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06/10/1982 | FRANCE | N°19255

France | France, Conseil d'État, 8/7/9 ssr, 06 octobre 1982, 19255


Requête de la société anonyme X... tendant à :
1° l'annulation du jugement du 31 mai 1979 du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande en réduction des suppléments d'impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie au titre des années 1969 à 1972 ;
2° aux réductions demandées ;
Vu le code général des impôts ; l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ; la loi du 30 décembre 1977 ;
Considérant que la société anonyme X... demande la réduction des impositions supplémentaires à l'impôt sur les sociétés mises

à sa charge au titre des années 1969 à 1972 dans la mesure ou ces impositions procèdent de...

Requête de la société anonyme X... tendant à :
1° l'annulation du jugement du 31 mai 1979 du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande en réduction des suppléments d'impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie au titre des années 1969 à 1972 ;
2° aux réductions demandées ;
Vu le code général des impôts ; l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ; la loi du 30 décembre 1977 ;
Considérant que la société anonyme X... demande la réduction des impositions supplémentaires à l'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des années 1969 à 1972 dans la mesure ou ces impositions procèdent de deux séries de redressements, la première relative à la manière de prendre en compte, pour la détermination des bénéfices imposables, les redevances versées aux artistes proportionnellement aux ventes de disques et cassettes, la seconde relative aux conséquences sur les résultats sociaux d'une garantie apportée par la société aux conditions de fusion de deux de ses filiales ;
Sur le premier chef de litige : Cons. que la société requérante, qui produit et vend des enregistrements sonores sous forme de disques ou de cassettes fabriqués à partir de " matrices ", a, au cours des exercices clos en 1970, 1971 et 1972, versé aux artistes ayant interprété les oeuvres enregistrées, outre des salaires qui rétribuaient la prestation effectuée pour les besoins de la confection des matrices, des redevances calculées proportionnellement aux recettes provenant, durant chaque semestre de l'année civile, de la vente des disques et cassettes correspondants ; qu'à la clôture de chaque exercice, la société a porté le montant des redevances qu'elle avait versées à ce titre aux artistes à un compte de " frais d'établissement ", qu'elle a aussitôt intégralement amorti, ce qui équivalait à regarder lesdites redevances comme des charges déductibles des résultats de l'exercice au cours duquel elles avaient été payées ; qu'à la suite d'une vérification, l'administration a estimé, quant à elle, que les redevances constituaient l'un des éléments du prix de revient des matrices et que ces dernières avaient le caractère d'éléments de l'actif immobilisé, amortissables en deux ou quatre ans selon la nature des oeuvres enregistrées ; qu'elle a en conséquence refusé d'admettre l'" amortissement " intégral et immédiat pratiqué par la société et lui a substitué une pluralité d'annuités d'amortissement réputées afférentes aux matrices à amortir, le prix de revient de celles-ci étant rétrospectivement augmenté du montant des redevances ; que, l'amortissement des matrices étant un élément du prix de revient des disques et cassettes fabriqués au moyen de ces matrices, le rehaussement des annuités d'amortissement a entraîné à son tour un rehaussement de la valeur d'actif à attribuer au stock de disques et cassettes à la clôture de chaque exercice ; que la société requérante conteste l'ensemble de ces redressements ;
Cons. qu'à la différence de la rétribution versée aux artistes à raison de la prestation effectuée pour les besoins de l'enregistrement d'origine, les redevances proportionnelles au produit de la vente des disques et cassettes rémunèrent non une prestation proprement dite, mais l'autorisation donnée à la société d'exploiter les enregistrements réalisés ; que d'ailleurs la loi du 26 décembre 1969 relative aux artistes du spectacle fait une distinction entre ces deux catégories de rémunérations et reconnaît à la première le caractère de salaires, à la seconde le caractère de revenus non commerciaux ; qu'il s'ensuit que les redevances litigieuses sont sans rapport avec la confection des matrices et ne peuvent pas être regardées comme grevant rétrospectivement le prix de revient de celles-ci ; qu'ayant pour contrepartie l'autorisation de commercialiser les produits fabriqués avec ces matrices et n'étant dues qu'en fonction de cette commercialisation, elles ne peuvent que rester sans influence sur la valeur de l'actif immobilisé et doivent dès lors être regardées comme des charges de l'exploitation ; qu'ainsi, en dépit des modalités de comptabilisation erronées qu'avait appliquées la société requérante, celle-ci est fondée à critiquer les redressements opérés par l'administration et à demander que soient effacées les conséquences de ces redressements sur les bases d'imposition litigieuses ;
