La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/06/1989 | FRANCE | N°39242

France | France, Conseil d'État, 4 / 1 ssr, 16 juin 1989, 39242


Vu 1°) sous le n° 39 242 la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 7 janvier 1982 et 23 avril 1982 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE SPIE-BATIGNOLLES S.A., Tour Anjou, 33 Quai National à Puteaux (92800), la SOCIETE DES GRANDS TRAVAUX DE L'EST S.A., ..., et la SOCIETE NATIONALE DES TRAVAUX PUBLICS S.A., ..., et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1- annule le jugement du 4 novembre 1981 par lequel le tribunal administratif de Saint-Denis a, avant-dire droit, ordonné une expertise sur deux des sept chefs de la récl

amation présentée au DEPARTEMENT DE LA REUNION, et tendant au v...

Vu 1°) sous le n° 39 242 la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 7 janvier 1982 et 23 avril 1982 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE SPIE-BATIGNOLLES S.A., Tour Anjou, 33 Quai National à Puteaux (92800), la SOCIETE DES GRANDS TRAVAUX DE L'EST S.A., ..., et la SOCIETE NATIONALE DES TRAVAUX PUBLICS S.A., ..., et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1- annule le jugement du 4 novembre 1981 par lequel le tribunal administratif de Saint-Denis a, avant-dire droit, ordonné une expertise sur deux des sept chefs de la réclamation présentée au DEPARTEMENT DE LA REUNION, et tendant au versement de diverses indemnités en réparation du préjudice résultant des conditions d'exécution du marché de mise à quatre voies de la route du littoral approuvé le 27 juin 1973, et, au fond, rejeté le surplus de leur requête ;
2- condamne le DEPARTEMENT DE LA REUNION à leur verser la somme de 46 526 532 F, ainsi que les intérêts et les intérêts des intérêts ;
Vu 2°) sous le n° 69 579 la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 17 juin 1985 et 9 octobre 1985 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le DEPARTEMENT DE LA REUNION, représenté par le président du conseil général en exercice, et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1- annule le jugement du 20 mars 1985 par lequel le tribunal administratif de Saint-Denis l'a condamné à verser au groupement constitué par les sociétés SPIE-BATIGNOLLES, GRANDS TRAVAUX DE L'EST et SOCIETE NATIONALE DES TRAVAUX PUBLICS la somme de 24 405 185,58 F en réparation des conséquences dommageables résultant de l'exécution du marché conclu avec ces sociétés en vue de la mise à quatre voies de la route du littoral, dont 719 524,58 F au titre des droits d'octroi de mer versés à tort et 23 685 661 F au titre des perturbations du chantier entraînées par la modification des projets initiaux, et a mis à sa charge les frais d'expertise ;
2- déclare nul le rapport d'expertise déposé par M. Z... et rejette la demande présentée par les sociétés SPIE-BATIGNOLLES, GRANDS TRAVAUX DE L'EST et SOCIETE NATIONALE DES TRAVAUX PUBLICS devant le tribunal administratif de Saint-Denis ;
3- subsidiairement, ordonne une nouvelle expertise, confiée à deux experts, ramène à 5 611 607 F (valeur 1976) ou 9 088 267 F (valeur 1977) l'indemnité pour perturbations apportées au projet initial et réduise le montant de l'indemnité accordée au titre des droits d'octroi de mer ;
4- fixe au jour du jugement ou, au plus tôt, au 4 novembre 1981, date du jugement avant-dire droit, le point de départ des intérêts ;
5- mette, au moins en partie, les frais d'expertise à la charge du groupement ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administrtives d'appel ;
Vu le décret du 9 juin 1954 portant approbation de la délibération en date du 16 février 1954 du conseil général de La Réunion relative à l'assiette et aux modalités de recouvrement des droits d'octroi de mer, et l'arrêté du secrétaire d'Etat au budget en
date du 16 juillet 1954, modifié le 25 juin 1959, pris pour son application ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de Mme Portes, Conseiller d'Etat,
- les observations de Me Boulloche, avocat de la SOCIETE SPIE-BATIGNOLLES et autres et de la SCP Fortunet, Mattei-Dawance, avocat du DEPARTEMENT DE LA REUNION,
- les conclusions de M. Daël, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que, par un marché approuvé le 27 juin 1973, le groupement d'entreprises constitué par la SOCIETE SPIE-BATIGNOLLES, la Société des Grands Travaux de l'Est et la Société Nationale des Travaux Publics s'est engagé à exécuter, pour le compte du DEPARTEMENT DE LA REUNION, les travaux de mise à quatre voies de la route nationale n° 1, de Saint-Denis à La Possession, sur une longueur de 11,7 kilomètres ; que, par un avenant n° 2 approuvé le 22 janvier 1975, la masse des travaux a été augmentée pour assurer une meilleure protection de l'ouvrage à la mer, et le délai de leur exécution allongé ; qu'aux termes de l'article 21-2 dudit avenant : "Moyennant la signature du présent avenant, l'entrepreneur renonce à toute réclamation pour faits intervenus avant ladite signature, sauf celles concernant limitativement les chefs suivants : 1) Emploi sur le chantier de spécialistes malgaches ; 2) Application de la réglementation locale en matière d'exonération des droits d'octroi de mer ; 3) Ventilation des produits d'abattage de la falaise ; 4) Perturbation à la marche du chantier en raison des modifications apportées au projet dans la mesure où elles ne seront pas réglées par les acomptes sur indemnité ; 5) Modalités de remboursement des avances ; 6) Modification de la valeur du terme "b" de retard de lecture des paramètres utilisés dans les calculs des révisions de prix de 2 à 0 ; 7) Conséquences de la grève commencée le 19 décembre 1974" ;
Considérant qu'après achèvement des travaux, le décompte général et définitif des ouvrages exécutés, arrêté à la somme de 196 184 020,69 F, a été remis le 1er juillet 1976 aux entreprises, qui l'ont accepté avec réserves ; qu'elles ont présenté le 2 juillet 1976 un mémoire en réclamation tendant au versement par le DEPARTEMENT DE LA REUNION d'une somme de 46 526 532 F hors taxes représentant les diverses indemnités dues au titre des sept chefs de réclamation réservés par l'article 21-2 de l'avenant n° 2 susmentionné ; que le DEPARTEMENT DE LA REUNION, par une délibération en date du 8 septembre 1976 de la commission départementale, a rejeté l'ensemble de la réclamation ;

