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12/05/1989 | FRANCE | N°76737

France | France, Conseil d'État, 2 / 6 ssr, 12 mai 1989, 76737


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 17 mars 1986 et 17 juillet 1986 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le DEPARTEMENT DU PUY-DE-DOME, représenté par son président du conseil général en exercice à ce dûment autorisé par délibération en date du 17 février 1986, et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1°) réforme le jugement du 7 novembre 1985 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a condamné M. C... architecte d'opération à payer au département la somme de 200 000 F avec intérêts au tau

x légal, à compter du 28 janvier 1982 et la société I.D.B.A.T. à lui payer la...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 17 mars 1986 et 17 juillet 1986 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le DEPARTEMENT DU PUY-DE-DOME, représenté par son président du conseil général en exercice à ce dûment autorisé par délibération en date du 17 février 1986, et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1°) réforme le jugement du 7 novembre 1985 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a condamné M. C... architecte d'opération à payer au département la somme de 200 000 F avec intérêts au taux légal, à compter du 28 janvier 1982 et la société I.D.B.A.T. à lui payer la somme de 100 000 F avec intérêts au taux légal, à compter du 28 janvier 1982, 1°) en ce qu'il a mis hors de cause l'Etat, MM. B..., X..., Y..., A..., D..., Z... et la société G.E.L.F., 2°) en ce qu'il a rejeté le surplus des conclusions du département, 3°) en ce qu'il a fixé le préjudice subi par le département à 1 000 000 F ;
2°) condamne conjointement et solidairement, l'Etat, MM. B..., Z..., X..., Y..., A..., D... et C... architectes ainsi que les sociétés I.D.B.A.T. et G.E.L.F. à lui verser la somme de 1 500 000 F avec les intérêts de droit ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi du 28 pluviôse an VIII ;
Vu le code civil ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Vu la loi n° 77-1468 du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Fratacci, Auditeur,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Liard, avocat du DEPARTEMENT DE PUY-DE-DOME, de Me Boulloche, avocat de M. B... et autres, et de la S.C.P. Masse-Dessen, Georges, Thouvenin, avocat de la société Industrielle Drômoise du Bâtiment (I.D.B.A.T.),
- les conclusions de M. Faugère, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'à la suite d'un concours organisé sur le plan national, pour la construction industrialisée d'instituts médico-éducatifs, le ministre chargé de la santé a retenu un projet-type présenté par le groupement d'intérêts économiques "Groupement d'entreprises licenciées FIORIO" (G.E.L.F.), qui s'était lui-même assuré le concours de M. B... et de cinq autres architectes pour élaborer ce projet ; que l'Etat et le DEPARTEMENT DU PUY-DE-DOME sont convenus d'édifier un institut à Theix sur la base de ce projet type, l'Etat assumant la maîtrise d'ouvrage de la construction et la remettant ensuite au département ; que l'ouvrage a été effectivement construit dans ces conditions, le gros- euvre étant confié à la société industrielle dromoise de bâtiment (IDBAT) et M. C... assumant les fonctions d'architecte d'opération ; que la réception définitive sans réserves de ce bâtiment est intervenu le 21 décembre 1972 et que ledit bâtiment a été transféré par l'Etat au DEPARTEMENT DU PUY-DE-DOME le 14 novembre 1976 ; que des pénétrations d'eau par les façades ayant été constatées à partir de 1974, le DEPARTEMENT DU PUY-DE-DOME a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de déclarer sur la base des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil, les architectes qui avaient collaboré au projet initial, M. C..., et la société IDBAT solidairement responsable desdits désordres et de les condamner à réparation ; qu'il a ultérieurement demandé la condamnation de l'Etat et du groupement G.E.L.F. ; que, de nouveaux désordres étant apparus, notamment au niveau des vides sanitaires et des terrasses, il en a demandé la réparation aux mêmes défendeurs ;
Sur la recevabilité de la demande dirigée contre M. C... :