Sur le second chef de litige : Cons. qu'en vertu d'un traité d'apport-fusion du 3 mars 1966, la société anonyme Y..., filiale de la requérante, a absorbé la société anonyme Z..., qui était une autre filiale de la requérante ; que cette dernière est intervenue au traité de fusion pour " garantir la prise en charge de toute réduction ou perte de l'actif net existant lors de la fusion ", tel que cet actif ressortait du bilan de fusion établi par la société absorbée ; que ce bilan, d'une part, ne faisait pas mention de droits dont la société Z... restait redevable en matière de taxe sur la valeur ajoutée et, d'autre part, comportait, à l'actif, un " crédit " égal au montant de la taxe sur la valeur ajoutée déductible dont cette société n'avait pu effectuer l'imputation avant la cessation de son activité ; que, dans le bilan de son exercice clos en 1968, la société requérante a constitué une provision, d'un montant de 649 000 francs, destinée à faire face au versement qui devrait être fait à la société Y... du fait de la mise en jeu, tenue pour probable, de la garantie donnée à cette dernière, en raison de l'existence de rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de la société absorbante au titre de la société absorbée ; qu'en outre, au bilan de son exercice clos en 1971, la société requérante a déduit de ses résultats une somme de 539 000 francs, qualifiée de " perte sur exercices antérieurs " et correspondant au surplus des sommes dont elle s'estimait redevable à l'égard de sa filiale, compte tenu du refus que l'administration avait opposé à l'utilisation, par celle-ci, du " crédit " de taxe figurant à l'actif du bilan de fusion de la société absorbée, dans la mesure où il n'avait pas été résorbé par l'imputation, admise par l'administration, des rappels de droits susmentionnés ;
Cons. que l'administration a réintégré dans les bénéfices imposables de l'exercice clos en 1969, premier exercice non prescrit, le montant de la provision constituée à la clôture de l'exercice précédent et, dans les bénéfices imposables de l'exercice clos en 1971, le montant de la " perte sur exercices antérieurs " déduite des résultats de cet exercice ; que la société requérante conteste le bien-fondé de ces réintégrations ;
Cons. que, si de manière générale, doit être regardé comme se rattachant à une gestion commerciale et financière normale l'engagement que peut être amenée à prendre une société-mère lors de la fusion de deux de ses filiales, de garantir la sincérité du bilan de fusion de la filiale absorbée, il n'en résulte pas pour autant que, dans le cas où la garantie vient à jouer, les sommes dont la société-mère sera redevable à ce titre constitueront pour elle des charges déductibles en application des articles 38 et suivants du code général des impôts ; qu'en pareil cas, dès lors qu'il s'agit de compenser une surestimation, désormais avérée, de l'actif net de la société absorbée et que cette surestimation a concouru à procurer aux actionnaires de celles-ci une meilleure rémunération de leur apport s'exprimant en une plus forte participation au capital de la société absorbante, l'opération réalisée par la société-mère consiste en fin de compte, après avoir acquis en échange de ses actions de la société absorbée un nombre quelque peu excessif d'actions de la société absorbante, à les conserver sans remettre en cause les termes de l'échange stipulés au traité de fusion, mais à payer un supplément de prix à raison de la moindre valeur à attribuer rétrospectivement aux actions de la société absorbée ; que les sommes versées à raison de la garantie ont donc pour effet d'augmenter rétrospectivement le prix d'acquisition des actions de la filiale absorbante et, par suite, la valeur pour laquelle celles-ci doivent figurer à l'actif de la société-mère ; qu'ainsi la dépense correspondante doit rester, en vertu de l'article 38-2 du code, sans influence sur le bénéfice net imposable ;
Cons. que, lorsque de surcroît la société-mère, au moment où elle garantit la sincérité du bilan de fusion de la filiale absorbée, n'ignore pas que ce bilan comporte une surestimation de l'actif net, admet donc que la garantie ne manquera pas de jouer et concourt, à ce prix, à fausser les termes de l'échange en faveur des actionnaires de la filiale absorbée, l'opération sort des limites d'une gestion financière normale, la garantie accordée, puis les sommes déboursées de ce chef prenant alors, à concurrence du pourcentage du capital de la filiale absorbée détenu, lors de la fusion, par des tiers, le caractère d'une libéralité en faveur de ces derniers ;
Cons. qu'il résulte de l'instruction que la société requérante ne pouvait pas ignorer la situation des droits et obligations en matière de taxe sur la valeur ajoutée de la société X... ; qu'il résulte, dès lors, des observations qui précédent que les sommes litigieuses ne peuvent être admises en déduction ni par voie de provisions, ni au titre de dépenses réellement exposées, dès lors qu'elles correspondent, pour partie, à une libéralité accordée par la société requérante aux actionnaires, autres qu'elle-même, de la société Z... et, pour le surplus à un supplément de prix de revient des actions de la société Y... reçues en échange des actions Z... précédemment détenues par la requérante ;
Cons. qu'il résulte de tout ce qui précède que la société X... est seulement fondée à demander que le jugement susvisé du tribunal administratif de Paris en date du 31 mai 1979 soit réformé en tant que, par ledit jugement, les premiers juges ont rejeté en totalité sa demande et n'ont pas fait droit à ses conclusions relatives au premier chef de litige susmentionné ;
détermination des bénéfices de la société anonyme X... imposables au titre de chacune des années 1970, 1971 et 1972 après déduction intégrale du montant des redevances versées aux artistes interprètes au cours de chacun des exercices respectivement clos au cours de ces trois années, décharge de la différence, réformation du jugement de T.A. en ce sens .


