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25/07/1986 | FRANCE | N°52699;52738;55316

France | France, Conseil d'État, 5 / 3 ssr, 25 juillet 1986, 52699, 52738 et 55316


Vu 1° la requête sommaire et le mémoire complémentaire n° 52 699 enregistrés les 25 juillet 1983 et 23 novembre 1983 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Bertrand X... DE L'AIN, demeurant aux "Corneillettes" à Chevry 01170 Gex, et Mme Evelyne Y..., demeurant aux "Corneillettes" à Crozet 01170 Gex, et tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 20 mai 1983 déclarant d'utilité publique et urgente l'acquisition d'immeubles non bâtis sis sur le territoire des communes de Cessy, Crozet et autres Ain en vue de la réalisation de l'anneau de

collision à élecrons et positons dit "LEP", par l'organisation e...

Vu 1° la requête sommaire et le mémoire complémentaire n° 52 699 enregistrés les 25 juillet 1983 et 23 novembre 1983 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Bertrand X... DE L'AIN, demeurant aux "Corneillettes" à Chevry 01170 Gex, et Mme Evelyne Y..., demeurant aux "Corneillettes" à Crozet 01170 Gex, et tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 20 mai 1983 déclarant d'utilité publique et urgente l'acquisition d'immeubles non bâtis sis sur le territoire des communes de Cessy, Crozet et autres Ain en vue de la réalisation de l'anneau de collision à élecrons et positons dit "LEP", par l'organisation européenne pour la recherche nucléaire CERN et approuvant la modification des plans d'occupation des sols de quatre communes ;
Vu 2° la requête n° 52 738, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 26 juillet 1983, présentée par l'union locale CFDT du pays de Gex, représentée par son secrétaire en exercice, dont le siège est à Gex 01170 BP 13 et tendant à l'annulation du décret visé plus haut en date du 20 mai 1983 ;
Vu 3° la requête sommaire n° 55 316, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 24 novembre 1983, et le mémoire complémentaire, enregistré le 23 mars 1984, présentés pour l'AGENA association gessienne de défense de la nature dont le siège social est à Saint-Genis-Pouilly 01630 1 parc du Bugnon et tendant à l'annulation du décret précité en date du 20 mai 1983 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la constitution du 4 octobre 1958 ;
Vu le code des tribunaux administratifs ;
Vu le code des communes ;
Vu le code de l'expropriation ;
Vu la convention du 31 décembre 1953 ratifiée par la loi du 13 août 1954 ;
Vu la convention européenne des droits de l'homme ;
Vu la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 et le décret n° 77-1141 du 12 octobre 1977 ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de Mme Lenoir, Maître des requêtes,
- les conclusions de M. Stirn, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que les requêtes de M. Bertrand X... DE L'AIN et de Mme Evelyne Y..., de l'Union locale CFDT du Pays de Gex et de l'Association gessienne de défense de la nature AGENA sont dirigées contre un même décret ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Considérant que, par le décret attaqué, en date du 20 mai 1983, a été déclarée d'utilité publique et urgente l'acquisition d'immeubles non bâtis sis sur le territoire des communes de Cessy, Crozet, Echenevex, Ferney-Voltaire, Ornex, Prevessin-Moens, Saint-Genis-Pouilly, Sergy et Versonnex dans le département de l'Ain, en vue de la réalisation de l'anneau de collision à électrons et positons, dit "LEP", par l'organisation européenne pour la recherche nucléaire CERN et a été approuvée la modifcation des plans d'occupation des sols de trois de ces communes ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées aux requêtes :
Sur le moyen tiré de ce que la déclaration d'utilité publique attaquée aurait dû être prononcée par la loi après révision des accords conclus entre la France et le CERN concernant le statut juridique de cette organisation :
Considérant que l'acquisition par l'Etat des terrains dont s'agit, déclarée d'utilité publique par le décret attaqué, avait pour objet, pour l'exécution du programme de recherche nucléaire fondamentale mis en oeuvre par le CERN dont la France est membre, la réalisation par cette organisation d'un accélérateur de particules implanté dans un tunnel circulaire d'environ 9 km de diamètre et 27 km de circonférence, a environ 600 m, de profondeur sous la claise du Jura, à la limite du département de l'Ain et du territoire Suisse ; que cette opération, en raison de l'intérêt général qu'elle présente, pouvait faire l'objet d'une déclaration d'utilité publique ; que cette déclaration d'utilité publique n'ayant ni pour objet, ni pour effet, d'étendre les prérogatives ou les immunités, notamment l'immunité de juridiction, dont bénéficie le CERN en tant qu'organisation internationale, n'a pas le caractère d'une mesure relative à l'exercice des libertés publiques entrant dans le domaine réservé à la loi en vertu de l'article 34 de la constitution ; que la réalisation par le CERN de l'opération en cause n'est pas subordonnée à une modification des compétences de cette organisation telles qu'elles sont définies par les accords conclus par elle avec la France ; qu'il suit de là que le moyen tiré de ce que la déclaration d'utilité publique aurait dû être prononcée par la loi, après révision des accords conclus entre la France et le CERN, doit être écarté ;
Sur le moyen tiré de la violation de l'article 53 de la constitution :