Considérant que les entreprises ont saisi le tribunal administratif de Saint-Denis qui, par un jugement en date du 4 novembre 1981, a ordonné deux expertises aux fins, d'une part, de déterminer le montant des droits d'octroi de mer dus par les sociétés requérantes, d'autre part de rechercher les éléments d'évaluation du préjudice causé par les perturbations dans la conduite du chantier résultant de la modification de l'ouvrage, et rejeté le surplus des conclusions de la requête ; que les entreprises interjettent appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté cinq des sept chefs de réclamation invoqués ; que, par la voie de l'appel incident, le DEPARTEMENT DE LA REUNION demande l'annulation dudit jugement en tant qu'il a ordonné une expertise sur le montant des droits d'octroi de mer ;
Considérant que le tribunal administratif de Saint-Denis, par un jugement en date du 20 mars 1985, a condamné le DEPARTEMENT DE LA REUNION à verser aux entreprises une somme de 24 405 185,58 F, représentant à raison de 719 524,58 F le remboursement des droits d'octroi de mer, et à raison de 23 685 661 F l'indemnisation du préjudice né des perturbations intervenues dans la réalisation de l'ouvrage ; que le département interjette appel de ce jugement ; que, par la voie de l'appel incident, les entreprises demandent la réformation dudit jugement et la condamnation du département à leur verser une indemnité majorée de 2 784 964 F au titre des frais généraux ;
Considérant que les requêtes des entreprises d'une part, et du DEPARTEMENT DE LA REUNION d'autre part sont relatives à l'exécution d'un même contrat ; qu'il y a lieu de les joindre pour y être statué par une seule décision ;
Sur le refus de l'administration d'autoriser l'emploi sur le chantier de spécialistes malgaches :

