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06/05/1988 | FRANCE | N°40999

France | France, Conseil d'État, 4 / 1 ssr, 06 mai 1988, 40999


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés le 23 mars 1982 et le 22 juillet 1982 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Claude X..., demeurant ... au Chesnay (78150), et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
°1) annule le jugement du 17 février 1982 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la résiliation aux torts et griefs de l'administration de la convention en date du 26 décembre 1966 le liant à l'Etat (ministère de la Santé) et à ce que l'Etat soit condamné à lui verser avec les in

térêts et leur capitalisation :
a) 706 717,45 F à titre d'honoraires ...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés le 23 mars 1982 et le 22 juillet 1982 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Claude X..., demeurant ... au Chesnay (78150), et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
°1) annule le jugement du 17 février 1982 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la résiliation aux torts et griefs de l'administration de la convention en date du 26 décembre 1966 le liant à l'Etat (ministère de la Santé) et à ce que l'Etat soit condamné à lui verser avec les intérêts et leur capitalisation :
a) 706 717,45 F à titre d'honoraires et 614 171,65 F à titre de dommages-intérêts, dus à raison de l'inexécution par la faute de l'administration du contrat relatif à l'exécution des travaux correspondants aux différentes tranches du plan directeur des thermes nationaux d'Aix-les-Bains ;
b) 38 982 F au titre du marché d'exécution de la tranche ferme de la 2ème tranche des travaux du plan directeur dont les travaux ont fait abusivement l'objet d'un refus du maître de l'ouvrage de délivrer le certificat de réception définitive ;
°2) condamne l'Etat à lui verser deux indemnités respectivement de 1 320 888 F et 38 982 F avec intérêts de droit à compter du 26 juillet 1979 date d'enregistrement de sa requête de première instance ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs ;
Vu le code civil ;
Vu le code des marchés ;
Vu la loi du 28 pluviôse an VIII ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Durand-Viel, Conseiller d'Etat,
- les observations de la S.C.P. Waquet, Farge, avocat de M. X...,
- les conclusions de M. Daël, Commissaire du gouvernement ;
Sur la recevabilité de la demande devant le tribunal administratif :

Considérant que par le jugement attaqué en date du 17 février 1982, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté comme irrecevable la demande par laquelle M. X..., chargé en qualité d'architecte de la réalisation des travaux inscrits au plan directeur des thermes nationaux d'Aix-les-Bains, réclamait à l'Etat le paiement d'honoraires et de diverses indemnités à raison de la rupture du contrat d'architecte dont il tenait sa mission, lequel avait été approuvé le 26 décembre 1966 par le ministre des affaires sociales ; que les premiers juges ont fondé leur décision sur la circonstance que le litige opposant le requérant au ministre de la santé, qui a repris sur ce point les attributions du ministre des affaires sociales, n'avait pas été soumis au Conseil supérieur de l'Ordre des architectes, dont l'avis préalable était requis par l'article 13 du contrat litigieux ; qu'il résulte de l'instruction que le requérant a recueilli l'avis du conseil national de l'Ordre des architectes avant d'engager l'instance litigieuse ; que le conseil national de l'Ordre des architectes ayant pris à compter de son élection la place du conseil supérieur de l'Ordre des architectes était compétent à la date à laquelle il a été consulté pour émettre un avis sur le litige qui opposait l'Etat à l'architecte ; qu'ainsi ce dernier est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont déclaré sa demande irrecevable ;
Considérant que le jugement du tribunal administratif de Grenoble en date du 17 février 1982 doit être annulé ; que dans les circonstances de l'affaire il y a lieu d'évoquer ;
Au fond :
Sur la résiliation :

