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08/03/1989 | FRANCE | N°43064

France | France, Conseil d'État, 1 / 4 ssr, 08 mars 1989, 43064


Vu la décision en date du 13 mai 1987 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux a sursis à statuer sur la requête de M. X... jusqu'à ce que le Tribunal des Conflits ait tranché la question de savoir quel est l'ordre de juridiction compétent pour connaître de cette requête ;
Vu la décision n° 2 499 du 25 janvier 1988 par laquelle le Tribunal des Conflits a déclaré que la juridiction administrative est compétente pour statuer sur le litige qui oppose M. Georges X... au cercle français de Bad-Godesberg au sujet des indemnités qui seraient dues à celui-ci du fait d

e sa démission et a décidé que la cause et les parties sont renvoy...

Vu la décision en date du 13 mai 1987 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux a sursis à statuer sur la requête de M. X... jusqu'à ce que le Tribunal des Conflits ait tranché la question de savoir quel est l'ordre de juridiction compétent pour connaître de cette requête ;
Vu la décision n° 2 499 du 25 janvier 1988 par laquelle le Tribunal des Conflits a déclaré que la juridiction administrative est compétente pour statuer sur le litige qui oppose M. Georges X... au cercle français de Bad-Godesberg au sujet des indemnités qui seraient dues à celui-ci du fait de sa démission et a décidé que la cause et les parties sont renvoyées devant le Conseil d'Etat ;
Vu la requête, enregistrée le 9 juin 1982, présentée pour M. Georges X..., demeurant 72 Am Schlosspark D-5450 à Neuwied (République fédérale d'Allemagne), et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1°) annule les décisions implicites par lesquelles le général commandant les forces françaises en Allemagne, le colonel président du conseil d'administration du cercle français de Bad-Godesberg et l'officier directeur de ce cercle ont refusé de lui verser une indemnité totale de 175 176,16 F ;
2°) condamne le cercle français de Bad-Godesberg à lui verser une indemnité totale de 175 230,04 F ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu le code civil ;
Vu le décret du 19 octobre 1939 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Vu la loi n° 77-1468 du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. de la Ménardière, Maître des requêtes,
- les observations de Me Odent, avocat de M. X... et de la S.C.P. Lyon-Caen, Fabiani, Liard, avocat du Cercle français de Bad-Godesberg,
- les conclusions de M. Tuot, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que M. X..., gérant du cercle français de Bad-Godesberg, a, par lettre du 15 janvier 1980 adressée à l'officier président du conseil d'administration du cercle, donné sa démission à compter du 1er avril 1980 : "sous réserve du paiement de la prime de licenciement ... et de l'octroi des jours de congé à récupérer et annuels ..." ; que, par lettre du 21 janvier 1980, l'officier président du conseil d'administration a accepté cette démission : "dans les conditions ... proposées" par M. X... ; que ce dernier a, par la suite, contesté le montant de l'indemnité de licenciement versée en demandant qu'y soit ajoutée une indemnité de perte de change, que l'indemnité compensatrice de congés payés soit calculée sur la base de 95 jours au lieu de 34 et qu'une prime de vacances lui soit attribuée ; qu'ultérieurement, M. X..., soutenant que la rupture de son contrat de travail devait être regardée comme résultant d'un licenciement et non d'une démission, a demandé le versement d'une indemnité pour licenciement abusif et la compensation de deux mois de préavis ; que des refus explicites ou implicites ont été opposés aux réclamations de M. X... par l'officier directeur du cercle français, l'officier président du conseil d'administration et le général commandant le 2ème corps d'armée et commandant en chef les forces françaises d'Allemagne ;
Sur les fins de non-recevoir opposées à la requête par le cercle français de Bad-Godesberg :
Considérant, d'une part, qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, M. X... a donné sa démission de ses fonctions de gérant du cercle : "sous réserve du paiement de la prime de licenciement" et que cette démission a été acceptée : "dans les conditions proposées" ; que, dès lors, le cercle français de Bad-Godesberg ne saurait, en tout état de cause, soutenir que le versement d'une indemnité à M. X... présente le caractère d'une mesure purement gracieuse dont le requérant ne serait pas recevable à contester les modalités d'exécution ;

