La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/02/1986 | FRANCE | N°38869;39031;48017

France | France, Conseil d'État, 1 / 4 ssr, 26 février 1986, 38869, 39031 et 48017


Vu 1° sous le n° 38 869 la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 18 décembre 1981 et 26 mars 1982 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Georges A... et Mme Marie-Louise A..., née Z... son épouse, demeurant ensemble ... 69160 , et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1° réforme le jugement du 23 octobre 1981 par lequel le tribunal administratif de Rouen a condamné Gaz de France à leur verser des indemnités s'élevant au total à 31 110 F en réparation des préjudices par eux subis du fait de la mort de leur fille et de

leur petit-fils à la suite d'une explosion de gaz survenue le 21 févrie...

Vu 1° sous le n° 38 869 la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 18 décembre 1981 et 26 mars 1982 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Georges A... et Mme Marie-Louise A..., née Z... son épouse, demeurant ensemble ... 69160 , et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1° réforme le jugement du 23 octobre 1981 par lequel le tribunal administratif de Rouen a condamné Gaz de France à leur verser des indemnités s'élevant au total à 31 110 F en réparation des préjudices par eux subis du fait de la mort de leur fille et de leur petit-fils à la suite d'une explosion de gaz survenue le 21 février 1974 à Harfleur ;
2° condamne Gaz de France à leur verser la somme de 1 500 246 F avec les intérêts et les intérêts des intérêts, en réparation du préjudice matériel et moral causé par la disparition simultanée de leur fille et petit-fils,
Vu 2° sous le n° 39 031, la requête sommaire, enregistrée le 28 décembre 1981, et le mémoire complémentaire, enregistré le 23 avril 1982, présentés pour Gaz de France et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
- annule le jugement susvisé du tribunal administratif de Rouen en date du 23 octobre 1981 en tant que, par ce jugement, le tribunal administratif a rejeté les appels en garantie formée par Gaz de France à l'encontre de la ville du Havre, de la société française de travaux routiers et de la ville de Harfleur ;
- ordonne la ville du Havre, la société française des travaux routiers et la ville de Honfleur à garantir Gaz de France des condamnations prononcées à son encontre,
Vu 3° sous le n° 48 017 la requête sommaire, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 19 janvier 1983, et le mémoire complémentaire, enregistré le 18 mai 1983, présentés pour M. Georges A... et Mme Marie-Louise A... née Z..., son épouse, demeurant ensemble ... à Tassin-la-demi-lune Rhône , et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1° réforme son jugement en date du 19 novembre 1982 par lequel le tribunal administratif de Rouen a condamné Gaz de France à leur verser la somme de 34 074 F en réparation de la destruction du mobilier appartenant à leur fille, à la suite de l'explosion d'une conduite de gaz survenue le 21 février 1974 à Harfleur ;
2° condamne Gaz de France à leur verser une indemnité de 423 044 F avec les intérêts et les intérêts des intérêts,
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code des tribunaux administratifs ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Garrec, Maître des requêtes,
- les observations de la SCP Waquet, avocat de M. et Mme A..., de Me Rouvière, avocat de la Société Française de Travaux Routiers, de Me Consolo, avocat de la ville du Havre, de Me Copper-Royer, avocat de la ville d'Harfleur et de Me X..., avocatdu Gaz de France,
- les conclusions de M. Boyon, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que les requêtes de M. et Mme A... et la requête de Gaz de France sont relatives aux conséquences d'un même accident ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
En ce qui concerne la requête n° 38 869 de M. et Mme A... :
Considérant que, par un jugement du 23 octobre 1981, le tribunal administratif de Rouen a déclaré Gaz de France entièrement responsable des conséquences dommageables d'une explosion survenue le 21 février 1974 à Harfleur, qui a été provoquée par des fuites provenant d'une canalisation de gaz située dans le sous-sol de la rue du Général-Leclerc et qui a détruit deux immeubles édifiés à l'angle de cette rue et de la rue Caillet ; que cet accident a causé le décès de Mme Y..., qui exerçait dans l'un des bâtiments la profession de chirurgien-dentiste, et celui de son fils Thierry ; que M. et Mme A..., père et mère de Mme Y..., font appel de ce jugement en tant que le tribunal administratif a statué sur la demande d'indemnité qu'ils avaient présentée à l'encontre de Gaz de France ;
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction, et notamment de pièces produites en appel, que les requérants ont exposé des frais lors de déplacements qu'ils ont dû effectuer à la suite du décès de leur fille et de leur petit-fils, en particulier pour le règlement de la succession dont ils étaient les seuls héritiers ; qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice subi de ce chef par M. et Mme A... en condamnant Gaz de France à leur verser une somme de 5 000 F, correspondant à ceux de ces frais qui peuvent être regardés comme une conséquence directe du décès de Mme Y... et de son fils ; qu'il y a lieu de réformer sur ce point le jugement attaqué ;