Sens de l'arrêt : Réduction réformation rejet surplus
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux fiscal

Analyses

CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPOTS SUR LES REVENUS ET BENEFICES - REVENUS ET BENEFICES IMPOSABLES - REGLES PARTICULIERES - B - I - C - DETERMINATION DU BENEFICE NET - CHARGES DIVERSES - Charges résultant de la mise en jeu d'une garantie.

19-04-02-01-04-09 Lorsqu'une société donne une garantie de sincérité au bilan de fusion d'une de ses filiales, absorbée par une autre de ses filiales, les sommes qu'elle est appelée à verser à ce titre ne constituent pas nécessairement des charges déductibles : il en est ainsi dans le cas où il apparaît que l'actif net de la filiale absorbée a été surestimé. En pareille hypothèse, les sommes versées s'analysent comme un complément de prix d'acquisition des actions de la filiale absorbante et ne peuvent dès lors en vertu de l'article 38-2 du C.G.I. être déduites des bénéfices imposables. Si de surcroît la garantie a été donnée par la société alors qu'elle ne pouvait ignorer que l'actif net de la filiale absorbée était surestimé, les sommes versées au titre de la garantie s'analysent, à concurrence du pourcentage du capital de cette filiale détenu par des tiers, comme une libéralité accordée à ces derniers.

- RJ1 CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPOTS SUR LES REVENUS ET BENEFICES - REVENUS ET BENEFICES IMPOSABLES - REGLES PARTICULIERES - B - I - C - DETERMINATION DU BENEFICE NET - CHARGES DIVERSES - Redevances versées à des artistes.

19-04-02-01-04-09 Société qui produit et vend des enregistrements sonores sous forme de disques ou de cassettes et qui verse aux artistes ayant interprété les oeuvres enregistrées, outre des salaires rétribuant l'interprétation elle-même, des redevances proportionnelles aux ventes. De telles redevances n'étant dues qu'en fonction de la commercialisation des disques ou cassettes sont sans influence sur la valeur de l'actif immobilisé et doivent dès lors être regardées comme des charges de l'exploitation [1].


Références :

CGI 38 2
LOI du 26 décembre 1969

1. AB.JUR. 55859, 1967-04-07, BCD 1967, p. 327


Publications
Proposition de citation: CE, 06 oct. 1982, n° 19255
Publié au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Lasry
Rapporteur ?: M. Quandalle
Rapporteur public ?: M. Schricke

Origine de la décision
Formation : 8/7/9 ssr
Date de la décision : 06/10/1982
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 19255
Numéro NOR : CETATEXT000007617409 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;1982-10-06;19255 ?
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