Considérant que par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 23 mars 1976, le directeur des hôpitaux a indiqué au requérant que sa lettre du 26 septembre 1975 valait résiliation du contrat litigieux ; que le directeur des hôpitaux agissant pour le maître de l'ouvrage pouvait, contrairement à ce que soutient le requérant, prononcer la résiliation ; qu'en l'absence au dossier de l'avis de réception postal, la résiliation doit être regardée comme ayant pris effet le 9 août 1976 date à laquelle l'architecte a expressément accusé réception de la lettre recommandée du 23 mars 1976 ; que si en l'absence d'une mise en demeure préalable la résiliation est intervenue sur une procédure irrégulière, elle reste opposable au requérant ;
Considérant que les diverses circonstances alléguées par le requérant qui se plaint notamment que la résiliation soit intervenue sans qu'ait eu lieu la réception définitive des travaux du plan directeur et qu'aient été établis l'état des honoraires prévu à l'article 12 du contrat ainsi qu'un décompte général et définitif, sont sans influence sur l'existence de la résiliation ;
Considérant que le contrat litigieux ayant été résilié à compter du 9 août 1976 les conclusions du requérant tendant à ce que le juge administratif prononce la résiliation sont sans objet ;
Considérant que le ministre de la santé s'est fondé pour prononcer la résiliation du contrat sur des fautes qu'il impute au requérant ; qu'il résulte de l'instruction que l'architecte dont la mission comportait notamment l'assistance au maître de l'ouvrage pour la surveillance des chantiers, la réception des ouvrages, et la solution des problèmes liés à l'existence des malfaçons, s'est délibérément refusé à fournir des renseignements complets sur les désordres affectant la verrière construite au cours des travaux de la tranche intitulée "modernisation des thermes" ; qu'il a adopté la même attitude en n'indiquant par les raisons qui retardaient la réception définitive des lots 2, 6, 7, 12, 15 et 18 de la même tranche ; que le maître de l'ouvrage n'a pu obtenir qu'avec un retard important la communication des comptes rendus de chantier relatifs à l'état d'avancement des travaux de construction de la blanchisserie ; qu'enfin l'architecte s'est abstenu, sans motif impérieux, d'assister ou de se faire représenter lors de la réception définitive des travaux de la blanchisserie ; qu'eu égard à l'importance des manquements ainsi constatés, M. X... n'est pas fondé à soutenir que la résiliation prononcée par le ministre de la santé constituait une rupture abusive de son contrat ;
Sur les réclamations pécuniaires de l'architecte :

Considérant que si la résiliation du contrat litigieux est irrégulière en la forme, elle est justifiée au fond ; qu'ainsi le requérant ne peut prétendre être indemnisé du préjudice résultant de la rupture anticipée du contrat et ne saurait obtenir des honoraires s'élevant à 200 000 F au titre de l'établissement, antérieurement à la passation du contrat, d'un plan directeur dont il n'aurait pas reçu toutes les contreparties escomptées ; que les conclusions du requérant tendant à l'octroi de 260 000 F d'indemnité pour manque à gagner et de 250 000 F d'indemnité pour perte d'une situation professionnelle et atteinte à sa réputation doivent être écartées pour les mêmes raisons ;
Considérant, en revanche, que M. X... peut prétendre au montant, évalué conformément aux stipulations du contrat litigieux, des prestations effectivement réalisées à la date de la résiliation ; qu'il peut également obtenir réparation des préjudices qu'il aurait subis par suite de manquements éventuels de l'administration à ses propres obligations antérieurement à la résiliation du contrat ;
Considérant que les règles qui régissent les marchés de travaux publics et les stipulations des documents contractuels du marché litigieux sont seules applicables au marché intitulé "modernisation des thermes nationaux d'Aix-les-Bains" ;
Considérant que la réception provisoire des ouvrages de la tranche ferme des travaux intitulés "modernisation des thermes" doit être regardée comme étant intervenue le 8 septembre 1972 lors de la prise de possession qui a suivi la dernière des réunions de chantier ayant pour objet la réception provisoire desdits ouvrages ;