Considérant que le groupement d'entreprises a demandé le 23 août 1973 au directeur départemental du travail et de la main-d'oeuvre l'autorisation d'employer sur le chantier vingt-cinq conducteurs d'engins de nationalité malgache formés par les entreprises sur des chantiers précédants et connaissant le matériel lourd à mettre en oeuvre ; qu'il n'est pas contesté que le secrétaire général pour les affaires économiques du DEPARTEMENT DE LA REUNION a le 11 septembre 1983, refusé verbalement de donner aux entreprises, l'autorisation nécessaire pour l'emploi de cette main-d'oeuvre étrangère ; que, toutefois, par dérogation à cette décision, l'autorisation de recruter six spécialistes malgaches leur a été donnée le 15 janvier 1974 ; que les entreprises soutiennent que ce refus est irrégulier au regard tant des stipulations du marché que des règles communautaires, et qu'il les a obligées à des dépenses supplémentaires, notamment pour la formation de la main-d'oeuvre locale, dont elles demandent réparation par l'attribution d'une indemnité de 6 365 690 F ;
Considérant, d'une part, que la décision refusant d'autoriser l'emploi sur le chantier de spécialistes malgaches a été prise au nom de l'Etat et qu'elle ne saurait en tout état de cause engager la responsabilité contractuelle du DEPARTEMENT DE LA REUNION ;
Considérant, d'autre part, que, contrairement à ce que soutiennent les entreprises, les dispositions de l'article V.3 du cahier des prescriptions spéciales aux termes duquel : "Le personnel de l'entreprise doit être ressortissant des Etats membres de la Communauté Economique Européenne ou des pays et territoires d'outre-mer associés à la Communauté Economique Européenne", et de l'article V.15 du même cahier des prescriptions spéciales aux termes duquel : "Pour l'application des textes réglementant la main-d'oeuvre étrangère, il est précisé que les agents ressortissant des Etats membres ou des pays et territoires d'outre-mer associés à la Communauté Economique Européenne, ne sont pas considérés comme agents étrangers" ne comportaient pas d'indication selon lesquelles l'emploi de main-d'oeuvre de nationalité malgache ne serait pas soumis à autorisation ; qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'avant le dépôt de leur soumission, les entreprises se seraient assurées que les autorisations nécessaires à l'emploi des vingt-cinq spécialistes malgaches dont elles estimaient avoir besoin pour une bonne exécution du marché leur seraient accordées ; que, par suite, les difficultés provoquées par le refus d'autorisation ne peuvent être regardées comme imprévisibles et susceptibles d'ouvrir aux entreprises un droit à indemnisation ;
Sur l'utilisation des produits de l'abattage de la falaise :

Considérant que le cahier des prescriptions spéciales prévoit, dans son article II.3, que les matériaux nécessaires aux travaux d'enrochement proviendront soit des déblais rocheux du chantier, soit des produits de l'abattage de la falaise, soit de la carrière de la Grande Chaloupe ; qu'aux termes de l'article III.22 du cahier des prescriptions spéciales : "On considérera forfaitairement que 10 % des produits d'abattage (de la falaise) seront perdus, 30 % seront réutilisés en remblais, 35 % en enrochements 500-1000 kg, 15 % en enrochements 100-500 kg, 10 % en enrochements 5-50 kg" ; qu'il n'est pas contesté que la moitié seulement des produits de l'abattage de la falaise dont la réutilisation en enrochements était prévue ont pu être effectivement réutilisés à cette fin ; que, pour compenser les dépenses exposées pour s'approvisionner ailleurs en matériaux d'enrochements, les entreprises demandent l'attribution d'une indemnité de 2 696 136 F ;
Considérant que, comme le prévoit l'article V.1 du cahier des prescriptions spéciales, l'entrepreneur reconnaît " ... par le fait même du dépôt de sa soumission ... s'être assuré ... des conditions physiques propres à l'emplacement des travaux, de la nature du sol, de la nature en qualité et en quantité des matériaux rencontrés en surface et dans le sous-sol" ; qu'il résulte de l'instruction que les opérations d'abattage de la falaise n'ont pas été conduites dans des conditions permettant une bonne réutilisation des produits dudit abattage et, notamment, que les indications données par le maître d'oeuvre sur les méthodes à employer n'ont pas été régulièrement observées ; que les stipulations précitées du marché qui se bornaient à prévoir forfaitairement les modes d'utilisation des produits de l'abattage de la falaise ne garantissaient pas aux entreprises qu'un pourcentage déterminé des matériaux nécessaires à l'enrochement serait issu de cet abattage ; que, dès lors, la nécessité dans laquelle elles se sont trouvées de s'approvisionner ailleurs ne constitue pas une sujétion imprévue susceptible de leur ouvrir un droit à indemnisation ;

