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22/04/1988 | FRANCE | N°42902

France | France, Conseil d'État, 5 / 3 ssr, 22 avril 1988, 42902


Vu la requête sommaire, enregistrée le 1er juin 1982 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SOCIETE CIVILE PARTICULIERE DE LA MONTAGNE DE BLAITIERE, dont le siège est à Chamonix-Mont X... (Haute-Savoie), et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1- annule le jugement du 17 mars 1982 par lequel le tribunal administratif de Grenoble n'a fait que partiellement droit aux demandes d'annulation de l'arrêté du Préfet de la Haute-Savoie en date du 26 février 1980 déclarant d'utilité publique le projet de rénovation du premier tronçon du téléphérique de

l'Aiguille du Midi, et de l'arrêté du 27 janvier 1981 déclarant cessi...

Vu la requête sommaire, enregistrée le 1er juin 1982 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SOCIETE CIVILE PARTICULIERE DE LA MONTAGNE DE BLAITIERE, dont le siège est à Chamonix-Mont X... (Haute-Savoie), et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1- annule le jugement du 17 mars 1982 par lequel le tribunal administratif de Grenoble n'a fait que partiellement droit aux demandes d'annulation de l'arrêté du Préfet de la Haute-Savoie en date du 26 février 1980 déclarant d'utilité publique le projet de rénovation du premier tronçon du téléphérique de l'Aiguille du Midi, et de l'arrêté du 27 janvier 1981 déclarant cessibles au profit de la commune de Chamonix-Mont X... trois parcelles destinées à implanter les nouveaux pylônes dudit téléphérique ;
2- annule ces deux arrêtés ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l'expropriation ;
Vu la loi du 8 juillet 1941 établissant une servitude de survol au profit des téléphériques ;
Vu le décret 77-1141 du 12 octobre 1977 pris pour l'application de l'article 2 de la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature ;
Vu le décret 77-1281 du 22 novembre 1977 approuvant la directive d'aménagement national relative à la protection et à l'aménagement de la montagne ;
Vu le code des tribunaux administratifs ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Bouchet, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Liard, avocat de la SOCIETE CIVILE PARTICULIERE DE LA MONTAGNE DE BLAITIERE, de Me Choucroy, avocat de la commune de Chamonix et de la S.C.P. Martin Martinière, Ricard, avocat de la Société Touristique du Mont X...,
- les conclusions de M. Fornacciari, Commissaire du gouvernement ;
Sur la recevabilité de l'intervention de la société touristique du Mont-Blanc :

Considérant qu'il n'est pas contesté que la société touristique du Mont-blanc est aux droits de la compagnie des téléphériques de la Vallée Blanche, à laquelle la commune de Chamonix a, par convention du 19 décembre 1950, concédé la construction et l'exploitation du téléphérique de l'Aiguille du Midi ; que cette société a intérêt à ce que soient accueillies les conclusions de la commune de Chamonix dans la présente instance ; que son intervention à l'appui desdites conclusions est, par suite, recevable ;
Sur la légalité de l'arrêté préfectoral attaqué en tant qu'il déclare d'utilité publique les travaux de rénovation de la remontée mécanique du pic de l'Aiguille du Midi :
Sur la légalité externe :
Considérant, en premier lieu, qu'il ne ressort pas de l'instruction que les pièces constituant le dossier de l'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique, et notamment les plans qui y étaient joints, aient été susceptibles de conduire la société requérante à se méprendre sur la nature et la portée duprojet ; que le moyen tiré de ce que ce dossier d'enquête aurait été incomplet doit donc être écarté ;
Considérant, en second lieu, qu'il résulte des dispositions combinées de l'article 3B du décret °n 77-1141 du 12 octobre 1977 et de son annexe I-°4 que les travaux de modernisation de remontées mécaniques ne sont pas soumis à la procédure de l'étude d'impact ; que, en vertu des dispositions combinées de l'article 4 et de l'annexe IV-2 du même décret, la dispense d'étude d'impact prévue à l'article 3 n'est subordonnée à l'élaboration d'une notice d'impact que pour les "travaux d'installation de remontées mécaniques" ; qu'il résulte des pièces versées au dossier que les travaux déclarés d'utilité publique par l'arrêté attaqué ont pour objet l'augmentation de la capacité de la ligne téléphérique préexistante desservant le pic de l'Aiguille du Midi ; que, dans ces conditions, les travaux litigieux ont pour objet, non la construction d'un ouvrage nouveau ou l'installation d'une remontée mécanique, comme le soutient à tort la société requérante, mais la modernisation d'une remontée mécanique ; que, par suite, le dossier soumis à enquête publique pouvait légalement ne comporter ni étude d'impact, ni notice d'impact ;

