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27/02/1987 | FRANCE | N°50541

France | France, Conseil d'État, 3 / 5 ssr, 27 février 1987, 50541


Vu le recours enregistré le 10 mai 1983 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre de l'économie, des finances et du budget, et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1° annule le jugement du 25 mars 1983 du tribunal administratif de Paris en tant que celui-ci a décidé qu'il serait sursis à statuer sur la demande de M. Nguyen X... tendant à l'annulation des décisions du ministre du budget en date des 4 novembre 1977 et 15 avril 1979 refusant de prendre en charge sur le budget de l'Etat français sa pension civile au titre de ses services effectués

en qualité de cadre supérieur administratif du gouvernement de l...

Vu le recours enregistré le 10 mai 1983 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre de l'économie, des finances et du budget, et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1° annule le jugement du 25 mars 1983 du tribunal administratif de Paris en tant que celui-ci a décidé qu'il serait sursis à statuer sur la demande de M. Nguyen X... tendant à l'annulation des décisions du ministre du budget en date des 4 novembre 1977 et 15 avril 1979 refusant de prendre en charge sur le budget de l'Etat français sa pension civile au titre de ses services effectués en qualité de cadre supérieur administratif du gouvernement de la Cochinchine, jusqu'à ce que le ministre des relations extérieures se soit prononcé sur l'applicabilité et l'interprétation du protocole franco-vietnamien du 14 novembre 1959 relatif au contentieux financier ;
2° rejette la demande présentée par M. Nguyen X... devant le tribunal administratif de Paris ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le protocole franco-vietnamien du 14 novembre 1959 relatif au contentieux financier, confirmé par l'accord du 24 mars 1960 ;
Vu la convention quadripartite du 31 mai 1954, relative au transfert de la caisse des pensions civiles de l' Indochine ;
Vu le code des tribunaux administratifs ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Frydman, Auditeur,
- les conclusions de Mme Hubac, Commissaire du gouvernement ;
Sur le recours présenté par le ministre de l'économie, des finances et du budget :
En ce qui concerne la régularité en la forme du jugement attaqué :

Considérant que, si le ministre de l'économie, des finances et du budget soutient que le jugement attaqué aurait affirmé, de manière contradictoire, d'une part, que le protocole franco-vietnamien du 14 novembre 1959 relatif au contentieux financier n'était plus applicable et, d'autre part, qu'il y avait lieu de surseoir à statuer sur les conclusions de la demande présentée par M. NGUYEN X... jusqu'à ce que le ministre des relations extérieures se soit prononcé sur l'interprétation dudit protocole, il résulte des termes dudit jugement que le tribunal administratif de Paris, en indiquant que cette convention "n'est plus applicable", s'est borné à rappeler l'argumentation du demandeur telle qu'elle était exposée dans ses productions, et n'a pas exprimé sa propre position quant à l'applicabilité de cette convention, question qui a précisément motivé le sursis à statuer prononcé par ledit tribunal ; que, par suite, le moyen tiré d'une prétendue contradiction de motifs du jugement attaqué manque en fait ;
En ce qui concerne la recevabilité des demandes présentées par M. NGUYEN X... devant le tribunal administratif de Paris :
Considérant que, par demandes adressées au ministre du budget en date des 5 août 1976, 12 octbre 1977 et 8 mai 1979, M. NGUYEN X..., ancien administrateur des services civils du cadre local indochinois du Gouvernement de la Cochinchine, titulaire de la nationalité française, a réitéré de précédentes demandes tendant à la prise en charge par le Gouvernement français de sa pension de retraite, et présentées les 20 décembre 1968, 30 janvier 1969 et 27 février 1969, lesquelles demandes avaient fait l'objet d'une décision de rejet du 12 mai 1969, devenue définitive ;