Considérant, en deuxième lieu, que, si les requérants font valoir qu'ils ont eu à verser certaines sommes, à titre de salaires ou d'indemnités annexes, à des personnes qui travaillaient pour le compte de leur fille, ces paiements se rapportaient à des créances nées avant l'accident et ont d'ailleurs été prises en compte dans le passif de la succession ; qu'ils ne peuvent être regardés comme la conséquence du décès de Mme Y... ;
Considérant, en troisième lieu, que si M. et Mme A... demandent à être indemnisés de la "perte de clientèle" entrainée par le décès prématuré de leur fille, Mme Y..., le préjudice pouvant résulter pour eux, en leur qualité d'héritiers de Mme Y..., de la perte des avantages que celle-ci aurait pu retirer, lors de la cessation de son activité, de la présentation d'un successeur à la clientèle et de l'engagement de ne pas s'établir à des fins professionnelles dans une zone déterminée, présente un caractère purement éventuel ; que les requérants ne sont pas fondés à se plaindre de ce que le tribunal administratif a rejeté leur demande sur ce point ;
Considérant, en quatrième lieu, que M. A... s'est formellement abstenu, devant le tribunal administratif, de demander la réparation de la douleur morale que lui avait causée la mort de sa fille et de son petit-fils ; que, par suite, il n'est pas recevable à présenter en appel des conclusions sur ce point ; que les premiers juges n'ont pas fait une insuffisante appréciation de la douleur morale subie par Mme A... en allouant à celle-ci une somme de 20 000 F pour le décès de sa fille et une somme de 10 000 F pour le décès de son petit-fils ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'indemnité que Gaz de France a été condamné à verser à M. et Mme A..., par l'article 2 du jugement attaqué, doit être portée de 1 100 à 6 110 F ;
Considérant que Mme A... a droit aux intérêts à compter du 22 décembre 1977, date de l'enregistrement de sa demande au greffe du tribunal administratif, pour l'indemnité de 30 000 F qui lui a été allouée par l'article 3 du jugement attaqué ;
Considérant que la capitalisation des intérêts afférents aux deux indemnités mentionnées ci-dessus a été demandée les 18 décembre 1981 et 9 avril 1985 ; qu'à chacune de ces dates, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à ces demandes ;
En ce qui concerne la requête n° 48 017 de M. et Mme A... :
Considérant que, par un jugement du 19 novembre 1982, qui est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Rouen a accordé à M. et Mme A... une indemnité de 34 074 F en réparation du préjudice qu'ils ont subi du fait de la destruction de biens meubles qui leur appartenaient ou qui étaient la propriété de leur fille ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la valeur à neuf de ces biens, au jour de l'accident, doit être fixée à 423 044 F ; que, compte tenu, d'une part, de la vétusté de certains de ces biens et, d'autre part, de l'indemnité de 165 916 F allouée aux requérants par l'assureur de Mme Y..., il sera fait une juste appréciation du préjudice subi de ce chef en portant à 134 074 F le montant de la condamnation prononcée à l'encontre de Gaz de France par le jugement attaqué ;

Considérant que la capitalisation des intérêts afférents à cette somme a été demandée les 19 janvier 1983 et 9 avril 1985 ; qu'à chacune de ces dates, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à ces demandes ;
En ce qui concerne la requête de Gaz de France :
Considérant que Gaz de France fait appel du jugement du 23 octobre 1981 en tant que le tribunal administratif a rejeté ses conclusions en garantie dirigées contre la ville de Harfleur, la ville du Havre et la société française de travaux routiers ;
Sur les conclusions tendant à ce que Gaz de France soit garanti par la ville de Harfleur :
Considérant que ces conclusions sont uniquement fondées sur la faute que le maire de Harfleur aurait commise en ne faisant pas respecter les prescriptions d'un arrêté municipal du 7 août 1972 interdisant la circulation des véhicules de plus de 3,5 tonnes dans la rue Caillet ; qu'en admettant que le passage de ces véhicules ait eu une influence sur la stabilité du sol et joué un rôle dans la rupture de la canalisation de gaz, il ne résulte pas de l'instruction que le maire de Harfleur, en l'absence de toute indication concernant les risques que cette circulation pouvait entraîner pour les ouvrages souterrains, ait commis une faute lourde en ne prenant pas des dispositions suffisantes pour assurer la stricte observation de l'arrêté ci-dessus mentionné ; que, par suite, Gaz de France n'est pas fondé à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Rouen a rejeté ses conclusions dirigées contre la ville de Harfleur ;
Sur les conclusions tendant à ce que Gaz de France soit garanti par la ville du Havre et par la société française de travaux routiers :

