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11/07/1984 | FRANCE | N°45920;46285

France | France, Conseil d'État, 7 / 8 ssr, 11 juillet 1984, 45920 et 46285


1° Requête de la société industrielle de Saint-Ouen S.I.S.O. , tendant à :
a la réformation du jugement, du 7 juillet 1982, le tribunal administratif de Paris ne lui ayant accordé que la somme de 100 000 F en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait des agissements des services fiscaux ;
b la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 853 769 F avec intérêts de droit, à compter du 10 octobre 1979, et capitalisation des intérêts ;
2° Recours du ministre du budget tendant :
a à l'annulation du jugement du 7 juillet 1982, du tribunal administratif d

e Paris condamnant l'Etat à verser à la société industrielle de Saint-Ouen S...

1° Requête de la société industrielle de Saint-Ouen S.I.S.O. , tendant à :
a la réformation du jugement, du 7 juillet 1982, le tribunal administratif de Paris ne lui ayant accordé que la somme de 100 000 F en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait des agissements des services fiscaux ;
b la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 853 769 F avec intérêts de droit, à compter du 10 octobre 1979, et capitalisation des intérêts ;
2° Recours du ministre du budget tendant :
a à l'annulation du jugement du 7 juillet 1982, du tribunal administratif de Paris condamnant l'Etat à verser à la société industrielle de Saint-Ouen S.I.S.O. , une indemnité de 100 000 F en réparation du préjudice qu'elle aurait subi du fait des agissements des services fiscaux ;
b au rejet de la demande de ladite société ;
Vu le code général des impôts ; l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ; la loi du 30 décembre 1977 ;
Considérant ... jonction ; . .
Cons. que la société industrielle de Saint-Ouen S.I.S.O. , société à responsabilité limitée, qui a pour objet social la fabrication et le commerce de pièces métalliques, ainsi que la récupération de métaux non ferreux, a fait l'objet d'importants redressements correspondant à la réintégration, dans les résultats des exercices clos au cours des années 1969 à 1972, d'une somme globale de 30 157 373,38 F, représentant le montant d'un certain nombre de factures d'achat qui lui avaient été délivrées entre le 15 novembre 1968 et le 31 août 1972 par huit entreprises qui, selon l'administration fiscale, étaient connues comme se livrant à des facturations de complaisance ; que ces factures ont été regardées par le service d'assiette comme correspondant, dans leur totalité, à des achats fictifs ayant produit des bénéfices d'un égal montant, dissimulés par la société requérante ; que les impositions découlant de ces redressements qui ont été mises en recouvrement le 29 mars 1974, au nom de la société industrielle de Saint-Ouen, se sont élevées à la somme globale de 164 213 279 F, comprenant, outre le montant des droits en principal, établis tant en matière d'impôt sur les sociétés que d'impôt sur le revenu, mis à sa charge sur le fondement de l'article 117 du code général des impôts, la majoration de 100 % pour manoeuvres frauduleuses prévue par l'article 1729 du même code, ainsi que divers frais de recouvrement ; que, dès le 5 avril 1974, la société requérante a fait l'objet de poursuites en vue d'assurer le recouvrement desdites impositions, ces poursuites ayant consisté en une saisie exécution pratiquée sur ses biens et en l'émission de divers avis à tiers-détenteurs, adressés aux personnes dépositaires et débiteurs de deniers lui appartenant ; qu'en conséquence de ces poursuites, la société S.I.S.O. a du cesser son activité ; qu'enfin, par une décision en date du 21 février 1979, intervenue au cours de l'instance contentieuse engagée par la société S.I.S.O. devant le tribunal administratif de Paris, en l'absence de réponse du directeur des services fiscaux à la réclamation contentieuse qu'elle avait présentée dès le 2 mai 1974, et après que des poursuites pénales pour fraudes fiscales engagées contre les dirigeants de la société sur la plainte de l'administration aient été clauses par une ordonnance de non-lieu dont elle n'a pas relevé appel, celle-ci a prononcé le dégrèvement intégral des impositions susmentionnées ;
Sur l'existence d'une faute lourde de service engageant la responsabilité de l'Etat : Cons. qu'il résulte de l'instruction que les redressements susanalysés sont intervenus à la suite d'une vérification de la société requérante, vérification qui était elle-même provoquée par des perquisitions préalablement opérées, sur le fondement des dispositions des articles 1855 et suivants du code général des impôts, tant au siège de l'entreprise qu'au domicile de M. Y..., gérant de la société, et à celui de Mme X..., représentante salariée de celle-ci, en vue de la recherche d'infractions en matière de contributions indirectes ; qu'au cours de ces perquisitions, divers documents concernant les relations commerciales que la société S.I.S.O. entretenait avec des entreprises que l'administration soupçonnait être des officines de facturation de complaisance avaient été saisis sur le fondement de l'article 15 de l'ordonnance n° 45-1484 du 30 juin 1945, relative à la constatation, la poursuite et la répression des infractions à la législation économique, puis transmis à la direction des services fiscaux dont relevait ladite société ;