Considérant, toutefois, qu'il est allégué par M. NGUYEN X... et qu'il n'est pas contesté par l'administration que le Gouvernement du Vietnam a cessé, à compter du 1er mai 1975, de verser à l'intéressé sa pension de retraite ; qu'ainsi, les nouvelles demandes du requérant se fondaient sur un changement dans les circonstances de fait du litige ; que, dès lors, les décisions de refus opposées par l'administration à ces nouvelles demandes, les 4 novembre 1977 et 13 avril 1979 constituaient des décisions nouvelles et étaient donc susceptibles de recours ;
Considérant que l'administration n'établit pas la date à laquelle les décisions précitées en date des 4 novembre 1977 et 13 avril 1979 ont été notifiées à l'intéressé ; que c'est dès lors à bon droit que le tribunal administratif de Paris a regardé comme recevables les conclusions de la demande présentée par M. NGUYEN X... dirigées contre lesdites décisions ;
En ce qui concerne le renvoi devant le ministre des relations extérieures des questions de l'applicabilité et de l'interprétation du protocole du 14 novembre 1959 relatif au contentieux financier entre la France et le Vietnam :
Considérant qu'aux termes du paragraphe B-a du protocole susvisé : "le Gouvernement français conserve ou prend à sa charge les pensions de retraite de ses nationaux qui ont été en service sur le territoire du Vietnam" ;
Considérant que la circonstance que M. NGUYEN X... était devenu tributaire de la Caisse des Pensions Civiles du Vietnam en application de la convention quadripartite du 31 mai 1954 relative au transfert de la Caisse des Pensions Civiles de l'Indochine, ne faisait pas obstacle à ce qu'il pût invoquer le bénéfice de la stipulation précitée du protocole du 14 novembre 1959 s'il entrait par ailleurs dans le champ d'application de cette stipulation ;

Considérant, d'une part, que, dans ces conditions, la solution du litige dépend de la question de savoir si, contrairement à ce que soutient l'administration le protocole du 14 novembre 1959 est toujours applicable, alors qu'il est allégué que l'autre partie ne l'appliquerait pas ; que si, aux termes de l'article 55 de la Constitution, "les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie", il n'appartient pas au juge administratif d'apprécier si et dans quelle mesure les conditions d'exécution par l'autre partie d'un traité ou d'un accord sont de nature à priver les stipulations de ce traité ou de cet accord de l'autorité qui leur est conférée par la Constitution ; que c'est par suite à bon droit que le tribunal administratif de Paris a, avant dire droit sur la demande de M. NGUYEN X..., renvoyé au ministre des relations extérieures la question de savoir si, à l'époque des décisions attaquées, les conditions dans lesquelles les autorités vietnamiennes appliquaient le protocole du 14 novembre 1959 étaient de nature à priver de leur autorité les stipulations précitées dudit protocole prévoyant la prise en charge par le Gouvernement français des pensions de retraite de ses nationaux qui ont été en service sur le territoire du Vietnam ;
Considérant, d'autre part, que le sens du paragraphe B-a ci-dessus rappelé de ce protocole n'est pas clair ; qu'en particulier, l'examen de cette stipulation ne permet pas au juge administratif d'apprécier si les pensions de retraite visées par cette convention sont seulement celles qui étaient acquises au 14 novembre 1959 ou également les pensions non encore acquises à cette date ; que, dans l'hypothèse où ce texte serait applicable, l'issue du litige dépendrait dès lors de la détermination des pensions que les Etats signataires ont entendu y viser ; qu'ainsi, c'est à bon droit que cette question a également été soumise au ministre des relations extérieures ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et du budget n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a déclaré recevables les conclusions de M. NGUYEN X... dirigées contre les décisions du ministre du budget en date des 4 novembre 1977 et 15 avril 1979 et a sursis à statuer jusqu'à ce que le ministre des relations extérieures se soit prononcé sur les questions qu'il lui a renvoyées ;
Sur les conclusions incidentes de M. NGUYEN X... tendant à ce que le Conseil d'Etat statue au fond sur ses droits à pension :
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Paris a rendu le jugement avant dire droit attaqué ; que, dès lors, les conclusions de M. NGUYEN X... tendant à ce que le Conseil d'Etat statue au fond sur ses droits à pension ne sauraient être accueillies ;
Article 1er : Le recours du ministre de l'économie, des finances et du budget est rejeté.