Considérant, d'autre part, que si, par lettre du 27 août 1980, le général commandant en chef des Forces françaises en Allemagne a rejeté les demandes de M. X... relatives à la compensation des congés payés, à l'indemnité de perte de change et à la prime de vacances, il n'est pas établi que cette lettre ait été notifiée à M. X... plus de deux mois avant le 14 novembre 1980, date à laquelle l'intéressé a saisi des mêmes réclamations le conseil de prud'hommes commerciaux de Strasbourg ; que, si cette juridiction s'est déclarée incompétente par un jugement du 27 mars 1981, il n'est pas davantage établi que M. X... ait reçu notification de ce jugement avant le 9 juin 1982, date à laquelle il a présenté les mêmes demandes au Conseil d'Etat ; qu'il suit de là qu'aucune forclusion ne peut être opposée de ces chefs au requérant ;
Considérant, enfin, que les demandes d'indemnité pour licenciement abusif et compensatrice du préavis de deux mois ont été formulées pour la première fois dans une lettre adressée le 8 août 1981 par M. X... à diverses autorités militaires ; qu'il est constant que ces autorités n'ont pas répondu à ces demandes ; que, dès lors, en application du quatrième alinéa de l'article 1er du décret du 11 janvier 1965, aucune forclusion ne peut être opposée à la requête présentée au Conseil d'Etat le 9 juin 1982 par M. X... ;
Au fond :
Considérant qu'il n'est pas contesté que M. X..., à qui aucune faute n'était reprochée, a été mis en demeure par son employeur de choisir entre une démission accompagnée d'indemnités de licenciement et un licenciement sans indemnité ; que face à une telle alternative, dont la seconde branche n'avait aucun fondement légal, M. X... doit être regardé, dans les circonstances de l'espèce, non comme ayant spontanément démissionné mais comme ayant été licencié par le cercle français de Bad-Godesberg ;

Considérant qu'aux termes de l'article 2 du décret susvisé du 19 octobre 1939 applicable à la date à laquelle M. X... a été licencié, les cercles d'officiers, de sous-officiers et de soldats : "peuvent employer du personnel non militaire, ce personnel bénéficie de la législation ouvrière ou sociale dans les conditions du droit commun" ; que les demandes de M. X... doivent être ainsi appréciées au regard des dispositions du code du travail relatives au licenciement ;
En ce qui concerne l'indemnité compensatrice de congés payés :
Considérant que M. X... demande que l'indemnité compensatrice de congés payés qui lui a été allouée par le cercle français de Bad-Godesberg à la suite de son licenciement soit augmentée d'une somme de 14 972,22 F pour tenir compte des 61 jours de congés non pris au cours des années de référence antérieures à celle du licenciement ;
Considérant qu'aux termes de l'article L.223-14 du code du travail : "Lorsque le contrat de travail est résilié avant que le salarié ait pu bénéficier de la totalité du congé auquel il avait droit, il doit recevoir pour la fraction de congé dont il n'a pas bénéficié, une indemnité compensatrice déterminée d'après les dispositions des articles L.221-11 à L.223-13" ; qu'aux termes de l'article L.223-11 du code du travail dans sa rédaction alors en vigueur : "L'indemnité afférente au congé prévu par l'article L.223-2 est égale au douzième de la rémunération totale perçue par le salarié au cours de la période de référence" ; qu'aux termes de l'article L.223-2, dans sa rédaction alors en vigueur : "Le travailleur qui, au cours de l'année de référence, justifie avoir occupé chez le même employeur pendant un temps équivalent à un minimum d'un mois de travail effectif, a droit à un congé dont la durée est déterminée à raison de deux jours ouvrables par mois de travail sans que la durée totale du congé exigible puisse excéder vingt-quatre jours ouvrables" ;

