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06/03/1987 | FRANCE | N°46693

France | France, Conseil d'État, 6 / 2 ssr, 06 mars 1987, 46693


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 10 novembre 1982 et 3 mars 1983 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société en nom collectif "Guillaume, X..., de Montera et Compagnie", dont le siège social est ... à Marseille 13006 , et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1° annule le jugement en date du 1er juillet 1982 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat lui verse une indemnité de 5 182 786,79 F à la suite de la publication du plan d'occupation des sols de la co

mmune de Greasque rendant impossible la réalisation du lotissement ...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 10 novembre 1982 et 3 mars 1983 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société en nom collectif "Guillaume, X..., de Montera et Compagnie", dont le siège social est ... à Marseille 13006 , et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1° annule le jugement en date du 1er juillet 1982 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat lui verse une indemnité de 5 182 786,79 F à la suite de la publication du plan d'occupation des sols de la commune de Greasque rendant impossible la réalisation du lotissement qui a fait l'objet de l'arrêté préfectoral d'autorisation du 3 février 1975 ;
2° lui alloue le montant de l'indemnité réclamée ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l'urbanisme et de l'habitation ;
Vu le décret n° 58-1466 du 31 décembre 1958 ;
Vu le code de l'urbanisme ;
Vu le décret n° 77-859 du 27 juillet 1977 ;
Vu le code des tribunaux administratifs ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Aberkane, Conseiller d'Etat,
- les observations de Me Choucroy, avocat de la société en nom collectif "Guillaume, X..., de Montera et Compagnie",
- les conclusions de M. Marimbert, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que la société "Guillaume, X..., de Montera et Compagnie" a acquis, en 1974, de la société civile foncière du Hameau de la Grande Pinède, un terrain de plus de 13 hectares situé sur le territoire de la commune de Greasque Bouches-du-Rhône ; que l'autorisation de lotissement qui avait été accordée à cette dernière société par un arrêté du 5 avril 1973 a été transférée à la société "Guillaume, X..., de Montera et Compagnie" par un arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône en date du 3 février 1975 ; que cette société, qui avait entrepris les travaux qu'autorisait cet arrêté, n'a pu réaliser le lotissement du fait que le plan d'occupation des sols de la commune, rendu public le 12 mars 1979 et approuvé le 17 août 1981, a classé le terrain dont il s'agit en zone naturelle où toute construction est interdite ; que la société a demandé à l'Etat la réparation du préjudice qui a résulté pour elle de ce qu'elle n'a pu réaliser ce lotissement et qu'elle a chiffré à 5 182 786,79 F ;
Considérant d'une part que si aux termes de l'article R.315-9 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction alors en vigueur, "l'arrêté d'autorisation du lotissement devient caduc si les travaux d'aménagement ne sont pas commencés dans un délai que fixe ledit arrêté, et qui ne peut être supérieur à deux ans", il résulte de l'instruction que les travaux qui ont été entrepris par la société dans ce délai, compte tenu notamment de ceux effectués pour son compte par le syndicat intercommunal des eaux et de l'assainisement de Cadolive et autres communes, ont été suffisants pour interrompre le délai précité de deux ans ;

Considérant d'autre part que les dispositions de l'article R.315-30 du code de l'urbanisme, en vertu desquelles l'arrêté d'autorisation devient également caduc si les travaux ne sont pas achevés dans le délai fixé par l'arrêté d'autorisation, lequel ne peut être supérieur à une durée de trois ans, résultent du décret n° 77-860 du 26 juillet 1977 ; que l'article 6 de ce décret prévoit que les délais de caducité qu'il édicte ne commenceront à courir, en ce qui concerne les arrêtés d'autorisation délivrés antérieurement, qu'à compter de la date de son entrée en vigueur, soit à compter du 1er janvier 1978 ; que le délai de caducité de trois ans prévu par ce texte n'était donc pas expiré le 12 mars 1979, date à laquelle a été rendu public le plan d'occupation des sols de Greasque ; que, par suite, la circonstance que les travaux prévus par l'arrêté du 3 février 1975, n'étaient pas achevés à cette date n'a pas entraîné la caducité de l'autorisation de lotissement ; que, dès lors, c'est à tort que, pour refuser toute indemnité à la société requérante, le tribunal administratif s'est fondé sur le motif que l'arrêté d'autorisation serait devenu caduc avant que le plan d'occupation des sols soit rendu public et sur ce que, par conséquent, le dommage subi par la société résulterait de son propre fait ;
Considérant qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble de l'affaire par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les moyens présentés par la société devant le tribunal au soutien de sa demande d'indemnité ;
Considérant que l'article L.160-5 du code de l'urbanisme fait exception au principe suivant lequel l'institution des servitudes d'urbanisme n'ouvre pas droit à une indemnité dans le cas où "il résulte de ces servitudes une atteinte à des droits acquis ou une modification de l'état antérieur des lieux déterminant un dommage direct, matériel et certain" ;

