légalité des peines doit être écarté ;

. En ce qui concerne les griefs tirés de la violation des principes de nécessité et de proportionnalité des peines :

13. Considérant que, selon les requérants, l'objectif principal de réinsertion sociale poursuivi par la contrainte pénale serait contradictoire avec la nature essentiellement répressive de toute peine ; qu'en outre, la contrainte pénale serait manifestement disproportionnée aux faits qu'elle a vocation à réprimer en raison de sa finalité insuffisamment répressive et de son régime excessivement sévère ; qu'il en résulterait une atteinte aux principes de nécessité et de proportionnalité des peines ;

14. Considérant que l'article 61 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois déférées à son examen ; que, si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue ;

15. Considérant que la contrainte pénale pourra être prononcée pour tout délit puni d'une peine d'emprisonnement inférieure à cinq ans commis avant le 1er janvier 2017 ; qu'elle pourra être prononcée pour tout délit puni d'une peine d'emprisonnement commis postérieurement à cette date ; que la durée maximale de la contrainte est fixée à cinq ans ; que le condamné peut être soumis aux obligations et interdictions prévues par l'article 132-45 du code de procédure pénale en matière de sursis avec mise à l'épreuve, à l'obligation d'effectuer un travail d'intérêt général dans les conditions prévues par l'article 131-8 du code pénal, ainsi qu'au régime de l'injonction de soins dans les conditions prévues aux articles L. 3711-1 à L. 3711-5 du code de la santé publique ; que la durée maximale de l'emprisonnement encouru par le condamné en cas d'inobservation des obligations et interdictions auxquelles il est astreint ne peut excéder deux ans ou, si elle est inférieure, la durée de la peine d'emprisonnement encourue ; que ni l'existence d'une telle peine ni la circonstance que les obligations et interdictions ordonnées dans le cadre de cette peine sont destinées à prévenir la récidive en favorisant l'insertion ou la réinsertion du condamné au sein de la société ne méconnaissent les principes de nécessité et de proportionnalité des peines ;

. En ce qui concerne les griefs tirés de la violation du principe d'égalité :

16. Considérant que, selon les requérants, la limitation à deux ans de l'emprisonnement qui peut être mis à exécution dans le cadre de la contrainte pénale a pour effet d'instaurer un quantum maximum de peine différent pour une même infraction ; qu'il en résulterait une atteinte au principe d'égalité devant la loi ; que l'exécution provisoire dont la contrainte pénale serait assortie de plein droit, par dérogation à la règle qui prévaut pour toutes les autres peines, méconnaîtrait également ce principe ;

17. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi : « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; que si, en règle générale, ce principe impose de traiter de la même façon des personnes qui se trouvent dans la même situation, il n'en résulte pas pour autant qu'il oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes ;
18. Considérant que, d'une part, la faculté laissée au juge de prononcer une peine qui peut comporter un emprisonnement dont la durée maximale est inférieure au maximum de la peine encourue pour les faits réprimés ne méconnaît pas le principe d'égalité devant la loi ; que, d'autre part, l'exécution provisoire de la peine de contrainte pénale, applicable à toute condamnation à cette peine, ne porte aucune atteinte au principe d'égalité devant la loi ; que, par suite, le grief tiré de la violation du principe d'égalité doit être écarté ;

. En ce qui concerne les griefs tirés de la violation du principe d'impartialité des juridictions :

19. Considérant que, selon les requérants, compte tenu de la multiplicité des attributions du juge de l'application des peines qui peut définir les obligations auxquelles le condamné à la peine de contrainte pénale est soumis, qui en assure le suivi, le contrôle et les adaptations, qui saisit le président du tribunal aux fins de prononcer l'emprisonnement en cas de non-respect de la mesure de contrainte et qui peut placer le condamné en détention provisoire à cette occasion, les dispositions contestées méconnaissent le principe de séparation des autorités de poursuite et de jugement et le principe d'impartialité des juridictions ;

20. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; que le principe d'impartialité est indissociable de l'exercice de fonctions juridictionnelles ;

21. Considérant qu'en vertu des dispositions contestées, la peine de contrainte pénale est prononcée par la juridiction de jugement contre l'auteur du délit ; que cette juridiction fixe la durée de la contrainte pénale et le montant maximum de l'emprisonnement encouru par le condamné en cas d'inobservation des obligations et interdictions auxquelles il est astreint ; que, si elle dispose d'informations suffisantes sur la personnalité du condamné et sur sa situation matérielle, familiale et sociale, elle définit également les obligations et interdictions particulières auxquelles il est soumis ;

22. Considérant que, lorsque ces obligations et interdictions n'ont pas été fixées par la juridiction de jugement, il incombe au juge de l'application des peines de le faire au vu du rapport établi par le service pénitentiaire d'insertion et de probation ; que ce juge peut également modifier, supprimer ou compléter ces obligations et interdictions, notamment au regard de l'évolution du condamné au cours de l'exécution de la contrainte ; qu'en cas d'inobservation des mesures de contrôle et d'assistance ou de ces obligations et interdictions, et si ces dernières sont insuffisantes pour assurer l'effectivité de la peine, le juge de l'application des peines saisit, d'office ou à la demande du procureur de la République, le président du tribunal de grande instance ou son délégué afin que l'emprisonnement soit mis à exécution en tout ou partie dans la limite de la durée fixée par la juridiction de jugement ; que le juge de l'application des peines peut, s'il l'estime nécessaire, ordonner l'incarcération provisoire du condamné jusqu'au débat contradictoire devant le président du tribunal ou son délégué ; que, si ce débat n'intervient pas dans un délai de quinze jours, le condamné est remis en liberté s'il n'est pas détenu pour une autre cause ;

23. Considérant que la définition des compétences respectives de la juridiction de jugement, du juge de l'application des peines et du président du tribunal ou son délégué ne méconnaît ni le principe d'impartialité des juridictions ni le principe de séparation des autorités de poursuite et de jugement qui en résulte ; que les griefs tirés de la violation des exigences qui résultent de l'article 16 de la Déclaration de 1789 doivent être écartés ;

24. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les articles 19 et 22 de la loi déférée, qui ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, doivent être déclarés conformes à la Constitution ;

- SUR L'ARTICLE 49 :

