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28/04/1989 | FRANCE | N°63988

France | France, Conseil d'État, 1 /10 ssr, 28 avril 1989, 63988


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 16 novembre 1984 et 15 mars 1985 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le BUREAU CENTRAL D'ETUDES POUR LES EQUIPEMENTS D'OUTRE-MER (B.C.E.E.O.M.), société anonyme dont le siège est ..., représentée par son président-directeur général en exercice, domicilié en cette qualité audit siège, et tendant à ce que le Conseil d'Etat annule le jugement du 26 juillet 1984 par lequel le tribunal administratif de Saint-Pierre et Miquelon, d'une part l'a condamné solidairement avec la société d

e construction S.P.I.E.-Batignolles à verser au département de Saint-...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 16 novembre 1984 et 15 mars 1985 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le BUREAU CENTRAL D'ETUDES POUR LES EQUIPEMENTS D'OUTRE-MER (B.C.E.E.O.M.), société anonyme dont le siège est ..., représentée par son président-directeur général en exercice, domicilié en cette qualité audit siège, et tendant à ce que le Conseil d'Etat annule le jugement du 26 juillet 1984 par lequel le tribunal administratif de Saint-Pierre et Miquelon, d'une part l'a condamné solidairement avec la société de construction S.P.I.E.-Batignolles à verser au département de Saint-Pierre et Miquelon la somme de 2 351 886,23 F en réparation des dommages résultant pour ledit département des désordres affectant l'entrepôt frigorifique de la commune de Saint-Pierre, et d'autre part a fixé à 70 % sa part de responsabilité, subsidiairement, dire la société S.P.I.E.-Batignolles entièrement tenue à garantir le paiement des sommes mises à sa charge et réduire substantiellement le montant du préjudice,
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Vu la loi n° 77-1468 du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. de Bellescize, Conseiller d'Etat,
- les observations de la S.C.P. Boré, Xavier, avocat du BUREAU CENTRAL D'ETUDES POUR LES EQUIPEMENTS D'OUTRE-MER (BCEEOM), de la S.C.P. Desaché, Gatineau, avocat du département de Saint-Pierre et Miquelon, et de Me Boulloche, avocat de la société S.P.I.E.-Batignolles,
- les conclusions de M. Tuot, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que le département de Saint-Pierre et Miquelon, aux droits duquel a été substitué l'archipel de Saint-Pierre et Miquelon, a fait construire en 1969 et 1970 un entrepôt frigorifique comportant trois chambres froides et des locaux annexes ; qu'il a confié la construction de cet entrepôt, d'une part au BUREAU CENTRAL D'ETUDES POUR LES EQUIPEMENTS D'OUTRE-MER (B.C.E.E.O.M.) chargé de l'ensemble de la mission d'architecture par convention du 23 septembre 1968 relative à l'étude du projet et par convention du 22 mai 1969 relative au contrôle des travaux et, d'autre part, à la société S.P.I.E.-Batignolles chargée de l'entreprise générale par marché intervenu le 18 avril 1969 ; que des désordres importants se sont produits après la réception définitive intervenue le 26 juillet 1971 pour lesquels le département de Saint-Pierre et Miquelon a formé contre les constructeurs susmentionnés une action sur le fondement de la responsabilité décennale ;
En ce qui concerne l'expiration du délai de mise en jeu de l'action en garantie décennale :
Considérant qu'en l'absence de toute disposition contactuelle précisant la date de départ de la garantie qu'impliquent les principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil, celle-ci est fixée à la date de la réception définitive ; qu'en l'espèce la réception définitive des travaux ayant été prononcée le 26 juillet 1971 et la demande du département de Saint-Pierre et Miquelon tendant à ce que les constructeurs soient condamnés ayant été enregistrée le 17 mars 1980, celle-ci a été présentée avant l'expiration du délai de garantie décennale ;

