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06/03/1989 | FRANCE | N°84977;84980

France | France, Conseil d'État, 6 / 2 ssr, 06 mars 1989, 84977 et 84980


Vu, 1°) sous le n° 84 977, la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 9 février et 9 juin 1987 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société anonyme "ENTREPRISE BENTIN ET COMPAGNIE", dont le siège social est ... à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), représentée par son président-directeur général en exercice, et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1° annule le jugement du 7 novembre 1986 du tribunal administratif de Paris en tant que, par ledit jugement, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande dirig

e contre la décision du 16 janvier 1985 par laquelle le ministre du trav...

Vu, 1°) sous le n° 84 977, la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 9 février et 9 juin 1987 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société anonyme "ENTREPRISE BENTIN ET COMPAGNIE", dont le siège social est ... à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), représentée par son président-directeur général en exercice, et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1° annule le jugement du 7 novembre 1986 du tribunal administratif de Paris en tant que, par ledit jugement, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande dirigée contre la décision du 16 janvier 1985 par laquelle le ministre du travail a confirmé la décision du 29 mai 1984 du directeur régional du travail et de l'emploi de la région d'Ile-de-France demandant que soient modifiés les articles 7-2 et 12-9 de son réglement intérieur relatifs respectivement à l'interdiction formelle de pénétrer dans les locaux où une habilitation est nécessaire et à l'interdiction de quitter le travail sans autorisation ;
2° annule la décision du 16 janvier 1985 du ministre du travail ainsi que la décision du 29 mai 1984 du directeur régional du travail et de l'emploi de la région Ile-de-France,
Vu, 2°) sous le n° 84 980, le recours enregistré le 9 février 1987 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat présenté par le MINISTRE DES AFFAIRES SOCIALES ET DE L'EMPLOI et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement du 7 novembre 1986 du tribunal administratif de Paris en tant que par ledit jugement le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du directeur régional du travail et de l'emploi de la région d'Ile-de-France en date du 29 mai 1984 et la décision du ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle en date du 16 janvier 1985 en tant qu'elles concernent les dispositions de l'article 9 du règlement intérieur ;
2°) rejette la demande de la société "ENTREPRISE BENTIN ET COMPAGNIE" ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code du travail ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Vu la loi n° 77-1468 du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Schwartz, Auditeur,
- les observations de Me Consolo, avocat de la société anonyme "ENTREPRISE BENTIN ET COMPAGNIE",
- les conclusions de M. E. Guillaume, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que la requête de la société "ENTREPRISE BENTIN ET COMPAGNIE" et le recours du MINISTRE DU TRAVAIL, DE L'EMPLOI ET DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE présentent à juger la même question ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par uneseule décision ;
Considérant qu'aux termes de l'article L.122-33 du code du travail : "L'établissement d'un règlement intérieur est obligatoire dans les entreprises ou établissements industriels commerciaux ou agricoles ... où sont employés habituellement au moins vingt salariés. Des dispositions spéciales peuvent être établies pour une catégorie de personnel ou à une division de l'entreprise ou de l'établissement" ; qu'aux termes de l'article L.122-35 : "Le règlement intérieur ne peut contenir de clauses contraires aux lois et règlements ainsi qu'aux dispositions des conventions et accords collectifs de travail applicables dans l'entreprise ou l'établissement. Il ne peut apporter aux droits des personnels et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées aux buts recherchés. Il ne peut comporter de dispositions lésant les salariés dans leur emploi ou leur travail, en raison de leur sexe, de leur situation de famille, de leurs origines, de leurs opinions, confession, ou de leur handicap à capacité professionnelle" ; qu'aux termes de l'article L.122-37 du même code : "L'inspecteur du travail peut à tout moment exiger le retrait ou la modification des dispositions contraires aux articles L.122-34 et L. 122-35 ..." ; et qu'aux termes de l'article L.122-38 : "La décision de l'inspecteur du travail ... peut faire l'objet dans les deux mois d'un recours auprès du directeur régional du travail et de l'emploi ..." ;