25. Considérant que l'article 49 instaure une majoration de 10 % des amendes pénales, des amendes douanières et de certaines amendes prononcées par des autorités administratives ; que son paragraphe I insère dans le code de procédure pénale un article 707-6 aux termes duquel : « Les amendes prononcées en matière contraventionnelle, correctionnelle et criminelle, à l'exception des amendes forfaitaires, sont affectées d'une majoration de 10 % perçue lors de leur recouvrement.
« Cette majoration est destinée à financer l'aide aux victimes.
« Cette majoration n'est pas applicable lorsque les amendes sont majorées en application des articles L. 211-27 et L. 421-8 du code des assurances.
« Le montant de l'amende majorée bénéficie, s'il y a lieu, de la diminution prévue à l'article 707-3 du présent code en cas de paiement volontaire » ;

26. Considérant que le paragraphe II de cet article 49 insère dans le code des douanes un article 409-1 pour rendre l'article 707-6 du code de procédure pénale applicable aux amendes douanières ; que les paragraphes III, IV et V modifient le code monétaire et financier, le code de commerce et la loi du 12 mai 2010 susvisée afin d'instituer une majoration identique de 10 % sur les sanctions pécuniaires prononcées par l'autorité de contrôle prudentiel et de résolution, l'autorité des marchés financiers, l'autorité de la concurrence et l'autorité de régulation des jeux en ligne ;

27. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la Déclaration de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée » ; que le principe d'individualisation des peines qui découle de cet article implique que la peine d'amende ne puisse être appliquée que si le juge ou l'autorité compétente l'a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce ;

28. Considérant qu'il résulte des travaux préparatoires et des observations du Gouvernement que les majorations instituées par ces dispositions constituent des peines accessoires ; que ces peines sont appliquées automatiquement dès lors qu'est prononcée une peine d'amende ou une sanction pécuniaire prévue par ces dispositions sans que le juge ou l'autorité compétente ne les prononce en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce ; qu'elles méconnaissent les exigences constitutionnelles précitées ; que, par suite, l'article 49 doit être déclaré contraire à la Constitution ; qu'il en va de même, par voie de conséquence, des mots : « et 49 » figurant au paragraphe II de l'article 54, des mots : « les I à IV de l'article 49 » figurant au paragraphe I de l'article 55 et du paragraphe VII de l'article 55, qui sont relatifs à l'application de l'article 49 ;

29. Considérant qu'il n'y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d'office aucune autre question de constitutionnalité,

D É C I D E :

Article 1er.- Les articles 19 et 22 de la loi relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales sont conformes à la Constitution.

Article 2.- Sont contraires à la Constitution les dispositions suivantes de la même loi :
- l'article 49 ;
- les mots : « et 49 » figurant au paragraphe II de l'article 54 ;
- les mots : « les I à IV de l'article 49 » figurant au paragraphe I de l'article 55 ;
- le paragraphe VII de l'article 55.

Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 7 août 2014, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC et Hubert HAENEL.


Synthèse
Numéro de décision : 2014-696
Date de la décision : 07/08/2014
Loi relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales
Sens de l'arrêt : Non conformité partielle
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Saisine

Le Conseil constitutionnel a été saisi par plus de soixante députés d'un recours dirigé contre la loi relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales.

Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

***

Les députés auteurs du recours estiment que les articles 19 et 22 de la loi déférée, qui instituent une nouvelle peine de contrainte pénale, méconnaissent le principe de légalité des délits et des peines et le principe de nécessité des peines, qu'ils portent atteinte au principe d'égalité devant la loi, qu'ils méconnaissent le droit à un procès équitable et le principe d'impartialité des juridictions.

Ces griefs ne pourront qu'être écartés.

En premier lieu, contrairement à ce que soutiennent les députés requérants, la contrainte pénale constitue une peine qui a pour fonction, conformément aux dispositions du 1° de l'article 130-1 du code pénal, dans leur rédaction issue de la loi déférée, de sanctionner l'auteur de l'infraction.

Si elle a pour finalité de prévenir la récidive en favorisant l'insertion ou la réinsertion au sein de la société, la contrainte pénale présente à l'évidence un objet répressif. Elle permet, pendant une durée pouvant aller jusqu'à cinq ans, de placer sous contrôle le condamné, de prendre des mesures limitant ses droits et libertés, par exemple en lui interdisant de se rendre dans certains lieux ou d'exercer certaines activités professionnelles ou sociales, et de le contraindre à certains actes ou comportements, comme le respect d'une injonction de soins ou l'accomplissement d'un travail d'intérêt général.

S'il sera astreint à un accompagnement socio-éducatif plus individualisé et plus soutenu, le condamné à une contrainte pénale se trouvera dans la même situation qu'une personne condamnée, par exemple, à un travail d'intérêt général, à un stage de citoyenneté, à un sursis avec mise à l'épreuve ou à un sursis assorti de l'obligation d'accomplir un travail d'intérêt général, dont il n'a jamais été considéré qu'ils n'avaient aucun objet répressif.

De plus, en cas de non respect des obligations et interdictions auxquelles le condamné est astreint, il encourra un emprisonnement dont la durée maximale est fixée par la juridiction de jugement.

En deuxième lieu, il convient de relever que l'emprisonnement qui peut être prononcé dans le cadre de la contrainte pénale ne sanctionne pas l'infraction initiale mais l'inexécution, par le condamné, de la peine de contrainte pénale elle-même.

Le fait de sanctionner de façon spécifique l'inexécution d'une peine préalablement prononcée pour une précédente infraction existe de manière traditionnelle dans le droit pénal français. Cette inexécution constitue le plus souvent un délit autonome. Les articles 434-38 et suivants du code pénal punissent ainsi de deux ans d'emprisonnement la violation de différentes peines prononcées par une juridiction, comme l'interdiction d'exercer une activité professionnelle, l'interdiction de conduire un véhicule ou l'obligation d'exécuter un travail d'intérêt général.

Il est par ailleurs fréquent que le maximum encouru soit fixé par la juridiction de condamnation. Ce mécanisme est plus efficace car il évite d'engager des nouvelles poursuites pour une nouvelle infraction.

C'est le cas pour le suivi-socio-judiciaire, en application de l'article 131-36-1 du code pénal. C'est également le cas pour les peines alternatives ou complémentaires, en application des articles 131-9 et 131-11 du code pénal.