Considérant que l'autorisation par laquelle le préfet délivris à une personne une autorisation de lotissement ne présente pas le caractère réglementaire ; qu'ainsi, elle est susceptible de créer des droits ;
Considérant que la servitude d'urbanisme instituée par le plan d'occupation des sols de Gréasque a porté atteinte aux droits acquis du fait de l'autorisation de lotir accordée à la société requérante et que, dans la mesure où des impenses ont été engagées par cette société en conséquence de ladite autorisation, elles donnent droit à une indemnisation sur la base de l'article L.160-5 ;
Considérant que le montant justifié des travaux exécutés par la société s'élève à 257 166,22 F ; qu'il n'y a pas lieu d'actualiser ce montant par référence à l'indice du coût de la construction ;
Considérant en revanche que si la société requérante demande à être indemnisée des droits supplémentaires de mutation qui lui auraient été réclamés en application de l'article 1840 G quinquies du code des impôts, elle n'établit pas avoir acquitté ces droits, dont il lui appartenait d'ailleurs, le cas échéant, de demander à être déchargée en raison de l'impossibilité où elle s'est trouvée de vendre ses terrains du fait de leur classement par le plan d'occupation des sols de Gréasque ;
Considérant que si la société demande l'indemnisation de la perte des bénéfices qu'elle aurait tirés de la vente des lots, ainsi que de la diminution de la valeur vénale du terrain, les dispositions précitées de l'article L.160-5 du code de l'urbanisme ne lui ouvrent pas droit à la réparation de ces chefs de préjudice ; qu'enfin elle n'établit pas que les frais financiers dont elle réclame le remboursement auraient été exposés pour les travaux prévus par l'arrêté d'autorisation ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société "Guillaume, X..., de Montera et Compagnie" est fondée à demander l'annulation du jugement attaqué et la condamnation de l'Etat à lui payer une indemnité de 257 166 F ;
Considérant que la société a droit aux intérêts de cette somme à compter du 31 juillet 1980, date de la réception de sa demande d'indemnité par le préfet des Bouches-du-Rhône ; qu'elle a demandé la capitalisation de ces intérêts le 10 novembre 1982 ; qu'à cette date il était dû au moins une année d'intérêts ; que, par suite, en application de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à la demande ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille en date du 1er juillet 1982 est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à la société "Guillaume, X..., de Montera et Compagnie" une indemnité de 257 166 F, avec les intérêts au taux légal à compter du 31 juillet 1980. Les intérêts échus le 10 novembre 1982 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la société "Guillaume X..., de Montera et Compagnie" est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société "Guillaume, X..., de Montera et Compagnie" et au ministre de l'équipement, du logement, de l'aménagement du territoire et des transports.


Synthèse
Formation : 6 / 2 ssr
Numéro d'arrêt : 46693
Date de la décision : 06/03/1987
Sens de l'arrêt : Annulation totale
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITE EN RAISON DES DIFFERENTES ACTIVITES DES SERVICES PUBLICS - SERVICES DE L'URBANISME - Institution de servitudes d'urbanisme [article L - 160-5 du code de l'urbanisme] - Absence de préjudice indemnisable.

60-01-05, 60-02-05, 60-04-03-02-01-04 Société demandant à l'Etat réparation du préjudice qui a résulté pour elle de ce qu'elle n'a pu réaliser un lotissement parce que le plan d'occupation des sols de la commune de Gréasque [Bouches-du-Rhône] a classé son terrain en zone naturelle où toute construction est interdite. Si la société demande à être indemnisée des droits supplémentaires de mutation qui lui auraient été réclamés en application de l'article 1840 G quinquies du code des impôts, elle n'établit pas avoir acquitté ces droits, dont il lui appartenait d'ailleurs, le cas échéant, de demander à être déchargée en raison de l'impossibilité où elle s'est trouvée de vendre ses terrains du fait de leur classement par le plan d'occupation des sols de Gréasque. Si, par ailleurs, la société demande l'indemnisation de la perte des bénéfices qu'elle aurait tirés de la vente des lots, ainsi que de la diminution de la valeur vénale du terrain, les dispositions de l'article L.160-5 du code de l'urbanisme ne lui ouvrent pas droit à la réparation de ces chefs de préjudice. Enfin elle n'établit pas que les frais financiers dont elle réclame le remboursement auraient été exposés pour les travaux prévus par l'arrêté d'autorisation.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - EVALUATION DU PREJUDICE - PREJUDICE MATERIEL - PERTE DE REVENUS - PERTE DE VALEUR VENALE D'UN IMMEUBLE - Indemnité due en raison de l'institution de servitudes d'urbanisme [article L - 160-5 du code de l'urbanisme] - Préjudice indemnisable - a] Droits supplémentaires de mutation - Absence - b] Perte de bénéfices et diminution de valeur vénale - Absence - c] Frais financiers liés à l'acquisition de terrains - Absence en l'espèce.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - FAITS SUSCEPTIBLES OU NON D'OUVRIR UNE ACTION EN RESPONSABILITE - RESPONSABILITE REGIE PAR DES TEXTES SPECIAUX - Servitudes instituées en application du code de l'urbanisme [article L - 160-5 du code de l'urbanisme] - Absence d'indemnisation sauf si ces servitudes portent atteinte à des droits acquis ou entraînent une modification de l'état antérieur des lieux déterminant un dommage direct - matériel et certain - Absence de préjudice indemnisable en l'espèce.


Références :

CGI 1840 quinquies G
Code civil 1154
Code de l'urbanisme R315-9, R315-30, L160-5
Décret 77-860 du 26 février 1977 art. 6


Publications
Proposition de citation : CE, 06 mar. 1987, n° 46693
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Combarnous
Rapporteur ?: M. Aberkane
Rapporteur public ?: M. Marimbert

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1987:46693.19870306
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