Sur l'incidence des mécanismes de remboursement des avances et de révision des prix :
Considérant que, du fait de l'importance de la hausse des prix intervenue en 1973 et 1974, les entreprises réclament au DEPARTEMENT DE LA REUNION une indemnité de 2 377 104 F en réparation du préjudice causé par le mécanisme de remboursement des avances prévu à l'article IV-11-2 du cahier des prescriptions spéciales et une indemnité de 7 076 167 F en réparation du préjudice causé par l'application du mécanisme contractuel de révision des prix, et en particulier par le retard de trois mois, ramené à 2 mois par l'avenant n° 2, dans la lecture des éléments des indices et l'incidence du terme fixe des formules de révision paramétriques ;
Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que, à la suite de la hausse des prix et de l'augmentation du coût du frêt qui se sont produites à la fin de l'année 1973 et au cours de l'année 1974, la clause de révision des prix qui, comme il a été dit ci-dessus a, au surplus, été modifiée et précisée postérieurement à ces hausses, n'ait pas joué dans des conditions normales ; que, par suite, les entreprises ne sauraient prétendre à une indemnité d'imprévision ;

Sur les conséquences de la grève ayant affecté le chantier ;
Considérant que le chantier a été affecté du 19 décembre 1974 au 16 janvier 1975 notamment par une grève qui, selon les entreprises, présentait les caractéristiques d'un évènement de force majeure ou, à tout le moins, d'un évènement susceptible d'ouvrir droit à l'attribution d'une indemnité d'imprévision ; que le versement par le DEPARTEMENT DE LA REUNION d'une indemnité de 8 726 047 F est réclamé à ce titre ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que ladite grève, qui était limitée au personnel ouvrier du chantier et n'affectait ni l'ensemble des sous-traitants, ni les autres entreprises de travaux publics de l'île, n'a pas mis les entreprises dans l'impossibilité absolue de remplir leurs obligations ; que, par suite, elle ne revêtait pas les caractères d'un évènement de force majeure ; qu'eu égard aux caractères de la grève dont il s'agit et nonobstant la circonstance qu'elle a été déclenchée sans préavis, les effets de ladite grève sur les conditions d'exécution du marché ne sauraient justifier l'allocation d'une indemnité d'imprévision ; Considérant, enfin, que la lettre en date du 9 janvier 1975 par laquelle le directeur départemental de l'équipement mettait les entreprises en demeure de reprendre et poursuivre les travaux urgents indispensables à la protection d'une partie de l'ouvrage particulièrement exposée en saison cyclonique, dont l'objet était limité à des travaux de sécurité et de protection, ne saurait être regardée comme une prescription du maître de l'ouvrage "... d'avoir à reprendre le travail à tout prix", comme le soutiennent les entreprises ; qu'elle n'est, dès lors, pas susceptible de justifier le versement d'une indemnité ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les entreprises SOCIETE SPIE-BATIGNOLLES S.A., Société des Grands Travaux de l'Est et Société Nationale des Travaux Publics ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par l'article 7 du jugement attaqué, le tribunal administratif de Saint-Denis a rejeté les conclusions de leurs requêtes fondées sur le refus d'autoriser l'emploi sur le chantier des spécialistes malgaches, l'utilisation des produits de l'abattage de la falaise, l'incidence des mécanismes de remboursement des avances et de révision des prix et sur les conséquences de la grève ayant affecté le chantier ;