Il ne peut donc être soutenu que la contrainte pénale méconnaîtrait le principe « non bis in idem » ou instaurerait une double peine.

De même, il ne peut être soutenu que la limitation de la durée maximale d'emprisonnement à deux ans en cas de violation des obligations de la contrainte pénale instaurerait un quantum maximum de peine différent pour une même infraction.

Le tribunal pourra, pour les délits entrant dans le champ de la contrainte pénale, décider de prononcer une peine d'emprisonnement dans la limite du maximum prévu par la loi, qui est inchangé, ou, s'il l'estime mieux adaptée prononcer une contrainte pénale.

La contrainte pénale ne se distingue pas, de ce point de vue, des peines de travail d'intérêt général, de stage de citoyenneté, des peines alternatives de l'article 131-6 du code pénal ou des peines complémentaires prononcées à titre de peine principale en application de l'article 131-11. Lorsque le tribunal prononce ces peines, pour n'importe quel délit puni d'une peine d'emprisonnement d'une durée supérieure à deux ans, l'inexécution de la peine prononcée constitue un délit puni de deux ans d'emprisonnement en application des articles 434- 38 et suivant du code pénal ou peut être sanctionnée par le juge d'application des peines d'un emprisonnement fixé jusqu'à deux ans maximum par le tribunal qui a fait application des articles 131-9 et 131-11 du code pénal.

La loi déférée n'a donc ni pour objet, ni pour effet d'instaurer un quantum maximum de peine distinct de celui prévu par la loi.

En troisième lieu, contrairement à ce que soutiennent les députés requérants, la loi déférée définit avec précision la peine de contrainte pénale ainsi que les attributions des magistrats intervenant dans le prononcé et l'exécution de cette peine.

Elle définit la durée minimale et maximale de la contrainte pénale qui sera comprise entre six mois et cinq ans.

Elle définit avec précision les obligations qui pourront être imposées au condamné par la formation de jugement et le juge d'application des peines (obligations générales et obligations particulières énumérées par les articles 132-44 et 132-45 du code pénal, travail d'intérêt général et injonction de soins).

Elle définit la durée maximum de l'emprisonnement encouru en cas d'inobservation des obligations de la contrainte pénale qui est de deux ans ou, s'il est inférieur, le maximum de la peine encourue pour le délit considéré.

Elle définit également clairement les attributions respectives des magistrats appelés à statuer.

Le tribunal correctionnel décidera de prononcer la contrainte pénale en fonction de la personnalité du prévenu et des faits de l'espèce.

Il convient, à cet égard, de relever que la prise en compte des faits de l'espèce n'est pas incompatible avec le principe défini par le dernier alinéa de l'article 132-1 du code pénal, dans sa rédaction issue de la loi déférée, suivant lequel la juridiction devra déterminer « la nature, le quantum et le régime des peines prononcées en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur ».

Les dispositions du premier alinéa de l'article 131-4-1 du code pénal viennent seulement préciser et compléter ces dispositions générales, afin de mettre l'accent sur la nécessité d'individualiser au mieux la peine de contrainte pénale.

La notion de « faits de l'espèce » encourage le tribunal correctionnel à prendre en compte le contexte et la gravité relative de l'infraction mais aussi la nature des faits et les liens avec la personnalité de leur auteur pour déterminer si un accompagnement socio-éducatif individualisé et soutenu doit être imposé par le prononcé d'une contrainte pénale, pour fixer la durée de la contrainte et la durée maximale de l'emprisonnement encouru en cas de violation des obligations imposées au condamné.

Le tribunal fixera également le contenu des obligations s'il dispose d'éléments d'information suffisants sur la personnalité du condamné et sur sa situation matérielle, familiale et sociale. Tel peut être notamment le cas quand un ajournement pour investigations sur la personnalité aura été ordonné. Certaines obligations pourront également être prononcées immédiatement en raison de leur caractère de mesure de sûreté, comme l'interdiction de rencontrer la victime ou de paraître dans certains lieux.

Le juge d'application des peines assurera l'exécution de la peine de contrainte pénale. Après évaluation du service pénitentiaire d'insertion et de probation, il pourra fixer le contenu des obligations si le tribunal ne l'a pas fait et, dans le cas contraire, modifier, compléter ou supprimer ces obligations. Il pourra ensuite les adapter en cours d'exécution de la peine, et notamment après chaque évaluation, au moins annuelle.

En cas de non respect des obligations, il pourra procéder à un rappel à la loi, aggraver ces obligations ou, dans les cas les plus graves, saisir le président du tribunal ou un juge désigné par loi pour mise à exécution de l'emprisonnement, en ordonnant le cas échéant une incarcération provisoire. En cas d'incarcération du condamné pour un autre motif, il pourra ordonner la suspension de la contrainte pénale. Sur réquisitions conformes du procureur de la République, il pourra ordonner la cessation anticipée de la peine après un délai d'un an.

A cet égard, le Gouvernement estime que le principe de légalité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce qu'une partie du contenu de la peine soit fixée par le juge d'application des peines, dès lors qu'il statue dans le cadre précisément et préalablement défini par la loi. Cette forme de césure permet que la peine puisse être définie de manière complète après une évaluation du condamné par le service pénitentiaire d'insertion et de probation afin d'être la mieux adaptée à la situation matérielle, familiale et sociale du condamné.

On peut d'ailleurs relever que le juge d'application des peines peut d'ores et déjà modifier les obligations d'un sursis avec mise à l'épreuve fixées par le tribunal correctionnel en application des dispositions de l'article 739 du code de procédure pénale. Il peut également convertir une peine d'emprisonnement prononcée par le tribunal correctionnel en sursis assorti de l'obligation d'accomplir un travail d'intérêt général ou en jours amendes, en application des dispositions de l'article 132-57 du code pénal et des articles 733-1 et 747-1-1 du code de procédure pénale.

Le cas échéant, le président du tribunal de grande instance ou le juge par lui délégué ne sera appelé à se prononcer que sur la mise à exécution de l'emprisonnement encouru en cas de violation des obligations ou, en cas d'opposition du procureur de la République, sur la cessation anticipée de la peine.

En quatrième lieu, en créant la contrainte pénale, la loi déférée ne peut être regardée comme portant atteinte au principe de nécessité des peines.