Article 2 : Les conclusions incidentes de M. NGUYEN X... sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre d'Etat, chargé de l'économie, des finances et de la privatisation, à M. NGUYEN X... et au ministre des affaires étrangères.


Synthèse
Formation : 3 / 5 ssr
Numéro d'arrêt : 50541
Date de la décision : 27/02/1987
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

- RJ1 ACTES LEGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - DIFFERENTES CATEGORIES D'ACTES - ACCORDS INTERNATIONAUX - APPLICABILITE - Applicabilité subordonnée à l'application par l'autre partie [article 55 de la Constitution] - Autorité compétente pour constater l'éventuelle inapplication - Ministre des affaires étrangères [1].

01-01-02-01, 46-02, 48-03-07 Aux termes du paragraphe B a] du protocole du 14 novembre 1959 relatif au contentieux financier entre la France et le Viêt-Nam, "le gouvernement français conserve ou prend à sa charge les pensions de retraite de ses nationaux qui ont été en service sur le territoire du Viêt-Nam". La circonstance que M. N. était devenu tributaire de la caisse des pensions civiles du Viêt-Nam en application de la convention quadripartite du 31 mai 1954 relative au transfert de la caisse des pensions civiles de l'Indochine ne faisait pas obstacle à ce qu'il put invoquer le bénéfice de la stipulation précitée du protocole du 14 novembre 1959 s'il entrait par ailleurs dans le champ d'application de cette stipulation. Dans ces conditions, la solution du litige opposant M. N. au ministre du budget en ce qui concerne la prise en charge sur le budget de l'Etat français de sa pension civile au titre de ses services effectués en qualité de cadre supérieur administratif du gouvernement de la Cochinchine dépend de la question de savoir si, contrairement à ce que soutient l'administration, le protocole du 14 novembre 1959 est toujours applicable. Or, si, aux termes de l'article 55 de la Constitution "les traités ou accord régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie", il n'appartient pas au juge administratif d'apprécier si et dans quelle mesure les conditions d'exécution par l'autre partie d'un traité ou accord sont de nature à priver les stipulations de ce traité ou de cet accord de l'autorité qui leur est conférée par la Constitution. C'est par suite à bon droit que le tribunal administratif a, avant dire droit sur la requête de M. N., renvoyé au ministre des relations extérieures la question de savoir si, à l'époque des décisions ministérielles attaquées, les conditions dans lesquelles les autorités viêtnamiennes appliquaient le protocole du 14 novembre 1959 étaient de nature à priver de leur autorité les stipulations précitées dudit protocole.

- RJ1 OUTRE-MER - FONCTIONNAIRES ET PERSONNELS DIVERS AYANT SERVI EN AFRIQUE DU NORD OU DANS D'AUTRES ETATS PLACES SOUS LA SOUVERAINETE FRANCAISE - Viêt-Nam - Pensions - Refus d'appliquer à un ressortissant vietnamien les stipulations du paragraphe B a] du protocole du 14 novembre 1959 - Motif tiré de la non-application par le Viêt-Nam de cet article - Renvoi de la question au ministre des relations extérieures [1].

- RJ1 PENSIONS - REGIMES PARTICULIERS DE RETRAITE - PENSIONS DES NATIONAUX DES PAYS OU DES TERRITOIRES AYANT APPARTENU A L'UNION FRANCAISE OU A LA COMMUNAUTE OU AYANT ETE PLACES SOUS LE PROTECTORAT OU SOUS LA TUTELLE DE LA FRANCE - Autre - Viêt-Nam - Refus d'appliquer à un ressortissant vietnamien les stipulation du paragraphe B a] du protocole du 14 novembre 1959 - Motif tiré de la non-application par le Viêt-Nam de cet article - Renvoi de la question au ministre des relations extérieures [1].


Références :

Constitution du 04 octobre 1958 art. 55
Protocole du 14 novembre 1959 France Viêt-Nam contentieux financier par. B a

1.

Cf. Assemblée, 1981-05-29, Rekhou, p. 220


Publications
Proposition de citation : CE, 27 fév. 1987, n° 50541
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Coudurier
Rapporteur ?: M. Frydman
Rapporteur public ?: Mme Hubac

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1987:50541.19870227
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