Cons., en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que la vérification entreprise par le service d'assiette dans les locaux de l'entreprise, qui a duré moins de deux heures, a été très sommaire et, malgré des demandes insistantes en ce sens, n'a pas porté sur la comptabilité de la société ; que, si le ministre fait valoir que, s'agissant d'un contrôle tendant à démontrer l'utilisation par la société vérifiée de factures de complaisance, une vérification de comptabilité ne pouvait donner des renseignements utiles et que le contrôle comptable a pu, dès lors, revêtir un caractère limité, ainsi que le précisait l'avis de vérification, au seul examen des écritures d'achat auprès des huit entreprises dont les factures pouvaient apparaître irrégulières, cette circonstance ne dispensait pas le vérificateur de se livrer à des investigations sur les éléments comptables de la société industrielle de Saint-Ouen propres à étayer le soupçon de livraisons fictives, tels que les relevés de stocks de matières premières, qui auraient pu présenter des variations anormales, ou les factures de vente de produits dont les quantités auraient pu apparaître incompatibles avec le volume des achats prétendus ; qu'en se bornant, ainsi qu'il l'a fait, à relever que, dans les documents saisis lors des perquisitions, figuraient quelques factures et papiers commerciaux vierges à en-tête de deux des sociétés connues pour avoir délivré des factures de complaisance et, pour l'essentiel, à n'utiliser que des indices tirés du seul comportement de ces entreprises pour retenir le caractère fictif d'un ensemble de factures comptabilisées par la société industrielle de Saint-Ouen, le vérificateur ne s'est pas livré au contrôle qu'il se devait d'opérer au sein de cette société pour s'assurer que ces factures n'avaient effectivement correspondu à aucun achat de marchandises, ainsi qu'il le soupçonnait ;
Cons., en second lieu, qu'en admettant même que la société industrielle de Saint-Ouen ait été en état de taxation d'office par le motif que ses déclarations de résultats, pour les exercices dont s'agit, n'auraient pas été signées par des personnes ayant qualité ou mandat pour le faire, et qu'ainsi, le service aurait été en droit de ne pas donner suite à la demande de saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires que la société avait formulée dans sa réponse à la notification de redressement, cette situation, à la supposer exacte, ne pouvait, dès lors, notamment, qu'aucune irrégularité n'avait été constatée dans la comptabilité de l'entreprise, autoriser l'administration à décider, sans avoir préalablement, recueilli tous les éléments de nature à lui permettre d'évaluer avec la meilleure approximation possible, les bases d'imposition, un redressement d'une importance telle que, réparti sur chacune des années concernées, il aboutissait à un rehaussement du bénéfice imposable correspondant à une fois et demie le montant du chiffre d'affaires annuel moyen de la société ; que ce comportement du service d'assiette, qui a entraîné la cessation de l'activité de l'entreprise du fait des poursuites dont elle a été l'objet de la part des services du recouvrement, puis a conduit ledit service à procéder, en 1978, à un dégrèvement intégral des impositions initialement établies, a constitué, dans les circonstances de l'espèce, une faute lourde ; qu'il suit de là que c'est à bon droit que le tribunal administratif de Paris a, par le jugement attaqué, reconnu la responsabilité de l'Etat dans le préjudice subi par la société industrielle de Saint-Ouen du fait de cette faute commise par les services fiscaux ; que, par suite, les conclusions du recours du ministre doivent être rejetées ;
Sur le préjudice : Cons. que, dans sa demande d'indemnité, la société industrielle de Saint-Ouen a chiffré le préjudice subi du fait de la cessation de son activité à une somme de 853 769 F, représentant la perte du fonds de commerce et du droit au bail, à concurrence de 500 000 F, la perte sur vente de matériel après saisie, à concurrence de 228 710 F, et le versement des indemnités de licenciement au personnel salarié de l'entreprise, à concurrence de 125 059 F ; qu'il résulte de l'instruction que ces éva- luations, qui ne sont d'ailleurs discutées par le ministre ni en première instance ni en appel, ne sont pas exagérées ; qu'il y a lieu, par suite, de les retenir pour fixer le montant de l'indemnité à laquelle peut prétendre la société requérante et de réformer sur ce point le jugement attaqué qui a limité à la somme de 100 000 F, tous intérêts compris, le montant de cette indemnité ;
Sur les intérêts et sur les intérêts des intérêts : Cons. que la société industrielle de Saint-Ouen a droit aux intérêts de la somme de 853 769 F à compter du 10 octobre 1979, date de la réception de sa demande par le ministre du budget ; que la capitalisation des intérêts a été demandée par la société le 14 janvier 1981 ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à la demande de capitalisation des intérêts ;
condamnation de l'Etat à verser à la société requérante la somme de 853 769 F, assortie des intérêts au taux légal à compter du 10 octobre 1979 ; capitalisation des intérêts échus le 14 janvier 1981 pour produire eux-mêmes intérêts ; réformation du jugement ; rejet du recours .