Considérant que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, la réalisation par le CERN de l'ouvrage projeté sur des terrains expropriés par l'Etat et loués par celui-ci à cette organisation n'emporte aucune cession de territoire au sens de l'article 53 de la Constitution ; que, par suite, le moyen tiré de la violation de cet article manque en fait ;
Sur les moyens tirés de l'insuffisance des visas et de l'insuffisance des mentions du décret attaqué :
Considérant que l'omission, dans les visas d'une décision administrative, de la mention des textes au vu desquels elle a été prise, est sans incidence sur sa légalité ; qu'ainsi le moyen tiré de ce que le décret attaqué ne vise pas les accords conclus entre la France et le CERN pour définir le statut juridique de cette organisation doit, en tout état de cause, être écarté ; qu'en désignant l'ouvrage faisant l'objet de la déclaration d'utilité publique comme un "anneau de collision à électrons et positons" le décret attaqué définit de façon suffisamment précise l'objet en vue duquel cette déclaration d'utilité publique est prononcée ;
Sur le moyen tiré de l'insuffisance de l'étude d'impact :
Considérant qu'à la demande de déclaration d'utilité publique de l'opération dont s'agit était jointe, conformément aux dispositions du décret du 12 octobre 1977 pris pour l'application de l'article 2 de la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, une étude d'impact ; que, contrairement à ce que soutient l'AGENA, ce document faisait état de renseignements suffisamment précis tant sur les études géologiques, hydrologiques et géotechniques réalisées par le CERN pour mesurer les incidences du projet sur l'environnement que sur les mesures de protection prévues pour assurer la sécurité des populations ; que la circonstance que l'étude d'impact fait état d'études complémentaires en cours de réalisation par le CERN, dont l'étude hydrologique du bassin versant du Jura, n'implique pas que l'étude d'impact telle qu'elle figurait au dossier mis à l'enquête, ait été insuffisante ; qu'il ressort au contraire de l'examen de cette étude que son contenu était en relation avec l'importance des travaux projetés et de leurs incidences prévisibles sur l'environnement et fournissait des informations suffisantes pour apprécier les conséquences de l'exécution du projet faisant l'objet de cette étude ; qu'ainsi, le moyen susanalysé ne saurait être accueilli ;
Sur le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure, du fait de l'insuffisance de l'information donnée aux personnes concernées par le projet :

Considérant que, contrairement aux allégations des requérants sur le caractère insuffisant de l'information donnée aux personnes concernées par le projet, il ressort du dossier que le décret attaqué a été pris à la suite d'une enquête au cours de laquelle le public a été mis à même d'obtenir toutes les informations nécessaires sur les buts et les modalités de l'opération ; que le décret attaqué ne contenant aucune mesure relative aux compétences du CERN et au statut du personnel travaillant pour cette organisation internationale, la circonstance que le dossier mis à l'enquête publique ne comportait aucune indication sur ces deux points est sans incidences sur la régularité de la décision prise à la suite de cette enquête ;
Sur le moyen tiré de ce que l'avis de la commission d'enquête reposerait sur des renseignements erronés :
Considérant qu'en relevant dans son rapport qu'une commission de concertation sera mise en place pour faciliter le règlement des difficultés qui pourraient survenir entre le CERN et les tiers et que la réglementation française sur les installations nucléaires de base devra être rendue applicable à l'installation qui sera exploitée en territoire français par le CERN, la commission d'enquête s'est bornée à se référer à des projets en cours, qui ont d'ailleurs été ultérieurement réalisés et n'a nullement fait reposer son avis sur des données inexactes ;
Sur le moyen tiré de la violation et du préambule de la Constitution de la convention européenne des droits de l'homme :
Considérant que le décret attaqué n'énonce aucune régle relative à l'exercice des voies de recours offertes aux personnes qui sont victimes de dommages causés par le CERN, en vue d'obtenir réparation ; qu'il suit de là que le moyen tiré de ce que ce décret méconnaîtrait les stipulations de la convention européenne des droits de l'homme reconnaissant à toute personne le droit d'exercer un recours devant une instance nationale ainsi que le principe issu du préambule de la constitution selon lequel toute personne a droit à réparation des dommages qu'elle subit résultant de fautes civiles imputables à des personnes physiques ou morales de droit privé doit être rejeté ;
Sur le moyen tiré de la violation des régles posées par les lois de décentralisation du 2 mars 1982 et du 7 janvier et du 22 juillet 1983 :