Sur l'exonération des droits d'octroi de mer :
Considérant que les entreprises requérantes soutiennent qu'elles n'ont pas bénéficié d'une exonération des droits d'octroi de mer aussi étendue que le prévoyait l'article V.4 du cahier des prescriptions spéciales ; que, faisant droit sur ce point à leur demande, les premiers juges ont ordonné une expertise pour déterminer le montant des droits dont elles étaient redevables à ce titre ; que, par la voie de l'appel incident, le département a demandé l'annulation du jugement du 4 novembre 1981 sur ce point ;
Considérant qu'aux termes de l'article I.7-1 du cahier des prescriptions spéciales relatif à la présentation et à l'envoi des soumissions : "Les offres indiquées dans les soumissions seront calculées en incluant tous les droits, taxes et impôts applicables à la Réunion à l'occasion de l'exécution du marché. A toutes fins utiles, il est joint au dossier une note d'informations générales à l'usage des soumissionnaires. Cette note, fournie à titre indicatif, n'engage pas l'administration ... Les soumissionnaires tiendront également compte des modalités de calcul et d'exonération de certains droits (comme indiqué à l'article V.4 ci-après) ; qu'aux termes de l'article V.4 : "... L'entrepreneur pourra, sur sa demande, obtenir l'exonération des droits d'octroi de mer pour toutes les fournitures non encore dédouanées" ; que cette disposition se borne à rappeler l'exonération prévue par l'article 5-2° de la délibération en date du 16 février 1954 du conseil général de la Réunion fixant les règles d'assiette et de perception de l'octroi de mer pour les marchandises introduites dans ce département, approuvée par le décret n° 54-618 du 9 juin 1954, au profit des "... marchandises introduites dans le département par l'armée, par les administrations et par les services publics de l'Etat, des départements et des communes ou pour leur compte" ;
Considérant que les conditions d'application de cette exonération ont été fixées par un arrêté du 16 juillet 1954 du secrétaire d'Etat au budget ; qu'aux termes de l'article 1 dudit arrêté, elle "... est accordée par le directeur des douanes du département sur demande écrite formulée, avant dédouanement, par le service destinataire" ; qu'aux termes de son article 4, tel qu'il résulte d'un arrêté du 25 juin 1959 : "Lorsque les marchandises sont introduites à la Réunion par un intermédiaire ... le certificat doit attester ... a) que les marchandises seront livrées au service destinataire sans transformation ... b) que lesdites marchandises ont fait l'objet ... d'un marché régulièrement approuvé passé entre ledit intermédiaire et le service ou l'unité bénéficiaire" ; que le marché conclu entre le DEPARTEMENT DE LA REUNION et les entreprises ne pouvait en aucune manière modifier ces dispositions, qui ont un caractère réglementaire ;

Considérant que la manière dont le directeur des douanes du DEPARTEMENT DE LA REUNION a appliqué aux entreprises les dispositions réglementaires susmentionnées ne saurait, en tout état de cause, engager la responsabilité contractuelle du département ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que la note d'information remise aux soumissionnaires avec le dossier, ainsi que le prévoyait l'article I.7.1. du cahier des prescriptions spéciales, indiquait les conditions mises à l'exonération des droits d'octroi de mer ; qu'elle précisait en particulier qu'elle serait limitée aux matériaux d'insfrastructure et de superstructure devant rester la propriété du département, et que les ciments en seraient exclus au motif qu'ils subissaient une transformation avant d'être incorporés aux ouvrages ; qu'ainsi les documents contractuels n'ont pas induit les soumissionnaires en erreur sur le régime auquel ils seraient soumis en matière d'exonération des droits d'octroi de mer ; que, par suite, les entreprises ne sont pas fondées à demander une indemnisation représentant le montant des droits d'octroi de mer quelles auraient versées à tort ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le DEPARTEMENT DE LA REUNION est fondé à soutenir, dans son appel incident, que c'est à tort que le tribunal administratif de Saint-Denis, par son jugement du 4 novembre 1981, après avoir admis la responsabilité contractuelle du département, a chargé un expert de déterminer le montant des droits dus par les entreprises au regard de ceux qu'elles ont acquittés ; que ledit jugement doit être annulé sur ce point et que, par voie de conséquence, le jugement du 20 mars 1985 du tribunal administratif de Saint-Denis doit être également annulé en tant qu'il a condamné le DEPARTEMENT DE LA REUNION à verser au groupement d'entreprises une somme de 719 524,58 F au titre des droits d'octroi de mer ;

