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31/10/1986 | FRANCE | N°62889

France | France, Conseil d'État, 1 / 4 ssr, 31 octobre 1986, 62889


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 25 septembre 1984 et 24 janvier 1985 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la Société anonyme "Assurances Générales de France", dont le siège est ..., représentée par ses directeur et représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1° annule le jugement du 26 juillet 1984 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant au remboursement des 5/6 des indemnités versées aux familles des militaires

décédés au mois de décembre 1973 à la caserne Desjardins à Angers, en exé...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 25 septembre 1984 et 24 janvier 1985 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la Société anonyme "Assurances Générales de France", dont le siège est ..., représentée par ses directeur et représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1° annule le jugement du 26 juillet 1984 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant au remboursement des 5/6 des indemnités versées aux familles des militaires décédés au mois de décembre 1973 à la caserne Desjardins à Angers, en exécution de l'arrêt de la Cour d'appel de Rennes du 19 mai 1980, ainsi que les intérêts desdites sommes ;
2° condamne l'Etat à lui payer une somme au moins égale à 5/6 du préjudice subi et évaluée à 134 620,10 F outre les intérêts légaux, ainsi que les intérêts des intérêts,
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi du 13 juillet 1972 ;
Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
Vu le code des tribunaux administratifs ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Le Pors, Conseiller d'Etat,
- les observations de Me Vuitton, avocat de la Compagnie "LES ASSURANCES GENERALES DE FRANCE",
- les conclusions de M. Lasserre, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'à la suite de l'accident survenu le 11 décembre 1973 à la caserne Desjardins à Angers où deux militaires appelés, MM. Marcel A... et Jean-Marie Z..., sont décédés par intoxication oxycarbonée due à l'obturation d'un conduit de cheminée en réfection, l'autorité judiciaire, tout en relevant diverses fautes à la charge des autorités militaires, a condamné M. Emile Y..., conducteur de travaux de la société Guérif, à verser aux ayants droit des deux militaires victimes de l'accident diverses indemnités s'élevant à 134 620,10 F en réparation du préjudice subi par eux ; que la SOCIETE ANONYME "ASSURANCES GENERALES DE FRANCE" assureur de la société Guérif a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Etat à lui rembourser les sommes qu'elle a dû verser à la suite de cette condamnation à concurrence de la part de responsabilité revenant à l'Etat dans l'accident dont s'agit ;
Considérant qu'aux termes de l'article 20 de la loi du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires, les obligations dont l'Etat est tenu envers les militaires victimes d'accidents ou de blessures survenus par le fait ou à l'occasion du service, ainsi qu'à leurs ayant droits sont définies par le code des pensions militaire d'invalidité et des victimes de guerre ; qu'il résulte de l'ensemble des dispositions de ce code que le législateur n'a pas entendu ouvrir au bénéfice des militaires victimes d'accidents de service ainsi que de leurs ayant droit, un droit à réparation de la part de l'Etat autre que celui prévu par ledit code ; que la SOCIETE ANONYME "ASSURANCES GENERALES DE FRANCE" agissant en vertu d'une double subrogation dans les droits de la société Guérif et dans ceux des parents des victimes, n'a pas vis à vis de l'Etat de droits plus étendus que ces derniers ; que la société requérante n'est par suite pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté ses demandes tendant au remboursement de sommes que la société Guérif a été condamnée à verser d'une part à M. et Mme Z..., père et mère de Jean-Marie Z... au titre de la douleur morale et à la succession de Jean-Marie Z... au titre des frais funéraires, et d'autre part à Mme veuve A..., mère de Marcel A... au titre de la douleur morale et à la succession de Marcel A... au titre des frais funéraires ;

Considérant en revanche que ne figurent au nombre des bénéficiaires des dispositions du code des pensions ni les frères et soeurs d'un militaire victime d'un accident de service, ni son beau-père, ni les enfants de celui-ci ; que le forfait de la pension de leur est par suite pas opposable ; que, dans ces conditions, la société requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes a écarté sur ce fondement les conclusions tendant au remboursement des sommes qu'elle a été condamnée à verser à Véronique, Agnès, Denis, Christian et Catherine Z..., ainsi qu'à M. X..., à Jean-Paul, Noël et Yvette A..., et à Guislaine et Evelyne-Marie X... ;
Considérant que si l'appréciation des responsabilités pénales portée par le juge judiciaire ne s'impose pas au juge administratif dans l'appréciation de la responsabilité civile de l'Etat, il résulte de l'instruction que les autorités militaires, agissant comme maître de l'ouvrage, ont, dans la conception et la direction des travaux confiés à la société Guérif sur la base d'un marché d'entretien, commis des fautes lourdes, notamment en ne communiquant pas à l'entreprise les plans des conduits à aménager et en n'assurant aucune coordination entre les deux tranches de travaux exécutés à quelques mois d'intervalle ; que ces fautes lourdes sont de nature à engager la responsabilité de l'Etat vis à vis de ladite société ; qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'affaire en condamnant l'Etat à garantir la société à raison de 50 % des condamnations prononcées à son encontre et au profit des personnes susmentionnées ; que les sommes auxquelles a ainsi droit la société requérante s'élèvent à 25 075,25 F ;

Considérant que la société requérante a droit aux intérêts de la somme de 25 075,25 F à compter de l'enregistrement de sa demande devant le tribunal administratif de Nantes, soit le 20 juin 1982 ; que la capitalisation des intérêts a été demandée le 24 janvier 1985, qu'à cette date il était du au moins une année d'intérêts ; que dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 26 juillet 1984 est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à la SOCIETE ANONYME "ASSURANCES GENERALES DE FRANCE" la somme de 25 075,25 F avec intérêts au taux légal à compter du 21 juin 1982. Les intérêts échus le 24 janvier 1985 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête et de la demande au tribunal administratif est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE ANONYME "ASSURANCES GENERALES DE FRANCE" et au ministre de la défense.