Considérant qu'il résulte des dispositions précitées que la durée totale du congé au titre duquel peut être exigée l'indemnité compensatrice de congés payés ne peut excéder le nombre de jours de congé auquel donne droit l'activité exercée par le salarié pendant l'année de référence au cours de laquelle intervient le licenciement ; qu'ainsi la demande de M. X... tendant à ce que ladite indemnité soit augmentée doit être rejetée ;
En ce qui concerne la prime de vacances :
Considérant que M. X... demande que l'indemnité compensatrice de congés payés soit augmentée d'une prime de vacances de 1 245,43 F ; qu'il résulte de l'instruction que les salariés du cercle français de Bad-Godesberg avaient droit chaque année à une telle prime ; que, dès lors, M. X... est fondé à demander que l'indemnité compensatrice de congés payés soit augmentée de la somme de 1 245,43 F, dont le montant n'est pas contesté ;
En ce qui concerne l'indemnité pour perte de change :
Considérant que M. X... demande que l'indemnité de licenciement qu'il a perçue soit augmentée d'une indemnité pour perte de change de 11 594,39 F ; qu'à l'appui de cette demande, M. X... fait valoir que son salaire d'activité comprenait une telle indemnité ;
Considérant qu'aux termes de l'article L.122-9 du code du travail "le salarié lié par contrat de travail à durée indéterminée et qui est licencié alors qu'il compte deux ans d'ancienneté ininterrompue au service du même employeur a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité minimum de licenciement, dont le taux et les modalités de calcul en fonction de la rémunération perçue antérieurement à la rupture du contrat de travail sont fixés par voie réglementaire" ; qu'aux termes de l'article R.122-1 du même code : "Le salaire servant de base au calcul de l'indemnité est le salaire moyen des trois derniers mois" ;

Considérant que les éléments de rémunération qui ne présentent pas un caractère aléatoire ou temporaire doivent être regardés comme s'intégrant au salaire de base ; qu'il est constant que les salariés du cercle français de Bad-Godesberg bénéficiaient d'une indemnité pour perte de change dont le montant ne variait qu'avec le taux de change de la monnaie allemande ; que, dès lors, l'indemnité dont s'agit doit être regardée comme faisant partie du salaire de base de M. X... ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X... est fondé à demander que son indemnité de licenciement soit augmentée d'une indemnité pour perte de change dont le montant, non contesté, s'élève à 11 594,39 F ;
En ce qui concerne l'indemnité pour licenciement abusif :
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, M. X... a été licencié sans qu'aucune faute n'ait été retenue contre lui ; qu'aucun autre motif n'a d'ailleurs été allégué par le cercle français de Bad-Godesberg ; qu'il suit de là que M. X... a droit, en application de l'article L.122-14-4 du code du travail, à une indemnité pour licenciement abusif ; qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en condamnant le cercle français de Bad-Godesberg à lui verser une indemnité égale à six mois de salaire ;
En ce qui concerne la demande d'indemnité compensatrice du préavis :
Considérant qu'en acceptant, par la lettre précitée du 21 janvier 1980, les conditions posées par M. X... à sa démission, le cercle français de Bad-Godesberg a implicitement fixé au 1er avril 1980 la date du licenciement ; qu'ainsi un préavis de deux mois a bien été respecté entre la décision de licenciement et la date de la rupture du contrat de travail ; qu'ainsi M. X... n'est pas fondé à demander le versement d'une indemnité compensatrice du préavis d'un montant de 21 051 F ;
Sur les intérêts :

Considérant que M. X... a droit aux intérêts sur les sommes que le cercle français de Bad-Godesberg est condamné à lui verser à compter, ainsi qu'il le demande, du 8 août 1981 ;
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée le 19 février 1986 ; qu'à cette date il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;
Article 1er : Le cercle français de Bad-Godesberg est condamné à verser à M. X... la somme de 12 839,82 F correspondant à la prime de vacances, et à l'indemnité de perte de change ainsi qu'une somme égale à six mois de salaire au titre de l'indemnité pour licenciement abusif. Ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 8 août 1981. Les intérêts échus le 19 février 1986 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. X... est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. X..., au cercle français de Bad-Godesberg et au ministre de la défense.


Synthèse
Formation : 1 / 4 ssr
Numéro d'arrêt : 43064
Date de la décision : 08/03/1989
Type d'affaire : Administrative

Analyses

08-01-03 ARMEES - PERSONNELS DES ARMEES - PERSONNELS CIVILS DES ARMEES -Gérant civil d'un cercle d'officiers - (1) Agent de droit public - Compétence administrative. (2) Démission du gérant devant être regardée comme un licenciement - Application des dispositions du code du travail relatives au licenciement en vertu de l'article 2 du décret du 19 octobre 1939 régissant les cercles d'officiers.


Références :

. Code civil 1154
. Décret du 19 octobre 1939
Code du travail L223-14, L223-11, L223-2, L122-9, R122-1, L122-14-4
Décret 65-29 du 11 janvier 1965 art. 1 al. 4

Cf. même affaire : 1987-05-13 ;

T.C. 1987-06-29, Cazeau, 02477


Publications
Proposition de citation : CE, 08 mar. 1989, n° 43064
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: de la Ménardière
Rapporteur public ?: Tuot

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1989:43064.19890308
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