Le simple fait que, dans le cadre d'une contrainte pénale, le juge puisse ordonner à la fois des obligations et interdictions prévues en matière de sursis avec mise à l'épreuve, l'obligation d'effectuer un travail d'intérêt général et une injonction de soins, ne peut être regardé comme une méconnaissance de ce principe.

En cinquième lieu, le fait que le juge d'application des peines puisse saisir le président du tribunal ou un juge par lui délégué aux fins de prononcer l'emprisonnement en cas de non respect de la mesure de contrainte et ordonner l'incarcération provisoire du condamné alors qu'il intervient dans la définition des obligations auxquelles le condamné à la peine de contrainte pénale est soumis et qu'il en assure le suivi et le contrôle ne peut être regardé comme portant atteinte au principe d'impartialité des juridictions.

En effet, la durée maximale d'emprisonnement sera fixée par le tribunal correctionnel. Et la sanction de la violation des obligations de la contrainte pénale sera assurée par le président du tribunal de grande instance ou le juge par lui délégué saisi, d'office ou sur réquisitions du procureur de la République, par le juge d'application des peines.

La loi déférée distingue ainsi clairement le prononcé de la peine, le contrôle de son exécution et la sanction de sa violation.

La possibilité pour le juge d'application des peines d'incarcérer provisoirement le condamné jusqu'à la décision du juge répond à l'objectif constitutionnel de sûreté. Elle est également prévue de manière générale, en matière d'application des peines, par l'article 712-19 du code de procédure pénale. Cette mesure répond au principe de proportionnalité, la détention provisoire ne peut excéder un délai de quinze jours.

Il convient, à cet égard, de relever que, contrairement à ce que soutiennent les députés auteurs du recours, la compétence donnée au président du tribunal ou au juge par lui délégué de fixer la durée d'emprisonnement à exécuter ne saurait être regardée comme méconnaissant l'autorité de la chose jugée.

La durée d'emprisonnement fixée par le tribunal correctionnel pour sanctionner l'éventuelle violation des obligations par le condamné ne constitue qu'un maximum. La décision du juge qui retiendrait une durée inférieure ne remet donc en rien en cause la décision de la juridiction de jugement. Cette possibilité est d'ailleurs indispensable pour respecter le principe de proportionnalité des peines. Si c'est à la toute fin de la durée de la contrainte pénale que le condamné viole une obligation ou si l'obligation violée est d'une faible importance, il serait excessif que le juge soit tenu de prononcer une durée d'emprisonnement correspondant à la durée maximale décidée par le tribunal correctionnel. La faculté de fixer une durée d'emprisonnement inférieure à cette durée maximale est également essentielle pour des raisons d'efficacité pour permettre de prononcer, si nécessaire, une courte durée d'emprisonnement si celle-ci est la plus adaptée dans le parcours du condamné.

En dernier lieu, contrairement à ce que soutiennent les députés requérants, le caractère exécutoire par provision de la contrainte pénale ne peut être regardé comme une peine automatique ou une méconnaissance de la présomption d'innocence.

La contrainte pénale a vocation à s'appliquer, comme l'indique le nouvel article 131-4-1 du code pénal, aux condamnés dont la personnalité et la situation « justifient un accompagnement socio-éducatif individualisé et soutenu ». Elle se distingue, sur ce point, d'une mesure de sursis avec mise à l'épreuve qui peut être assez formelle. Elle nécessite, par ailleurs, une évaluation du condamné par le service pénitentiaire d'insertion et de probation, avec la rédaction d'un rapport au juge d'application des peines dans un délai de quatre mois. Cette condition impose que le condamné soit convoqué le plus rapidement possible devant le service pénitentiaire d'insertion et de probation. En outre, puisque la personnalité du condamné exige un suivi renforcé, le tribunal correctionnel prononcera, dans la plupart des cas, des mesures de sûreté qui devront être immédiatement applicables.

Ces caractéristiques imposent que la contrainte pénale soit exécutoire par provision.

Dans des cas proches, le législateur a également prévu que certaines décisions soient exécutoires par provision.

C'est le cas de la décision du tribunal correctionnel en cas d'ajournement avec mise à l'épreuve, en application du deuxième alinéa de l'article 132-63 du code pénal, en raison de l'articulation systématique entre l'intervention du tribunal et du juge d'application des peines et de l'existence de délais courts, la mise à l'épreuve jusqu'à l'audience sur la peine ne durant qu'un an.

De même, l'ensemble des mesures prises par le juge d'application des peines sont exécutoires par provision de plein droit (article 712-14 du code de procédure pénale et article 763-3 pour le suivi socio-judiciaire).

***

Pour l'ensemble de ces raisons, le Gouvernement est d'avis que les griefs articulés dans la saisine ne sont pas de nature à conduire à la censure de la loi déférée.

Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter le recours dont il est saisi.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les conseillers,

Nous avons l'honneur, en application des dispositions de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de déférer au Conseil Constitutionnel la loi relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales, et plus particulièrement les dispositions des articles 19 et 22.

A l'appui de cette saisine, nous développons les griefs suivants.

***

L'article 19 inscrit dans le code pénal l'existence d'une nouvelle peine, intitulée « contrainte pénale », applicable en matière délictuelle, et purgée en milieu ouvert.

A cette fin, l'article 19 complète l'article 131-3 du code pénal pour mentionner la peine de contrainte pénale, dans la liste des peines correctionnelles encourues par les personnes physiques, après l'emprisonnement et avant l'amende.

Cette nouvelle peine emportera, pour le condamné, l'obligation de se soumettre, sous le contrôle du juge de l'application des peines (JAP), pendant une durée comprise entre six mois et cinq ans à des mesures de contrôle et d'assistance, ainsi qu'à des obligations et interdictions particulières, destinées à prévenir la récidive en favorisant son insertion ou sa réinsertion au sein de la société.

Dans un premier temps (à compter du 1er janvier 2015), la contrainte pénale pourra être prononcée pour des infractions punies de cinq ans d'emprisonnement maximum ; à compter du 1er janvier 2017, elle sera applicable à l'ensemble des délits.