Considérant en troisième lieu qu'il résulte également des pièces versées au dossier que les parcelles dont l'expropriation est prévue par l'arrêté préfectoral attaqué ne sont pas comprises dans le site classé par l'arrêté ministériel du 14 juin 1951 et constitué par les glaciers, les sommets et les terrains domaniaux situés sur le territoire de la commune de Chamonix ; que, par suite, l'arrêté préfectoral déclarant d'utilité publique les travaux susmentionnés n'avait pas à être soumis à l'avis du ministre chargé de la protection des sites ;
Considérant, en quatrième lieu, que les directives d'aménagement national approuvées par décret ne sont opposables, en vertu de l'article R.111-15 du code de l'urbanisme, qu'aux seules demandes de permis de construire ; que l'acte attaqué n'étant pas un permis de construire, le moyen tiré de ce que ledit acte aurait méconnu certaines dispositions de la directive d'aménagement national relative à la protection et à l'aménagement de la montagne approuvé par le décret du 22 novembre 1977, ne peut être utilement invoqué à l'appui de conclusions tendant à l'annulation dudit acte ;
En ce qui concerne la légalité interne :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que les travaux déclarés d'utilité publique par l'arrêté attaqué ont pour objet de répondre à une augmentation de la clientèle en accroîssant la capacité et la rapidité du transport des usagers du téléphérique desservant le pic de l'Aiguille du Midi ; que, ni les inconvénients résultant de l'atteinte, d'ailleurs limitée, à la propriété privée entraînée par lesdits travaux, ni la circonstance que ces travaux auraient pour conséquence d'accroître les profits tirés de l'exploitation du téléphérique ne sont de nature à retirer l'intérêt public du projet ; que le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les conclusions susanalysées de l'appel principal doivent être rejetées ;
Sur la légalité de l'arrêté attaqué en tant qu'il institue une servitude de survol :
Considérant que l'article 1er de l'arrêté préfectoral attaqué déclare d'utilité publique le projet de rénovation du téléphérique du Pic de l'Aiguille du Midi "en vue notamment de l'application des servitudes de passage ou de survol des terrains inhérents au projet" ; qu'il est constant que les câbles du téléphérique prévus audit projet seront situés à une hauteur inférieure à 50 mètres au-dessus du sol ;
Considérant que l'article 1er de la loi du 8 juillet 1941 établissant une servitude de survol au profit des téléphériques dispose que la déclaration d'utilité publique d'un téléphérique confère à l'exploitant un droit à l'établissement d'une servitude de libre survol au-dessus des terrains privés non bâtis et non clos ; que l'article 2 de cette loi précise que cette servitude s'exerce à partir d'une hauteur de 50 mètres au-dessus du niveau du sol ; qu'il résulte de ces dispositions que la déclaration d'utilité publique des travaux de réalisation ou de modernisation d'un téléphérique ne peut légalement conférer à l'exploitant une servitude de survol des terrains privés à une hauteur inférieure à 50 mètres ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, nonobstant la circonstance que la société civile de la montagne de Blaitière avait accepté, avant l'intervention de l'arrêté préfectoral attaqué, le survol de ces terrains moyennant indemnité, ledit arrêté a méconnu les dispositions législatives précitées et doit être annulé en tant qu'il établit la servitude litigieuse ; que, dès lors, les conclusions de l'appel incident tendant à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a prononcé ladite annulation doivent être rejetées ;
Sur l'arrêté de cessibilité :

Considérant que l'enquête parcellaire à l'issue de laquelle est intervenu l'arrêté de cessibilité du 28 août 1980 a été conduite sur le même plan parcellaire que celui au vu duquel a été pris l'arrêté de cessibilité attaqué du 27 janvier 1981 rapportant l'arrêté du 28 août 1980 ; que, dans ces conditions, l'arrêté du 27 janvier 1981 n'avait pas à être précédé d'une nouvelle enquête ;
Considérant que l'arrêté attaqué ayant été pris en application de la législation sur l'expropriation, laquelle est indépendante de la loi du 8 juillet 1941, le moyen tiré de ce que cet arrêté aurait été pris en violation de ladite loi est inopérant ;
Considérant que, selon l'article R.15-1 du code de l'expropriation, "lorsqu'il y a urgence à prendre possession des biens expropriés, cette urgence est constatée par l'acte déclarant l'utilité publique ou par un acte postérieur de même nature" ; que l'arrêté de cessibilité attaqué, eu égard tant à son objet qu'à son auteur, doit être regardé comme étant de même nature, au sens de l'article précité, que l'arrêté déclaratif d'utilité publique qui l'a précédé ; que, dès lors, la commune de Chamonix est fondée à soutenir par la voie de l'appel incident que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'article 3 de l'arrêté de cessibilité du préfet de la Haute-Savoie en date du 27 janvier 1981, déclarant urgents les travaux d'exécution pour la réalisation du projet au motif que l'urgence n'avait pas été déclarée par un acte de même nature que celle de l'acte déclaratif d'utilité publique ;
Article 1er : L'intervention de la société touristique du Mont-Blanc est admise.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble en date du 17 mars 1982 est annulé en tant qu'il a annulé l'article 3 de l'arrêté du préfet de Haute-Savoie en date du 27 janvier 1981.
Article 3 : La requête de la société de la Montagne de Blaitière et le surplus des conclusions de l'appel incident de la ville de Chamonix sont rejetés.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société de la Montagne de Blaitière, à la commune de Chamonix, au ministre de l'intérieur et à la société touristique du Mont-Blanc.