Considérant que si une réception partielle de la chambre froide n° 1 a eu lieu le 7 mars 1970, il ressort des pièces du dossier qu'à cette date, les travaux relatifs à cette chambre froide n'étaient pas achevés ; qu'ainsi, à supposer même qu'une prise de possession partielle de ces locaux ait eu lieu, la date de celle-ci ne saurait se substituer pour ces ouvrages à celle de la réception définitive ; que, par suite le délai de mise en jeu de l'action en garantie décennale n'était pas non plus expiré le 17 mars 1980 ;
En ce qui concerne la responsabilité décennale des constructeurs :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que des désordres ont affecté en premier lieu, l'étanchéité et la stabilité des toitures-terrasses des chambres froides sur 76 % de leur surface avec des flèches de 2 à 12,5 centimètres, en deuxième lieu, l'étanchéité et la bonne tenue des panneaux muraux extérieurs de ces chambres en raison d'un décollement, sur environ 35 % de la surface des façades à l'exception de la façade nord, d'un revêtement de feuilles d'aluminium et de la défectuosité de joints d'étanchéité d'assemblage, en troisième lieu, l'étanchéité de la toiture des locaux annexes marquée par une vingtaine de fuites ; que de tels désordres sont de nature, en raison de leur importance, à compromettre la solidité de ces immeubles et à les rendre impropres à leur destination ; qu'à supposer que certains de ces désordres aient été apparents lors de la réception définitive du 26 juillet 1971, leur ampleur et leur gravité ne se sont manifestées que postérieurement à cette réception ; qu'ainsi lesdits désordres étaient de nature à engager la responsabilité des constructeurs par application des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil ;

Considérant que les désordres affectant les murs et les toitures des chambres froides et la toiture des bâtiments annexes sont imputables à la fois au bureau central d'études pour les équipements d'outre-mer qui assurait la maitrise d' euvre complète des travaux de construction des ouvrages en cause et à la société S.P.I.E.-Batignolles qui a exécuté les travaux ; que si ces derniers soutiennent que le maître de l'ouvrage aurait commis une faute en préconisant l'utilisation de panneaux type "sandwich" pour la réalisation des chambres froides il résulte de l'instruction que le bureau central d'études a choisi une variété de panneaux, de type Frilane, qui n'était pas imposée par le maître de l'ouvrage, et dont les imperfections ainsi que le procédé d'assemblage sont à l'origine des désordres ; qu'il suit de là que le département de Saint-Pierre-et-Miquelon n'a commis aucune faute de nature à exonérer, même partiellement, les constructeurs de la responsabilité solidaire qu'ils encourent à son égard sur le fondement de la garantie décennale ;
En ce qui concerne l'évaluation et la réparation du préjudice :
Sur la remise en état de l'étanchéité des toitures-terrasses des chambres froides :
Considérant que la remise en état des toitures-terrasses des chambres froides implique, selon la solution préconisée par l'expert, la construction d'une nouvelle toiture à double pente ; que le coût non contesté de cette remise en état est évalué par l'expert à la somme de 1 436 022 F ;
Sur la remise en état de l'étanchéité des murs extérieurs :

Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment d'un projet de travaux proposé par le département lui-même que le coût de la remise en état des murs extérieurs des chambres froides doit être fixé à 467 000 F ; que c'est par suite à tort que les premiers juges ont évalué ce coût à 1 041 800 F ;
Sur la remise en état de la toiture des locaux annexes :
Considérant que la remise en état de la toiture des locaux annexes nécessite sa réfection totale dont le coût non contesté, y compris la réparation des dommages intérieurs, s'élève à 458 605,85 F ; qu'il résulte de l'instruction que la construction à proximité de ces locaux d'un bâtiment Interpêche appartenant au département et comportant un toit à double pente a pu, par l'effet de ruissellement des eaux sur les locaux annexes, aggraver les désordres qui avaient cependant commencé à apparaître antérieurement ; qu'il en sera fait une juste appréciation en laissant à la charge du département 10 % du montant susmentionné des travaux de réparation ;
Sur les frais engagés et les travaux réalisés dans le cadre de l'expertise et ceux rendus nécessaires par l'aggravation des désordres après l'expertise :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le tribunal administratif n'a pas fait une inexacte appréciation des circonstances de l'affaire en fixant le montant des frais et des travaux susanalysés à 183 960,76 F ; qu'il suit de là que le département de Saint-Pierre-et-Miquelon n'est pas fondé à demander par la voie du recours incident que ce montant soit porté à 236 328,27 F ;
Sur les coefficients d'abattement pour amélioration, vétusté, défaut d'entretien :