Le prononcé de la peine de contrainte pénale se déroulera en plusieurs phases :

- Dans un premier temps, la juridiction de jugement fixe la durée de la contrainte pénale. Elle peut fixer elle-même les obligations et interdictions imposées au condamné lorsqu'elle considère être suffisamment informée -alors qu'initialement cette possibilité était réservée au seul juge de l'application des peines. Dans le cas où le tribunal ne fixerait pas de contenu à la contrainte, le juge de l'application des peines resterait compétent pour fixer ces mesures. Enfin, la juridiction qui prononce la condamnation détermine également la durée maximale de l'emprisonnement encouru en cas d'inobservation des mesures de contrainte. Cette durée ne pourra excéder deux ans, ni le maximum de la peine d'emprisonnement encouru.

- Dans un second temps, le condamné à une peine de contrainte pénale fera l'objet d'une évaluation de sa personnalité et de sa situation matérielle, familiale et sociale par le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) : sur cette base, il appartiendra au juge de l'application des peines de modifier les obligations et interdictions auxquelles la personne a été condamnée, ou bien de déterminer l'ensemble des obligations et interdictions auxquelles la personne doit être astreinte, dans le cas où la juridiction de jugement ne l'aurait pas fait.

Ces obligations et interdictions pourront être modifiées par le JAP au cours de l'exécution de la contrainte pénale au regard de l'évolution du condamné.

La condamnation à la contrainte pénale sera exécutoire par provision.

L'article 22, quant à lui, vise à préciser la procédure de mise en œuvre de la contrainte pénale, qui repose sur l'évaluation préalable de la personnalité du condamné, et au cours de laquelle le juge de l'application des peines joue un rôle central.

Il appartient au SPIP d'évaluer la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale de la personne condamnée, et au JAP, à l'issue de cette évaluation de prendre toute décision concernant l'exécution de la mesure.

Le juge statue par ordonnance motivée, après réquisitions écrites du procureur de la République et après avoir entendu les observations du condamné ainsi que, le cas échéant, celles de son avocat.

Par la suite, la situation matérielle, familiale et sociale de la personne devra être réévaluée à chaque fois que nécessaire au cours de l'exécution de la peine, et au moins une fois par an, par le SPIP et le JAP.

Au vu de chaque nouvelle évaluation, le JAP aura la possibilité de modifier ou compléter les obligations et interdictions auxquelles la personne condamnée est astreinte ou supprimer certaines d'entre elles.

L'article 22 prévoit également que si, pendant au moins un an, le condamné a satisfait aux mesures, obligations et interdictions qui lui étaient imposées, que son reclassement paraît acquis et qu'aucun suivi ne paraît plus nécessaire, le JAP pourra, par ordonnance motivée et sur réquisitions conformes du procureur de la République, décider de mettre fin de façon anticipée à la peine de contrainte pénale.

En cas de désaccord entre ces deux magistrats, le JAP aura la possibilité de saisir le président du tribunal, qui statuerait à la suite d'un débat contradictoire public au cours duquel le condamné et son avocat pourraient être entendus.

En cas de refus opposé à cette demande, aucune autre demande ne pourrait être présentée avant un délai d'un an.

En cas d'inobservation par le condamné de ses obligations, la solution proposée par le nouvel article 713-47 du code de procédure pénale propose que :

- dans un premier temps, le JAP puisse, d'office ou sur réquisitions du procureur de la République, modifier ou compléter par ordonnance motivée les observations ou interdictions auxquelles le condamné est astreint.

- dans un second temps, si cette solution s'avère insuffisante pour assurer l'effectivité de la peine, il appartienne au JAP de saisir, d'office ou sur réquisitions du procureur de la République, par requête motivée, le président du tribunal de grande instance ou un juge désigné par lui afin que soit mis à exécution contre le condamné tout ou partie de l'emprisonnement fixé par la juridiction de jugement. Statuant à la suite d'un débat contradictoire public, le président du TGI (ou le juge désigné par lui) fixerait, dans la limite susmentionnée, la durée de l'emprisonnement à exécuter.

Si nécessaire, le JAP pourrait ordonner l'incarcération provisoire du condamné pour une durée maximale de 15 jours.

Cette procédure pourrait être renouvelée à plusieurs reprises au cours de l'exécution de la contrainte pénale, dès lors que la durée totale des emprisonnements ordonnés ne dépasse pas la moitié de la durée de la peine prononcée par le tribunal, ou le maximum de la peine d'emprisonnement encourue.

Toutefois, si l'emprisonnement ordonné est égal à la moitié de la durée de la contrainte pénale ou à ce maximum ou, compte tenu le cas échéant, des précédents emprisonnements ordonnés, s'il atteint cette durée, la décision du président du tribunal ou du juge par lui désigné mettrait fin à la contrainte pénale.

Enfin, un nouvel article 713-48 du code de procédure pénale prévoit que si le condamné commet, pendant la durée d'exécution de la contrainte pénale, un crime ou un délit de droit commun suivi d'une condamnation à une peine privative de liberté sans sursis, la juridiction de jugement pourra, après avis du JAP, ordonner la mise à exécution de l'emprisonnement prévu en cas d'inobservation de la contrainte pénale.

Pour les requérants, ces deux articles sont manifestement contraires à plusieurs principes constitutionnels.

Sur l'atteinte au principe de légalité des délits et des peines

L'article 8 de la Déclaration de 1789 dispose que : "La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ".

Cet article emporte, d'après le juge constitutionnel, une obligation essentielle pour le législateur : celle de définir les incriminations et les peines en termes suffisamment clairs et précis, au risque de conduire à l'arbitraire (Cf. Décision n° 80-127 DC du 20 janvier 1981, Considérant n°7).

En l'espèce, la contrainte pénale est d'une extrême complexité, dont on voit mal l'articulation avec l'existant que constituent, d'une part, le sursis avec mise à l'épreuve, et, d'autre part, la peine de prison , avec pour conséquence de laisser le juge comme le citoyen en proie à l'arbitraire.

Le mécanisme de la contrainte pénale se décompose en effet en plusieurs phases :

- La phase juridictionnelle, avec déclaration de culpabilité, prononcé de la contrainte pénale et de sa durée, prononcé du quantum maximum de la peine d'emprisonnement en cas d'inobservation des mesures de contrôle et de suivi, fixation éventuelle desdites mesures de contrainte, laissée à l'appréciation du tribunal ;

- La phase post-sentencielle de mise en œuvre de la peine de contrainte pénale, avec recommandation des SPIP et gestion par le JAP du suivi probatoire, lequel peut à tout moment modifier le prononcé du tribunal ;

- Une éventuelle nouvelle phase juridictionnelle, qui sanctionne le non-respect des mesures de contrainte par l'emprisonnement.