Sens de l'arrêt : Réformation
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - FAITS SUSCEPTIBLES OU NON D'OUVRIR UNE ACTION EN RESPONSABILITE - FONDEMENT DE LA RESPONSABILITE - RESPONSABILITE POUR FAUTE - FAUTE LOURDE - Services fiscaux - Services d'assiette.

60-01-02-02-03, 60-02-02 Cas d'une entreprise ayant fait l'objet de redressements très importants et qui, en conséquence des poursuites engagées en vue d'assurer le recouvrement des impositions en question, a dû cesser son activité, l'administration ayant, par la suite, prononcé le dégrèvement intégral desdites impositions. La vérification opérée par le service d'assiette dans les locaux de l'entreprise, qui a duré moins de deux heures, a été très sommaire et, malgré des demandes insistantes en ce sens, n'a pas porté sur la comptabilité de la société. Le vérificateur en se bornant à n'utiliser que des indices tirés du seul comportement de l'entreprise et de ses sociétés clientes pour retenir le caractère fictif d'un ensemble de factures comptabilisées par l'entreprise vérifiée ne s'est pas livré au contrôle qu'il devait opérer au sein de cette société. Par ailleurs, la circonstance que la société ait été en état de taxation d'office n'autorisait pas l'administration à décider, sans avoir préalablement recueilli tous les éléments de nature à lui permettre d'évaluer avec la meilleure approximation possible les bases d'imposition, un redressement d'une telle importance. Ce comportement du service d'assiette a constitué une faute lourde de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITE EN RAISON DES DIFFERENTES ACTIVITES DES SERVICES PUBLICS - SERVICES ECONOMIQUES - Services fiscaux - Services d'assiette.


Références :

CGI 117
CGI 1729
CGI 1855 et suivants
Ordonnance 45-1484 du 30 juin 1945 art. 15


Publications
Proposition de citation: CE, 11 jui. 1984, n° 45920;46285
Publié au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. de Bresson
Rapporteur ?: M. Lobry
Rapporteur public ?: M. Fouquet

Origine de la décision
Formation : 7 / 8 ssr
Date de la décision : 11/07/1984
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 45920;46285
Numéro NOR : CETATEXT000007698146 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;1984-07-11;45920 ?
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