Considérant en premier lieu que seule la remise en état des toitures terrasses des chambres froides qui implique la pose d'une toiture à double pente entraîne une amélioration de la protection de ces ouvrages ; qu'il y a lieu dans ces conditions d'opérer un abattement de 10 % sur le coût des travaux de cette remise en état ;
Considérant en second lieu qu'eu égard à la durée de vie des ouvrages dont il s'agit, le bureau central d'études pour les équipements d'outre-mer est fondé à demander que le taux d'abattement pour vétusté fixé par le tribunal administratif à 10 % soit porté à 20 % ;
Considérant enfin que le département a fait enlever la couche de gravillons qui recouvrait les toitures terrasses des locaux annexes pour permettre l'exécution de réparations sommaires ; que cette mesure a entraîné des effets thermiques qui ont contribué à la dégradation des toitures ; qu'ainsi le département a commis une faute dans l'entretien des ouvrages ; que, dès lors, il y a lieu d'opérer un abattement de 5 % sur le coût de remise en état des toitures terrasses des locaux annexes ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le BUREAU CENTRAL D'ETUDES POUR LES EQUIPEMENTS D'OUTRE-MER et la société S.P.I.E.-Batignolles doivent être condamnés solidairement à verser au département de Saint-Pierre-et-Miquelon la somme totale de 1 771 630,38 F ;
Sur les intérêts :
Considérant que le département de Saint-Pierre-et-Miquelon a droit aux intérêts de la somme de 1 771 630,38 F à compter du jour de l'enregistrement de sa demande devant le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon, soit le 17 mars 1980 ;
Sur les intérêts des intérêts :

Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée le 27 novembre 1987 ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;
En ce qui concerne les conclusions en garantie présentées respectivement pour le BUREAU CENTRAL D'ETUDES POUR LES EQUIPEMENTS D'OUTRE-MER à l'encontre de la société S.P.I.E.-Batignolles et de la société S.P.I.E.-Batignolles à l'encontre du BUREAU CENTRAL D'ETUDES POUR LES EQUIPEMENTS D'OUTRE-MER :
Considérant que les conventions en date des 23 septembre 1968 et 22 mai 1969 par lequelles le BUREAU CENTRAL D'ETUDES POUR LES EQUIPEMENTS D'OUTRE-MER a été chargé de l'ensemble de la mission d'architecture et le marché en date du 18 avril 1969 par lequel la société S.P.I.E.-Batignolles a été chargée de l'entreprise générale ont le caractère de contrats administratifs ; que les correspondances entre les constructeurs dont le BUREAU CENTRAL D'ETUDES POUR LES EQUIPEMENTS D'OUTRE-MER fait état ne constituent pas des engagements contractuels entre constructeurs de nature à faire échec à la compétence du juge administratif pour fixer, au vu de l'ensemble des pièces du dossier, le partage des responsabilités entre constructeurs solidaires ; qu'il résulte de l'instruction que les désordres affectant les chambres froides sont dus à un choix de panneaux qui n'étaient pas aptes, par leur composition, à supporter les efforts auxquels ils devaient être soumis et dont le procédé d'assemblage pour les couvertures n'était pas techniquement éprouvé ; que si la société S.P.I.E.-Batignolles a proposé d'utiliser les matériels et les procédés susmentionnés, le bureau d'études les a acceptés sans mettre en euvre les contrôles et vérifications auxquels il était tenu ; que les désordres relatifs à l'étanchéité des murs extérieurs des locaux annexes trouvent leur origine dans un défaut de conception du procédé d'étanchéité retenu par le bureau d'études ainsi que dans le fait que la société S.P.I.E.-Batignolles n'a pas émis de réserves sur l'emploi de ce procédé ; qu'ainsi c'est par une exacte appréciation des circonstances de l'affaire que les premiers juges ont fixé à 70 % et à 30 % les parts de responsabilité respectives du BUREAU CENTRAL D'ETUDES POUR LES EQUIPEMENTS D'OUTRE-MER et de la société S.P.I.E.-Batignolles ;
Article 1er : La somme de 2 351 886,23 F (deux millions trois cent cinquante et un mille huit cent quatre-vingt six francs etvingt-trois centimes) que le paragraphe 1 de l'article 3, du jugementdu tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon du 26 juillet 1984 a condamné le BUREAU CENTRAL D'ETUDES POUR LES EQUIPEMENTS D'OUTRE-MER et la société S.P.I.E.-Batignolles à verser au département de Saint-Pierre-et-Miquelon est ramenée à 1 771 630,38 F, avec intérêts au taux légal à compter du 17 mars 1980. Les intérêts échus le 27 novembre 1987 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon du 26 juillet 1984 est réformé en ce qu'il ade contraire à la présente décision.
Article 3 : La requête du BUREAU CENTRAL D'ETUDES POUR LES EQUIPEMENTS D'OUTRE-MER et le recours incident et provoqué de la société S.P.I.E.-Batignolles sont rejetés ainsi que le surplus du recours incident et provoqué du département de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au BUREAU CENTRALD'ETUDES POUR LES EQUIPEMENTS D'OUTRE-MER (B.C.E.E.O.M.), à la société S.P.I.E.-Batignolles, à l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon et au ministre des départements et territoires d'outre-mer.


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