L'on voit qu'il ne saurait s'agir seulement d'un simple SME renforcé, où le respect des mesures probatoires est une condition de non révocation du sursis, puisqu'il est question d'une peine en soi.

Mais la nature juridique exacte de la contrainte pénale n'est pas clairement définie par la loi. Y a-t-il une peine principale de probation, tandis que l'emprisonnement serait une peine alternative subsidiaire, ou bien faut-il considérer l'emprisonnement éventuel comme faisant partie intégrante de la contrainte pénale ? La contrainte pénale est-elle en elle-même punitive, ou seulement réparatrice ?

Car soit la contrainte pénale aboutit à instaurer deux peines distinctes -dont la seconde est une éventualité- pour la même infraction, ce qui contrevient au principe « non bis in idem ». Le fait que la première juridiction de jugement, celle qui prononce la contrainte, détermine également la durée maximale de l'emprisonnement encouru en cas d'inobservation des mesures de contrainte, viendrait accréditer cette hypothèse.

Soit la contrainte pénale instaure une « double peine », dans laquelle la seconde peine est déjà contenue, comme éventualité, dans la première, attendu que la juridiction qui révoque la contrainte ne dispose comme sanction que de l'emprisonnement, et que le quantum de l'emprisonnement qu'elle peut prononcer dépend de la décision de la première phase juridictionnelle.

La contrainte pénale comporte, dans les deux cas, une indétermination manifeste, au point qu'il n'est plus possible de savoir quelle peine est encourue pour un certain type d'infraction.

L'article 132-1 du code pénal, dans sa nouvelle rédaction issue de l'article 2 de la loi déférée, mentionne que « la juridiction détermine la nature, le quantum et le régime des peines prononcées en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur, de manière à assurer les finalités énoncées à l'article 130-1 » -décrites à l'article 1er de la loi déférée-, mais il ne précise ni ce que signifient les termes « circonstances de l'infraction », ni comment la juridiction doit les prendre en considération.

Et si l'on peut admettre que cette généralité des termes employés dans le nouvel article 132-1 est destinée à laisser au juge une appréciation suffisante pour individualiser la peine en choisissant dans l'échelle de peines celle, ou celles, qui lui paraissent les mieux adaptées, l'article 131-4-1 du code pénal, tel que défini à l'article 19 de la loi déférée, prescrit des critères propres à la contrainte pénale que l'on ne retrouve pour aucune des autres peines dans le code pénal, et qui sont destinés à se substituer à ceux de l'article 132-1 :

- la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale de l'auteur de l'infraction,

- les faits de l'espèce.

De fait, l'article 131-4-1 prescrit d'autres critères que ceux de l'article 132-1, spécifiques à la contrainte pénale, sans fournir pour autant d'indications sur leur définition ni sur les conditions de leur mise en œuvre, au point que la comparaison entre les expressions employées - « circonstances de l'infraction » dans l'article 132-1 et « faits de l'espèce » dans l'article 131-4-1 - sous-entend que les éléments que le juge doit prendre en considération sont différents de ceux des autres catégories de peines, mais laissés purement et simplement à l'appréciation du juge pour soustraire sa propre décision au droit commun de la peine.

Ainsi, on relèvera utilement que deux points distinguent plus particulièrement la contrainte pénale de toutes les autres peines : premièrement, la personnalité de l'auteur est située avant l'appréciation des faits de l'espèce, ce qui est une manière de rappeler que le législateur souhaite faire prévaloir celle-ci dans le choix de la contrainte pénale, à la différence des autres peines où l'appréciation des circonstances de l'infraction est placée en premier critère d'évaluation de la peine.

Mais surtout, en second lieu, on doit relever que le législateur a entendu distinguer les « faits de l'espèce » de l'article 131-4-1 des « circonstances de l'infraction » de l'article 132-1 sans même indiquer en quoi devait consister cette distinction. L'appréciation des seuls faits par le juge exclut manifestement l'aspect pénal de ceux-ci, pour n'en retenir que ce qui serait en relation avec les éléments de personnalité de l'auteur qui ont déterminé la commission des faits. Se trouve ainsi quasiment exclue de l'appréciation du juge la fonction punitive de la peine pour fixer la durée et la nature des obligations de la contrainte pénale.

Or, dans sa décision n° 80-127 du 20 janvier 1981, le Conseil constitutionnel a considéré que « si aux termes de l'article 8 précité de la Déclaration de 1789 la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, cette disposition n'implique pas que la nécessité des peines doive être appréciée du seul point de vue de la personnalité du condamné et encore moins qu'à cette fin le juge doive être revêtu d'un pouvoir arbitraire que, précisément, l'article 8 de la Déclaration de 1789 a entendu proscrire et qui lui permettrait, à son gré, de faire échapper à la loi pénale, hors des cas d'irresponsabilité établis par celle-ci, des personnes convaincues de crimes ou de délits. (. . .) d'autre part, que si la législation française a fait une place importante à l'individualisation des peines, elle ne lui a jamais conféré le caractère d'un principe unique et absolu prévalant de façon nécessaire et dans tous les cas sur les autres fondements de la répression pénale ; qu'ainsi, à supposer même que le principe de l'individualisation des peines puisse, dans ces limites, être regardé comme l'un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, il ne saurait mettre obstacle à ce que le législateur, tout en laissant au juge ou aux autorités chargées de déterminer les modalités d'exécution des peines un large pouvoir d'appréciation, fixe des règles assurant une répression effective des infractions ».

Le juge constitutionnel a ainsi considéré que le principe de l'individualisation des peines ne saurait faire à lui seul obstacle à la nécessité première d'assurer une répression effective des infractions.

A ce titre, la peine d'emprisonnement fixée par le tribunal en complément de la contrainte pénale ne modifie pas l'aspect non punitif de cette peine, puisque les seuls critères qui doivent déterminer le prononcé effectif de l'emprisonnement tiennent au non-respect des obligations et interdictions fixées au condamné.