Considérant qu'il ressort du procès-verbal de la réunion de chantier du 30 juin 1972, qui avait pour objet la réception provisoire d'une partie des ouvrages de la tranche ferme des travaux intitulés "modernisation des thermes", que l'architecte qui représentait le maître de l'ouvrage auprès des entrepreneurs en application des stipulations de l'article 22 du cahier des prescriptions spéciales applicables au marché litigieux, a fait connaître à ceux-ci d'importantes réserves portant notamment sur l'exécution de la verrière de la place Mollard ; qu'en admettant même que ces réserves orales n'aient pas été suivies ultérieurement de la notification aux entreprises du procès-verbal écrit, l'architecte qui est l'auteur de ces réserves n'est pas recevable à soutenir que la réception provisoire serait intervenue sans réserves ;
Considérant que l'article 132 du code des marchés dans sa rédaction applicable au litige, a pour objet exclusif les conditions dans lesquelles est levée ou maintenue après une réception définitive la caution des entrepreneurs ; qu'en admettant même que le maître de l'ouvrage n'ait pas accompli les formalités prévues audit article pour prolonger la caution lorsque l'entrepreneur n'a pas satisfait à ses obligations, cette circonstance est sans influence sur l'existence de la réception définitive ;
Considérant qu'il est constant qu'à l'expiration du délai de garantie, il n'avait pas été porté remède aux malfaçons qui avaient motivé les réserves exprimées lors de la prise de possession ; qu'eu égard à l'importance des désordres en cause auxquels il n'était pas possible de remédier par des travaux de faible importance, les ouvrages n'étaient pas en état d'être reçus définitivement à l'expiration du délai de garantie ; qu'ainsi les conclusions de l'architecte tendant à ce que la réception définitive soit prononcée par le juge soit à la date de prise de possession, soit à l'expiration du délai de garantie ne sauraient être accueillies ; que, par suite, doivent être rejetées les conclusions liées aux précédentes et tendant au paiement à l'architecte, en raison d'une réception définitive tacite à l'expiration du délai de garantie du solde de ses honoraires afférents à ce marché ; qu'il en est de même des conclusions tendant à l'octroi d'une indemnité destinée à réparer le préjudice résultant du retard dans le paiement desdits honoraires ;

Considérant que si le requérant se plaint des fautes commises par l'administration qui a établi ultérieurement des procès-verbaux de réception définitive à des dates qu'il estime arbitraires et avec la mention erronée de sa présence, il n'apporte aucune justification de nature à établir qu'il ait dû réellement supporter un préjudice à la suite de ces agissements ; qu'il ne peut donc prétendre recevoir une indemnité à ce titre ;
Considérant qu'aux termes de l'article 10 du contrat litigieux : "Si le maître de l'ouvrage, pour des raisons dont il entend demeurer seul juge, était contraint d'apporter à son programme des modifications après remise de l'avant-projet, l'architecte ne pourra réclamer des honoraires complémentaires que dans la mesure où ces modifications auront entraîné de nouvelles études ..." ; que les travaux de réfection des bâtiments de la blanchisserie des thermes ont fait l'objet d'une première étude de l'architecte poussée jusqu'à l'élaboration des dossiers de permis de construire et de mise en concurrence des entreprises ; qu'à la demande du maître de l'ouvrage ce programme a été modifié pour tenir compte d'une conception sensiblement différente de la chaîne de lavage ; qu'un deuxième projet a été alors conçu avant de recevoir son exécution ; qu'ainsi M. X..., qui a dû se livrer à de nouvelles études pour concevoir le deuxième projet, a droit par application des stipulations du contrat à des honoraires calculés en fonction des prestations fournies pour la première étude ; qu'il sera fait une juste appréciation des honoraires auxquels l'architecte peut prétendre à ce titre en lui allouant la somme de 8 000 F, représentant les honoraires complémentaires relatifs aux avant-projets et projet général de réfection de la blanchisserie non suivis d'exécution ;

Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la mission de l'architecte, définie au contrat par référence au plan directeur, ait comporté les opérations liées à l'équipement en matériel de la blanchisserie ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que le ministre de la santé ait utilisé les projets de M. X... ; Qu'ainsi le requérant ne peut prétendre être rémunéré par l'Etat au titre de ces travaux ; qu'il ne peut davantage prétendre à l'indemnisation du préjudice que l'Etat lui aurait causé en ne lui confiant pas l'exécution desdits travaux ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, notamment de l'extrait du plan directeur intitulé "échelonnement des travaux" comme de l'article 7 dernier alinéa du contrat, que les co-contractants qui n'ont fixé aucun délai pour la réalisation des travaux ont envisagé dès le départ leur étalement pour tenir compte tant des possibilités budgétaires, que des nécessités propres au fonctionnement de l'établissement ; qu'ainsi Monsieur X... n'est fondé à soutenir ni que l'administration a violé ses obligations en échelonnant les travaux, ni qu'il a dû supporter des sujétions imprévues, le fractionnement des travaux ne pouvant en l'espèce être regardé comme ayant été excessif ;