Sur les perturbations dans la conduite du chantier :
Considérant que l'expert désigné par le tribunal administratif de Saint-Denis pour rechercher les éléments d'évaluation du préjudice subi par les entreprises du fait des perturbations survenues dans le déroulement du chantier à la suite d'une modification des modalités d'exécution de l'ouvrage a déposé, le 6 octobre 1982, un rapport concluant au versement par le département d'une indemnité de 26 469 848,62 F à ce titre ; que l'expert n'a pas excédé le cadre de sa mission et que le rapport qu'il a déposé contient, à partir de constatations et d'analyses techniques dont le département n'établit pas la fausseté, les éléments d'information et d'appréciation permettant au juge du contrat de donner une solution au litige ; que, par suite, les conclusions du département tendant à ce que l'expertise de M. Y... soit déclarée nulle et qu'un autre expert soit désigné doivent être écartées ;
Considérant que la méthode retenue par l'expert et adoptée par le tribunal administratif pour évaluer le préjudice consiste à rechercher, pour chaque équipe, la durée et le coût des perturbations apportées au déroulement du chantier tel qu'il était initialement prévu ; qu'elle a été communiquée en cours d'expertise aux parties, qui ne l'ont pas critiquée ; que, même si elle n'était pas la seule méthode d'évaluation possible, le département n'établit ni qu'elle ne permettait pas d'évaluer convenablement le préjudice subi par les entreprises, ni qu'une autre méthode aurait permis une évaluation plus exacte ; que, toutefois, en fixant au 18 avril 1975 la fin théorique d'un chantier fictif dont le déroulement n'aurait pas été perturbé, l'expert a tenu compte à tort d'une période de trois jours nécessaire à la mise en place de la grue Manitowoc et de coffrages, alors que ces travaux étaient compris dans les prix nouveaux 010 (installations complémentaires) et 020 (amenée et repli d'une grue de 500 Txm) de l'avenant n° 2 au marché, et que, par suite, la date de fin théorique du chantier doit être fixé au 21 avril 1975 et la durée de la perturbation diminuée de "0,10 mois" pour chaque équipe ; qu'il résulte en outre de l'instruction que l'équipe chargée de la pose des tétrapodes de 8 tonnes, doit être regardée comme s'étant arrêtée le 31 juillet 1975 et non le 5 octobre 1975 comme l'affirme l'expert et que, de ce fait, l'indemnité due pour cette équipe par le département doit être diminuée à due concurrence ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'indemnité à laquelle les entreprises peuvent prétendre du fait de la perturbation du travail des diverses équipes est, pour chacune d'elles, la suivante :
- Equipe EA (déblais) : 321 836 F pour 8,3 mois ;
- Equipe EB (enrochements) : présumée non perturbée ;
- Equipe EC (pose des tétrapodes de 8 tonnes) : 1 733 689 F pour 5 mois ;
- Equipe ED (semelle) : 386 226 F pour 6,9 mois ;
- Equipe EF (remblais) : 2 095 528 pour 8,05 mois ;
- Equipe EG (sous-couche) : 2 619 740 F pour 8,9 mois ;
- Equipe EI (dalots) : 572 585 F pour 6,9 mois ;
soit la somme globale de 10 617 604 F pour les perturbations subies dans la marche du chantier par l'ensemble des équipes ;

Considérant que les travaux de réalisation de la chaussée, confiés à la société industrielle routière, sous-traitant, ont également été perturbés par les changements intervenus dans la réalisation de l'ouvrage ; que le groupement lui a versé à ce titre une indemnité de 1 259 860 F ; que c'est à bon droit que, nonobstant la circonstance que ladite société aurait pu travailler sur d'autres chantiers au moment où celui de la route nationale n° 1 était perturbé, le département a été condamné à rembourser ladite indemnité ;
Considérant que les études réalisées par le groupement d'entreprises tant en laboratoire qu'à son siège parisien pour s'adapter aux nouvelles modalités de réalisation de l'ouvrage ne peuvent être regardées comme prises en compte dans les frais généraux et couvertes par l'application du coefficient multiplicateur prévu à ce titre ; que, par suite, le département n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort qu'il a été condamné à verser aux entreprises une indemnité de 510 000 F représentant le coût desdites études ;
Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'en fixant à 1,2748 le coefficient multiplicateur pour frais généraux, le tribunal administratif ait fait une exacte appréciation de ce coefficient, qui a d'ailleurs été accepté par le groupement d'entreprises dans son mémoire enregistré le 10 juillet 1978 ; que, par suite, le montant global des indemnités à verser par le département au titre des diverses perturbations intervenues dans le déroulement du chantier, soit 12 387 464 F, doit être affecté dudit coefficient de 1,2748 pour tenir compte des frais généraux, et fixé à la somme de 15 791 539 F ; que, toutefois, il y a lieu de déduire de cette somme le montant de l'acompte sur indemnité déjà versé par le département, soit 3 031 240 F ; qu'ainsi, le montant de la somme restant due est ramené à 12 760 298 F ;
Considérant que cette évaluation a été effectuée sur la base des prix en vigueur en 1973 ; qu'afin de l'actualiser à la date du 30 juin 1976, à laquelle le groupement a présenté sa réclamation, le tribunal administratif a appliqué le coefficient de 1,541 proposé par l'expert et accepté par les parties ; qu'il y a lieu de le retenir pour fixer le montant actualisé de l'indemnité globale due aux entreprises et, par suite, de condamner le DEPARTEMENT DE LA REUNION à leur verser une somme de 19 663 619 F ;

Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :
Considérant que l'ensemble des opérations auxquelles donne lieu l'ensemble d'un marché de travaux publics est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde arrêté lors de l'établissement du décompte définitif détermine les droits et obligations des parties ; que l'indemnité, dont l'avenant n° 2 a prévu l'octroi aux entreprises afin de réparer le préjudice particulier résultant pour elles des perturbations survenues dans le déroulement du chantier à la suite des modifications apportées au projet initial, constitue un des éléments de ce compte et doit, dès lors, être rapportée au solde du marché ; qu'il en résulte que ladite indemnité doit porter intérêts au taux contractuel et non au taux légal ;
Considérant quqe le groupement ne conteste pas la date du 23 mars 1977, correspondant à l'enregistrement de sa demande au greffe du tribunal administratif de la Réunion, que celui-ci a retenue pour fixer le point de départ des intérêts ; que, par suite, il convient de maintenir cette dernière date pour le calcul des intérêts ;
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée le 10 juillet 1978, le 10 août 1979, le 16 décembre 1982, le 27 décembre 1983, le 28 décembre 1984, le 21 mars 1986, le 25 mars 1987, le 11 avril 1988 et le 14 avril 1989 ; qu'à chacune de ces dates, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à ces demandes ;

Sur les frais d'expertise :
Considérant que les frais de l'expertise diligentée par M. X... sur le montant des droits d'octroi de mer, taxés et liquidés par ordonnance du président du tribunal administratif en date du 5 novembre 1982, doivent être mis à la charge du groupement d'entreprises ;
Article 1er : L'article 1er du jugement en date du 4 novembre 1981 du tribunal administratif de Saint-Denis est annulé.
Article 2 : La somme de 24 405 185,58 F que le DEPARTEMENT DE LA REUNION a été condamné à verser au groupement constitué par la SOCIETE SPIE-BATIGNOLLES, la Société des Grands Travaux de l'Est et la Société Nationale des Travaux Publics par le jugement du tribunal administratif de Saint-Denis du 20 mars 1985 est ramenée à 19 663 619 F. Cette somme portera intérêts au taux contractuel à compter du 23 mars 1977. Les intérêts échus le 10 juillet 1978, le 10 août 1979, le 16 décembre 1982, le 27 décembre 1983, le 28 décembre 1984, le 21 mars 1986, le 25 mars 1987, le 11 avril 1988 et le 14 avril 1989 seront capitalisés à chacune de ces dates pour porter eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Les frais de l'expertise diligentée par M. X... sont mis à la charge du groupement d'entreprises.
Article 4 : Le jugement en date du 20 mars 1985 du tribunal administratif de Saint-Denis est réformé en ce qui a de contraire à la présente décision.
Article 5 : La requête du groupement d'entreprises est rejetée, ainsi que le surplus des conclusions de la requête du DEPARTEMENT DE LA REUNION et l'appel incident du groupement d'entreprises.
Article 6 : La présente décision sera notifiée au président du conseil général de la Réunion, à la SOCIETE SPIE-BATIGNOLLES, à la SOCIETE DES GRANDS TRAVAUX DE L'EST, à la SOCIETE NATIONALE DES TRAVAUX PUBLICS et au ministre de l'équipement, du logement, des transports et de la mer.


Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award