Il s'en déduit que la contrainte pénale n'a, en aucune de ses dispositions, pour fonction de sanctionner le condamné, et qu'il existe ainsi une rupture de l'égalité entre les citoyens, puisque toutes les autres peines doivent, au contraire, prendre d'abord en considération l'impératif de sanction, à travers laquelle sont mises en œuvre les finalités de la peine. La contrainte pénale définit une peine dont la seule fonction est l'amendement, l'insertion ou la réinsertion, et telle est d'ailleurs la volonté du législateur, qu'il n'a cessé d'exprimer au cours des débats parlementaires. Il est d'ailleurs explicitement précisé à l'alinéa 6 de l'article 19 que les mesures qui peuvent être imposées au condamné à titre d'obligations et d'interdictions sont uniquement « destinées à prévenir la récidive en favorisant son insertion ou sa réinsertion au sein de la société ».

Ainsi, la contrainte ne s'analyse pas comme une peine alternative, mais comme une peine dont la finalité même exclut tout aspect répressif, à la différence de toutes les autres peines, y compris les peines alternatives. Elle contrevient ainsi au principe d'égalité des citoyens devant la loi puisque le tribunal ne peut prendre en considération, ni dans la peine de probation de contrainte pénale, ni dans la peine d'emprisonnement complémentaire en cas de non-respect de celle-ci l'aspect punitif de la peine pour en fixer les conditions.

Sur l'atteinte au principe d'égalité devant la loi

Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen : « La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ».

Le juge constitutionnel, dans sa décision n° 2009-578 DC du 18 mars 2009, considérant n°19, a eu l'occasion de rappeler que « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ».

De sorte que des situations différentes peuvent être traitées de manières différentes, et qu'il est possible de déroger au principe d'égalité pour poursuivre un but d'intérêt général, à la condition que cette atteinte au principe ne soit pas excessive. La différenciation doit être fondée sur un critère objectif, raisonnable, pertinent au regard du but poursuivi.

Or en matière de contrainte pénale, on demande au juge judiciaire, puis à celui de l'application des peines, d'appliquer comme critère essentiel, l'appréciation de « la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale de l'auteur d'un délit », expression dont le flou n'a d'équivalent que l'étendue des discriminations qu'il pourra provoquer.

Et lorsqu'il prononce la contrainte pénale, le tribunal fixe en même temps la durée maximale de la peine d'emprisonnement encourue en cas de non-respect par le condamné des obligations et interdictions auxquelles il est astreint, dans la double limite de deux ans et du maximum de la peine encourue.

Cette limitation de la peine d'emprisonnement à deux ans crée manifestement une inégalité entre les citoyens, puisqu'elle instaure, de fait, un quantum maximum de peine différent pour une même infraction.

En effet, dès lors que la contrainte pénale est prononcée, le condamné n'encourt plus de peine d'emprisonnement supérieure à deux ans. Ainsi, pour une escroquerie punissable d'une peine de cinq ans d'emprisonnement, le tribunal ne peut sanctionner le condamné à une contrainte pénale à une peine supérieure à deux ans, alors qu'une personne condamnée pour la même infraction à une peine de sursis avec mise à l'épreuve peut être condamnée jusqu'à cinq ans d'emprisonnement, peine qui sera exécutée en cas de révocation du sursis. Or le principe d'égalité devant la loi impose que la peine encourue, en l'occurrence l'emprisonnement, pour une même infraction, dès lors qu'elle est de même nature, ne diffère pas selon les condamnés auxquels elle s'applique. La contrainte pénale, telle que définie aux articles 19 et 22 de la loi déférée, ne permet pas de le respecter.

En outre, l'alinéa 17 de l'article 19 prévoit que la contrainte pénale est exécutoire par provision de plein droit. Cela signifie qu'elle pourra être mise à exécution immédiatement, sans attendre l'expiration du délai d'appel ou que la cour d'appel, si elle est saisie, n'ait statué. Cette automaticité de l'exécution provisoire contrevient également au principe d'égalité devant la loi, dans la mesure où aucune autre peine du code pénal n'est exécutoire par provision de plein droit. Elle contrevient aussi à la présomption d'innocence puisqu'elle rend applicable, sans motivation spéciale par le tribunal de la nécessité de la rendre immédiatement exécutoire, une décision avant même qu'elle ne soit définitive.

Sur la méconnaissance du principe de nécessité des peines

Ce principe est affirmé par l'article 8 de la Déclaration de 1789, aux termes duquel « la Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ».

Dans sa décision n°2012-267 QPC du 20 juillet 2012, le Conseil constitutionnel a ainsi considéré qu'« il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue ».

Dans la mesure où aucun critère clair ni objectif ne prévaut à l'attribution de la contrainte pénale, et que son contenu peut être modifié tout au long de l'exécution de la peine, la contrainte pénale est manifestement une peine indéterminée.

En effet, la contrainte pénale instaure une nouvelle peine dont le dispositif renvoie, in concreto, à celui de deux peines déjà existantes : le sursis avec mise à l'épreuve et le travail d'intérêt général, auxquels il ajoute celui du suivi socio-judiciaire.

Outre le fait que cette nouvelle peine peut constituer, selon les mesures prescrites, une aggravation du sort du condamné à la contrainte pénale par rapport à ceux qui sont condamnés à un SME ou un STIG - sans que soit fourni de critère de cette aggravation, laissé non seulement à l'arbitraire du tribunal qui prononce la contrainte pénale, mais aussi du JAP, qui fixe ou modifie les mesures d'exécution de cette peine -, la loi ne fournit aucun critère pour justifier le caractère strictement et évidemment nécessaire des obligations et interdictions qu'elle autorise le tribunal ou le JAP à prendre.

Or l'auteur d'une infraction punie de cinq ans d'emprisonnement au maximum, pourra désormais être condamné soit à l'une seulement des peines principales prévues par l'article 131-3 du code pénal, soit à la contrainte pénale dont le régime d'exécution cumule les dispositifs de deux autres peines principales, outre la généralisation du suivi socio-judiciaire réservé aux condamnés à certaines infractions. Le condamné à la contrainte subira de ce fait une peine disproportionnée par rapport à ces autres condamnés, d'autant que ne sont pas énoncés les critères qui justifieraient clairement et explicitement cette différence de traitement, laquelle relève de la seule appréciation du juge sur les capacités d'insertion ou de réinsertion du condamné. La peine de contrainte pénale apparaît de ce fait comme une peine disproportionnée qui ne peut être justifiée par aucun élément objectif.