Considérant, d'une part, qu'il n'est pas contesté que la société française de travaux routiers a uniquement participé au déplacement d'une cheminée de regard d'un égout placé sous la voie publique ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que les travaux exécutés par cette société aient, même pour partie, contribué à provoquer la rupture de la canalisation de gaz qui est à l'origine de l'explosion du 21 février 1974 ; que, par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif a rejeté les conclusions de Gaz de France dirigées contre la société française des travaux routiers ;
Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction, notamment des rapports des experts commis dans le cadre d'une instance pénale ouverte à la suite de l'accident, que les travaux de pose d'une conduite d'eau d'un diamètre de 600 millimètres effectués pour le compte de la ville du Havre, dans le sous-sol de la rue Caillet, postérieurement à la pose de la canalisation de gaz et sous celle-ci, ont affecté la stabilité du terrain et modifié l'assise de cette canalisation ; qu'ils ont ainsi joué un rôle déterminant dans la rupture de la canalisation et engagent la responsabilité de la ville du Havre ; que, toutefois, celle-ci est atténuée par l'insuffisance de la surveillance exercée par les services de Gaz de France, tant durant l'exécution des travaux qu'à la suite d'une première ruture de la même canalisation survenue en 1973 ; qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'affaire en condamnant la ville du Havre à garantir Gaz de France du tiers des condamnations prononcées à l'encontre de cet établissement ; qu'il y a lieu de réformer dans cette mesure le jugement attaqué ;
Article ler : L'indemnité allouée à M. et Mme A... parl'article 2 du jugement du tribunal administratif de Rouen en date du23 octobre 1981 est portée de 1 100 à 6 110 F. Les intérêts afférentsà cette somme seront capitalisés aux 18 décembre 1981 et 9 avril 1985pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : L'indemnité de 30 000 F attribuée à Mme A... par l'article 3 du même jugement portera intérêt au taux légal à compter du 22 décembre 1977. Les intérêts seront capitalisés aux 18 décembre 1981 et 9 avril 1985 pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : L'indemnité allouée à M. et Mme A... par le jugement du tribunal administratif de Rouen en date du 19 novembre 1982 est portée de 34 074 F à 134 074 F. Les intérêts afférents à cette somme seront capitalisés aux 19 janvier 1983 et 9 avril 1985 pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 4 : La ville du Havre garantira Gaz de France à concurrence du tiers des condamnations prononcées à l'encontre de cetétablissement public par les jugements attaqués.

Article 5 : Les jugements du tribunal administratif de Rouen en date des 23 octobre 1981 et 19 novembre 1982 sont réformés en ce qu'ils ont de contraire à la présente décision.

Article 6 : Le surplus des conclusions des requêtes de M. et MmeMARTIN et de la requête de Gaz de France est rejeté.

Article 7 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme A..., à Gaz de France, à la ville du Havre, à la ville de Harfleur,à la société français de travaux routiers, au ministre de l'intérieuret de la décentralisation et au ministre du redéploiement industriel et du commerce extérieur.


Synthèse
Formation : 1 / 4 ssr
Numéro d'arrêt : 38869;39031;48017
Date de la décision : 26/02/1986
Sens de l'arrêt : Réformation
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - PREJUDICE - CARACTERE CERTAIN DU PREJUDICE - ABSENCE - Préjudice subi par les parents d'un chirurgien-dentiste décédé dans un accident du fait de la perte des avantages financiers que celui-ci aurait pu retirer de la cession de sa clientèle lors de sa cessation d'activité.

60-04-01-02-01 Parents d'un chirurgien-dentiste décédé à la suite d'un accident imputable à Gaz de France demandant à cet établissement public une indemnité du chef de la "perte de clientèle" entraînée par le décès prématuré de leur fille. Le préjudice pouvant résulter pour eux, en leur qualité d'héritiers de leur fille, de la perte des avantages que celle-ci aurait pu retirer, lors de la cessation de son activité, de la présentation d'un successeur à la clientèle et de l'engagement de ne pas s'établir à des fins professionnelles dans une zone déterminée, présente un caractère éventuel.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - EVALUATION DU PREJUDICE - PREJUDICE MATERIEL - Destruction ou dégradation d'un bien - Biens meubles - Abattement de vétusté.

60-04-03-02 Requérants demandant une indemnité en réparation du préjudice qu'ils ont subi du fait de la destruction, à la suite d'une explosion par le gaz, de biens meubles qui leur appartenaient ou qui étaient la propriété de leur fille, décédée lors de l'accident. L'indemnité allouée est fixée en tenant compte d'un abattement de vétusté qui, en l'espèce, ne porte [sol. impl.] que sur les biens autres que les biens d'usage courant et les antiquités.


Références :

Arrêté municipal du 07 août 1972 Honfleur
Code civil 1154


Publications
Proposition de citation : CE, 26 fév. 1986, n° 38869;39031;48017
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Gazier
Rapporteur ?: M. Garrec
Rapporteur public ?: M. Boyon

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1986:38869.19860226
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award