Considérant qu'aux termes de l'article 9 du contrat du 21 août 1970 liant M. C... au ministre de la santé alors maître de l'ouvrage délégué de l'opération "pour toutes les difficultés que pourrait soulever l'application des dispositions du présent contrat, il est convenu entre les parties, avant d'engager toute action judiciaire, de solliciter les avis du ministre de la santé publique et de la sécurité sociale et du Président du conseil supérieur de l'ordre des architectes" ; que cette clause, qui concerne uniquement la responsabilité contractuelle des parties, ne peut être invoquée dans un litige qui met en cause la seule responsabilité décennale des architectes ; qu'ainsi la demande du département dirigée contre M. C... était recevable ;
Au fond :
Considérant qu'il n'est pas contesté que les pénétrations d'eau constatées par le rapport d'expertise du 23 octobre 1978 sont de nature, par leur importance, à rendre les immeubles impropres à leur destination ; qu'il résulte en revanche de l'instruction, et notamment du second rapport d'expertise du 25 janvier 1982, que les désordres affectant les vides sanitaires et les terrasses, ne sont pas de nature à engager la garantie décennale des constructeurs ;
En ce qui concerne les conclusions dirigées contre l'Etat, M. B... et les architectes de conception et contre le groupement G.E.L.F. :
Considérant, d'une part, que la responsabilité de l'Etat, qui n'avait pas la qualité de constructeur, mais celle de maître d'ouvrage, ne pouvait être engagée sur la base de la garantie décennale ; qu'en l'absence de toute réserve formulée lors de la remise des bâtiments qui est intervenue, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le 14 novembre 1976, le département n'est plus recevable à demander à l'Etat réparation des fautes que celui-ci a commises dans l'exécution de la mission qui lui avait été confiée par la convention liant les deux parties et dont les conséquences peuvent être évaluées à 50 % du montant des désordres ;

Considérant, d'autre part, que la garantie résultant des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil ne pèse que sur les personnes qui ont été liées au maître de louage par un contrat de louage d'ouvrage relatif à la construction des bâtiments concernés ; que tel n'est le cas ni des architectes de conception, ni du groupement G.E.L.F. qui s'est borné à présenter un projet type à l'Etat, et qui n'est pas intervenu dans la construction des bâtiments litigieux ;
En ce qui concerne M. C... et la société IDBAT :
Considérant qu'il ressort de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que les pénétrations d'eau par les façades des bâtiments de l'institut médico-éducatif de Theix sont imputables d'une part à l'inadéquation du projet type aux conditions climatiques du site et à son implantation, et d'autre part à l'utilisation d'un enduit dénommé "CIMDECOR" non étanche ; que, si le projet a été imposé à l'architecte d'opération, celui-ci n'a pas appelé l'attention du maître d'ouvrage sur l'insuffisance de la protection des bâtiments contre les pénétrations d'eau, et n'a pas vérifié les caractéristiques de l'enduit qui a été apposé sur des murs constitués de panneaux "sandwich" qui n'étaient pas étanches par eux-mêmes ; que si aucune faute d'exécution n'a été relevée à l'égard de la société IDBAT, chargée du gros- euvre, cette entreprise a manqué à ses obligations en s'abstenant d'appeler l'attention du maître d' euvre et du maître de l'ouvrage sur les problèmes d'adaptation posés par les caractéristiques du site, et en négligeant de vérifier les caractéristiques de l'enduit extérieur qu'elle a appliqué sur les murs de façade ;

Considérant, toutefois, que le tribunal administratif de Clermont-Ferrand n'a pas fait une correcte appréciation de la responsabilité respective qui incombe à chacun de ces deux constructeurs ; qu'il y a lieu de ramener la part de responsabilité de M. C..., qui n'a eu aucune part dans la conception, à 10 % et au contraire de porter à 40 % la part de la société IDBAT, qui, faisant partie du "groupement d'entreprises licenciées FIORIO", avait été associée à la conception du projet, et était en mesure de percevoir la nécessité de son adaptation à des conditions climatiques aussi particulières ;
Considérant que si le DEPARTEMENT DU PUY-DE-DOME demande dans sa requête sommaire que le montant de 1 million de Francs retenus par le tribunal administratif pour le coût des réparations concernant les façades soit porté à 1 300 000 F, il ne présente aucune argumentation à l'appui de cette demande ; qu'il ressort au contraire du premier rapport d'expertise déposé le 24 octobre 1978 que ce coût était à cette date de 640 000 F ; que si l'expert, dans son second rapport du 25 janvier 1982 concernant d'autres désordres, a cru devoir réévaluer cette somme à cette dernière date, il ne résulte pas de l'instruction, et il n'est d'ailleurs pas allégué que le département ne fût pas en mesure, dès le dépôt du premier rapport, de procéder aux réparations préconisées ; que dans ces conditions, il y a lieu de s'en tenir à la somme de 640 000 F ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la somme mise à la charge de M. C... par le jugement attaqué doit être ramenée de 200 000 F à 64 000 F et que la somme mise à la charge de la société IDBAT doit être portée de 100 000 F à 256 000 F ; que ces sommes doivent porter intérêt au taux légal à la date de la demande introductive d'instance le 7 septembre 1979 ;

Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée le 17 mars 1986 ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément à l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;
Article 1er : La somme que M. C... a été condamné à verser au DEPARTEMENT DU PUY-DE-DOME par l'article 1er du jugement attaqué est ramenée à 64 000 F.
Article 2 : La somme que la société IDBAT a été condamnée à verser au DEPARTEMENT DU PUY-DE-DOME par l'article 2 du jugement attaqué est portée à 256 000 F.
Article 3 : Les sommes porteront intérêt au taux légal à compterdu 7 septembre 1979.
Article 4 : Les intérêts des sommes susmentionnées échus le 17 mars 1986 seront capitalisés à cette date pour porter eux-mêmes intérêts.
Article 5 : Les articles 1 et 2 du jugement du 7 novembre 1985 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand sont réformés en ce qu'ils ont de contraire à la présente décision.
Article 6 : Le surplus des conclusions du DEPARTEMENT DU PUY-DE-DOME et de l'appel incident de M. C..., ensemble l'appel incident de la société IDBAT sont rejetés.
Article 7 : La présente décision sera notifiée au DEPARTEMENT DUPUY-DE-DOME, à M. C..., à la société IDBAT et au ministre de la solidarité, de la santé et de la protection sociale.


Synthèse
Formation : 2 / 6 ssr
Numéro d'arrêt : 76737
Date de la décision : 12/05/1989
Type d'affaire : Administrative

Analyses

MARCHES ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - RAPPORTS ENTRE L'ARCHITECTE - L'ENTREPRENEUR ET LE MAITRE DE L'OUVRAGE - RESPONSABILITE DES CONSTRUCTEURS A L'EGARD DU MAITRE DE L'OUVRAGE - RESPONSABILITE CONTRACTUELLE - CHAMP D'APPLICATION - Convention entre l'Etat et un département - Réception définitive sans réserve - Responsabilité contractuelle - Absence.

MARCHES ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - RAPPORTS ENTRE L'ARCHITECTE - L'ENTREPRENEUR ET LE MAITRE DE L'OUVRAGE - RESPONSABILITE DES CONSTRUCTEURS A L'EGARD DU MAITRE DE L'OUVRAGE - RESPONSABILITE DECENNALE - DESORDRES DE NATURE A ENGAGER LA RESPONSABILITE DECENNALE DES CONSTRUCTEURS - ONT CE CARACTERE - Désordres rendant les ouvrages impropres à leur destination.

MARCHES ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - RAPPORTS ENTRE L'ARCHITECTE - L'ENTREPRENEUR ET LE MAITRE DE L'OUVRAGE - RESPONSABILITE DES CONSTRUCTEURS A L'EGARD DU MAITRE DE L'OUVRAGE - RESPONSABILITE DECENNALE - RESPONSABILITE DE L'ENTREPRENEUR - FAITS DE NATURE A ENGAGER SA RESPONSABILITE - Négligence dans le choix des matériaux - Entrepreneur s'étant abstenu de soulever l'inadaptation des matériaux utilisés.

MARCHES ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - RAPPORTS ENTRE L'ARCHITECTE - L'ENTREPRENEUR ET LE MAITRE DE L'OUVRAGE - RESPONSABILITE DES CONSTRUCTEURS A L'EGARD DU MAITRE DE L'OUVRAGE - REPARATION - PREJUDICE INDEMNISABLE - EVALUATION - DATE D'EVALUATION - Date où leur cause ayant pris fin et leur étendue étant connue - il peut être procédé aux travaux destinés à réparer les dommages.


Références :

Code civil 1154, 1792 et 2270


Publications
Proposition de citation : CE, 12 mai. 1989, n° 76737
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Fratacci
Rapporteur public ?: Faugère

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1989:76737.19890512
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