Considérant que le décret attaqué ne comporte aucune disposition relative aux pouvoirs des autorités des collectivités locales sur le territoire desquelles se situe l'emprise de l'ouvrage projeté ; qu'il n'a de même, ni pour objet ni pour effet de conférer au CERN de nouveaux privilèges fiscaux entraînant des pertes de recettes pour ces collectivités locales ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que le décret attaqué contreviendrait aux règles posées par les lois de décentralisation ne peut en tout état de cause qu'être écarté ;
Sur le moyen tiré de la violation de certaines dispositions du code de l'expropriation :
Considérant que le décret attaqué ne se prononce pas sur le régime de la rétrocession des terrains n'ayant pas reçu la destination qui était prévue au moment de leur expropriation ; qu'ainsi le moyen tiré de ce que ce décret aurait été pris en méconnaissance des dispositions du code de l'expropriation relatives à la rétrocession des biens faisant l'objet d'une déclaration d'utilité publique est inopérant ;
Sur le moyen tiré du défaut d'utilité publique de l'opération :
Considérant qu'il n'est pas contesté que l'opération en cause, réalisée dans l'intérêt de la recherche nucléaire de base des différents Etats membres du CERN, présente en elle-même un caractère d'utilité publique ; qu'il ressort des pièces du dossier que les inconvénients qu'elle comporte, notamment pour l'environnement et la sécurité des personnes et des biens, ne sont pas excessifs, compte tenu des précautions prises pour les réduire au minimum, eu égard aux avantages que présente l'ouvrage dont il s'agit ;

Considérant que de tout ce qui précède il résulte que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation du décret attaqué ;
Article 1er : Les requêtes de M. Bertrand X... DE L'AIN et Mme Evelyne Y..., de l'Union locale CFDT du pays de Gex, et de l'Association gessienne de défense de la nature AGENA sont rejetées ;

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Bertrand X... DE L'AIN, à Mme Evelyne Y..., à l'Union locale CFDT du pays de Gex, à l'Association gessienne de défense de la nature, au ministre de l'équipement, du logement, de l'aménagement du territoireet des transports, au ministre de l'industrie, des P. et T. et du tourisme, au ministre des affaires étrangères et au Premier ministre.


Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Recours pour excès de pouvoir

Analyses

EXPROPRIATION POUR CAUSE D'UTILITE PUBLIQUE - NOTIONS GENERALES - PERSONNES AU BENEFICE DESQUELLES UNE EXPROPRIATION PEUT ETRE REALISEE - Acquisition de terrains par l'Etat en vue de la réalisation par l'organisation européenne pour la recherche nucléaire [C - E - R - N - ] d'un accélérateur de particules.

34-01-05, 34-02-02-01 L'acquisition par l'Etat de terrains situés sur le territoire de neuf communes du département de l'Ain, déclarée d'utilité publique par le décret du 20 mai 1983, avait pour objet, pour l'exécution du programme de recherche nucléaire fondamentale mis en oeuvre par l'organisation européenne pour la recherche nucléaire [C.E.R.N.], dont la France est membre, la réalisation par cette organisation d'un accélérateur de particules implanté dans un tunnel circulaire d'environ 9 km de diamètre et 27 km de circonférence, à environ 600 m de profondeur, sous la claisse du Jura, à la limite du département de l'Ain et du territoire suisse. Cette opération, en raison de l'intérêt général qu'elle présente, pouvait faire l'objet d'une déclaration d'utilité publique. Cette déclaration d'utilité publique n'ayant ni pour objet ni pour effet d'étendre les prérogatives ou les immunités, notamment l'immunité de juridiction, dont bénéficie le C.E.R.N. en tant qu'organisation internationale, n'a pas le caractère d'une mesure relative à l'exercice des libertés publiques entrant dans le domaine réservé à la loi en vertu de l'article 34 de la constitution. La réalisation par le C.E.R.N. de l'opération en cause n'est pas subordonnée à une modification des compétences de cette organisation, telles qu'elles sont définies par les accords conclus par elle avec la France. En conséquence, le moyen tiré de ce que la déclaration d'utilité publique aurait dû être prononcée par la loi, après révision des accords conclus entre la France et le C.E.R.N., doit être écarté.

EXPROPRIATION POUR CAUSE D'UTILITE PUBLIQUE - REGLES GENERALES DE LA PROCEDURE NORMALE - ACTE DECLARATIF D'UTILITE PUBLIQUE - AUTORITE COMPETENTE - Déclaration d'utilité publique pouvant être légalement prononcée par décret - Acquisition de terrains en vue de la réalisation par l'organisation européenne pour la recherche nucléaire [C - E - R - N - ] d'un accélérateur de particules.


Références :

Constitution du 04 octobre 1958 art. 34, art. 53
Décret du 20 mai 1983 déclaration d'utilité publique décision attaquée confirmation
Décret 77-1141 du 12 octobre 1977
Loi 76-629 du 10 juillet 1976 art. 2
Loi 82-213 du 02 mars 1982
Loi 83-663 du 22 juillet 1983
Loi 83-8 du 07 janvier 1983


Publications
Proposition de citation: CE, 25 jui. 1986, n° 52699;52738;55316
Mentionné aux tables du recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Coudurier
Rapporteur ?: Mme Lenoir
Rapporteur public ?: M. Stirn

Origine de la décision
Formation : 5 / 3 ssr
Date de la décision : 25/07/1986
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 52699;52738;55316
Numéro NOR : CETATEXT000007693447 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;1986-07-25;52699 ?
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