Considérant que, par sa décision du 16 janvier 1985, le MINISTRE DU TRAVAIL, DE L'EMPLOI ET DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE a, notamment, confirmé la décision du 29 mai 1984 du directeur régional du travail et de l'emploi de la région d'Ile-de-France en ce qui concerne l'article 7-2, l'article 9 et l'article 12-9 du règlement intérieur de la société anonyme "ENTREPRISE BENTIN ET COMPAGNIE" ;
Sur les conclusions de la société "ENTREPRISE BENTIN ET COMPAGNIE" :
Considérant qu'en vertu des articles L.412-17, L.424-3 et L.434-1 du code du travail, est accordé tant aux délégués syndicaux qu'aux représentants du personnel, le droit de circuler librement dans l'entreprise pour l'exercice de leurs fonctions et celui d'y prendre tous contacts nécessaires à l'accomplissement de leur mission ; que si l'article 7-2 du règlement intérieur de la société "ENTREPRISE BENTIN ET COMPAGNIE" dispose que : "il est formellement interdit ... de pénétrer dans les locaux où une habilitation est nécessaire", ces dispositions n'ont pas eu pour objet et ne sauraient avoir pour effet de s'opposer par elles-mêmes au droit reconnu par les dispositions législatives précitées aux délégués syndicaux et aux représentants du personnel ;
Considérant qu'aux termes de l'article L.231-8-1 du code du travail : "Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l'encontre d'un salarié ou d'un groupe de salariés qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d'eux ..." ; que si l'article 12-9 du règlement intérieur de la société "ENTREPRISE BENTIN ET COMPAGNIE" interdit formellement "aux membres du personnel ... sous réserve de dispositions législatives, réglementaires et conventionnelles en vigueur, notamment de celles relatives aux institutions représentatives du personnel et au droit d'expression des salariés ... de quitter le travail sans autorisation", ces dispositions, par leur rédaction même, ne s'opposent pas au droit de retrait d'une situation de travail présentant un danger grave et imminent pour la vie ou la santé, reconnu aux salariés par l'article L.231-8-1 du code du travail ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société "ENTREPRISE BENTIN ET COMPAGNIE" est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation, d'une part, de la décision du 16 janvier 1985 du MINISTRE DU TRAVAIL, DE L'EMPLOI ET DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE en tant que, par cette décision, il a confirmé la décision du 29 mai 1984 du directeur régional du travail et de l'emploi de la région Ile-de-France demandant que soient modifiés les articles 7-2 et 12-9 de son règlement intérieur et d'autre part, de cette dernière décision ;
Sur les conclusions du MINISTRE DU TRAVAIL, DE L'EMPLOI ET DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE :
Considérant qu'aux termes de l'article 9 susmentionné : "Afin de permettre la bonne organisation du travail, notamment en cas de travail par équipes, tout salarié malade ou empêché de se présenter au travail doit immédiatement, sauf cas de force majeure, prévenir le chef d'entreprise ou son représentant en précisant la cause de l'absence" ; que l'administration a demandé à la société "ENTREPRISE BENTIN ET COMPAGNIE" de modifier ces dispositions qui, selon elle, seraient contraires à l'article 10 de la convention collective du bâtiment de la région parisienne aux termes duquel : "Les absences résultant de maladie ne constituent pas une rupture du contrat de travail lorsque, sauf cas de force majeure, elles ont fait l'objet dans les trois jours d'une notification de l'intéressé au chef d'entreprise ou à son représentant" ; que, si les prescriptions de l'article 9 du règlement intérieur imposent, dans l'intérêt de l'exploitation de l'entreprise, une procédure d'information rapide de l'employeur en cas de maladie ou d'empêchement du salarié, elles ne sont pas édictées sous peine de rupture du contrat de travail et ne méconnaissent, dès lors, pas les dispositions de l'article 10 de la convention collective ; qu'ainsi le MINISTRE DU TRAVAIL, DE L'EMPLOI ET DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé les décisions du directeur régional du travail et de l'emploi de la région Ile-de-France et du MINISTRE DU TRAVAIL, DE L'EMPLOI ET DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE susmentionnées en tant qu'elles concernent les dispositions de l'article 9 du règlement intérieur de la société "ENTREPRISE BENTIN ET COMPAGNIE" ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de l'"ENTREPRISE BENTIN ET COMPAGNIE" dirigée contre les décisions de demande de modification des articles 7-2 et 12-9 du règlement intérieur de la société prise par le directeur régional du travail et de l'emploi de la région Ile-de-France en date du 29 mai 1984 et par le MINISTRE DU TRAVAIL, DE L'EMPLOI ET DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE du 16 janvier 1985.
Article 2 : La décision du directeur régional du travail et de l'emploi de la région Ile-de-France du 29 mai 1984 et la décision du MINISTRE DU TRAVAIL, DE L'EMPLOI ET DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE du 16 janvier 1985 sont annulées en tant qu'elles demandent à la société "ENTREPRISE BENTIN ET COMPAGNIE" de modifier les dispositions des articles 7-2 et 12-9 de son règlement intérieur.
Article 3 : Le recours du MINISTRE DU TRAVAIL, DE L'EMPLOI ET DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'"ENTREPRISE BENTIN ET COMPAGNIE" et au ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle.