Synthèse
Formation : 5 / 3 ssr
Numéro d'arrêt : 42902
Date de la décision : 22/04/1988
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Recours pour excès de pouvoir

Analyses

DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - DROIT DE PROPRIETE - SERVITUDES - INSTITUTION DES SERVITUDES - Servitude de survol instituée à l'occasion de la déclaration d'utilité publique des travaux de réalisation d'un téléphérique (article 1er de la loi du 8 juillet 1941) - Survol à une hauteur inférieure à 50 mètres - Illégalité.

26-04-01-01, 34-02-02 L'article 1er de l'arrêté préfectoral attaqué déclare d'utilité publique le projet de rénovation du téléphérique du Pic de l'Aiguille du Midi "en vue notamment de l'application des servitudes de passage ou de survol des terrains inhérents au projet". Il est constant que les câbles du téléphérique prévus audit projet seront situés à une hauteur inférieure à 50 mètres au-dessus du sol. Or l'article 1er de la loi du 8 juillet 1941 établissant une servitude de survol au profit des téléphériques dispose que la déclaration d'utilité publique d'un téléphérique confère à l'exploitant un droit à l'établissement d'une servitude de libre survol au-dessus des terrains privés non bâtis et non clos. L'article 2 de cette loi précise que cette servitude s'exerce à partir d'une hauteur de 50 mètres au-dessus du niveau du sol. Il résulte de ces dispositions que la déclaration d'utilité publique des travaux de réalisation ou de modernisation d'un téléphérique ne peut légalement conférer à l'exploitant une servitude de survol des terrains privés à une hauteur inférieure à 50 mètres. Ainsi, nonobstant la circonstance que la société civile de la montagne de Blaitière avait accepté, avant l'intervention de l'arrêté préfectoral attaqué, le survol de ces terrains moyennant indemnité, ledit arrêté a méconnu les dispositions législatives précitées et doit être annulé en tant qu'il établit la servitude litigieuse.

EXPROPRIATION POUR CAUSE D'UTILITE PUBLIQUE - REGLES GENERALES DE LA PROCEDURE NORMALE - ACTE DECLARATIF D'UTILITE PUBLIQUE - Déclaration d'utilité publique des travaux de réalisation d'un téléphérique - Institution d'une servitude de survol à une hauteur inférieure à 50 mètres - Illégalité.

34-03-01 Selon l'article R.15-1 du code de l'expropriation, "lorsqu'il y a urgence à prendre possession des biens expropriés, cette urgence est constatée par l'acte déclarant l'utilité publique ou par un acte postérieur de même nature". L'arrêté de cessibilité attaqué, eu égard tant à son objet qu'à son auteur, doit être regardé comme étant de même nature, au sens de l'article précité, que l'arrêté déclaratif d'utilité publique qui l'a précédé. Dès lors, c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'article 3 de l'arrêté de cessibilité du préfet de la Haute-Savoie en date du 27 janvier 1981, déclarant urgents les travaux d'exécution pour la réalisation du projet au motif que l'urgence n'avait pas été déclarée par un acte de même nature que celle de l'acte déclaratif d'utilité publique.

EXPROPRIATION POUR CAUSE D'UTILITE PUBLIQUE - REGIMES SPECIAUX - EXPROPRIATION D'URGENCE - Constatation de l'urgence - Acte "de même nature" que l'acte déclarant l'utilité publique - Notion.


Références :

. Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique R15-1
Arrêté ministériel du 14 juin 1951
Code de l'urbanisme R111-15
Décret 77-1141 du 12 octobre 1977 art. 3 B annexe I 4°, art. 4 annexe IV 2°
Loi du 08 juillet 1941 art. 1, art. 2


Publications
Proposition de citation : CE, 22 avr. 1988, n° 42902
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Coudurier
Rapporteur ?: M. Bouchet
Rapporteur public ?: M. Fornacciari

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1988:42902.19880422
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