De même, tout au long de l'exécution de sa contrainte, le condamné est susceptible de voir les mesures de suivi et de contrôle auxquelles il est astreint modifiées, ou renforcées, en fonction de sa toujours aussi subjective « évaluation de sa personnalité et de sa situation matérielle, familiale et sociale ».

Au surplus, l'alinéa 19 de l'article 19, en prévoyant que la contrainte pénale s'appliquera à tous les délits à compter du 1er janvier 2017, achève de convaincre de l'absence de toute proportionnalité quant à la peine de contrainte pénale. Ainsi le non-respect des mesures de contrainte pénale restera passible de deux ans de prison maximum, même pour un condamné qui aurait commis un délit passible de 10 ans de prison.

Cette extension est symptomatique de l'absence de lien manifeste entre l'infraction et la peine encourue dans la loi déférée, et des critères aléatoires qui prévalent au prononcé de la contrainte. La contrainte pénale est à ce point indéterminée, dans son attribution comme dans son exécution, qu'elle ne peut être regardée que comme non nécessaire.

Sur la méconnaissance du droit au procès juste et équitable devant une juridiction indépendante et impartiale

Aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme de 1789 : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution".

Sont garantis, par cette disposition, le droit des personnes intéressées d'exercer un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable , ainsi que les droits de la défense lorsqu'est en cause une sanction ayant le caractère d'une punition.

Or l'article 713-47 du code de procédure pénale, tel qu'il résulte de l'article 22 de la loi déférée, permet au JAP de saisir d'office le président du tribunal ou un juge délégué aux fins de faire prononcer une peine d'emprisonnement pour non-respect des mesures de contrainte, dans la limite du maximum fixé par le tribunal (lui-même ne pouvant excéder deux ans).

En enjoignant au juge de fixer le maximum encouru d'emprisonnement en cas de violation par le condamné des obligations qui lui sont imposées dans le cas de la contrainte pénale, mais en laissant ensuite un autre magistrat fixer les conditions dans lesquelles l'emprisonnement effectif pourra être prononcé, la loi déférée ne saurait satisfaire à l'exigence du procès juste et équitable.

De plus, même si la décision du président du tribunal, ou du juge délégué, est prise après un débat public, elle consiste à prononcer une peine qui n'est pas encore déterminée, puisque le premier tribunal n'a pu fixer que le maximum qui pouvait être encouru en cas de non-respect des obligations de la contrainte.

Seul un tribunal présentant les mêmes garanties d'équité, d'indépendance et d'impartialité que celui qui a prononcé la peine initiale devrait pouvoir prononcer une peine d'emprisonnement, et en fixer la durée : un magistrat pris en sa seule qualité n'a pas le caractère d'une juridiction équitable, indépendante et impartiale.

Sur l'atteinte au principe de séparation des autorités de poursuite et de jugement

La loi déférée confie au juge d'application des peines une multiplicité de rôles dont certains s'apparentent tantôt à des pouvoirs quasi-juridictionnels, tantôt de poursuite :

- définition des mesures de contrainte du condamné lorsque le tribunal n'y a pas procédé,

- suivi, contrôle, adaptation des obligations,

- saisie du président du tribunal ou d'un juge délégué aux fins de faire prononcer une peine d'emprisonnement pour non-respect des mesures de contrainte qu'il aura lui-même constaté,

- placement en détention provisoire.

Autant de rôles qui contreviennent au principe de la séparation entre les autorités chargées de l'action publique et du jugement énoncé par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 95-360 DC du 2 février 1995, aux considérants 5 et 6, qui condamnait, à défaut d'intervention d'un juge du siège, le système de l' « injonction pénale » émise par le procureur.

En l'espèce, la contrainte pénale étant une peine à part entière, on ne saurait objecter qu'il s'agit de simples modalités d'aménagement de peine.

Ainsi, lorsque la juridiction de jugement ne fixe pas elle-même les mesures de suivi du condamné à la contrainte pénale, le JAP n'est plus simplement juge de l'application des peines, mais juge du prononcé de la peine.

De plus, dans le cas de la contrainte pénale, c'est le JAP qui, en relevant la violation des mesures probatoires, définit lui-même les éléments constitutifs de cette violation et donc le fait générateur de la peine, en détermine la gravité et les fait sanctionner par une peine qui jusqu'alors n'avait pas encore été prononcée.

Ce magistrat dispose ainsi du pouvoir exorbitant de fixer lui-même les circonstances qui constituent la base de la sanction au vu desquelles il estime que la peine doit être prononcée, sans base légale autre que celle qui l'autorise à apprécier comme il l'entend la nature et la gravité de cette violation et la durée maximale d'emprisonnement qu'il peut prononcer.

En outre, l'article 713-45 du code de procédure pénale, tel qu'il résulte de l'article 22 de la loi déférée, autorise le JAP, sur réquisitions conformes du parquet, à mettre fin de façon anticipée à la contrainte pénale. En cas de réquisitions non conformes, il peut saisir le président du TGI d'une demande aux mêmes fins.

La contrainte pénale étant une peine en soi, cette décision ne modifie pas le régime d'exécution de la peine, mais la peine elle-même. Cette disposition permet en effet au JAP ou au président du TGI ou de modifier la condamnation elle-même en diminuant la durée de la peine, autrement dit à substituer une durée de peine plus courte que celle qui avait été prononcée par le tribunal. En permettant de revenir sur la décision du tribunal qui a déterminé la peine, l'article 22 méconnaît le principe de l'autorité de la chose jugée, et celui de la séparation des pouvoirs.

***

Souhaitant que ces questions soient tranchées en droit, les députés auteurs de la présente saisine demandent donc au Conseil Constitutionnel de se prononcer sur ces points et tous ceux qu'il estimera pertinents eu égard à la compétence et la fonction que lui confère la Constitution.


Références :

DC du 07 août 2014 sur le site internet du Conseil constitutionnel
DC du 07 août 2014 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Loi relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales (Nature : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°2014-696 DC du 07 août 2014
Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:2014:2014.696.DC
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