Considérant que la consistance des tranches prévues par l'échéancier du plan directeur n'avait qu'un caractère indicatif ; que l'administration n'a pas commis de faute en y apportant des adaptations ;
Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que le financement des travaux engagés n'a pas été préalablement assuré ; Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Monsieur X... ne saurait obtenir une indemnité de 90000 F pour compenser des troubles résultant d'un fractionnement arbitraire du marché ;
Considérant qu'en application de l'article 2 du contrat litigieux l'administration des thermes, co-signataire du contrat, s'engageait à fournir à l'architecte un relevé précis des bâtiments existants ; que l'inexécution par l'établissement thermal de ses obligations ou le profit qu'il en aurait tiré ne sauraient être invoqués à l'appui de conclusions dirigées contre l'Etat ; qu'ainsi le requérant n'est pas fondé à demander la condamnation du ministre de la santé à lui verser une somme de 180000 F représentant les honoraires correspondants à l'établissement du relevé des bâtiments ;

Considérant que le ministre de la santé ne conteste pas les affirmations du requérant qui soutient avoir conçu et remis au maître de l'ouvrage, avant la résiliation du contrat et pour son exécution, l'ensemble des avant-projets et projets généraux établis pour la mise en oeuvre du plan directeur ; que l'architecte a droit aux honoraires correspondants ; que le ministre de la santé ne discute pas le montant des honoraires réclamés par le requérant ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise demandée à titre subsidiaire par le requérant, il y a lieu de condamner l'Etat à verser 266240 F à Monsieur X... à ce titre ;
Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le retard dans le paiement des sommes dues à Monsieur X... soit imputable à la résistance abusive de l'administration ; qu'en outre Monsieur X... ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui qui est réparé par l'allocation des intérêts moratoires au taux légal ;
Sur les intérêts :
Considérant que le ministre de la santé a reçu le 11 novembre 1975 la lettre de Monsieur X... valant sommation de payer les honoraires afférents au premier projet de blanchisserie ; qu'ainsi il y a lieu d'allouer à Monsieur X... les intérêts au taux légal sur la somme de 8000 F à compter de cette date ; Considérant que les honoraires chiffrés afférents aux avant-projets et projets généraux établis pour la mise en oeuvre du plan directeur ont été réclamés pour la première fois dans la lettre recommandée dont le ministre de la santé a accusé réception le 12 août 1976 ; qu'il y a lieu d'accorder à Monsieur X... les intérêts au taux légal sur la somme de 266240 F à compter de cette date ;

Sur les intérêts des intérêts :
Considérant que la capitalisation des intérêts sur les sommes accordées à Monsieur X... a été demandée une première fois le 16 juin 1981, qu'à cette date il était dû au moins une année d'intérêts ; qu'il y a lieu de faire droit sur ce point à la requête ;
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée les 7 septembre 1982, 8 septembre 1983, 11 septembre 1984, 19 septembre 1986 et 21 septembre 1987 ; qu'à cette date du 7 septembre 1982 et à chacune des dates ultérieures il était dû au moins une année d'intérêts ; qu'ainsi les conclusions présentées les 7 septembre 1982, 8 septembre 1983, 11 septembre 1984, 19 septembre 1985, 19 septembre 1986 et 21 septembre 1987 et tendant à la capitalisation des intérêts doivent être accueillies.
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 17 février 1982 est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à Monsieur X... la somme de 8000 F avec intérêts au taux légal à compter du 11 novembre 1975 et la somme de 266240 F avec intérêts au taux légal à compter du 12 août 1976.
Article 3 : Les intérêts des sommes visées à l'article 2 ci-dessus et échus les 16 juin 1981, 7 septembre 1982, 8 septembre 1983, 11 septembre 1984, 19 septembre 1985, 19 septembre 1986 et 21 septembre 1987, seront capitalisés à ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Monsieur X... est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Monsieur X... et au ministre des affaires sociales et de l'emploi.


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