Synthèse
Formation : 1 / 4 ssr
Numéro d'arrêt : 62889
Date de la décision : 31/10/1986
Sens de l'arrêt : Annulation totale
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

- RJ3 MARCHES ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - RAPPORTS ENTRE L'ARCHITECTE - L'ENTREPRENEUR ET LE MAITRE DE L'OUVRAGE - RESPONSABILITE DES CONSTRUCTEURS A L'EGARD DU MAITRE DE L'OUVRAGE - ACTIONS EN GARANTIE - CAAction en garantie de l'entrepreneur contre le maître de l'ouvrage - Défaut de surveillance - Régime de la faute lourde - Existence d'une faute lourde.

60-04-04-05 Il résulte de l'ensemble des dispositions du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre que le législateur n'a pas entendu ouvrir au bénéfice des militaires victimes d'accidents de service ainsi que de leurs ayants-droit un droit à réparation de la part de l'Etat autre que celui prévu par ledit code. Une compagnie d'assurances agissant en vertu d'une double subrogation dans les droits d'une société de travaux publics condamnée à verser diverses indemnités aux ayants-droit de deux militaires victimes d'un accident de service et dans ceux des parents des victimes n'a pas vis-à-vis de l'Etat de droits plus étendus que ces derniers. En revanche, ne figurent au nombre des bénéficiaires du code des pensions ni les frères et soeurs d'un militaire victime d'un accident de service, ni son beau-frère, ni les enfants de celui-ci. Le forfait de la pension ne leur est par suite pas opposable. En conséquence, rejet de la demande de la compagnie d'assurances tendant au remboursement par l'Etat des sommes que la société de travaux publics a été condamnée à verser au père et à la mère d'un militaire décédé au titre de la douleur morale et à sa succession au titre des frais funéraires. Mais admission - en l'espèce partielle - de la demande de cette compagnie tendant au remboursement par l'Etat des sommes qu'elle a été condamnée à verser aux personnes autres que les ayants-droit.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - FAITS SUSCEPTIBLES OU NON D'OUVRIR UNE ACTION EN RESPONSABILITE - FONDEMENT DE LA RESPONSABILITE - RESPONSABILITE POUR FAUTE - APPLICATION D'UN REGIME DE FAUTE LOURDE - CAMarchés et contrats - Action en garantie d'un entrepreneur contre le maître de l'ouvrage fondée sur une faute de surveillance - Responsabilité de l'Etat engagée pour fautes lourdes.

39-06-01-06, 60-01-02-02-03 Si l'appréciation des responsabilités pénales portée par le juge judiciaire ne s'impose pas au juge administratif dans l'appréciation de la responsabilité civile de l'Etat, il résulte en l'espèce de l'instruction que les autorités militaires, agissant comme maître de l'ouvrage, ont, dans la conception et la direction des travaux confiés à la société G. sur la base d'un marché d'entretien portant sur la réfection de conduits de cheminée, commis des fautes lourdes, notamment en ne communiquant pas à l'entreprise les plans des conduits à aménager et en n'assurant aucune coordination entre les deux branches de travaux exécutés à quelques mois d'intervalle. Ces fautes lourdes sont de nature à engager la responsabilité de l'Etat vis-à-vis de ladite société. Condamnation de l'Etat à garantir cette société à raison de 50 % des condamnations prononcées à son encontre par le juge judiciaire au profit des parents de militaires décédés des suites d'une intoxication due à l'obturation d'un conduit de cheminée.

- RJ1 - RJ2 RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - MODALITES DE LA REPARATION - CARACTERE FORFAITAIRE DE LA PENSION - CAMilitaires victimes d'un accident de service - Forfait de la pension opposable aux ayants-droit des victimes - et à l'assureur subrogé dans leurs droits (1) mais non aux frères et soeurs desdites victimes (2).


Références :

Code civil 1154
Loi 72-662 du 13 juillet 1972 art. 20

1.

Cf. 1967-12-22, Ministre des armées c/ Compagnie New Hampshire, p. 521. 2.

Cf. 1965-06-25, Epoux Mérignac T. p. 1051. 3.

Cf. en matière de responsabilité contractuelle, 1981-01-23, Coudert, p. 21


Publications
Proposition de citation : CE, 31 oct. 1986, n° 62889
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Combarnous
Rapporteur ?: M. Le Pors,
Rapporteur public ?: M. Lasserre

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1986:62889.19861031
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