Synthèse
Formation : 6 / 2 ssr
Numéro d'arrêt : 84977;84980
Date de la décision : 06/03/1989
Sens de l'arrêt : Annulation partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Recours pour excès de pouvoir

Analyses

TRAVAIL ET EMPLOI - CONDITIONS DE TRAVAIL - REGLEMENT INTERIEUR - Contenu - Dispositions conformes aux lois - réglements et accords en vigueur et ne portant pas atteinte aux droits et libertés des personnels - (1) Interdiction de pénétrer dans les locaux où une habilitation est nécessaire - Légalité au regard du code du travail - (2) Interdiction de quitter le travail sans autorisation - Légalité au regard du code du travail - (3) Obligation d'informer rapidement l'employeur en cas de maladie ou d'empêchement - Légalité au regard de la convention collective du bâtiment.

66-03-01(1) En vertu des articles L.412-17, L.424-3 et L.434-1 du code du travail, est accordé tant aux délégués syndicaux qu'aux représentants du personnel, le droit de circuler librement dans l'entreprise pour l'exercice de leurs fonctions et celui d'y prendre tous contacts nécessaires à l'accomplissement de leur mission. Si l'article 7-2 du règlement intérieur de la société "Entreprise Bentin et Compagnie" dispose que : "Il est formellement interdit ... de pénétrer dans les locaux où une habilitation est nécessaire", ces dispositions n'ont pas eu pour objet et ne sauraient avoir pour effet de s'opposer par elles-mêmes au droit reconnu par les dispositions législatives précitées aux délégués syndicaux et aux représentants du personnel.

66-03-01(2) Aux termes de l'article L.231-8-1 du code du travail : "Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l'encontre d'un salarié ou d'un groupe de salariés qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d'eux ...". Si l'article 12-9 du règlement intérieur de la société "Entreprise Bentin et Compagnie" interdit formellement "aux membres du personnel ... sous réserve de dispositions législatives, réglementaires et conventionnelles en vigueur, notamment de celles relatives aux institutions représentatives du personnel et au droit d'expression des salariés ... de quitter le travail sans autorisation", ces dispositions, par leur rédaction même, ne s'opposent pas au droit de retrait d'une situation de travail présentant un danger grave et imminent pour la vie ou la santé, reconnu aux salariés par l'article L.231-8-1 du code du travail.

66-03-01(3) Aux termes de l'article 9 : "Afin de permettre la bonne organisation du travail, notamment en cas de travail par équipes, tout salarié malade ou empêché de se présenter au travail doit immédiatement, sauf cas de force majeure, prévenir le chef d'entreprise ou son représentant en précisant la cause de l'absence". L'administration a demandé à la société "Entreprise Bentin et Compagnie" de modifier ces dispositions qui, selon elle, seraient contraires à l'article 10 de la convention collective du bâtiment de la région parisienne aux termes duquel : "Les absences résultant de maladie ne constituent pas une rupture du contrat de travail lorsque, sauf cas de force majeure, elles ont fait l'objet dans les trois jours d'une notification de l'intéressé au chef d'entreprise ou à son représentant". Si les prescriptions de l'article 9 du règlement intérieur imposent, dans l'intérêt de l'exploitation de l'entreprise, une procédure d'information rapide de l'employeur en cas de maladie ou d'empêchement du salarié, elles ne sont pas édictées sous peine de rupture du contrat de travail et ne méconnaissent, dès lors, pas les dispositions de l'article 10 de la convention collective.


Références :

Code du travail L122-33, L122-35, L122-37, L122-38, L412-17, L424-3, L434-1, L231-8-1
Convention collective du bâtiment de la région parisienne art. 10


Publications
Proposition de citation : CE, 06 mar. 1989, n° 84977;84980
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : Mme Bauchet
Rapporteur ?: M. Schwartz
Rapporteur public ?: M. E. Guillaume
Avocat(s) : Me Consolo, Avocat

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1989:84977.19890306
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